Archives mensuelles : juillet 2011

L’industrie et la recherche sont toujours deux mondes cloisonnés

Voici la synthèse d’un entretien que j’ai eu avec Jacques Marouani (ElectroniqueS) qui suit ma participation à la table ronde des 5 ans de Minalogic à Grenoble, il y a quelques jours (voir antre autres la fresque qui en a résulté plus bas).

D’origine française, Hervé Lebret a passé une partie de sa vie professionnelle dans la SiliconValley et dirige aujourd’hui une structure de transfert de technologies à l’EPFL (Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) qui remporte un grand succès auprès des start-up. Il estime que les collaborations entre recherche et industrie ne sont pas assez ouvertes.

Comment percevez-vous le rapprochement de l’industrie et de la recherche, notamment dans le cadre des pôles de compétitivité en France?
Le concept d’«innovation ouverte» selon lequel les grands groupes rechercheraient des partenariats avec des start-up et des laboratoires de recherche est trompeur. Il s’agit juste pour eux d’ouvrir leurs portes, mais de façon sélective, pour profiter de technologies dont ils ont besoin. Ils créent des sortes de constellations dans lesquelles les start-up sont prisonnières comme le sont les planètes de notre système solaire. Dans le cadre de ces collaborations fermées, ils tirent des bénéfices du savoir que leur apportent les start-up ou les chercheurs qui ont de bonnes idées. En se contentant de ces apports, il en résulte un manque d’échanges entre les partenaires. Cela n’aide pas la communauté industrielle et scientifique. En faisant en sorte que les résultats de leurs travaux de recherche ne soient pas disponibles pour tous, le brassage des idées et des connaissances ne peut pas avoir lieu. Sous couvert des pôles de compétitivité, les grands groupes roulent pour eux. Alors que ces pôles devraient être des facilitateurs d’innovation, ils créent en réalité de nouveaux cloisonnements.

Vous avez passé une partie de votre vie professionnelle dans la Silicon Valley. Quels enseignements en tirez-vous?
Dans la Silicon Valley, rien n’est formalisé. C’est le règne du «bottom-up» qui prévaut, alors qu’en France, les directives viennent davantage d’en haut. Aux Etats-Unis, des ingénieurs se rencontrent dans des bars pour parler d’innovation avec une totale liberté de parole, telle «Wagon Wheel Bar». Dans les années 70 et 80, de nombreux ingénieurs de chez Fairchild, National et autres se rencontraient autour d’une bière pour parler des problèmes qu’ils rencontraient dans la production ou la vente de semi-conducteurs. Le «Wagon Wheel Bar» était un lieu de rencontres où même les compétiteurs les plus vifs échangeaient des idées. Je ne suis pas certain que les pôles de compétitivité soient parvenus à une telle ouverture. Les systèmes innovants doivent avoir cinq composantes: des universités et des centres de recherche haut de gamme, une industrie du capital-risque agrégeant financiers institutionnels et investisseurs privés, des professionnels qui puissent apporter leur expérience, une offre de services incluant avocats, chasseurs de têtes, spécialistes des relations publiques, mais surtout un esprit pionnier qui encourage la culture entrepreneuriale. Or, ce dernier ingrédient est souvent ignoré de ce côté de l’Atlantique.


Mais cette plus grande ouverture que vous prônez pose des problèmes de propriété intellectuelle. Cela ne constitue-t-il pas un risque pour les inventeurs de s’exprimer si librement?

C’est pour cette raison que cet esprit d’ouverture n’existe pas en Europe. L’essentiel est d’aller plus vite que son concurrent, et ainsi de garder une longueur d’avance sur lui. C’est celui qui court le plus vite qui gagne. Et le temps que les gens vous copient, vous les aurez dépassés. Soyons le plus créatifs possible et nous serons les meilleurs. Est-ce que Microsoft ou Airbus sont menacés dans leur existence par des vols de brevets? Je ne le crois pas. En cherchant toujours à nous protéger, nous oublions qu’il faut d’abord être créatif pour gagner la bataille de l’innovation. La notion de propriété intellectuelle n’est pas si critique que certains l’avancent. Elle a un effet de ralentisseur et recèle peut-être plus d’effets pervers que d’effets positifs. En Silicon Valley, nous entendons souvent des inventeurs se dire «essayons cette idée». C’est une région de migrants où il existe une grande émulation, alors que dans d’autres régions des Etats-Unis et en Europe, il y a une plus grande culture de la confidentialité. L’autre atout de la Silicon Valley est que tout est concentré dans un rayon de 100 kilomètres, alors qu’en Europe, il est nécessaire de sans cesse prendre l’avion pour rendre visite à des start-up, car elles sont disséminées sur tout le territoire, et aussi en Israël où il y a un vivier important de jeunes entrepreneurs.

