Archives mensuelles : juin 2014

La collectivité bénéficie-t-elle suffisamment des retombées de l’innovation ?

Voici une nouvelle chronique écrite pour Entreprise Romande. Je reviens sur un sujet qui m’est cher, innovation et société.

ER-Lebret-June2014

L’entreprise est plus que jamais au centre des débats politiques de par son rôle dans la création d’emplois et de richesses – individuelles et collectives. Elle est indirectement l’enjeu de la montée des populismes et des tentations protectionnistes mondiaux. En son sein et hors de ses murs, l’innovation est le sujet de tensions similaires : la collectivité bénéficie-t-elle suffisamment des retombées de l’innovation ?

Mariana Mazzucato et l’état entrepreneurial

Un livre récent aborde le sujet du rôle respectif des entreprises et de l’Etat dans l’innovation : Mariana Mazzucato, professeur à l’université du Sussex, développe dans The Entrepreneurial State [1], un ouvrage passionnant et quasi-militant, l’argument que les Etats n’ont pas perçu les fruits non seulement des investissements réalisés dans leurs universités, ni même indirectement des aides et soutiens fournis aux entreprises, investissements et soutiens qui seraient à l’origine des innovations majeures des cinquante dernières années.

Mazzucato illustre brillamment comment l’iPhone et l’iPad intègrent des composants financés initialement par la puissance publique : depuis les composants électroniques développés pour les programmes spatiaux et militaires en passant par les écrans tactiles ou le GPS, jusque Siri, l’outil de reconnaissance vocale (qui a des sources à l’EPFL), l’auteur montre qu’Apple a magistralement intégré des technologies initiées par l’argent public. Google est aussi issu d’une recherche faite à l’université de Stanford. Mazzucato ajoute que les essais cliniques de nouveaux médicaments sont essentiellement faits dans des hôpitaux financés par l’argent public à partir de molécules elles-aussi issues des laboratoires universitaires.

Mazzucato prône donc des réformes majeures aussi bien sur la gouvernance des aides initiales que sur la fiscalité. Elle souhaite que l’impôt vienne compenser l’absence ou l’insuffisance de retours directs vers les universités ou provenant des entreprises d’autant plus qu’il est en effet indéniable que les multinationales optimisent facilement leur fiscalité. Elle montre ainsi qu’Apple a su profiter des règles internationales pour créer des filières au Nevada ou en Irlande pour minimiser son imposition.

La chercheuse anglaise est convaincante en affirmant qu’Apple doit payer plus. Mais payer comment ? En payant une licence pour le GPS, mais à qui ? Je ne suis même pas sûr que le GPS soit breveté. Et si l’internet avait été breveté, il n’aurait sans doute pas eu le même développement (je ne vais pas revenir sur les limitations du Minitel français). En cherchant plus de retours directs (qui ne sont pas si négligeables que l’on pourrait croire – Stanford aura reçu plus de $300M de sa participation dans Google et plus de $200M des premiers brevets de la biotechnologie), le risque serait grand de démotiver les créateurs et de freiner l’innovation. Je doute que la solution se trouve dans une plus grande rigueur des règles nationales.

Peter Thiel et l’individu entrepreneur

Peter Thiel, entrepreneur et investisseur libertarien est tellement opposé à de telles vues qu’il encourage les jeunes motivés par l’entrepreneuriat à abandonner leurs études en leur offrant des bourses de $100’000 et imagine même de déplacer les entreprises vers des navires offshore au large de la Californie pour qu’elles échappent totalement à l’impôt. Il est effrayé par toute forme d’initiative publique qui selon lui devient rapidement bureaucratique. Il est bon d’ajouter que la devise de Thiel montre aussi un certain scepticisme quant aux bénéfices sociaux de l’innovation : « nous voulions des voitures volantes ; à la place, nous avons eu 140 caractères. » [2]

