Archives mensuelles : janvier 2014

Quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

J’avais déjà abordé la difficulté qu’avait la Silicon Valley à parler ou traiter de politique dans Les promesses de la technologie. Décevantes ? et surtout dans La Silicon Valley et la politique – Changer le monde. J’y faisais allusion à deux articles (que je qualifie d’exceptionnels) écrits par George Packer dans le New Yorker en 2011 et 2013. C’est un article publié le 27 janvier sur le même site, Tom Perkins and Schadenfreude in Silicon Valley de Vauhini Vara, qui me pousse à me poser la question: Y a-t-il quelque chose de pourri dans le royaume Silicon Valley?

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Cet article est plutôt le énième révélateur d’une situation qui mérite l’attention. Quatre jours plus tôt, Le Monde publiait l’article de Jérôme Marin, A San Francisco, les protestations anti-Google dérapent. Le résumé de cette situation peut se faire simplement, mais je vous encourage à lire ces articles (surtout ceux de Packer dont la profondeur de l’analyse m’avait enthousiasmé):

De nombreux nouveaux millionnaires (en particulier employés de Twitter et Facebook), et même quelques milliardaires (voir Les milliardaires de la technologie en 2013) ont contribué à l’accélération récente de la gentrification de San Francisco. Or les autorités de San Francisco ont plutôt encouragé le phénomène et à une échelle plus large, le débat commence à faire rage. D’un côté une population qui exprime sa frustration devant cette situation nouvelle en bloquant les célèbres bus privés qui transportent ces employés high-tech de leur domicile à leur bureau (Cf. Un bus de Google bloqué, la colère monte à San Francisco du même Jérôme Marin) ou un employé de Google à son domicile. De l’autre, le « dérapage » de Tom Perkins qui compare ces protestations aux attaques des Nazis contre les Juifs…

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Ces réactions sont vraiment le révélateur d’un débat de plus en plus visible entre les tenants de la Main Invisible (laissez les riches être plus riches et le marché s’auto-régulera pour le bénéfice de tous) et des opposants de plus en plus déterminés aux conséquences de ce libéralisme exacerbé. Comme si Occupy Wall Street déménageait dans la Silicon Valley. Les Américains réagissant toujours assez vite, la mairie de San Francisco a pris la décision de faire payer à ces bus privés l’usage des arrêts de bus publics. Vauhini Vara mentionne aussi que Mark Zuckerberg est devenu le plus grand donateur privé en 2013 aux USA (avec le montant de $1 milliard de dollars…) et que Sergueï Brin se classe 5ème.

Mon avis n’a que peu d’importance et je vous laisse juger. Laissez moi juste ajouter (et vous comprendrez où je me situe en admettant que cela vous intéresse!) que les grandes entreprises américaines paient des montants ridicules d’impôt en utilisant légalement toutes les possibilités offertes par la législation du commerce mondial. En 2011, Le Monde publiait Etats-Unis: profit ne rime pas forcément avec impôt, dont voici un extrait:

Sur 280 entreprises parmi les 500 plus grosses entreprises américaines,, 111, soit 40%, ont bénéficié d’un taux d’impôt moyen de 4,6%. Il doit bien y avoir une explication rationnelle à ce traitement particulier me direz-vous, une chute des résultats par exemple, qui justifie une moindre pression fiscale ? Le problème, c’est que d’après les données compilées dans ce rapport, cet argument ne tient pas. Les 111 entreprises dont nous parlons ont même enregistré un total de bénéfices supérieur aux autres. Entre 2008 et 2010 l’opérateur télécom Verizon a accumulé 32,5 milliards de dollars de bénéfices, le conglomérat General Electric totalise 10,4 milliards de profits, quant au fabricant de jouets, Mattel, il a gagné plus d’un milliard de dollars sur la période. Pourtant, aucune de ces entreprises n’a payé l’impôt fédéral.

«Ce n’est pas un rapport contre les entreprises, précise l’étude dans son préambule. Au contraire, à l’instar de la plupart des Américains, nous voulons que les affaires aillent bien. Dans une économie de marché, nous avons besoin de managers et d’entrepreneurs, comme nous avons besoin de salariés et de consommateurs. Mais nous avons aussi besoin d’un meilleur équilibre sur le plan de la fiscalité».

Le milliardaire américain Warren Buffet appelait récemment les pouvoirs publics à lui faire payer plus d’impôts sur le plan individuel dans le sens d’une plus grande justice fiscale. Les multinationales sont elles capables d’un tel sursaut citoyen ?