Comment en êtes-vous venu à créer votre structure de transfert de technologies, Innogrants, au sein de fEPFL?
Dans les années 90, des amis m’ont proposé de rejoindre une start-up. A cette époque, je me demandais si beaucoup de chercheurs avaient entendu ce mot en France. Puis en 1997, je me suis associé à la création d’un fond de capital-risque, Index Ventures, à Genève. Maintenant, à l’EPFL, j’aide les étudiants à lancer leurs start-up. J’essaie de leur communiquer cette envie dans le cadre d’un programme de soutien à la création d’entreprises innovantes. Je me suis inspiré du «Deshpande Center» américain dont le fonctionnement a été basé sur l’octroi de bourses à des étudiants du MIT. Mon budget provient de l’EPFL et de fonds privés, généralement des mécènes. En six ans, nous avons reçu 300 demandes et j’ai financé à ce jour 48 projets qui ont donné naissance à 25 start-up dont certaines croissent rapidement, à l’américaine. Chaque projet reçoit en moyenne 70000€, ce qui correspond à une dépense annuelle de l’ordre de 600000€, tous domaines confondus. Le problème, en France, c’est que nous n’avons pas de «business-angels» suffisamment fortunés ou de grands groupes qui accepteraient de jouer le rôle de mécènes.

PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES MAROUANI

Quand Wavecom surfait

Wavecom fut une des stars des start-up françaises et même européennes. Ma lecture de vieux articles du Red Herring m’a rappelé cette belle mais trop brève histoire.

J’en traduis un passage: « Lorsque Wavecom a été fondée en 1993, l’entreprise occupait seulement quelques pièces dans un immeuble de Paris. Maintenant il a repris l’ensemble du bâtiment et emploie plus de 200 personnes y compris à San Diego et à Hong Kong. En Juin la société est devenue publique sur le Nasdaq (WVCM) et sur la Nouveau Marché français (CAC). Elle fournit WISMOs aux développeurs de téléphones mobiles comme Mitsubishi et Philips, et pour l’automobile la technologie de système de positionnement mondial (GPS) développée par Celestica en Grande-Bretagne. On les trouve aussi dans les terminaux de boucle locale sans-fil de Siemens, et dans les dispositifs de données sans fil de Vodafone. Son taux de croissance annuelle depuis sa fondation en 1993 a été de 68 pour cent. Ses revenus en 1998 de 22 millions de dollars ont déjà été dépassés dans le première moitié de 1999, à 23 millions de dollars-un bond de 9,5 millions de dollars par rapport à la même période un an plus tôt. Contrairement à la plupart des sociétés high-tech américaines, Wavecom jamais dépendu de capital-risque. Au lieu de cela, elle a été rentable dès le début et a connu une croissance organique. Cette croissance par auto-financement de l’entreprise et sa rentabilité initiale sont typiques des sociétés européennes car le capital-risque, traditionnellement, a été difficile à obtenir. »

Wavecom fut en effet fondée par Michel Alard, Aram Hékimian et André Jolivet avec l’aide de Marc Fourrier comme business angel. Fourrier fut aussi un investisseur dans Ilog. La table qui suit donne l’actionnariat de Wavecom lors de son IPO. Il semble y avoir de petites inexactitudes dans l’article du RH:
– il y eut un peu de capital-risque juste avant l’IPO,
– la société fut peut-être profitable dans ses premières années mais pas sur la période 1998-2000.

Mais la vraie mesure du succès initial de Wavecom se lit sur le tableau suivant lorsque Wavecom fit son secondaire. Il faut savoir que l’IPO est un événement important, mais le secondaire qui est moins connu l’est tout autant pour les actionnaires. C’est en général à ce moment que la liquidité devient possible…

Qu’est devenue Wavecom? Les revenus et profits ont suivi une courbe classique. En 2009, Wavecom a été rachetée par Sierra Wireless pour €218M après avoir refusé une offre de Gemalto à €110M.