Défis et opportunités de l’industrie 4.0

Je dois dire que la semaine dernière je ne comprenais pas très bien le terme « industrie 4.0 ». Et après un bref séjour à Munich cette semaine – où j’ai eu une explication du terme par E&Y – voir plus bas – mais surtout en lisant le texte d’un discours intitulé « Smart Industry 4.0 in Switzerland » (voir le pdf) donné par Matthias Kaiserswerth, au « Business and Innovation Forum Slovakia – Switzerland » à Bratislava le 20 juin dernier, j’ai pris la mesure du sujet. J’ai aussi découvert ce matin deux excellents rapports: « Industry 4.0 – The role of Switzerland within a European manufacturing revolution » (voir le pdf) de la société Roland Berger et le « Digital Vortex – How Digital Disruption Is Redefining Industries » (voir le pdf) publié par Cisco et l’IMD. J’ai obtenu l’autorisation de Matthias Kaiserswerth de traduire ici son discours (et je l’en remercie), discours qui est une excellente introduction au sujet ainsi qu’une piste de réflexion sur les défis à affronter…

L’Intelligente Industrie 4.0 en Suisse

Matthias Kaiserswerth, Forum Business et Innovation, Slovaquie – Suisse , 20/06/2016, Bratislava

Dans ce bref discours, je veux parler de certains des défis et des opportunités que la numérisation en cours crée pour l’économie suisse, notre force de travail et notre système d’éducation.

La situation actuelle et les défis

Malheureusement, la Suisse n’est pas encore un leader dans la numérisation. Lorsque nous nous comparons aux autres pays de l’OCDE, nous sommes au mieux dans la moyenne. D’un point de vue de politique publique, nous sommes derrière l’Union européenne. Ce mois-ci, le 7 Juin, notre Conseil des États, la chambre parlementaire représentant les cantons, a demandé à notre gouvernement d’analyser quel effet économique aura le marché unique numérique émergent de l’UE sur notre pays. Notre président actuel, le ministre de l’économie, de l’éducation et de la recherche dans sa réponse a admis que jusqu’au début de cette année, la Suisse avait sous-estimé la 4ème révolution industrielle* et que désormais elle essaie de réagir avec diverses mesures [1].

ICTSwitzerland, l’association de l’industrie suisse des TIC, a lancé plus tôt cette année un tableau de bord [2] digital.swiss dans lequel elle évalue l’état de la numérisation de la Suisse en 15 dimensions. Alors que nous avons une excellente infrastructure de base et un très bon classement dans les indices génériques de compétitivité internationale, nous ne tirons pas encore parti suffisamment des technologies numériques dans les différents secteurs de notre économie.

Le tableau de bord
SI4.0-SwissScorecard

Le tableau de bord reflète un paradoxe suisse classique. En raison de notre système démocratique très direct, construit sur la subsidiarité, nous fournissons une bonne infrastructure et un bon cadre économique général. Quand il s’agit de tirer parti de ces bases, nous laissons faire l’initiative privée parce que nous ne poursuivons pas une politique industrielle active – certainement pas au niveau fédéral. Jusqu’à présent, nos entreprises – surtout les PMEs, 99,96% de nos entreprises ont moins de 250 salariés – ont excellé dans l’innovation incrémentale. L’innovation incrémentale peut être parfaitement adéquate pendant très longtemps, mais elle empêche de traiter les grands changements technologiques qui peuvent perturber toute une industrie.

C’est ce qui est arrivé dans les années 70 et au début des années 80 quand la « Révolution du Quartz » a presque tué l’horlogerie suisse. Et maintenant, à nouveau, l’histoire pourrait se répéter puisque l’industrie horlogère a manqué ou a été trop lente à adopter le nouveau marché des montres connectées**. Apple, en un an seulement, a réussi à dépasser en termes de revenus liés à la montre connectée toutes les entreprises horlogères suisses, même Rolex [3].

Avec la révolution numérique, qui est partie de la Silicon Valley, nous sommes en concurrence avec un modèle d’innovation tout à fait différente, à savoir l’innovation de rupture.

Il suffit de regarder les exemples de l’économie de collaborative*** tels que Airbnb et Uber.

Mais cela ne s’arrête pas là. Regardez les sociétés informatiques qui construisent maintenant la voiture électrique et autonome du futur – Google en est le parfait exemple. Alors que les équipementiers européens ont expérimenté depuis longtemps des voitures autonomes mettant toute l’intelligence dans la voiture, Google a pris une approche totalement différente. Grâce à leurs cartes, et leur développement de Streetview, ils ont déjà des informations très précises de l’endroit où va la voiture et ils peuvent donc tirer parti de la puissance de la connectivité et aussi du cloud.

Alors que nous nous efforcions de construire la batterie parfaite pour une voiture électrique, Tesla a opté pour ce que nous considérions des batteries d’ordinateurs portables de qualité inférieure et a su utilisé les TIC pour les rendre utiles dans leurs voitures.