Puisque j’avais commencé en mentionnant que la Sillcon Valley avait changé le monde, je termine pas une citation entendue ce matin sur France Culture et que je donne de mémoire: « Si vous ne changez pas le cours de l’Histoire, c’est l’Histoire qui vous changera. »

Founding Angels

Je viens de publier sur la partie anglaise de mon blog une longue interview que j’ai donnée à un doctorant de ETHZ, Martin Würmseher, qui travaille sur le concept de Founding Angels. « Les Founding Angels contribuent à combler le fossé, qui existe entre la recherche universitaire et la commercialisation de nouvelles technologies. En collaboration avec les inventeurs, ils fondent des start-up pour faire avancer davantage la recherche et en commercialiser les résultats. Le modèle d’affaires des Founding Angels est similaire à celui des Business Angels, mais le soutien opérationnel et financier des Founding Angels commence avant la fondation réelle de la start-up et, en tant que membre de l’équipe fondatrice, continue dans la fondation et le renforcement de la nouvelle start-up ».

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Martin m’a envoyé hier la transcription de l’interview et je l’ai beaucoup aimée. Martin m’a autorisé à la publier mais elle est si longue que je n’ai pas eu le courage de la traduire depuis l’anglais, vous la trouverez donc sur ce lien: Founding Angels.

Les leçons de l’échec : le témoignage rare et intéressant de Everpix

Deux entrepreneurs de l’EPFL m’ont demandé ce que je pensais de l’histoire d’Everpix . Si vous ne la connaissez pas , vous devriez lire les liens suivants :
– Un article très bien fait sur The Verge: Out of the picture: why the world’s best photo startup is going out of business. Everpix was great. This is how it died.
– Un compte rendu très détaillé de l’histoire d’Everpix par ses fondateurs sur Gifthub avec des tonnes de documentation et d’archives : Everpix – Intelligence

Je connaissais certains acteurs: Pierre- Olivier Latour est un ancien élève de l’EPFL que j’ai rencontré au cours de mes années Index et à nouveau en 2006 quand j’ai visité la Silicon Valley avec les futurs fondateurs de Jilion. Neil Rimer, l’un des investisseurs dans Everpix était mon patron avant que je rejoigne l’EPFL.

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De gauche à droite, Zeno Crivelli, Pierre-Olivier Latour , moi-même et Mehdi Aminian en 2006 dans la Silicon Valley.

L’histoire va certainement alimenter le débat récurrent sur ​​VC ou pas de VC, et je pense que c’est un débat biaisé ! Vous pouvez lire mes récents messages sur les Dilemmes des Fondateurs
– Les dilemmes du fondateur – La réponse est « ça dépend! »
Les dilemmes du fondateur suisse

Convaincre les VCs n’est pas une chose facile. Il est difficile d’obtenir leur argent et quand vous l’avez, les contraintes augmentent. Vous pouvez regarder la vidéo « le capital-risque est une bombe à retardement » du fondateur de 37signals si vous ne savez pas de quoi je parle.

Je pense que le débat est biaisé car il ne s’agit pas de VC contre pas de VC . Peu d’entrepreneurs ont le choix de ne pas prendre l’argent des investisseurs (les business angels ne sont pas très différents des VCs) Il s’agit plutôt de: « voulez-vous avoir un impact et croître » (vous devez alors souvent avoir des investisseurs) OU « voulez-vous contrôler et rester indépendant ». Et c’est souvent OU et non pas ET. Je sais que beaucoup de gens (y compris des entrepreneurs et des investisseurs ) sont en désaccord avec moi. Mon expérience récente n’a pas fait changé cette conviction que j’ai depuis 15 ans.

Vous devriez lire Founders at Work si ce n’est pas déjà le cas. L’un d’eux affirme : « Les VCs? vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. » Je pense que cela est plus proche de la vérité. Il a dit exactement: « Les VCs sont un groupe intéressant, vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. Ils jouent un rôle dans votre succès, car ils vous donnent de l’argent et un appui très fort. Ils ont ce réseau de connexions mafieuses et ils vous aider avec des offres et à trouver les bons dirigeants. Ils travaillent vraiment votre cas. Selon mon expérience, il est rare qu’ils se retournent contre vous, parce que vous êtes une équipe et si l’équipe ne fonctionne pas, l’entreprise sera vouée à l’échec. Parfois, quand tout échoue, ils auront à prendre une décision difficile et licencier quelqu’un, mais c’est rare à mon avis. Parce qu’ils n’investiraient pas dans votre entreprise si ils ne croyaient pas en vous et votre équipe. Donc, j’ai toujours eu une bonne expérience de travail avec les VCs ».

