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Chercheurs et entrepreneurs : c’est possible !

Voici un livre que je découvre sur des histoires de startup du numérique français, celles issues d’Inria, l’institut national (pour la recherche en informatique et en automatique) dédié aux sciences du numérique. Il est intitulé Chercheurs et entrepreneurs : c’est possible !

Je n’en ai lu que quelques pages mais les citations que j’ai lues sont si parlantes que je ne peux pas m’empêcher d’en extraite quelques exemples :

« Nos amis créaient leur boîte dans la Silicon Valley, comme Bob Metcalfe avec 3Com ou Bill Joy avec Sun. J’ai fait le tour des groupes que je connaissais outre-Atlantique, au MIT, à Berkeley, à Stanford, en leur expliquant notre projte. leur réaction positive nous a confortés dnas l’idée de nous lancer. » La Silicon Valley fut souvent source d’inspiration…

« Ce qui m’intéressait ce n’était pas de faire de la recherche en soi, c’était de faire progresser la technologie pour résoudre des problèmes bien réels. Nous avions de plus en plus de financements ; nous avons fait des configurateurs de satellites pour l’aérospatiale, de ports, de bâtiments et un simulateur stratégique pour les sous-marins nucléaires » dit Pierre Haren, le fondateur de Ilog. Le produit oui, mais avant tout pour des clients…

« Par définition, [nous étions] une société de haute technologie. [… mais ] Comme dans toute création, au début, on fait tout même le ménage ! Nous nous sommes occupés de la démarche commerciale, de l’optimisation de l’offre, et même des locaux. Quand on s’occupe d’une société, on n’est jamais tranquille, on ne prend jamais ses aises. Que l’on soit dix ou dix mille, le responsable est toujours au charbon. » selon Christian Saguez, fondateur de Simulog et d’ajouter « Mon premier conseil aux chercheurs hésitants, c’est de faire la pas de la création sans chercher le confort à tout prix. Vous apprenez la varie vie et c’est toute la beauté d’entreprendre. Avec Simulog on a dû tout inventer et le modèle a marché. »

Une multitude de leçons… Je vais lire la suite très bientôt. Merci à Laurent pour ce cadeau. 🙂

PS: j’en profite pour ajouter un document qui décrit le soutien à l’entrepreneuriat autour d’Inria:
Entrepreneurship Support at and around Inria as of October 2019

Startup, Arrêtons la mascarade

Startup, Arrêtons la mascarade est le titre d’un nouvel ouvrage écrit par Nicolas Menet et Benjamin Zimmer. Le tire est bien sûr accrocheur et ce c’est pas forcément une qualité, car il laisse entendre que le phénomène n’est que mascarade alors que les auteurs ont une analyse plus subtile.

Le début est certes assez polémique avec une première partie intitulée « Comment en est-on arrivé là ? » et des phrases telles que « nous avons assisté à l’émergence d’un mythe : celui de l’entrepreneur du digital, autrement dit, le startuper » [page 15] comme si l’entrepreneuriat et les startup se résumaient au monde du numérique; ou des simplifications telles que « tout le monde peut constituer très simplement son propre portefeuille d’entreprises non cotées » [page 22] alors que la personne avertie sait qu’il est quasiment impossible d’investir dans les startup les plus visibles si l’on n’est pas connecté ou assez riche…

Mais leur analyse de la crise actuelle, de l’emploi précaire, de l’autoentrepreneur et de « la subjectivité prime sur l’objectivité. Le vécu est vérité » [Page 23] reste une analyse intéressante. Idem en expliquant que « En mettant en avant la technologie comme seul vecteur de progrès, une partie de la startup-sphère se fourvoie probablement et ne pense pas aux conséquences de cette croyance prométhéenne. » Et d’ajouter une jolie citation de Michel Serres « la science c’est ce que le père enseigne à son fils. La technologie, c’est ce que le fils enseigne à son père. » [Page 29] Je ne peux m’empêcher de mentionner à nouveau la passionnante analyse de Facebook publiée par Wired: Inside the Two Years that Shook Facebook — and the World.

Le chapitre 3 sur la nouvelle économie est assez convenu, je trouve, et le chapitre 4 également, mais j’ai tout de même aimé leur citation [page 62]: « la « coolitude » n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques qui n’ont d’autres buts que de soumettre un groupe d’individus à un autre groupe d’individus. Le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés (bureau commun, pas de marqueurs hiérarchiques) mises en pratiques par les managers n’ont d’autres visées que de leurrer et d’accentuer le contrôle des salariés. »

Le meilleur chapitre est le cinquième la startup, première ou ultime utopie? car il est tout en subtilité. D’un côté « la startup peut être vue comme l’aboutissement ultime du capitalisme selon le cheminement suivant: la société de consommation renforce l’expression de la singularité; la créativité de chacun s’éveille car l’épanouissement personnel est permis, c’est même une injonction sociale; la société du divertissement et des médias permet de flatter les désirs narcissiques; la technologie est accessible à tous; la crise économique du début du XXIe siècle impose des stratégies nouvelles de transformation des activités productives… ça y est, le décor est planté pour que des milliers de nouveaux prolétaires du digital soient tentés par le mirage de l’aventure entrepreneuriale et viennent assouvir les appétits des capitalistes. » [Page 68]

Mais par ailleurs « la startup cristallise les espoirs des sociétés contemporaines et recèle des opportunités exceptionnelles. On l’a dit, la startup comporte dans son ADN une composante révolutionnaire. Elle est un lieu où les comportements normalisés peuvent changer et elle produit ses propres normes. Elle s’oppose à l’ordre établi, chamboule les règles et les dispositifs en place. le cadre économique libéral est aussi synonyme de liberté. Liberté de créer et d’inventer les nouveaux modèles. Liberté d’expérimenter de nouveaux mondes de gouvernance , de nouveaux modes de ventes. » [pages 71-2]. Cette phrase me rappelle la citation de Pitch Johnson: « Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps […] La démocratie fonctionne mieux quand il y a un peu de turbulence dans la société, quand ceux qui ne sont pas encore à l’aise peuvent grimper l’échelle économique en utilisant leur intelligence, leur énergie et leur habileté pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants. »

Même si parfois les auteurs tombent dans des petits travers comme « la technologie est dorénavant facilement accessible grâce à l’innovation open source » ou « et on le sait, la startup n’existe que parce qu’Internet existe. » Je crains que la technologie ne soit pas d’accès aussi simple et les startups existaient bien avant l’internet… Mais leu conclusion résume bien le chapitre: « Rendons nous à l’évidence: la startup augure un avenir plein de promesses en même temps qu’elle est le symptôme d’un société déliquescente » [pages 72-3]. Un « en même temps » très macronien!