En amont, il y a donc la question des retours directs et du rôle réel de l’Etat. Mais sans la créativité inouïe de Steve Jobs pour Apple, sans l’ambition démesurée de Larry Page et Sergei Brin pour Google, sans la vision de Bob Swanson, fondateur de Genentech, le monde n’aurait sans doute pas vécu les mêmes révolutions technologiques. En aval par contre, se pose la question de créer des règles internationales sur l’innovation. Laissez-moi faire une large digression. L’Internet, autre innovation initiée par la puissance publique, est devenu un enjeu majeur dans les domaines politiques, fiscaux et économiques. Or « la neutralité et l’auto-organisation font partie des options libertariennes […] et sont en contradiction avec la politique. L’humanité doit saisir cette opportunité de rediscuter de ce que l’on considère comme important. […] Internet permet l’émergence d’un espace politique mondial, mais celui-ci est toujours largement à inventer. Le temps de cette invention, Internet aura probablement disparu !» [3]

Si je penche par expérience plutôt du côté de Thiel pour l’innovation comme acte individuel d’exception finalement assez éloigné de l’investissement public qui en est pourtant la semence, je ne peux admettre en conséquence que le collectif soit abandonné. Il est le terreau qui permet l’éclosion des talents exceptionnels. Les entreprises ont aussi leur part de responsabilité dans cette négligence à oublier le rôle de la puissance publique. Comme toute activité humaine complexe, l’innovation est un délicat équilibre entre privé et public. Mais surtout aujourd’hui les enjeux sont devenus mondiaux. La question n’est pas tant comme l’affirme Mazzucato que le rôle de l’Etat a été largement sous-estimé dans ce processus, mais bien plus que le retour par l’impôt est très largement diminué par la globalisation et son absence de gouvernance économique.

L’impôt comme unique solution globale?

Les collectivités retirent-elles quoi que ce soit de l’argent public dépensé pour l’école, les routes, la sécurité ? Non, parce que ce n’est pas un investissement au sens propre avec idée de retour. C’est une mise à disposition d’infrastructure qui permet aux citoyens et aux entreprises de vivre correctement et de se développer. Et ils paient des impôts en retour. Et quand le Darpa finance Stanford, il n’est pas sûr qu’un étudiant de Corée n’en bénéficiera pas pour travaille plus tard pour Samsung. L’idée de faire payer des champions nationaux me semble d’un autre âge.

Reste l’impôt dans une vision renouvelée de la gouvernance mondiale. Que l’innovation soit du domaine privé ou public, la globalisation du monde ne permettra bientôt plus de se réfugier derrière les arguments de qui est fondamentalement à son origine. Non seulement les individus mais aussi les Etats devront accepter un plus grand partage de ses bénéfices, au risque de graves crises. A l’heure où la Suisse doit revoir sa politique fiscale et croit pouvoir se retrancher comme ses voisins derrière ses frontières, il est bon de voir que les tensions actuelles méritent de revisiter la position de l’innovation dans la société avant que de nouvelles crises majeures n’émergent. Un vœu pieux ?

[1] The Entrepreneurial State – Debunking Public vs. Private Sector Myths. 2013, Anthem Press, http://marianamazzucato.com
[2] Peter Thiel. Zero to One – Notes on Startups or How to Build the Future. Sept. 2014, Crown Business press, http://zerotoonebook.com
[3] Boris Beaude. Les fins d’Internet. 2014, FYP Editions, http://www.beaude.net/ie

Quelques caractéristiques des innovations / innovateurs de rupture

Mon ami Jean-Jacques (merci :-)) m’a envoyé un lien sur le CNBC Disruptor 50, une liste de 50 « entreprises privées dans 27 industries – de l’aérospatiale aux logiciels d’entreprise ou à la vente au détail – dont les innovations sont en train de révolutionner le monde des affaires ». On pourrait critiquer la méthode, les industries, ce qui du domaine de la rupture et ce qui ne l’est pas, mais la liste est en soi intéressante. Et j’ai fait quelques analyses rapides. (Je veux dire par rapide une analyse discutable de l’âge de fondateurs sur la base des données disponibles – leur âge ou l’année de leur bachelor – mon analyse complète est disponible à la fin du post)

cnbc-disruptors

J’ai trouvé ce qui suit:
– les innovateurs dans la rupture sont jeunes (33 ans),
– ils lèvent beaucoup d’argent: plus de 200 millions de dollars!
– Et oui, ils sont pour la plupart basés dans la Silicon Valley

Disruptor50-stats

Les innovateurs dans la rupture sont jeunes

L’âge moyen des fondateurs est 33 ans (alors que l’âge de fondateurs de start-up est plus proche de 39 – voir mon post récent Age and Experience of High-tech Entrepreneurs). Comme dans cette analyse plus générale, des fondateurs dans la biotechnologie et dans l’énergie. sont beaucoup plus âgés que dans le logiciel ou l’internet. C’était quelque chose que j’avais déjà abordé dans ce document: la rupture pourrait être la chasse gardée des jeunes créateurs.