Retour à Everpix. Je n’ai pas vraiment de point de vue car je ne connais pas les détails. Mais permettez- moi de citer les acteurs directement depuis l’article: «Les fondateurs reconnaissent qu’ils ont fait des erreurs en cours de route. Ils ont passé trop de temps sur le produit et pas assez de temps sur la croissance et la distribution. La première présentation pour les investisseurs était médiocre. Ils ont commencé la commercialisation trop tard. Ils n’ont pas réussi à se positionner efficacement contre des géants comme Apple et Google, dont l’offre est assez robuste – et la plupart du temps gratuite. Et alors que le produit n’était pas particulièrement difficile à utiliser, il y avait une courbe d’apprentissage et un engagement pour confier à une start-up inconnu les souvenirs de votre vie – un défi que Everpix n’a jamais eu le temps de vraiment simplifier. » « On avait réussi sur plein de choses possibles », a déclaré Jason Eberle, qui a construit la version web de Everpix , « à l’exception de la seule chose qui compte ».

Alors ce que les investisseurs soulignent était: « Bien que le produit était clairement superbe avec une communauté certes très petite mais très fidèle, nous n’avons pas été assez à l’aise avec les autres aspects de l’entreprise pour un investissement de plus », a déclaré Neil Rimer, ajoutant: « avoir un bon produit n’est pas la seule chose qui rend finalement une entreprise prospère. » Il reste la question de la création de valeur attendue par les VCs, qui n’est pas toujours accessible aux entrepreneurs:  » Vous semblez être une équipe spectaculairement talentueuse et certaines vérifications l’ont confirmé, mais tout le monde ici est bloque sur l’inquiétude quant à la possibilité de construire une entreprise de plus de 100 M$ de revenus dans les photos à l’âge d’outils de photo gratuits. » Et un partenaire d’uen autre firme: « la réaction a été positive pour vous comme une équipe, mais faible en termes de savoir si une entreprise de $1B pourrait être construite ».

Le débat continuera sans doute, mais c’est à peut près ce que m’inspire cette histoire. Sans oublier la conclusion de Latour: « J’ai plus de respect pour quelqu’un qui commence un restaurant et y met ses économies d’une vie que ce que j’ai fait. Nous sommes quand même chanceux. Nous sommes dans un environnement qui a une assez bon filet de sécurité, dans la Silicon Valley « .

Europe, réveille-toi !

Voici un court texte que j’avais écrit en 2012, et mon ami Will de Finlande avait fait des commentaires à son sujet que j’ai ajoutés. Merci! Je l’ai relu ce matin et j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de le publier maintenant …

Intel, Apple, Microsoft, Oracle, Genentech, Cisco, Google, Facebook, Skype. Vous connaissez sans doute ces entreprises. Elles ont été à l’origine d’innovations majeures pour nos sociétés. Peut-être connaissez-vous moins Niklas Zennström et Janus Friis, Mark Zuckerberg et Dustin Moskovitz, Larry Page et Sergey Brin, Leonard Bosack et Sandy Lerner, Bob Swanson et Herb Boyer, Larry Ellison mais bien mieux Bill Gates et Paul Allen, Steve Jobs et Stephen Wozniak, Bob Noyce et Gordon Moore. Ils sont des entrepreneurs, les fondateurs de ces entreprises qui furent toutes des start-up. L’Europe ne semble pas avoir compris l’importance de l’innovation high-tech produite par ces jeunes entrepreneurs. Skype est l’exception dans la liste et les Américains ont su produire des centaines de tels succès. Pourquoi avons-nous échoué et que pouvons-nous faire pour changer le cours de l’histoire ?

L’innovation est une culture, où l’essai et l’incertitude ont une grande part. L’échec aussi malheureusement ou peut-être heureusement. Comme la vie ! La culture européenne dans toute sa diversité a apporté un bien être à ses citoyens depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ce confort sera peut-être cause de sa perte. Une culture ne peut vivre que de créativité et de renouveau. Comme l’a bien illustré un article récent de The Economist [1], nous les européens n’arrivons plus à innover, nos entreprises vieillissent dans l’innovation technologique telles Nokia ou Alcatel et nous ne créons plus de nouvelles innovations.