La banale histoire de Tom, objet du chapitre 6, doit être lue par tout apprenti entrepreneur. Il pourra peut-être éviter quelques erreurs.

La troisième et dernière partie m’a déçu, mais je m’y attendais un peu. Pas l’argument selon lequel l’économie sociale et solidaire serait l’avenir des startup; c’est possible. Mais j’ai du mal à croire que les écosystèmes à travers des incubateurs et des accélérateurs plus professionnels pourront réellement mieux planifier, sélectionner et accompagner. Je crains que cela ne relève plus du fantasme que de la réalité.

Je vais conclure en mentionnant une excellente video de Randy Komisar qui décrit l’entrepreneur et en voici un bref extrait:

« Le caractère de l’entrepreneur? Certaines personnes l’ont et d’autres pas. Certaines personnes peuvent ne pas penser qu’elles l’ont et peuvent l’avoir. Beaucoup de gens pensent qu’ils l’ont, et ils ne l’ont pas.

Le caractère entrepreneurial est très, très à l’aise avec l’incertitude et l’ambiguïté. Ce caractère d’entrepreneur est très capable de comprendre et de cibler des opportunités que les autres ne voient pas et est tenace quant à leur poursuite. Dans le même temps, ils restent perméables à aux idées et à corriger ler cours des choses à partir des commentaires du marché et des personnes qui pourraient avoir plus d’expérience ou plus d’idées qu’eux. Il y a une personnalité qui fonctionne dans cet environnement. Et il y a une personnalité qui n’est pas à l’aise. »

Et comme en effet l’entrepreneuriat n’est pas pour tout le monde (c’est peut là qu’est la mascarade), Komisar ajoute:

« Mais si vous n’êtes pas entrepreneur, c’est Ok. Il y a beaucoup d’autres valeurs à créer. Il y a beaucoup d’autres choses à «attaquer» sur le marché qui seraient peut-être plus appropriées. Donc je pense que vous pouvez apprendre beaucoup. Et je pense que vous pouvez accélérer votre capacité à apprendre plus en construisant un contexte. »

https://ecorner.stanford.edu/video/how-do-you-teach-high-tech-entrepreneurship/

Seydoux, le fondateur de Parrot, à propos d’entrepreneuriat et d’innovation

Une publication récente de l’excellente ParisTech Review a attiré mon attention. Elle est intitulée Trois leçons de la saga Parrot et vous en trouverez le texte intégral ici (www.paristechreview.com/2016/09/28/trois-lecons-de-la-saga-parrot/)

J’ai déjà écrit sur Parrot et son fondateur Henri Seydoux (voir www.startup-book.com/fr/2012/08/10/parrot-et-henri-seydoux-une-success-story-francaise/) et j’ai eu la chance de l’écouter à l’EPFL en 2014. Je vous encourage à regarder sa présentation où il donne cinq conseils : suivez votre intuition, entourez-vous, focalisez-vous – c’est essentiel, soyez frugal et… bonne chance.

Dans cette nouvelle série de conseils, je n’ai pas seulement retenu les trois leçons de Seydoux (il est possible de réussir en France en faisant de l’industriel, il ne faut pas se bercer d’illusions car les cycles technologiques sont rapides, le logiciel est plutôt orienté vers le B2C), mais aussi des anecdotes parlantes :
– Parrot aura été plusieurs fois au bord de la faillite mais l’obstination et la clairvoyance de son fondateur lui a permis d’éviter le pire.
– A son grand regret, Seydoux n’avait pas réussi à « convaincre les marques françaises » et d’ajouter « nul n’est prophète en son pays ».
– Pour innover, Seydoux créa des « start-up internes », avec de petites équipes talentueuses et deux interdictions : pas de spécifications, pas d’études de marché. De la bidouille, des essais et « petit à petit on accumule du savoir et parfois, cela marche ».

En 2016, Parrot, c’est une capitalisation de €300M, un chiffre d’affaires de €300M et presque 1’000 employés. Une belle success story européenne.

Les ingrédients d’un écosystème entrepreneurial selon Nicolas Colin

Analyse passionnante de Nicolas Colin (The Family) dans son article What makes an entrepreneurial ecosystem? Si le sujet vous intéresse, c’est à lire absolument.

Colin-Ecosystems

En résumé, les écosystèmes entrepreneuriaux ont besoin de 3 ingrédients – je cite:
– Du capital: par définition, aucune nouvelle entreprise ne peut être lancée sans argent et infrastructures pertinentes (du capital engagé dans des actifs tangibles);
– Du savoir-faire: vous avez besoin d’ingénieurs, de développeurs, de designers, de vendeurs: tous ceux dont les compétences sont nécessaires pour le lancement et la croissance des entreprises innovantes;
– De la rébellion: un entrepreneur conteste toujours le statu quo. Sinon, ils innoveraient au sein de grandes entreprises établies, où ils seraient mieux payés et auraient accès à plus de ressources.

