La Deeptech et ses défis en France

Inria a organisé lors du salon Vivatech un atelier sur le sujet “Deeptech : are we ready to scale?”

Les échanges ont été riches, profonds, passionnants. Je suis bien sûr biaisé puisque j’en étais un co-organisateur, mais j’ai rarement eu un tel plaisir lors de discussions sur le sujet. Alors je vais en faire une synthèse subjective en ajoutant mes propres commentaires sur différents sujets qui me sont chers. [Il seront entre crochets et en italique]

Qu’est-ce que la Deeptech ?

Ce fut le point d’entrée de Théau Peronnin, fondateur et CEO d’Alice & Bob. « C’est avant tout une technologie qui va avoir deux attributs fondamentaux : le premier c’est un ancrage très profond dans la science. Si vous pouvez comprendre cette techno directement en sortant d’école de commerce c’est peut-être que c’est pas encore tout à fait une deeptech […] Son deuxième attribut c’est celui d’avoir une capacité à créer des entreprises des acteurs ou des produits qui vont avoir une nature stratégique dans l’économie. »

[Lors d’une autre table ronde, j’avais entendu que le mot était apparu quand l’internet, le B2B/B2C et le SaaS avaient dilué la technologie dans les excès de « passemoilesel.com » mais que fondamentalement la high-tech des années 80 et la deeptech des années 2010 sont les deux faces d’une même pièce. J’ajouterais que si quelque chose est brevatable, c’est sans doute de la Deeptech.]

Théau Peronnin a ensuite donné son point de vue sur les défis de l’écosystème français. « Je peux vous le dire très simplement : en France, on est extrêmement fort sur l’opportunité initiale, on a des talents incroyables. On est quand même premier ex aequo en nombre de médailles Fields avec les Américains alors qu’on est cinq fois moins nombreux. » […] « Et puis on a un écosystème early-stage de venture capital qui a su se mettre en place ces dernières années, peut-être même un petit peu trop ; on pourrait dire enfin peut-être qu’il est légèrement saturé. » […] « Les faiblesses, elles sont vraiment sur les étapes plus aval de la vie d’une deeptech. On a un sujet qui est parfaitement connu mais qui est loin d’être craqué qui est celui du financement des étapes de croissance forte dites de growth, ce moment où des entreprises comme Alice et Bob vont chercher à mobiliser des capitaux de plusieurs dizaines de millions d’euros, de plusieurs centaines de millions d’euros pour continuer à faire cette course de R&D au niveau international ». [C’est un sujet qui va être abordé plus loin et je ne suis pas sûr que ce soit le sujet principal, mais le débat existe sans aucun doute. Voir plus bas !] « Il n’y a pas d’acteurs européens adéquats ce qui créée effet d’anticipation sur toute la chaîne de valeur et qu’il y a une certaine frilosité des fonds a vraiment déployer ces capitaux avec intensité avec audace en deeptech. » […] « la Silicon Valley tire son nom des deeptech des années 70-80, 90 dans le silicium qui ont créé des générations de fortune d’individus avec un très fort appétit pour cette deeptech et qui donc derrière ont fléché leurs capitaux vers ces fonds d’investissement qui continuent à investir dans ce domaine là.En Europe il n’y a pas ces fortunes, elles ont été faites ailleurs, elles sont dans d’autres domaines et donc on n’a pas encore ces bons produits d’où le rôle important de l’État pour amorcer la pompe. »

« Un dernier point pour introduire la table ronde sur l’humain qui est le rapport à la prise de risque. La France a une école en tout cas, un regard sur les études et le monde académique très tourné vers l’excellence qui est peut avoir comme travers, enfin tarte à la crème, de dire qu’on a une certaine peur de l’échec et ça se voit dans à mon avis dans certains dispositifs qui mériteraient d’être repensé notamment celui de la loi pacte pour le détachement à temps partiel des chercheurs et là c’est une opinion très personnelle que je souhaite partager avec vous qui est celle de dire qu’il n’y a pas d’entrepreneuriat sans prise de risque. Il faut se mouiller, il faut mettre sa carrière en jeu quelque part, il faut avoir du « skin in the game » comme disent des anglo-saxons et peut-être que dans ce dispositif là il y a donc dans ce détachement à temps partiel, un confort à se savoir encore bien protégé au sein de son organisme de recherche tout en essayant de profiter du plaisir de l’entreprenariat. A mon sens, il faut y aller à fond et ça veut dire qu’il faut être capable de pouvoir revenir après un échec d’une start-up dans le monde académique et donc peut-être que le levier pour permettre plus d’audace c’est de rendre le monde académique plus attrayant pour des profils avec des carrières hybrides passées par le monde de l’entrepreneuriat voilà pour lancer cette table ronde sur le thème de l’humain ces hommes et ces femmes qui font l’entrepreneuriat de demain. »

La Deeptech c’est avant tout des bipèdes !