Les causes sont sans doute multiples, mais la peur d’essayer est la plus grave. Et je ne suis pas sûr que nous en ayons conscience. Sont-ils si nombreux les européens qui ont compris que l’innovation passe par l’entrepreneuriat ? Je crains que nous préférions avoir des enfants bien éduqués pour entrer dans les grandes entreprises établies que des individus créatifs prêts à tenter leur chance. Pire encore, quels modèles pourraient-ils avoir ?


Bob Noyce fut un modèle et un mentor pour Steve Jobs.

Dans ce lieu unique qu’est la Silicon Valley, des milliers d’entrepreneurs essaient chaque année. « La différence est question de psychologie: tout le monde dans la Silicon Valley connait quelqu’un qui a très bien réussi dans une start-up. Alors ils se disent: je ne suis pas plus idiot que lui et il a fait des millions, alors je dois aussi pouvoir le faire. Du coup, ils essayent et en pensant qu’ils peuvent réussir, ils augmentent leurs chances de succès. Cette psychologie-là n’existe pas souvent ailleurs. » a écrit Tom Perkins, célèbre investisseur de cette région.

L’Europe n’est pas tout à fait inconsciente du problème. L’année 2000 fut l’occasion pour l’Union Européenne de déclarer à Lisbonne son objectif de devenir d’ici à 2010 « l’économie basée sur la connaissance la plus compétitive du monde ». Echec total. Une multitude de mécanismes de soutien fut mise en place, mais les Européens semblent avoir oublié que l’innovation est avant tout histoire d’aventuriers, de pionniers. Les entrepreneurs sont des passionnés. « Fonder une start-up n’est pas un acte rationnel. Le succès ne vient qu’à ceux qui osent et qui sont assez fous pour penser de manière déraisonnable. Les entrepreneurs doivent sortir du cadre, des conventions et des contraintes habituelles pour atteindre l’extraordinaire, » nous dit Vinod Khosla autre icône de la Silicon Valley. Une start-up est un bébé dont les fondateurs sont les parents. Pas très étonnant qu’ils se lancent souvent en couple tant l’aventure va être difficile. Ils sont souvent migrants. Sans doute parce que les migrants n’ont pas les connections qu’il faut là où ils sont. La moitié des entrepreneurs de la Silicon Valley ne sont pas américains. Que n’avons-nous peur de cette richesse en Europe !

La Silicon Valley est une culture ouverte où même des concurrents comme Apple, Google ou Facebook se parlent et coopèrent. Ils sont souvent jeunes. Ce n’est pas une nécessité, mais la jeunesse (ou l’inconscience) bride souvent moins la créativité. Ila travaillent aussi avec passion sur leur innovation, augmentant encore la probabilité de succès. C’est cela la vraie « open innovation », pas celle qui est décrétée d’en haut.

La Silicon Valley est un endroit unique aux Etats Unis, que personne n’a jamais pu copier. Et pourtant chaque Etat, chaque région d’Europe essaie désespérément de créer la sienne ! Unissons nos efforts. En ne cherchant plus à créer le graal du cluster technologique européen et en coopérant à distance une fois pour toutes. Mais nos égoïsmes sont encore trop grands pour céder à une telle vision. Au moins travaillons ensemble sans gaspillage inutile !

Dans un discours récent [2] , Risto Siilasmaa, le jeune président de Nokia, a appelé à une réaction similaire et a ajouté que « l’entrepreneuriat est un état d’esprit, ce qui implique le pragmatisme, l’ambition, des rêves, la persévérance, l’optimisme et une culture du renoncement pour mieux recommencer ». Sans une grande ambition, ce n’est pas la peine d’essayer.

Une priorité est de se concentrer sur le développement d’une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer. Les entrepreneurs ne peuvent pas réussir seuls. Ils ont d’abord besoin d’investisseurs qui leur permettront de se lancer dans l’aventure. L’Amérique a su créer l’outil idéal qu’est le capital-risque : d’anciens entrepreneurs sont devenus les soutiens des nouveaux en devenant des financiers d’un type particulier, des financiers qui aident [3]. Ils ont ensuite besoin de managers qui connaissent cette culture des start-up. Il ne suffit pas d’avoir la compétence apportée par des années passées dans les grands groupes, elle peut parfois même être dangereuse si la culture de l’innovation ne l’accompagne pas. Il faut aussi des employés ayant eux aussi digéré cette culture, des employés qui seront intéressés par des mécanismes de stock-options. J’ai bien dit stock-option, ce mot devenu gros à force d’engraisser ceux qui ne le méritaient pas. Les stock-options devraient aller à ceux qui essaient. Sans doute faudra-t-il aussi flexibilité de l’emploi pour les start-up tant celles-ci doivent faire face à des incertitudes et des cycles rapides. Mais il ne faudrait pas croire que l’absence de ces mécanismes soit à l’origine de nos échecs. C’est l’absence de cette culture d’innovation qui nous blesse. N’ayons pas peur de l’échec. L’échec est la mère du succès dissent les chinois. Croyez-vous qu’un enfant tienne sur sa bicyclette au premier essai?

