L’échec comme apprentissage

Il s’agit de ma troisième chronique dans la revue Entreprise Romande (et merci à eux pour le travail d’édition et l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer sur des sujets qui me sont chers)

Tout entrepreneur sait que l’échec fait partie intégrante de son activité: un contrat manqué, un client perdu, un recrutement qui ne donne pas satisfaction … Alors pourquoi l’échec est-il à ce point stigmatisé dans la culture européenne, et notamment en Suisse? Freeman Dyson, physicien d’origine anglaise en parle avec lucidité: «Vous ne pouvez raisonnablement pas obtenir une bonne innovation sans passer par un nombre énorme d’échecs. Prenons l’exemple des bicyclettes: des milliers de modèles bizarres ont été construits et testés avant qu’on ne trouve celui qui marche vraiment. Vous ne pouvez jamais construire théoriquement une bicyclette. On en fabrique depuis une centaine d’années, et il est toujours compliqué de comprendre comment cela fonctionne. Il est même difficile de le formuler comme un problème mathématique. Ce sont les essais et les échecs qui ont permis de trouver comment le faire, et l’erreur était essentielle!» L’image du deux-roues est parfaite: reprocherait-on à un jeune enfant ses multiples chutes qu’occasionnera son apprentissage?

ECHEC ET CRÉATIVITÉ

La Silicon Valley est connue pour sa tolérance à l’échec, qui, loin d’être un stigmate, est même valorisé. «Dans la Silicon Valley, si nous n’avions pas toléré l’échec, nous n’aurions pas pu prendre des risques et nous aurions beaucoup moins d’entrepreneurs que nous n’en avons aujourd’hui. Si vous échouez pour les bonnes raisons, c’est-à-dire à peu près toutes, sauf être corrompu, stupide ou paresseux, alors vous avez appris quelque chose qui vous rendra plus utile», témoigne Randy Komisar, installé dans la Silicon Valley, comme le sont les autres personnes citées dans cet article. «Vous seriez surpris du nombre d’investisseurs qui préfèrent parier sur quelqu’un qui a goûté aux fruits amers de l’échec. En échouant, vous apprenez ce qu’il ne faut pas faire. Lancez-vous et vous découvrirez qu’il n’y a pas d’échec; vous aurez dégagé l’horizon et ouvert votre esprit et vous vous serez réinventé», témoigne à son tour Larry Marshall.

La peur de l’échec a des causes profondes. Le système scolaire encourage plutôt l’enfant à se taire s’il ne connaît pas la réponse qu’à tester des hypothèses, de peur de la réprimande. L’expérimentation, la créativité, les « processus d’essai et d’erreurs », ne sont jamais assez encouragés à la faveur de disciplines plus rationnelles. «En effet, nous avons des difficultés psychologiques et intellectuelles avec les essais, les erreurs et l’acceptation de cette série de petits échecs nécessaires dans la vie. Vous avez besoin d’aimer perdre. En fait, la raison pour laquelle je me suis immédiatement senti chez moi en Amérique, c’est précisément parce que la culture américaine encourage le processus d’apprentissage par l’échec, à la différence des cultures d’Europe et d’Asie, où l’échec est stigmatisé et gênant, nous dit Nicolas Taleb, l’essayiste d’origine libanaise et auteur du Cygne Noir.

Les start-up européennes n’échouent pas ! Leur taux de survie est de 90% après 5 ans d’existence. Mais est-ce une bonne nouvelle ? Dans les premiers mois de Google, son fondateur Larry Page considérait qu’un taux de succès de projets individuels de 70% était idéal. « Au dessus, nous n’aurions pas pris assez de risque. » Et l’échec est à ce point digéré que les Américains ont créé la FailCon (une conférence sur l’échec) en 2009. En échangeant sur leur expérience de l’échec, en public (parce que l’échec reste malgré tout un tabou même aux Etats-Unis), les participants apprennent de leurs pairs et en sortent renforcés. Le célèbre entrepreneur et investisseur Vinod Khosla y admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. «L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer ». Cela expliquerait-il pourquoi nous ne créons pas de Google en Suisse et en Europe?

PRÉPARATION AU SUCCÈS

Malgré tout, l’échec restera toujours imprévisible. «Bien sûr le business, tout comme la vie, n’est jamais un long fleuve tranquille. L’échec peut survenir à tout moment et de manière inattendue, comme le succès, d’ailleurs. Mais le vrai succès consiste à gérer les échecs. A chaque revers de fortune, il faut être capable de retourner la situation. Il faut réunir des gens qui savent qu’il y aura des problèmes, qui aiment les résoudre et qui peuvent travailler en équipe. Cela me rappelle qu’il faut être humble. Je célèbre donc l’échec, cela tempère le caractère et prépare au succès », remarque Kamran Elahian.

Alors, faut-il n’avoir pas peur d’échouer? La réponse la plus émouvante vient sans aucun doute de Steve Jobs qui, ne l’oublions pas, échoua à faire grandir Apple dans les années 1980: « Je ne l’avais pas ressenti au début, mais être viré de chez Apple était la meilleure mais être viré de chez Apple était la meilleure chose qui pouvait m’être jamais arrivée. Le fardeau du succès céda la place à la légèreté d’être à nouveau un débutant, moins pétri de certitudes. Cette liberté me permit d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie ». Et mieux encore : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. Vous êtes déjà à nu. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre les aspirations de son cœur. »

A quand une FailCon en Suisse?

Un étudiant chinois me fit découvrir il y a quelques années le proverbe suivant: Shi Bai Nai Cheng Gong Zhi Mu, qui signifie «l’échec est la mère du succès ». L’Asie intègre peut-être plus vite que l’Europe cette importante notion.

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