Cela me rappelle deux « recettes » que je cite souvent. D’abord « les 5 ingrédients nécessaires aux clusters high-tech: »
1. des universités et les centres de de la recherche de très haut biveau;
2. une industrie du capital-risque (institutions financières et investisseurs privés);
3. des professionnels expérimentés de la haute technologie;
4. des fournisseurs de services tels que avocats, chasseurs de têtes, spécialistes des relations publiques et du marketing, auditeurs, etc.
5. Enfin et surtout, un composant critique mais immatériel: un esprit de pionnier qui encourage une culture entrepreneuriale.
“Understanding Silicon Valley, the Anatomy of an Entrepreneurial Region”, par M. Kenney, plus précisément dans le chapitre: “A Flexible Recycling” par S. Evans et H. Bahrami

Deuxièmement, Paul Graham dans How to be Silicon Valley?? «Peu de start-up se créent à Miami, par exemple, parce que même s’il y a beaucoup de gens riches, il a peu de nerds. Ce n’est pas un endroit pour les nerds. Alors que Pittsburgh a le problème inverse: beaucoup de nerds, mais peu de gens riches. » Il ajoute également à propos des échecs des écosystèmes: « Je lis parfois des tentatives pour mettre en place des «parcs technologiques» dans d’autres endroits, comme si l’ingrédient actif de la Silicon Valley étaient l’espace de bureau. Un article sur Sophia Antipolis se vantait que des entreprises comme Cisco, Compaq, IBM, NCR, et Nortel s’y étaient établi. Est-ce que les Français n’ont pas réalisé que ce ne sont pas des start-up? »

Beaucoup d’amis toxiques des écosystèmes entrepreneuriaux n’ont pas compris tout cela. Mais pour ceux qui ont compris, la construction d’écosystèmes vivants reste un véritable défi: amener la rébellion, la culture, en diminuant la peur de la prise de risque sans stigmatiser (pas récompenser – ici, je suis en désaccord avec Colin) l’échec reste très difficile à faire alors que le savoir-faire et le capital ne sont pas non plus faciles à amener mais c’est faisable en y travaillant.

Enfin, je copie ses diagrammes qui montrent les combinaisons idéales et moins idéales du capital, du savoir-faire et de la rébellion, en ajoutant mon exercice pour la Suisse.

NicolasColin-NationalEcoCompar

La Suisse est probablement 80% Allemagne et 20% France… Un récent article du journal Le Temps aborde cette difficulté de l’animation des espaces entrepreneuriaux: Les start-up se multiplientau cœur des villes (journal au format pdf, en accès peut-être limité).

SwissNationalEcoCompar

(Un bref ajout le 29 octobre 2015) – La meilleure description de la Suisse a été donnée par Orson Welles. Cela explique beaucoup de choses…

« L’Italie sous les Borgia a connu 30 ans de terreur, de meurtres, de carnage… Mais ça a donné Michel-Ange, de Vinci et la Renaissance. La Suisse a connu la fraternité, 500 ans de démocratie et de paix. Et ça a donné quoi ? … Le coucou! » dans Le troisième homme, dit par Holly Martins à Harry Lime.

La (triste) situation des entrées en bourse technologiques à Paris

Je viens de lire un excellent article dans le Journal Le Monde: Les investisseurs se lassent des introductions en Bourse.
LeMonde-July14

La première lecture pourrait laisser entrevoir des nouvelles positives, comme le montre les graphiques qui suivent:
LeMonde-FrenchIPOs-2
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LeMonde-FrenchIPOs-3
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LeMonde-FrenchIPOs-1
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J’ai regardé plus en détails les documents d’entrée en bourse de 11 d’entre elles. Pour référence, les 11 sociétés étudiées:
Ask http://www.ask-rfid.com
Awox http://www.awox.com
Crossject http://www.crossject.com
Fermentalg http://www.fermentalg.com
Genomic Vision http://www.genomicvision.com
Genticel http://www.genticel.com
Mcphy energy http://www.mcphy.com
Supersonic Imagine http://www.supersonicimagine.fr
Txcell http://www.txcell.com
Viadeo http://fr.viadeo.com/fr/
Visiativ http://www.visiativ.com
et je vous laisse découvrir ici les 11 tables de capitalisation.

Je vous montre ici les deux plus gros succès Supersonic et Viadeo:

Supersonic-captable
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Viadeo-captable
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Pourquoi ai-je ressenti le besoin d’employer le terme « triste » situation? Parce que:
– les valorisations ne dépassent pas les €200M,
– les montants levés en bourse ne dépassent pas les €50M
Avec de tels chiffres ni les entrepreneurs ni les investisseurs ne peuvent tenir la comparaison avec leurs homologues américains. (Je vous renvoie à ma synthèse des IPOs américaines, si vous n’êtes pas convaincus).

Et si vous n’êtes toujours pas convaincus, je vous renvoie à un excellent débat sur France Culture avec notamment Oussama Ammar, le fondateur de The Family: La France est-elle le paradis ou l’enfer des start-up ? Oussama Ammar y décrit les faiblesses historiques du système français, la trop grande intervention publique, les IPOs (comme celles de Viadeo justement) qui sont si faibles qu’elles n’auraient pas lieu aux USA (alors qu’une start-up française comme Criteo a pu, elle, entrer au Nasdaq). Il y aurait beaucoup à dire à partir de ces 11 IPOS, mais je vous laisse réfléchir à ce qu’elles signifient…

Les systèmes d’innovation en France: un colloque à Nantes

Pourquoi exprimer une frustration après avoir participé au colloque De l’innovation aux écosystèmes de croissance, par ailleurs très bien organisé et où j’ai trouvé du plaisir ? Sans doute parce qu’après avoir beaucoup attendu de mon pays en matière de réformes sur le sujet de l’innovation (cf mes réflexions passées sur le rapport Beylat-Tambourin), je crains que la France ne reparte dans ses vieux travers : attendre beaucoup de la puissance publique et ne pas comprendre que l’innovation vient avant tout des start-up. Pourtant le problème était bien compris par les organisateurs du colloque qui avaient fait un travail préparatoire remarquable et les invités ont fait leur travail également.