L’échec fera toujours partie de l’innovation. C’est la raison pour laquelle il faut une masse critique. Dans un seul lieu ou non. Et l’échec ne devra pas être stigmatisé. Je crois qu’il faut aller voir cette culture de la Silicon Valley, y passer du temps pour comprendre. Des semaines ou des mois. Sans craindre que nos enfants ne reviennent pas. Il vaut mieux essayer là-bas que de ne rien faire ici. Et ils reviendront nous apprendre au pire ! Nous devons aussi développer les échanges d’entrepreneurs entre régions d‘Europe, comme nous l’avons très bien fait pour nos étudiants.

On pourra me reprocher d’être trop fasciné par la culture américaine et par l’innovation technologique. L’Europe a une autre manière de faire me dit-on. Elle innove avec ses grands groupes comme Airbus ou ses PMEs allemandes ou suisses, ou dans les services. Parce que vous croyez que les Etats-Unis ne les ont pas ? On me dit que le capital-risque est en crise, que la Silicon Valley n’innove plus et il est vrai qu’en dehors du web, la créativité semble bien ralentie. Schumpeter, le grand économiste, avait bâti une formidable théorie, où les grands entreprises établies meurent et sont remplacées par de nouveaux entrants quand elles n’innovent plus. Le XXIème siècle serait-il différent du précédent ? Peut-être… mais nos problèmes d’énergie, de vieillissement, de santé ne vont-ils pas requérir de nouvelles innovations et de nouveaux entrepreneurs ? Je le crois.

L’Europe a besoin d’une nouvelle ambition, d’un nouvel enthousiasme et nous les européens vieillissants le devons à nos enfants, à notre jeunesse. Dès l’école primaire, laissons nos enfants exprimer leur créativité, apprenons leur que dire non est positif et qu’une carrière n’a de sens que si elle inclut passion et ambition. Ne les encourageons pas à suivre les chemins de la certitude qui sont peut-être mortifères. Steve Jobs dans un magnifique discours en 2005 [4], indiquait que nous allions tous mourir un jour, et qu’avant ce jour, il fallait toujours savoir rester fou et curieux. Suivons son conseil. Aidons nos enfants !

Hervé Lebret soutien l’entrepreneuriat high-tech à l’EPFL. Il est l’auteur du blog Start-Up, www.startup-book.com/fr

[1]: Les misérables – Europe not only has a euro crisis, it also has a growth crisis. That is because of its chronic failure to encourage ambitious entrepreneurs. The Economist, July 2012. www.economist.com/node/21559618

[2] Risto Siilasmaa à la conférence REE. Helsinki, Sept. 7, 2012.

[3] Ne manquez pas le film SomethingVentured qui décrit à merveille et avec humour les premières années du capital risque, www.somethingventuredthemovie.com

[4] Stay Hungry, Stay Foolish. ‘You’ve got to find what you love.’ http://news.stanford.edu/news/2005/june15/jobs-061505.html

En résumé, quelques points clés:
• L’Europe est derrière les USA et l’Asie dans l’innovation.
• Les entrepreneurs ne sont pas considérés comme des héros en Europe.
• Essais et erreurs, incertitude, et échec font partie (essentielle) de l’innovation
• Notre niveau de confort élevé accélérera notre propre fin (et non la destruction créatrice de nouveau).
• La peur d’essayer est le problème le plus grave avec l’innovation.
• Le mandat de l’Europe de devenir la première économie du monde fondée sur la connaissance a échoué.
• L’Innovation ne se décrète pas, elle est bottom-up, pas top-down.
• Les jeunes sont créatifs, car ils n’ont pas encore l’expérience de l’échec.
• Nous devons créer une infrastructure où les entrepreneurs qui prennent des risques peuvent prospérer.
• Tous les étudiants qui montrent un intérêt pour et la capacité d’innovation devraient connaître la culture de la Silicon Valley. Nous ne devrions pas craindre qu’ils ne reviennent pas.
• Les grandes universités en Europe peuvent être des facteurs de changement, des catalyseurs, en se mettant d’accord sur ce qui est important (l’éducation, l’innovation, l’entrepreneuriat) et investir dans ces domaines.