Ils lèvent beaucoup d’argent

Un point vraiment frappant est le montant d’argent recueilli par ces entreprises. Avec une moyenne d’âge de 6 ans, ces entreprises ont levé en moyenne 200 millions de dollars … Dans l’énergie, c’est plus que 400 millions de dollars et même plus de 250 millions de dollars pour l’Internet.

La Silicon Valley en tête

Il n’est pas surprenant que la Silicon Valley semble être l’endroit où être. 27 entreprises y sont basées (un peu plus de 50%). C’est là aussi que les entreprises ont accès à plus de capitaux ($280M en moyenne). Puis sur la Côte Est (25%). Étonnamment, ils sont basés à New York, plus à Boston quand la côte Est est concernée. Seulement 3 sont des Européens… (Spotify, Transferwise et Fon), même si quelques Européens ont également opté pour la SV …

Voici mon analyse complète qui, comme je l’ai dit peut contenir des erreurs (notamment sur l’âge des fondateurs …). Vous pouvez également êrte en désaccord avec mon classement des indjustries…

Disruptor50
cliquez sur l’image pour l’agrandir

Le succès inhabituel et extraordinaire de deux entrepreneurs en série: Andy Bechtolsheim et David Cheriton

Serial entrepreneur est un terme à la mode. Je n’ai jamais été convaincu par le lien entre l’entrepreneur en série et le succès. J’ai même fait une analyse pour ceux liés à l’Université de Stanford (consultez entrepreneurs série: sont-ils meilleurs?). Mais de temps en temps, vous voyez ces étonnantes et rares réussites.

Andy-David
Andy Bechtolsheim (à gauche) et David Cheriton (à droite) [avec leco-fondateur de Arista, Ken Duda).

Andy Bechtolsheim est une icône de la Silicon Valley. En 1982, il a co-fondé Sun Microsystems. Né en Allemagne en 1995, il a déménagé aux États-Unis à 20 ans pour son master à CMU. Il s’installa dans la Silicon Vallley afin de travailler chez Intel, mais a ensuite atterri à Stanford pour son doctorat. Sun est venu par la suite. Il y est resté jusqu’en 1995…

David Cheriton est un professeur de Stanford. Né en 1951 au Canada, il a obtenu son BS à l’UBC et son doctorat à l’Université de Waterloo. Il arrive à Stanford en 1981. Je ne sais pas comment ils se sont rencontrés, mais ils ont co-fondé Granite Systems en 1995. Un an plus tard, la start-up est achetée par Cisco pour 220 millions de dollars. Bechtolsheim est resté chez Cisco jusqu’en 2003. Cheriton est toujours professeur à Stanford. Deux ans plus tard, ils rencontrent deux étudiants inconnus de Stanford, Larry Page et Sergei Brin. Chacun investit 100’000 dollars dans leur start-up, mais c’est une autre histoire …

En Février 2001, ils fondent ensemble une autre start-up, Kealia. En Avril 2004, « Sun a émis un total d’environ 20’000’000 d’actions ordinaires (y compris les options) en échange de toutes les actions en circulation et les options de Kealia » (source: Newswire). A cette époque, l’action Sun valait environ 4$, ce qui donne une valeur d’acquisition d’environ de 80 millions de dollars. Cette même année, Google est entrée en bourse (le 19 Août) à 85$ par action. Ils avaient reçu 1’600’000 actions pour leur investissement de 100’000$ (soit 0,0625$ par action, un multiple de 1’360 et avec un six mois de lock-up, la valeur de l’action a plus que doublé). Le succès de Kealia est tout relatif…

arista-arastra
Granite a pu avoir un logo, mais je ne l’ai pas le trouvé sur le web. Kealia était apparemment toujours en mode furtif. Pas de logo disponible non plus…

Mais il ne se sont pas arrêtés là. En Octobre 2004, ils co-fondé Arista Networks. Le nom était à l’époque Arastra. La société vient de faire son entrée en bourse, ce qui est la motivation de cet article. Et vous trouverez mon tableau de capitalisation habituel ci-après. Et parce qu’ils avaient ainsi fait beaucoup d’argent, les deux entrepreneurs en série ont financé presque entièrement la start-up eux-mêmes… Pas le moindre succès de tous!