Le grand témoin, Jean-Luc Beylat a fait une analyse détaillée, dont je fournis quelques notes. La France doit prendre en compte quelques grands changements :
– la vélocité des cycles technologiques,
– la puissance des pays émergents (« Shanghai investit plus dans ses transports en commun que l’Europe dans son ensemble »),
– la rareté grandissante des ressources, (notez que j’ai écouté Pascal Lamy la semaine dernière à l’EPFL et celui-ci pense que la matière grise est-elle illimitée et sera utile face à ces défis,)
– le numérique et l’accès au savoir transforme les mécanismes d’innovation.
Parler d’innovation n’est donc pas une posture, mais un devoir. Beylat pense qu’il n’y aura pas de dynamique individuelle sans une politique publique et que si il n’y a pas de copie possible des écosystèmes ayant réussi, il y a des invariants importants:
– l’éducation (et l’importance de tirer vers le haut),
– l’excellence de la recherche,
– le décloisonnement public-privé,
– l’attractivité de ces régions pour les talents,
– la culture de l’entrepreneuriat,
– les financements de la croissance.
L’analyse me convient! Le débat qui suivit parla d’écosystèmes et d’innovation. Et mon malaise a alors grandi alors que les messages étaient clairs : faire émerger les talents et leur fournir des ressources. Point. Comme si je souhaitais plus de radicalisme dans les messages. Un non-choix conduit à arroser un peu partout sans vraiment décider. « Il faut être patient. » « Il n’y a pas que les start-up. » Je crains que les acteurs attendent trop de la puissance publique, peut-être même trop du privé. Alors que bien souvent, l’innovation est une démarche individuelle.

ColloqueInnovationNantes2014

J’ai exprimé ce malaise lors de la table ronde à laquelle je participais. Je ne suis pas sûr de l’avoir bien explicité. J’ai expliqué le débat à distance que j’ai illustré sur ce blog entre Mariana Mazzucato et Peter Thiel. Mazzucato montre l’importance de la puissance publique, du collectif, Peter Thiel penche du côté de l’entrepreneuriat individuel au point que ce libertarien traiterait sans doute Mazzucato de communiste !

J’ai aussi ajouté que dans deux écosystèmes efficaces comme la Silicon Valley et la région de Boston, il y a aussi des différences similaires. Berkeley et Harvard sont moins favorables aux initiatives individuelles alors que le MIT et Stanford encouragent grandement la création de start-up, sans avoir une « politique d’innovation » très structurée. Stanford et le MIT sont bienveillants envers les entrepreneurs. On pourrait croire que Berkeley et Harvard sont avant tout dans le Savoir, alors que Stanford et le MIT sont dans le Faire et le Vendre (le produit et le client, chers à Steve Blank). Il y a peut-être un lien entre toutes ces dimensions, mais je n’en suis pas sûr. Il est certain par contre que l’entrepreneuriat est du domaine de l’exception, de l’anormal, de la singularité, de l’irrationnel même et donc une « politique publique » pourrait largement ne pas suffire. J’ai aussi expliqué aussi ce que nous faisons à l’EPFL puis l’importance des « role models » et des mentors pour faire émerger les talents, en citant notre Daniel Borel et ma citation habituelle sur la préférence vers la grosse part du petit gâteau que vers la petite part du gros gâteau. Un pari donc sur l’individu autant que sur le collectif.

J’ai répété pour autant que l’on ne sait pas filtrer a priori. Qu’il faut 1000 idées pour faire 100 start-up qui en donneront 10 qui auront les ressources pour croître (du VC) qui donnera 1 succès. Notre rôle est au niveau des 100 en les encourageant à devenir les 10. J’aurais dû ajouter que ce qui compte est :
– la culture (la passion, l’ambition, la prise de risque qui ne fustige pas l’échec)
– l’éducation (au sens de l’exposition au monde des start-up)
– l’argent (public, puis les BAs, puis le VC)
– le talent (encouragé par les mentors, les role models et l’expérience)
– l’internationalisation rapide (« buvez local, pensez global »)

Je crains pourtant d’avoir entendu tous les « buzzwords », l’accélération qui remplace l’incubation, les co-working spaces, les fablab et leurs imprimantes 3D, l’importance du design et des usages – il y a 15 ans on ne parlait que d’incubateurs et de MBAs ! – sans oublier le « ni les start-up ni le capital-risque ne sont la réponse à tout ». Pourtant je crois que la France a gâché des talents en les éloignant de cette simple dualité ! Cette bienveillance qui a tant manqué…

J’ai terminé en indiquant que cette diversité n’est pas ce que j’ai vu dans la Silicon Valley. On y trouve plutôt une majorité quasi-uniforme d’Asperger et de dyslexiques, et le malheureux manque de jeunes femmes n’est pas du à une soi-disant mentalité misogyne de « old boy club » mais plus à une incapacité de ces « talents » intravertis à leur parler…

MarcRougier-LeMonde

J’ai tout de même aimé le discours courageux de clôture de Christophe Clergeau, qui a su critiquer un millefeuille de structures d’innovation dont les SATT ne sont qu’une nième couche. Il a bien compris l’équilibre à trouver entre structures publiques et soutien aux talents et comment tout dépend de la qualité de réseaux. Fleur Pellerin a disparu en France, enfin elle fera autre chose. Pourtant elle revenait de la Silicon Valley, où un entrepreneur français était présenté grâce au Journal Le Monde : « Marc Rougier est un démenti à ceux qui croient que le mot « entrepreneur » n’existe pas dans la langue française. « C’est ma quatrième boîte. La première était toute petite. La deuxième je l’ai réussie. La troisième, je l’ai plantée ». Pour lui, le problème principal pour créer une entreprise en France, n’est ni le fisc, ni la lourdeur administrative, « même si ça existe ». C’est la peur du risque. « On est topissimes pour la capacité à innover. On est des intellos brillants, innovants, mais conservateurs. On est fort sur l’innovation comme jeu intellectuel. Ici on passe à l’acte. On démissionne à midi, on emporte ses cartons à 14 heures. Le lendemain on commence dans une autre boîte. » Tout est dit…