L’immigré, facteur de création

Voici ma dernière chronique pour 2013 à Entreprise Romande. Sujet qui m’est cher, l’importance des migrants.

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Les chemins de l’innovation et de l’entrepreneuriat sont pavés d’une myriade de dilemmes. Clayton Christensen avait il y a quelques années exploré le premier sujet dans son Innovator’s Dilemma et l’année dernière Noam Wasserman a publié un intéressant Founder’s Dillemmas. L’incertitude face au marché, la jeunesse face à l’expérience, la rupture face à l’incrémental, le nouveau face à l’établi font partie de ces choix difficiles. Un sujet plus controversé et politiquement sensible est l’apport de l’étranger, du migrant dans le domaine de la création.

A l’heure du débat en Europe comme en Suisse sur la menace que représenterait celui qui est différent et qui vient d’ailleurs, il est peut-être bon de rappeler quelques éléments beaucoup plus positifs sur l’importance de l’ouverture à l’extérieur. L’histoire suisse [1] nous rappelle que l’industrie horlogère est liée à l’arrivée des Huguenots au XVIe siècle, qu’une partie de l’industrie des textiles à Saint-Gall a son origine en Angleterre. Il y a aussi des Français à l’origine de l’industrie de la chimie bâloise. Peut-être est-il intéressant de rappeler que Christoph Blocher a de lointaines origines allemandes mais que dire de Nicolas Hayek, le sauveur de l’industrie horlogère, bercé par les cultures libanaise et française.

Beaucoup plus loin d’ici, la Silicon Valley, championne mondiale de l’entrepreneuriat innovant doit beaucoup à ses migrants. Bien sûr l’Amérique est terre de pionniers, mais la région de San Francisco a poussé la logique à l’extrême. Plus de la moitié des entrepreneurs de cette région sont d’origine étrangère et par exemple, Google, Yahoo, Intel comptaient un fondateur issu de ces migrations. Alors que l’Europe se ferme en raison de ses difficultés économiques, aux Etats Unis, le Start-up Act 2.0 envisage de simplifier l’obtention d’un visa pour les étrangers et de régulariser les enfants de migrants pour leur permettre de faire des études supérieures. Le Japon autre grand pays d’innovation il y a quelques décennies a peut-être pâti de sa fermeture au migrant ; le pays vieillit et n’a pas vraiment su se renouveler.

La Suisse est terre de migration, ne l’oublions pas, et c’est une de ses forces. Aujourd’hui encore, les campus de l’EPFL et de l’ETHZ comptent une grande part d’étudiants mais aussi de chercheurs et d’enseignants d’origine étrangère. La proportion augmente bien plus si l’on se concentre sur ceux qui créent des entreprises. Pour ceux qui ont reçu une bourse entrepreneuriale à l’EPFL, la proportion passe à 75% et même 25% de non-européens.

Les étrangers seraient-ils plus talentueux et créatifs ? La réponse est plutôt dans une plus grande expérience de ce qui est inconnu et incertain. Un migrant a accepté de quitter sa terre natale en laissant parfois tout derrière lui. Et il sait par son vécu que l’on peut se relever de cette perte. Il sait ainsi qu’il est toujours possible de recommencer et la peur d’échouer en est moindre. Il a aussi appris à domestiquer la nouveauté. Il faut ajouter qu’un migrant a moins accès aux cercles établis et reste bloqué par « les plafonds de verre ». Il doit donc plus souvent provoquer sa destinée. De ce point de vue, il ne prend pas la place de l’autre, il crée de nouvelles opportunités profitables aux autres !

[1] http://histoire-suisse.geschichte-schweiz.ch/industrialisation-suisse.html

Les Space Invaders sont aussi à Genève

Il était difficile de ne pas ajouter l’invasion de Genève par les Space Invaders après celle de Lausanne (Après Banksy à New York, Space Invader à Lausanne). Mais celle-ci est loin d’être parfaite, de nombreuses images sont manquantes et je n’ai pas pris le temps d’aller sur place.

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Tout de même, vous pouvez télécharger ma compilation pdf de ce que j’ai trouvé en ligne ainsi que d’une carte Google des lieux.


Afficher Space Invader Geneva sur une carte plus grande