Arista
Cliquez sur l’image pour l’agrandir

PS: Cheriton et Bechtolsheim sont-ils bons amis? Je n’en ai pas la moindre idée, mais le document d’iIPO d’Arista mentionne un litige, je vous laisse aller lire l’article en anglais en cliquant ici.

Si vous voulez être un entrepreneur high-tech, ne lisez pas cela. Ou bien?

Est-ce une période étrange ou suis-je de plus en plus vieux? Le fait est que mes récentes lectures sur l’esprit d’entreprise high-tech ou la Silicon Valley n’ont pas été optimistes ni positives. Je pense à:
The Hard Thing About Hard Things – Ben Horowitz
– Pour sauver le monde, cliquez ici de Morozov (qui est si négatif que je n’ai pas encore écrit d’article!)
– Le Silicon Valley de HBO – agréable et drôle mais un peu déprimant.

D’une certaine manière, il y a toujours eu des créations qui ne sont pas vraiment optimistes, mais il y avait toujours des éléments positif. Je pense
The First $20 Million Is Always The Hardest de Po Bronson,
I’M Feeling Lucky – Falling On My Feet in Silicon Valley de Douglas Edwards,
L’Homme qui ne croyait pas au hasard de Peter Harboe Schmidt,
– et la nouvelle très drôle The Anorexic Startup de Mike Frankel.

NoExit

Je viens de lire No Exit, Struggling to Survive a Modern Gold Rush de Gideon Lewis-Kraus (merci David!). La passion, l’excitation ont disparu. Les entrepreneurs sont assez honnêtes pour montrer qu’ils sont épuisés. Et la ruée vers l’or de nouveau fait plus de victimes que de gagnants.

J’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une fiction, mais l’auteur est un journaliste de Wired. C’est pourquoi ma première réaction a été que ce n’est pas un bon travail, je ne pouvais pas voir le style, le rythme. Après avoir compris que c’était pas de la fiction, j’étais moins négatif mais je pense que ce n’est pas le meilleur document que j’ai lu, sur le sujet, et de loin. Mais voici quelques citations / leçons intéressantes que je traduis:

« La vallée a élaboré avec succès le fantasme que l’entrepreneuriat – et, plus largement, la créativité – peut être systématisée; ce sont les promesses de base des accélérateurs que le succès pour les start-up peut être non seulement enseigné mais rationalisé, et même prévisible (YCombinator et al.) ». (31/847 – référence Kindle) et plus loin « le livre le plus acheté de la Silicon Valley, Le Lean Startup de Eric Ries, est un pamphlet spiritul qui exhorte les gagnants à avoir faim, à aller vite, à être agile, sans état d’âme. Presque tous les fondateurs de la Silicon Valley ont lu les 30 premières pages de ce livre. » (618/847) Si vous ne connaissez pas le livre, il y est en effet question de dépenser peu et de pivot rapide et je suis d’accord, il y a quelque chose de faux dans tous ces fantasmes. En effet, même Steve Blank est maintenant d’accord. Vérifiez sa déclaration sur l’apprentissage de l’entrepreneuriat.

Pire encore, «[…] la crise des séries A. En partie en raison des accélérateurs comme Y Combinator, ainsi que de l’excédent de capital autour de la vallée après les dernières introductions en bourse, il n’a jamais été plus facile de lever une petite somme d’argent, disons 1 million de dollars. Et il n’a jamais été plus facile de construire une entreprise en particulier un produit web ou mobile avec cette petite somme d’argent, en partie grâce à la prolifération des outils de développement faciles à utiliser et peu onéreux et les plates-formes de cloud comme Amazon Web Services. Mais la quantité de « vrai » financement de capital-risque (c.-à-dire les séries A) n’a pas suivi le rythme. Les institutions qui signent les gros chèques, celles qui pourraient appuyer et soutenir la croissance réelle, peuvent considérer les centaines d’entreprises qui ont utilisé un petit chèque puis mettre leur vrai argent sur les propositions qui promettent le meilleur rendement avec le moins de risques » (41/847) et « le problème en 1999 était que, pour recevoir 5 millions de dollars, vous n’aviez pas besoin de beaucoup. Vous aviez besoin d’un ou deux diplômés de Stanford, une idée pour un prototype, et une personnalité enthousiaste à qui donner cet argent. Il est difficile d’obtenir 5 millions de dollars aujourd’hui en partie parce qu’il est si facile d’obtenir $500’000, surtout si vous sortez d’un accélérateur. Une façon de voir les choses est que les 5 millions de dollars qui étaient allé à une entreprise de 10 personnes en 1999 vont maintenant dans 10 entreprises de deux personnes. Vous avez baissé la barre d’un facteur 10 » (753).