Neolane, la nouvelle success story française

On moque souvent la France pour l’apparente faiblesse de ses start-up, mais force est de constater que la réalité est loin d’être aussi négative que la perception, Kelkoo dans le passé, Criteo sans doute dans quelques mois sans oublier Deezer. Et la semaine dernière Neolane. J’entends les critiques dire: « oui, mais que du Web ». ça serait oublier Parrot, Soitec, Envivio, Sequans, Ymagis, Qualys, Inside… neolane c’est l’histoire de 3 amis centraliens qui font une première start-up à la sortie de l’Ecole et la vendent avant l’Internet. Ils se relancent en 2001, trouvent l’appui d’Auriga en 2002. Neolane lève plus de €15M avant de se faire racheter par Adobe pour €460M la semaine dernière. On ne doit pas être très loin de la plus grosse valeur atteinte pour une acquisition de start-up française. Encore une fois l’acquéreur vient des Etats-Unis, comme c’est souvent le cas avec des acquisitions de start-up . Espérons que les emplois ne vont pas disparaître, mais c’est certainement une bonne nouvelle pour la France et l’Europe de bénéficier d’une telle réussite. Et bravo à mes amis d’Auriga (dont j’ignore s’ils apprécieront ou non cet article…) Commentaires bienvenus!

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Les fondateurs de Neolane. De gauche à droite, Benoît Gourdon, (directeur des opérations pour l’Europe), Stéphane Dietrich (Président Amérique du Nord), Stéphane Dehoche (CEO) et Thomas Boudalier (CTO).

Comme vous vous en doutez si vous connaissez mon blog, je me devais de bâtir la table de capitalisation. J’ai décidé de me concentrer ici sur les rendements du capital-risque, à savoir les multiples sur les investissements et le TRI. C’est un exercice intéressant car il y eut trois tours d’investissement y compris des ventes partielles. J’ai toujours été un peu perturbé par la différence entre les multiples et les TRI. Le multiple est ce qui compte en définitive, mais le TRI compte également comme une mesure relative de retour (si on le compare avec d’autres actifs).

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NB: toutes les données sont issues du registre du commerce français. Quelques chiffres manquaient, j’ai fait de mon mieux, « best effort » comme disent nos voisins. Et ce ne fut pas la table la plus simple à bâtir….

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Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme!

Un long article dans Le Monde du 13 juin sur le rôle de l’Etat dans l’innovation « Ni austérité, ni keynésianisme! ». Intéressantes réflexions que je me permets de commenter à ma manière, en y ajoutant références et commentaires en caractères gras, entre parenthèses ou par liens web…

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Voilà deux penseurs qui veulent réformer l’Etat pour le rendre plus juste et plus efficace. Mais l’un, Philippe Aghion, proche des socialistes, veut le rendre intelligent, l’autre, Phillip Blond, inspirateur du concept de « Big Society » des conservateurs britanniques, veut le réduire à sa portion congrue. Confrontation.

Pensez-vous que les Etats sont responsables de la crise ? Ou est-ce que ce sont les entreprises qui sont condamnables?

Phillip Blond (P.B.) – Dans tout système complexe, c’est le système dans son ensemble qui est responsable. Les sphères publiques et privées s’interpénètrent beaucoup plus qu’on ne le pense. Le système s’est effondré, et tout le monde est coupable. Il est indéniable que l’on a socialisé les pertes et privatisé les gains. Et que ceux qui en ont profité représentent une toute petite partie de la population.

Philippe Aghion (P.A.) – La réponse dépend de ce que l’on considère être à la source de la croissance. Durant les « trente glorieuses », la France et ses voisins européens étaient des économies en rattrapage. L’Etat-providence traditionnel était alors bien adapté. La politique industrielle reposait sur les grandes entreprises publiques et les subventions aux champions nationaux. La politique sociale consistait essentiellement à compléter les petits salaires car il n’y avait pas de chômage. Mais à partir des années 1980, l’économie s’est mondialisée, de sorte que l’innovation est devenue notre principal moteur de croissance. Or l’innovation implique la création et destruction permanente d’entreprises et d’emplois. Il faut alors réinventer la politique industrielle pour la rendre plus ascendante (« bottom-up ») et plus « pro-concurrence ». La politique sociale doit également changer pour mettre davantage l’accent sur la sécurisation des parcours professionnels pour aider les travailleurs à rebondir d’un emploi à un autre. Autrement dit, il faut remplacer l’Etat-providence par l’Etat stratège qui investit dans le capital humain, l’innovation et la sécurisation des parcours professionnels. Un Etat qui gère le cycle par l’offre plutôt que par la demande, en aidant les entreprises et les individus à maintenir leurs investissements innovants en période de récession : de keynésien, il faut devenir « schumpetérien ».

[HL: vaste sujet que l’approche Schumpeterienne de création destructrice. Voir mon long post sur Schumpeter].

P.B.- Je suis d’accord. Le keynésianisme récompense les entreprises en place et leur manque d’innovation. Il ne fait qu’accroître le fossé entre la situation actuelle et celle qu’il faudrait atteindre pour avoir une économie compétitive. Et donc le système s’effondre. Ni l’austérité ni le keynésianisme ne fonctionnent. Mais les responsables politiques ne comprennent rien à l’innovation. Il faut de nouveaux acteurs, visionnaires, pour mener des innovations de rupture. Et que les pays se mettent ensemble pour mener à bien un projet courageux.