Des opportunités

Avec une longue tradition suisse d’importation de talents étrangers dans le pays et en leur permettant de prospérer, nous avons une occasion exceptionnelle de ne pas manquer la révolution industrielle actuelle. Beaucoup de nos multinationales ont été lancées par des étrangers – il suffit de penser à Nestlé, ABB ou Swatch.

Les entreprises ont maintenant compris que répondre aux pressions du Franc fort en coupant les coûts est insuffisant.Elles cherchent des formes différentes d’innovation en tirant parti du numérique. Il y a un an, diverses associations de l’industrie suisse ont lancé une initiative «Industrie 2025» pour changer l’état d’esprit dans notre industrie des machines et sensibiliser aux nouvelles opportunités [4].

Certaines entreprises ont vu ses opportunités bien avant que notre banque nationale n’ait arrêté d’ancrer le franc suisse à l’euro.

Par exemple en 2012, Belimo, une entreprise produisant des solutions d’actionneurs pour contrôler le chauffage, la ventilation et les systèmes de conditionnement d’air, a lancé sa « Valve Energie ». Elle se compose d’une vanne de commande à deux voies étant caractérisé, d’un débitmètre volumétrique, de capteurs de température et d’un dispositif d’actionnement avec logique intégrée qui combine les cinq fonctions de mesure, de contrôle, d’équilibrage, de fermeture et de suivi de l’énergie dans un seul module avec son propre serveur web comme interface numérique. La valve intelligente peut être utilisée pour optimiser l’écoulement de l’eau dans les systèmes de chauffage et de refroidissement et produit des économies d’énergie importantes pour ses clients [5].

D’autres entreprises de l’industrie suisse des machines ont commencé à réfléchir à la façon dont elles peuvent tirer parti de l’Internet des Objets**** (IdO) pour créer de nouvelles activités basées sur les données que leurs machines génèrent. Un bon exemple est LCA Automation, une entreprise qui fournit des solutions d’automatisation d’usines. Ils veulent offrir de la maintenance prédictive basée sur la surveillance de la condition dynamique des usines déjà en fonction. Tirer parti des informations existantes comme le courant et la position des convertisseurs de fréquence dans leurs lecteurs aide à comprendre comment les machines sont utilisées. Dans certains cas, ils installent des capteurs supplémentaires pour mesurer les vibrations ou le bruit acoustique pour permettre à leurs clients de planifier la maintenance au lieu d’attendre que leurs installations connaissent des pannes [6].

À mon avis, les défis pour répondre à ces opportunités sont (1) d’ordre culturel, (2) un déficit de compétences informatiques, (3) la recherche et la réalisation de nouveaux modèles d’affaires qui exploitent au mieux l’opportunité numérique et enfin (4) la création d’un environnement où la collaboration avec des partenaires externes peut vous permettre d’innover avec diligence.

Contrairement aux logiciels, les produits industriels ne peuvent pas être facilement mis à jour sur le terrain, ils sont conçus pour durer 10 à 20 ans. L’état d’esprit de l’informaticien – « nous pouvons le corriger à distance avec une mise à jour, » – exige que les ingénieurs mécaniciens et électriciens repensent la façon dont ils construisent leurs systèmes. Lorsque Tesla eut des problèmes en 2013 avec une de leurs voitures qui avait pris feu parce que sa suspension à haute vitesse abaissait la voiture trop près de la route, ils n’eurent pas à faire un rappel massif de tous les véhicules mais du jour au lendemain ils n’eurent qu’à changer à distance le logiciel dans les voitures pour garantir une distance supérieure entre la voiture et la chaussée.

Faire que ces diverses cultures collaborent exige le respect entre les différentes disciplines professionnelles et requerrait occasionnellement la participation d’informaticiens au conseil d’administration des entreprises industrielles pour discuter leur façon de penser.

Le déficit de compétences, trouver assez d’ingénieurs en informatique intéressés à travailler dans des entreprises industrielles, est important. Les prévisions actuelles sont qu’en 2022 la Suisse manquera de 30’000 experts en informatique.
Considérant que les entreprises industrielles sont en concurrence avec le secteur financier qui rémunère mieux les mêmes talents, cela signifie que les entreprises industrielles ont besoin de devenir très créatives pour faire face à cette pénurie.

La mise en œuvre de nouveaux modèles commerciaux qui exploitent les opportunités numériques est un défi important pour les entreprises industrielles établies. Si une entreprise dont l’activité principale est la vente de machines industrielles, veut commencer à offrir des services d’abonnement à valeur ajoutée pour optimiser le processus industriel réalisé par leurs produits, elle devient une toute nouvelle entreprise. Elle devra décider si ces services ne sont disponibles que pour un processus réalisé par leurs machines ou si elle veut également l’offrir sur les installations des concurrents. Elle aura besoin de mettre au point un nouveau système d’incitation de vente basé sur un flux de revenus récurrents. Elle devra construire une infrastructure de soutien qui correspond au processus optimisé et ne consiste plus qu’en experts qui ne connaissent que leurs propres machines. En bref, elle aura besoin de construire une toute nouvelle entreprise. Faire cela à l’intérieur d’une grande entreprise établie est extrêmement difficile, peut-être plus encore que de le faire dans une start-up externe.