Et les conséquences sont légèrement différentes … « La vallée est le lieu où l’incroyable succès de très peu de personnes a capté des jeunes gens en échange de leur temps, leur énergie et, aussi, leur jeunesse » (60). « Vous savez que les chances de succès de toute entreprise donnée sont faibles, et c’est pourquoi vous faites beaucoup de paris. Dans la première bulle Internet, le risque a été largement porté par les investisseurs. Maintenant que les bailleurs de fonds ont une emprise sur le marché et que les connaissances en ingénierie spécialisée est devenue une marchandise courante, le risque a été reporté sur la jeunesse » (760). « Le pire, c’est que ces gars obtiennent finalement un autre financement et soient coincés à continuer une année de plus. Jusqu’à présent, ils n’en ont perdu qu’une » (778).

Ses commentaires ont corrects, mais n’est-ce pas vrai de n’importe quel pari que vous faites dans la vie, devenir un artiste, un scientifique. Vous pouvez choisir une vie plus sûre bien sûr. Lewis-Kraus est pessimiste, il voit les gens qui ne gagnent pas. Et cela existe partout où les gens essaient. J’ai des vues plus optimistes. Même si je sais que c’est une expérience difficile … je préfère ce que dit Latour de son expérience avec Everpix: « J’ai plus de respect pour quelqu’un qui commence un restaurant et y met ses économies d’une vie que ce que j’ai fait. Nous sommes toujours heureux. Nous sommes dans un environnement qui a un assez bon filet de sécurité, dans la Silicon Valley ».

Une dernière citation, que j’ai bien aimée (lié à mon précédent post sur l’âge – en anglais seulement): « Il y a eu beaucoup d’articles récemment sur le fossé de l’âge dans la Silicon Valley, et même les articles les plus réfléchis – tels que que ceux du New York Times Magazine et de The New Republic – ont tendance à manquer l’évidence: les personnes plus âgées ne travaillent généralement pas dans les start-up, car elles ont des familles et ne peuvent plus supporter la situation de crise permanente. C’est exactement la même raison pour laquelle les gens dans la cinquantaine ont tendance à ne pas être freelance pour des magazines ou bassistes dans des clubs underground. Comme un investisseur me l’a dit: Quand je vois une personne de 40 ans dans une réunion pour un tour de série A, je le prends à part, lui mets ma main sur son épaule, et lui dis d’aller se trouver un emploi » (706).

PS: c’est toujours un défi pour moi de lire un e-book d’autant plus avec ces références qui ne sont pas des numéros de pages. Alors j’ai triché, créé un pdf et imprimé le document pour prendre des notes et ensuite faire des copier/coller dans le pdf …

Les fins d’Internet par Boris Beaude

L’Internet n’est que le reflet du progrès technologique et de la globalisation. Tout comme avec ces deux sujets, des tensions sociales et politiques sont naturellement apparues, mais rendues plus aigües encore par les spécificités du Réseau et la révolution qu’il a créée en beaucoup moins de temps que les évolutions passées du Monde. (J’ajouterai plus bas que les déceptions provoquées par des attentes excessives de la technologie ont joué elles aussi un rôle.)

les-fins-d-internet-de-boris-beaude-fyp

La 4ème de couverture du livre Les fins d’Internet rappelle que l’Internet a révolutionné le Monde dans les domaines de l’information, de la production, de la collaboration et des transactions. Son auteur Boris Beaude est géographe de formation, ce qui est d’importance dans sa manière d’aborder son sujet. Beaude contribue à la réflexion sur les contraintes créées par le Réseau de manière synthétique et détaillée, dans un petit livre (95 pages) dense et passionnant.