M. Blond, votre projet de « Big Society », qui transfère des prérogatives de l’Etat vers les citoyens et les associations locales, était justement un projet innovant, adoubé par le premier ministre britannique, David Cameron. Mais est-il un succès?

P.B.- Oui! Ce projet trouve de plus en plus d’adeptes. Certes, les conservateurs l’ont gâché. Ils ont adopté les idées sociales du projet ; mais pas les mesures économiques. Ce qui a étranglé l’ensemble, car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Mais les travaillistes l’adoptent ! Ce projet part du constat que l’Etat échoue avec son principe de bénéfice universel. Il dépense des milliards sans rien résoudre. Il ne pallie pas le manque de gens compétents ; ni les ravages de l’alcoolisme. Car il faut davantage individualiser les aides. Etre plus près des gens. Que les services soient rendus localement. Que les gens prennent en charge ce dont ils ont besoin. Le retour sur investissement est alors bien supérieur parce que ce système élimine la bureaucratie. Un exemple : si vous confiez un délinquant à un groupe social, une association, plutôt que de le mettre en liberté surveillée, sous le contrôle de l’Etat, le taux de récidive baisse de 66 % à 15 %.

P.A.- Certes, la décentralisation permet de réduire les déficits structurels : je pense notamment au mille-feuille administratif et à l’assurance-maladie. Mais il ne faut pas qu’elle crée plus d’inégalités.
En Finlande, les instances locales définissent une partie des programmes éducatifs, mais l’Etat central définit le cursus de base, contrôle la qualité des professeurs sur l’ensemble des territoires et veille à ce que tout élève bénéficie du tutorat nécessaire pour ne pas perdre pied. De même pour la santé. En Suède, la santé a été décentralisée. Mais les grosses interventions demeurent centralisées.

[HL: Autre difficulté, un certain mélange des genres entre système social (protection, éducation, santé) d’un côté et innovation, créativité de l’autre. J’ai de plus en plus l’intuition que les deux peuvent être assez déconnectés, même s’il y a des enchevêtrements certains. La Finlande est un cas typique que j’ai souvent abordé ici.]

P.B.- Ce n’est pas le process qu’il faut évaluer. Mais les résultats. Par exemple, financer des associations de recherche d’emploi en fonction du nombre de gens qui trouvent du travail grâce à elles.

P.A.- J’adhère à la culture de l’évaluation et du résultat. Cela devient d’autant plus important pour un Etat stratège qui est obligé de cibler ses investissements et de donner la priorité aux secteurs et activités les plus porteurs de croissance.

M. Aghion, votre idée d’un Etat stratège confirme au contraire le rôle essentiel de l’Etat, mais à condition qu’il mette en oeuvre de nouveaux principes très éloignés de l’Etat-providence. Pouvez-vous préciser votre pensée?

P.A.- L’enjeu auquel sont confrontés les pays de la zone euro, et en particulier du sud de l’Europe, est celui de réduire les déficits publics tout en investissant dans la croissance de long terme et sans porter atteinte à la cohésion sociale.

Il faut donc un « Etat intelligent » qui investit de façon ciblée dans l’éducation, la recherche, l’aide aux PME innovantes, et dans la dynamisation du marché du travail. Et également un Etat dont les investissements transforment la gouvernance : par exemple, les universités d’excellence, aux normes de gouvernance internationale qui ont vu le jour grâce au grand emprunt.

[HL: on voit ici les grands enjeux habituels. Difficile d’être en désaccord.]

P.B.- Avoir des Etats stratèges ne suffit pas. Il faut des actions qui partent de la base (« bottom-up ») pour sortir de cette récession sociale. Notre modèle économique crée des travailleurs qui bénéficient de moins en moins du gâteau qu’est le PIB, même s’il double de taille, comme c’est le cas depuis les années 1960. Il ne s’agit plus d’avoir un Etat-providence, mais un Etat qui distribue l’éducation, la culture, l’excellence, le caractère. J’entends par « caractère » la discipline, la résilience, l’aptitude à se relever. Des études sociologiques ont prouvé que plus vous êtes pauvre, plus vous manquez de la discipline nécessaire pour avoir ce caractère.

[HL: De nouveau on voit ici de grands enjeux. Un peu moins évidents, car d’ordres plus culturels]

M. Blond, vous être pour le développement des PME, les commerces de proximité ; et contre les supermarchés ! Ne pensez-vous pas que les grandes entreprises ont un rôle essentiel à jouer?

P.B.- Ce qui me pose problème n’est pas que les grands groupes soient grands, mais qu’ils empêchent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Ils ont des rentes monopolistiques, non innovantes. Ce système fonctionne avec quelques leaders et beaucoup de gens à la traîne. Le coût nécessaire pour innover est trop élevé pour ceux qui sont loin derrière.

P.A.-> Il est de fait que les grandes entreprises n’innovent pas autant que les PME car elles ont davantage peur de voir des produits de remplacement Ce n’est pas pour rien que les grandes innovations se font souvent en dehors des grandes entreprises, bien que souvent impulsées par d’anciens salariés de ces entreprises qui justement les quittent pour innover. Cela dit, des sociétés de grande taille ont un avantage, y compris pour innover, dans des secteurs à forts coûts fixes, comme les industries de réseau et l’industrie aéronautique.

[HL: A nouveau un débat que Joseph Schumpeter puis Clayton Christensen ont formidablement étudié. (Sans oublier Doriot!)]

Mais elles ne doivent pas empêcher les petites entreprises de se développer. Or, en Europe, beaucoup de barrières entravent la croissance des PME. Comparé aux Etats-Unis, le marché du travail est trop rigide ; le marché du crédit est insuffisant, il n’y a pas assez de capital-risque. En outre, en France, les grands groupes n’aident pas assez les PME, ce qui inhibe l’innovation

Que faut-il faire pour favoriser la création et le développement d’entreprises?