Enfin, la création d’un environnement de collaboration avec des partenaires extérieurs pour innover avec diligence n’est certes pas quelque chose d’unique à l’ère du numérique, mais il sera essentiel pour les entreprises industrielles de saisir l’opportunité. En dépit des bons pratiques de grandes entreprises industrielles comme Procter and Gamble dans « l’Open Innovation », un concept inventé il y a 13 ans, de nombreuses entreprises ont encore une forte tendance à tout faire elles-mêmes ou avec leurs sous-traitants habituels. Dans le cas de la numérisation, cependant, de nouveaux partenaires extérieurs à l’industrie traditionnelle doivent être impliqués et faire partie de la solution. « Plutôt que d’utiliser leur propre budget de R&D, les entreprises peuvent tirer parti des investissements des capitaux-risqueurs et intégrer une solution e technologique dans un délai accéléré» [7].

Éducation

Avant de terminer, permettez-moi de revenir à l’éducation, un sujet d’une importance particulière dans cette nouvelle ère. La Suisse dispose d’un excellent système d’éducation. Cependant, nous avons une importante pénurie d’étudiants qui poursuivent une carrière dans le domaine des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (en bref STEM*****) en plus d’un déficit de compétences en STEM pour tous les autres étudiants.

En 2014, les cantons de langue allemande ont lancé un nouveau programme axé sur la compétence commune « Lehrplan 21 » (LP21) pour combler le déficit de compétences en mettant davantage l’accent sur les sujets STEM. Par exemple, en introduisant un nouveau sujet appelé Médias et Informatique, les ministres cantonaux de l’éducation ont accepté l’idée que tous les élèves ont besoin de compétences de base en informatique pour réussir dans le système d’enseignement professionnel ou académique. Alors que nous parlons, ce LP21 est mis en œuvre dans la partie germanophone de la Suisse, mais pas assez vite à mon goût.

Pour réussir avec LP21 nous avons aussi besoin de qualifier les enseignants à enseigner avec compétence ces sujets d’une manière qui maintienne tous les élèves motivés. Plus spécifiquement les étudiantes ont une perception significativement plus négative de la façon dont elles maîtrisent la technologie et ce pour quoi elles peuvent utiliser la technologie [8]. La conséquence est que nous perdons le talent féminin aussi dans notre force de travail. Ainsi, par exemple, dans l’informatique il y a seulement 13% de femmes dans la population active suisse.

La promotion des femmes dans la technologie en tant que modèles et l’élargissement de programmes spécifiques pour augmenter l’intérêt des filles pour la technologie à l’âge de l’école primaire, contribuera, nous l’espérons, à combler le fossé entre les sexes dans le long terme.

Conclusion

Quand on regarde le système des écoles polytechniques fédérales (ETH de Zurich et EPF de Lausanne), les universités cantonales et en particulier aussi les universités de sciences appliquées, ainsi que le financement public de la recherche, nous constatons que nous avons une base exceptionnelle sur laquelle nous pouvons construire pour concourir efficacement dans cette 4ème révolution industrielle. Il faut maintenant un nouvel état d’esprit pour nos entreprises industrielles afin qu’elles embrassent l’IdO émergent, les Big Data, et les promesses de l’intelligence artificielle et qu’elles aient le courage d’expérimenter avec les nouveaux modèles d’affaires qu’ils permettent.

Vous n’êtes pas « disruptés » parce que vous ne voyez pas le changement et les possibilités technologiques, Vous êtes disruptés parce que vous avez choisi de les ignorer.


1: http://www.inside-it.ch/articles/44100
2: http://digital.ictswitzerland.ch/en/
3: http://www.wsj.com/articles/apple-watch-with-sizable-sales-cant-shake-its-critics-1461524901
4: http://www.industrie2025.ch/industrie-2025/charta.html
5: http://energyvalve.com
6: http://www.industrie2025.ch/fileadmin/user_upload/casestudies/industrie2025_fallbeispiel_lca_automation_2.pdf
7: https://www.accenture.com/ch-en/insight-enterprise-disruption-open-innovation
8: http://www.satw.ch/mint-nachwuchsbarometer/MINT-Nachwuchsbarometer_Schweiz_DE.pdf

Mes notes:
*: https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_4.0
**: https://fr.wikipedia.org/wiki/Smartwatch
***:https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_collaborative
****: https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_des_objets
*****: https://fr.wikipedia.org/wiki/STEM_(disciplines)

Post-Scriptum: j’ai mentionné plus haut la présentation de E&Y, voici la slide qui m’a frappé…

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