(Je n’en dirai pas autant du livre d’Evgeny Morozov, To Save Everything, Click here, qui est aussi dense, sur des sujets connexes, mais trop provocateur ou extrême pour être totalement convaincant. J’y reviendrai peut-être plus tard dans un autre post.)

Morozov-ToSaveEverything

L’Internet (tout comme la globalisation) a révolutionné le Monde (page 15) en re-balançant les priorités (et recréant des tensions) entre:

Avant l’Internet Depuis l’Internet
Egalité Liberté
Société / Collectif Individu
Vie privée Vie publique / Transparence
Propriété Gratuité

Beaude mentionne aussi (page 24) les problèmes liés à
– la liberté d’expression,
– l’intelligence collective,
– l’ouverture,
– la décentralisation,
– la neutralité,
qui sont les titres de ces chapitres.

L’Internet perturbe donc les valeurs locales dans les territoires, mais l’Internet (qui « est un nom propre au même titre que la France ou l’Union européenne » – page 14) est tout sauf virtuel; il est un espace immatériel. Il faut pourtant qu’il puisse survivre aux intérêts particuliers. L’Internet rend la distance (et le temps) moins pertinents sans les abolir ce qui « rend plus évidente sa disjonction avec la pluralité des espaces territoriaux » (page 23). Il perturbe les Etats qui ont pu mettre des valeurs plus hautes que la liberté (sécurité, propriété aux USA auxquelles il faut ajouter la dignité, la vie privée, en Europe). Beaude est bien géographe !

Et d’ajouter : « Un espace commun à l’humanité ne suffit manifestement pas à créer spontanément des valeurs communes. Or les contrats sociaux sont au cœur de la politique. Ils proposent de renoncer à des libertés en déléguant collectivement l’autorité au nom de libertés jugées plus fondamentales » (page 29). Cf le « ma liberté s’arrête où commence celle des autres ». L’Internet est à la fois un espace de liberté et un espace de non-droit (propriété intellectuelle battue en brèche, surveillance généralisée, utilisation privée des données, la liste est longue.)

Et c’est bien là entre autres que le bât blesse. Pas seulement dans le monde de l’Internet, mais également dans le domaine de l’innovation technologique où les experts impressionnent souvent le politique et la société. Il se créée ainsi des tensions entre individu et société, entre privé et public, entre experts et décideurs. « Le code informatique est à présent la loi » (page 47).

Sur l’intelligence collective : « Croire aux potentiels des individus, c’est précisément ne pas croire à celui d’un seul, c’est accepter la faillibilité individuelle, tout en reconnaissant la puissance d’appréciation qui réside en chacun » (page 38). Suit une section sur la démocratie et « la difficulté à organiser du commun avec du particulier » (et le fameux, le « pire système à l’exception de tous les autres ».) De plus le caractère largement minoritaire des contributeurs à l’intelligence collective sur Internet (par exemple 0.0002% des utilisateurs du Wikipédia francophone) en est une limite supplémentaire, sans oublier la disparition de leur indépendance et la privatisation de cette intelligence (pages 40-46).

Il faut aussi lire son excellente synthèse sur gratuité et propriété. La propriété intellectuelle bien sûr avec les émergents Copyleft et Creative Commons. La gratuité n’existe que parce qu’un tiers paye; pas seulement la publicité mais aussi des sponsors dans le cas de Wikipédia ou Mozilla. Cela n’est pas si nouveau puisqu’aussi bien la Presse que la Télévision utilisaient ces méthodes. Juste une question d’échelle et une forte dématérialisation. Les coûts minimaux de copie et de transmission révolutionnent le monde, mais la production initiale des biens doit être financée. Netflix et Spotify montrent que de nouveaux modèles sont possibles, mais si seul l’agrégateur ou le distributeur sont suffisamment rémunérés, la source du contenu risque de s’épuiser en qualité si ce n’est en quantité… Et en même temps, Beaude rappelle que la gratuité est aussi facteur de liberté.

Autre sujet subtil : l’hypercentralité (Google, Facebook,Twitter) pose de fantastiques problèmes, le moindre n’étant pas le contournement des lois et de la fiscalité (page 75). Ainsi les « liens faibles » (ceux qui ne sont ni quotidiens ni intenses) sont eux aussi essentiels. Mais menacés ?