P.A.- Supprimer les barrières administratives, rendre la fiscalité plus simple, plus incitative, et moins incertaine. En outre, il faut libéraliser le marché du travail, mettre de l’ordre dans le système bancaire, créer un Small Business Act, comme aux Etats-Unis.

[HL: Vaste sujet qui me rend infiniment sceptique. Aussi bien le sujet de la diminution des barrières que d’un SBA ne m’ont jamais semblé être les éléments critiques d’une innovation dynamique (par rapport aux autres arguments exposés plus haut)]

P.B.- Si j’étais le patron d’un grand groupe, j’investirais dans des PME pour innover. Sinon, les grands groupes ne survivront pas à la globalisation. Et si j’étais patron de PME, j’essaierais de créer une chaîne de petites entreprises qui concurrenceraient les grandes. En Italie, les PME se prêtent entre elles. C’est un système très résilient. Il faut aussi un système bancaire décentralisé. A défaut, les banques ne prêtent pas aux PME, car elles ne savent pas distinguer les bonnes des mauvaises. Elles n’ont pas les informations nécessaires. Elles ne font qu’agréger des données d’un groupe d’entreprises, font des moyennes et concluent que ça ne vaut pas le coup d’investir dans ce groupe. Elles ne prêtent à aucune ; et aucune ne peut donc se développer.

[HL: une idée originale et stimulante… optimiser la puissance des clusters…]

P.A.- C’est pourquoi, il faut un Etat qui privilégie le ciblage dit horizontal de ses investissements : recherche, création d’incubateur pour faciliter le passage des idées à leur concrétisation, subvention des équipements de laboratoire et autres moyens d’innovation, subvention du capital-risque.

[HL: par contre ces idées là peuvent rester lettre morte dans forte volontés individuelles et/ou locales]

Et lorsque l’Etat fait du ciblage vertical, il doit privilégier les secteurs porteurs de croissance et veiller à préserver la concurrence et l’entrée de nouvelles entreprises dans ces secteurs afin de stimuler encore plus l’innovation, car on innove précisément pour échapper à la concurrence. Il faut aussi casser le système d’achat public. Prendre en compte la valeur ajoutée sociale des fournisseurs, estimer ce qu’ils apportent à l’économie et à l’emploi local.

Retrouvez le programme du sommet international des think tanks économiques sur www.isbtt.com

Annie Kahn et Philippe Escande

Sommet mondial des « think tanks »
A moins d’une semaine du Sommet mondial des « think tanks » économiques, co-organisé les 17 et 18 juin par l’Institut de l’entreprise et Le Monde, nous croisons les regards de dirigeants et d’économistes sur l’avenir de l’entreprise en quatre volets. Nous poursuivons cette série avec Philippe Aghion et Phillip Blond, qui succèdent à Antoine Frérot et Mo Ibrahim (Le Monde daté 13 juin), Jean-Marc Daniel et Xavier Huillard (Le Monde daté 11 juin). Programme: www.isbtt.com/fr/programme

Philippe Aghion et Philippe Blond

Philippe Aghion est économiste, professeur à l’université Harvard et à l’Ecole d’économie de Paris. Il est membre du conseil d’analyse économique. Il a publié en 2011 Repenser l’Etat (Seuil). En 2012, il a signé l’appel des économistes en faveur de François Hollande.

Phillip Blond est philosophe, théologien et politologue ; directeur du groupe de réflexion ResPublica. Son ouvrage Red Tory (Faber and Faber, 2010) a inspiré le concept de « Big Society » défendu par l’actuel premier ministre britannique, David Cameron.

Le rapport Beylat Tambourin et les écosystèmes.

Un élément majeur du rapport Beylat-Tambourin sur lequel j’ai déjà publié deux articles concerne les écosystèmes innovants. Avant d’en mentionner quelques passages, voici deux références intéressantes sur ce concept:

– Josh Lerner dans son livre Boulevard of Broken Dreams montre comment les entrepreneurs et les investisseurs ont bénéficié les uns des autres dans des situations de collaborations et de tension dans les années 60-70. Il montre également l’importance de l’appui public au moins dans les premières années (lié au financement de la guerre froide et au soutien au capital-risque – SBIR, Actes Erisa) de sorte qu’il peut affirmer que «le secteur public a joué un rôle clé dans l’évolution de la Silicon Valley. Il essaye de montrer ensuite quelques-unes des erreurs: incompétence dans l’allocation des ressources publiques, utilisation des subventions de manière inefficace, par «les organisations qui ont pour mandat d’aider les entrepreneurs», (« Sept des incubateurs fournissait moins de 50% des fonds aux entreprises » – un exemple en Australie) et le programme SBIR qui a atteint ses limites. Aussi, ses recommandations sont:
– Renforcer la culture entrepreneuriale [par les lois, l’accès aux technologies, les incitations fiscales et la formation],
– Accroître l’attractivité du monde des start-up (humain et financier) [grâce à des partenariats; en créant des marchés locaux; en permettant l’accès au capital humain à l’étranger],
– Éviter les erreurs courantes sur le calendrier [soyez patient], la taille [ni trop petit, ni trop grand], la flexibilité [apprendre par la pratique], les incitations appropriées [et ici il s’agit d’une situation si complexe que les effets pervers de bonnes idées ont souvent lieu] et l’évaluation [ce qui n’arrive pas assez souvent]. Dès son introduction il écrit qu’il faut des règles, de l’expérience, du temps, des incitations et de l’évaluation. Mais avec toute son expérience et sa connaissance de l’entrepreneuriat high-tech, Lerner reste très humble: le sujet est très complexe, tous ces conseils doivent être mis en œuvre et il est vraiment attentif à ce que leurs interconnexions fera un écosystème vivant ou non. Il y faut évidemment beaucoup de talent.