Théau Peronnin est revenu sur le sujet de l’humain à travers un vrai problème : « un sujet très difficile qu’on a c’est celui de la parité, la diversité homme-femme, qui est horriblement difficile à craquer parce que nous, on arrive en toute fin de chaîne alimentaire de la formation de ces profils. Avant tout des profils techniques, pas mal d’entre-soi sur le fait de passer par les grandes écoles avec tout le biais socioculturel qu’il y a dans ces grandes écoles et quand même une diversité internationale on doit avoir entre 20 et 30 nationalités 30 % de non francophones dans l’équipe donc moi pour faire une petite démographie de chez nous.

Xavier Duportet amplifie cet aspect humain : « nous on a des gens qui sont un peu fous parce que pour se lancer dans la deeptech [où] moins de 2% des projets arrivent jusqu’à un produit mature sur le marché […] pour se lancer il faut être un peu fou, il faut être naïf aussi, je pense, et il faut penser que ce qui est impossible peu de venir possible. Il y a plein de choses qu’on ne connaît pas et donc l’inconnu fait partie de notre travail de tous les jours. » […] « Le plus important pour nous c’est pas forcément l’expérience c’est surtout la curiosité et que les gens soient entreprenants parce que dans la deeptech on ne peut pas juste appliquer les principes, appliquer les choses qu’on a déjà apprises, il faut toujours être prêt à se confronter à la failure quasiment tous les jours et donc il faut des gens qui acceptent de se remettre en question et qui au fond d’eux sont vraiment des gens entreprenants. »

Jean-Michel Dalle : « il y a des bipèdes motivés qui viennent nous parler de microbiome ou des bipèdes motivés qui viennent nous parler d’ordinateurs quantique. Celui ou celle qui ne verrait pas les choses sous cet angle là, c’est à dire sous l’angle des bipèdes, il rate quelque chose. Bien sûr on va aller vérifier que le projet d’ordinateur quantique c’est pas n’importe quoi, qu’ils ont pas inventé ça un dimanche matin après le marché. Mais donc mais si on ne regarde pas la chose via les fondateurs et les fondatrices à mon avis il faut changer de métier. »

Théau Peronnin : « le vrai sujet c’est que la passion du chercheur, c’est de comprendre mais le problème avec ça c’est qu’on récupère tout le tout le fruit du plaisir de son travail très tôt dans la vie du produit. J’ai compris ce que je devais craquer pour apporter cette machine, mais on a fait malheureusement que 5 ou 10% du travail pour vraiment livrer le système. Derrière il faut robustifier, productifier, distribuer, repositionner. Il y a tout un enjeu : comment est-ce qu’on apprend à prendre du plaisir non pas dans le fait d’avoir compris mais dans le fait de soit de faire comprendre à l’autre mais même plus que ça de faire adopter par l’autre ce qu’on a craqué et ça c’est c’est un muscle à développer qui est assez différent. »

Xavier Duportet : « c’est pas une technologie, c’est pas une science qui va changer le monde ou sauver le monde mais c’est un produit et ça souvent c’est ce qui pêche. On voit beaucoup encore de chercheurs qui ne pensent que sciences, que technologies et qui n’arrivent pas à faire ce switch dans leur tête en disant comment est-ce qu’au final je ne vends pas ma science mais je fais rêver des gens, je fais rêver ces gens sérieux [les investisseurs] que je vais être capable d’être cette personne qui va transformer une science en un produitn qui va générer une plus-value pour la société mais avant tout aussi pour les investisseurs.