Beaude rappelle bien à propos que le quatrième amendement de la constitution américaine impose un mandat à toute perquisition. Il pose la constitutionnalité de la surveillance opérée par la NSA (page 81).

Comment l’Internet a-t-il pu en arriver à donner des résultats de Google et de Twitter différents selon les pays, des offres d’iTunes, de Netflix ou de YouTube différentes, voire inexistantes selon la géographie ? (Page 85). Cette neutralité disparue va conduire à la neutralisation d’Internet, voire sa disparition (page 89). « La neutralité et l’auto-organisation font partie des options libertariennes […] et sont en contradiction avec la politique. […] L’humanité doit saisir cette opportunité de rediscuter de ce que l’on considère comme important, vraiment important. […] Le défi est d’une rare complexité. Il va falloir choisir entre la fin d’Internet ou la mondialisation de la politique» (pages 91-93).

Beaude indique donc que le dilemme est simple : « En respectant les contrats sociaux nationaux, Internet est partitionné selon les Nations. En ne respectant pas les contrats sociaux nationaux, Internet risque d’être partitionné plus encore dans un avenir relativement proche » (page 35). « Internet permet l’émergence d’un espace politique mondial, mais celui-ci est toujours largement à inventer. Le temps de cette invention, Internet aura probablement disparu ! » (page 36)

Comme d’habitude ma synthèse est imparfaite, mais si let sujet vous intéresse ou vous intrigue, lisez Beaude !

Thiel-FlyingCars

Enfin et ce n’est pas tout à fait le sujet de Beaude, il y a aussi une certaine déception face aux promesses de la technologie et de l’Internet en particulier… Au motto de Thiel – « nous voulions des voitures volantes, nous avons eu 140 caractères » – que j’ai déjà cité ici, ce qui ne serait pas si grave, on pourrait ajouter la citation du patron de TF1 – « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.[…] Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité » – ou celle de Jeff Hammerbacher: “Les meilleurs esprits de ma génération réfléchissent à la manière de faire les gens cliquer sur des publicités, cela pue. » Ce qui me ramène à Morozov dont les arguments sur le « centrisme » et le « solutionisme » de l’Internet me semblent bien excessifs. Ce ne sont pas les promesses exagérées de l’Internet qui sont décevantes, c’est le risque de dérive et de disparition de l’Internet qui est le vrai problème – mais ceci est un autre sujet.)

Silicon Valley par HBO: suite et fin. Ou bien?

HBO a programmé son dernier épisode (le huitième) de Silicon Valley. Apparemment, il était assez réussi pour que la chaîne décide d’une deuxième saison. J’ai ri à nouveau même si je ne prétends pas que la série soit géniale. Aussi extrêmes que soient les anecdotes de la série, elles sont finalement assez réalistes.

SV8-1
L’équipe semble d’abord extatique mais après la présentation de son concurrent, beaucoup moins… « Regardez-moi, regardez-moi, regardez-moi. Nous avons un super nom, nous avons une super équipe, nous avons un super logo et nous avons… un super nom. Maintenant nous avons juste besoin d’une super idée. Pivotons, nous devons pivoter. »
Est-ce suffisant ? Pas sûr quand vous écoutez ce qui se passe ensuite:
« Regardez-les, tous pleins d’espoir. Ils viennent tout juste de lever 20 millions de dollars en série A à une valorisation de 280 millions. » Il pourrait être temps de se joindre à eux…
SV8-2
… sauf si le brainstorming n’arrive pas trop tard. Je ne vais pas vous dire comment les nouvelles idées sont venues, mais c’était « geeky, nerdy »…
SV8-3
… et apparemment efficace. Tout le monde semble heureux. Et c’est l’Amérique. En fait, voici une des premières images montrant la Bay Area. Rien d’autre n’a vraiment prouvé que la série a été tournée là-bas.
SV8-4a
En guise de conclusion à la série, une nouvelle triste que j’ai apprise à travers une vidéo que j’ai postée dans un article précédent …
SV8-5

PS: en plus de mes articles posts about the series (mot clé: HBO), vous pourtriez être intéressé par:
– les pages web de HBO: Silicon Valley
– le lien Wikipedia: Silicon Valley (série télévisée)

Mots clés : Film, Silicon Valley