Brad Feld en donne les ingrédients entrepreneuriaux .

startupcommunities 1. Un bassin d’entrepreneurs high-tech
2. Du capital de proxmitié
3. Des événements dynamiques
4. L’accès à des universités de haut niveau
5. Des « Champions » motivés
6. Des média actifs: presse / sites web / outils d’organisation
7. Une communauté d’anciens étudiants
8. Des succès
9. Un capital qui se réinvestit
10. Des entrepreneurs qui se relancent
11. Une capacité à attirer une masse critique d’ingénieurs
12. Une capacité d’accueil d’entreprises technologiques locales

Retour au rapport beylat Tambourin: « Partout dans le monde, l’innovation est stimulée au sein de réseaux d’acteurs fédérant la formation, la recherche, de jeunes entreprises à croissance rapide (start-up), des entreprises de services, des grands groupes engagés dans une politique d’« innovation ouverte », les professionnels de l’accompagnement et du financement de l’innovation, et parfois l’hôpital. »

Les exemples les plus emblématiques sont bien sûr la Silicon Valley, la région de Boston ou encore Israël. […] En Europe, les États ont commencé depuis une dizaine d’années à mettre en place une politique de clusters : pôles de compétitivité en France (en complément de clusters déjà existants de manière variable selon les régions), avec un focus sur la dimension de la R&D collaborative, plus récemment mise en avant d’un nombre restreint de Spitzencluster de niveau mondial en Allemagne, etc. L’efficacité de ces réseaux repose sur la fluidité et la rapidité de la circulation des « actifs » de l’innovation : compétences (personnes), technologies, infrastructures, services, financement. L’innovation est avant tout affaire de stimulation et de confrontation à des points de vue différents. Le rôle des clusters et des écosystèmes innovants, comme par exemple les pôles de compétitivité (dans cette dimension de leur activité et non en tant qu’usines à projets de R&D), est donc clé.

Le succès des clusters au niveau international est à présent relativement bien analysé et repose essentiellement sur quelques facteurs:
– des universités haut de gamme,
– une industrie du capital risque agrégeant financeurs institutionnels et investisseurs privés,
– une offre de services sophistiqués (RH, juristes, marketing) pour accompagner la croissance des jeunes entreprises innovantes,
– des professionnels du transfert de technologie, et,
– ingrédient incontournable, la culture entrepreneuriale.

Les processus de transfert et d’innovation sont « naturellement » complexes pour plusieurs raisons :
–– le transfert a lieu à l’interface de deux mondes aux logiques différentes, ce qui exige d’atteindre et de maintenir un niveau significatif d’échanges, de confiance, de compréhension des enjeux et des objectifs des uns et des autres…
–– l’innovation ne peut pas se déployer à l’intérieur d’une entité « constituée » : ce constat est largement à la base du concept d’innovation ouverte (open innovation).
–– la complexité du processus de transfert et d’innovation augmente aussi avec la profondeur de la recherche et le caractère disruptif de l’innovation.
–– les processus en jeu ne sont pas « déterministes » : se fixer des objectifs et définir des jalons intermédiaires est bien entendu nécessaire pour construire une trajectoire « nominale », mais il faut accepter que la trajectoire « réelle » sera différente, et il est plus efficace de savoir s’adapter que de tenter de prédire l’avenir.

–> Les politiques publiques doivent comprendre finement le fonctionnement des écosystèmes : les approches administrées ne sont pas efficaces, il faut laisser faire le darwinisme et évaluer en permanence.

Les défis des écosystèmes

–– l’impossibilité d’identifier le « plan de construction » d’un écosystème ex nihilo ou à partir de quelques éléments déjà présents : un écosystème se construit dans la durée et « se constate ». La durée nécessaire à sa construction (souvent quelques dizaines d’années !) suffit a démontrer que toute recherche de la « cause première » à l’origine de l’écosystème est vaine. C’est un point dur pour les pouvoirs publics qui aimeraient pouvoir créer un écosystème d’innovation pour telle ou telle « filière » sur tel ou tel « territoire ». Les pouvoirs publics locaux, nationaux, européens sont généralement les financeurs mais ils doivent avoir la patience de l’investisseur.

–– la complexité de la mesure de l’efficacité d’un écosystème : l’évaluation est centrale, mais difficile à mettre en œuvre. L’évaluation de chacun des acteurs de l’écosystème est bien sûr possible, si tant est qu’ils aient des missions clairement définies et les moyens pour les remplir. Cependant, l’ensemble de ces évaluations individuelles ne constitue pas une évaluation de l’écosystème, selon le principe pascalien qu’il est « impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ».

–– un écosystème efficace repose sur l’acception de leur rôle par chacun des acteurs : tous sont nécessaires au bon fonctionnement, mais aucun ne peut se prévaloir d’être l’unique cause du succès. Or, la tentation pour chacun de se déclarer indispensable est d’autant plus forte que la plupart des acteurs dépendent de subventions publiques et peuvent se considérer en compétition pour accéder à ces ressources. Chaque acteur doit éviter d’être à la fois « suffisant et insuffisant » et se rappeler que sa propre efficacité dépend en grande partie de celle de l’écosystème (ou des écosystèmes) auquel(s) il appartient.

–– « simplifier » ou « optimiser » un écosystème, a fortiori un ensemble d’écosystèmes, n’est pas pertinent : il faut accepter le « darwinisme », penser les articulations, et évaluer en permanence pour maintenir les dynamiques et améliorer l’efficacité des investissements publics. Les propositions de simplification et d’optimisation émanant de certains acteurs et/ ou des pouvoirs publics (locaux, nationaux, européens) consistent en réalité à créer un nouvel « objet », censé répondre à une déficience constatée : c’est l’illusion de la « mesure exceptionnelle » qui va changer la donne de l’innovation, par la création d’un dispositif ou d’une structure, qui explique pour une large part l’accumulation de dispositifs et de structures en France. Tout l’enjeu est en revanche de définir le positionnement de tout nouvel « objet » au sein de l’existant (car un écosystème se construit dans la durée) et d’expliciter en quoi il va améliorer l’efficacité du système global.