Marie Paindavoine : « j’ai eu la chance au début d’être accompagnée dans l’entrepreneuriat par des structures issues du monde académique donc d’abord par INRIA et après par l’université de Berkeley aux États-Unis qui a un programme d’accélération et c’est vrai que ça m’a permis grâce à eux d’apprendre à transformer ce discours scientifique en un discours d’entrepreneur et d’ailleurs le programme d’accélération de l’université de Berkeley pendant six mois on fait que répéter le pitch de l’entreprise et apprendre à convaincre en fait parce que finalement et il nous le disent finalement vous avez fait le plus dur, vous avez une super technologie, tu as réussi à faire une thèse en cryptographie, enfin tu as fait le plus dur, Marie, maintenant apprendre le marketing ça va te prendre deux mois mais il faut que tu t’y mettes pendant deux mois et c’est là où on a besoin de s’entourer, d’avoir cet écosystème qui permet aux personnes de se former parce que après tout si on a réussi à faire un doctorat, on est capable de continuer à se former sur le métier de l’entrepreneuriat mais il faut trouver ces gens qui arrivent à voir non pas la valeur de la technologie scientifique telle qu’on peut la présenter aujourd’hui mais une sorte de valeur projetée de cette technologie.

Xavier Duportet : « sur les gens et le réseau et l’écosystème moi j’ai aussi eu la chance de faire une thèse entre INRIA et le MIT. Au début je voulais être chercheur et quand je suis arrivé au MIT, j’ai vu tous ces gens qui entreprenaient, ces professeurs qui devenaient entrepreneurs, c’est là où j’ai compris j’étais inspiré par cette génération de chercheurs entrepreneurs en me disant mais en fait si on veut vraiment changer le monde c’est pas de la recherche c’est de l’entrepreneuriat et aujourd’hui aux US, il y a donc la Silicon Valley, elle a été créée il y a déjà 20 ans, 30 ans comme le disait Théo il y a toute cette génération maintenant, pas de papys mais de personnes un peu plus âgées qui ont réussi et donc en fait il y a un « network effect » aux US qui est super important, c’est la génération d’entrepreneurs qui ont déjà réussi qui sont là pour aider et transmettre ils l’ont fait ils ont fait des erreurs et ils servent vraiment de mentor et c’est là où on a une opportunité assez intéressante, et on ne peut pas en France vouloir mettre la charrue avant les bœufs, on a ce que ce qu’a fait, la BPI, tous les instituts de recherche, le changement qui a été amorcé depuis 10 ans, on commence à avoir ces entreprises qui deviennent sur le plan international, des leaders. »

Matthias Schmitz : « What we have started to do recently is to invest in an entrepreneurial mindset much earlier in the education of our students so we are trying to roll out programs where we bring entrepreneurship into all the faculties. For example, the university of Saarland is investing €1.5M every year with the goal that every single student that we have, whether it is a business student, whether it is a Romanistic student or an engineering student has at least one time during his studies thought whether entrepreneurship can be a career option for himself and by doing that I think we try to solve the problem a little bit earlier, bring the mindset in the heads of the people and not having to have people jump into the too cold water at the moment where they are already at the PhD level. »

Marie Paindavoine sur le fait d’être femme entrepreneur : « tu veux la version qu’on entend en France ou aux États-Unis ? les deux ! alors on n’entend pas la même chose en France et aux États-Unis. En France, on m’a tout de suite demandé si je comptais m’associer à un directeur général en insistant sur le « un », on m’a déjà demandé après ma présentation enfin bon bref je vais pas toutes les faire en fait parce que ça n’a aucun intérêt mais mais effectivement il y a un halo de suspicion on va dire ça comme ça. Aux États-Unis alors je ne dis pas qu’ils sont meilleurs qu’en France parce que je suis arrivé à l’université de Berkeley, à l’accélérateur de l’université de Berkeley, 2000 candidatures, 30 start-ups retenues, 2 femmes CEO donc il ne sont pas beaucoup meilleurs. En revanche une fois qu’on atteint ce niveau de sélection quand je dis que j’entreprends avec des enfants, on va me féliciter plutôt sur le niveau d’énergie que ça demande au lieu de me demander comment je vais faire garder mes enfants et si mon mari est d’accord pour que j’entreprenne avec mes enfants, ce qu’on m’a déjà demandé en France.

Je vais m’arrêter ici et faire un nouveau post sur la seconde table ronde !

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