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Les start-up se cachent pour mourir

Nouvelle chronique de la série « la start-up du mois » que j’écris pour l’EPFL

03.06.12 – La hantise de l’échec explique sans doute l’absence d’un Google européen. Tandis qu’outre-Atlantique les start-ups naissent et meurent au grand jour, leurs homologues du vieux continent s’accrochent à la vie, parfois en dépit du bon sens.

La 4ème start-up du mois n’existe pas ! Du moins pas à l’EPFL, ni même en Suisse ou en Europe. Je parle de la start-up qui échoue. Les start-up européennes sont un véritable paradoxe. Nous nous plaignons souvent de ne pas avoir de grands succès à la Google, Apple ou Facebook, mais nous n’avons pas non plus d’échec ! Dans un travail de doctorat publié en 2011, le chercheur et professionnel du transfert de technologie Sven de Cleyn montre que moins de 10% des start-up universitaires européennes ferment boutique [1] ; dans une étude datant de 2008, l’ETHZ avait des métriques similaires, avec 88% de taux d’activité [2]. L’EPFL ne déroge pas à la règle.

En réalité, ce phénomène curieux s’explique aisément. Les start-up européennes se focalisent sur la survie, au point que Sven de Cleyn a dû utiliser ce paramètre pour définir le succès. L’échec est tellement stigmatisé culturellement qu’il doit être évité, presque à tout prix. Voilà une des raisons fondamentales de nos difficultés. Dans l’excellent film Something Ventured, elles sont appelées des « mort-vivants » par les Californiens, adeptes d’une vision manichéenne : le succès ou la mort !

Pourtant, l’échec est loin d’être une mauvaise chose. Il est même nécessaire. Qui n’est pas tombé plusieurs fois en apprenant à pratiquer le ski, le roller ou plus simplement la bicyclette ? Comment ne pourrait-on pas échouer dans la tâche autrement plus complexe qui consiste à amener une technologie ou un produit innovant sur le marché ? Schumpeter, célèbre économiste de l’innovation, avait créé le concept de «destruction créatrice», en expliquant que le nouveau remplace l’ancien, et que cela est en fait une bonne chose. Il utilisait une image saisissante : « Ce n’est pas le propriétaire de diligences qui construit les chemins de fer. »

Dans son célèbre discours à Stanford en 2005, Steve Jobs ne dit pas autre chose : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. »

Alors, vous me direz que cela est plus facile à dire qu’à vivre ! En effet, il est difficile de mentionner les échecs, de donner des exemples, tant les entrepreneurs semblent réticents à s’exposer. Je pourrais en citer un certain nombre, mais sans le consentement des entrepreneurs. J’aurais presque pu intituler cet article « Recherche échec de start-up désespérément ».

Il semble que les start-up se cachent pour mourir. Jamais n’ont lieu de funérailles dignes pour celles qui échouent. Pourtant, la FailCon a brisé ce tabou. Cette conférence s’adresse aux entrepreneurs de technologie, investisseurs, développeurs et concepteurs. Elle est dédiée à l’étude de leurs propres échecs et des autres, pour se préparer au succès. Lors de la première édition à San Francisco en 2011, le célèbre Vinod Khosla admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer. A quand une FailCon en Suisse?


[1] Sven H. De Cleyn, The early development of academic spin-offs: holistic study on the survival of 185 European product-oriented ventures using a resource-based perspective.University of Antwerpen, 2011
[2] Oskarsson I., Schläpfer A.,The performance of Spin-off companies at the Swiss Federal Institute of Technology Zurich.ETH transfer 2008.

Une excellente étude sur les spin-off universitaires européennes

Je viens de lire une excellente étude sur les spin-off académiques européennes. Comme il s’agit d’un thèse de doctorat écrite en anglais, j’en ai fait un long résumé sur la partie anglaise de mon blog: A great study on European academic spin-offs.

les résultats sont parfois surprenants, mais la vraie leçon est qu’en Europe succès veut dire survie. C’est l’échec qui est craint et le gros succès n’est du coup peut-être pas l’objectif. Mais vous verrez que les leçons sont multiples.

Survie ou échec – quel succès?

L’échec et le succès sont des mots qui reviennent souvent dans le monde des start-up. C’est même un débat parfois houleux qui revient lorsqu’il est question de survivre longtemps ou d’échouer rapidement. Alors au-delà du débat qui a son mérite car il est difficile de juger, de comparer des croissances lentes et contrôlées, voire en mode survie, et des stratégies risquées de croissance forte au risque de faire face à un échec rapide, voici quelques chiffres qui, je l’espère, contribueront à la réflexion.

Je dois dire que ma motivation vient d’un rapport publié par ETHZ (l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich) sur ses start-up, The performance of Spin-off companies at the Swiss Federal Institute of Technology Zurich. Un taux de survie de 90% environ après cinq ans y était mis en avant. Mais au fait, quels sont les taux de survie habituels dans le monde de l’entreprise? je suis allé sur les sites américain et suisse de statistique et la figure qui suit montre les taux des deux pays pour l’ensemble des entreprises:

Dans la haute technologie, les taux semblent plus élevés. les auteurs du rapport que je cite plus haut donnent des chiffres qui montrent des taux de survie de 70 à 90% après cinq ans selon les lieux. Zunfu Zhang dans son remarquable « High-Tech Start-Ups and Industry Dynamics in Silicon Valley » (en date de 2003 ) publiait la courbe suivante:

Les taux de survie après cinq ans y étaient de 76% pour les « non-service firms » et de 72% pour les « service firms ». Les auteurs du rapport zurichois émettaient d’ailleurs le commentaire suivant: « le faible taux de survie aux Etats Unis – où certaines des spin-offs universitaires les plus célèbres ont été créées – pose toutefois la question de savoir si un fort taux de survie est en fait désirable et si une focalisation trop forte sur la survie des spin-offs n’élimine pas certaines des spin-offs les plus prometteuses qui pourraient sembler a priori moins prometteuses ou trop risquées. »

Pour terminer ma contribution, je ne peux m’empêcher de reprendre une citation de mon livre:

Et d’expliquer en note de bas de page, le dicton qui se prononcerait « Shi Bai Nai Cheng Gong Zhi Mu » signifie « l’échec est la mère du succès ». La citation de T. J. Rogers, fondateur de Cypress et autre icône de la Silicon Valley « failure is a prerequisite to success » aurait tout aussi bien pu être mise en exergue. Un étudiant chinois, Jie Wu, me fit remarquer la similarité avec ce dicton chinois ; qu’il en soit remercié. Il est intéressant de terminer [ce post] avec une citation qui montre que l’état d’esprit de la Silicon Valley peut se développer aussi ailleurs. Ce qu’il est important de comprendre est que l’échec n’est pas négatif mais qu’il faut avant tout essayer.