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« Vous avez de l’argent, mais vous avez peu de capital »

Voici ma dernière contribution en date à to Entreprise Romande. Merci à Pierre Cormon pour m’avoir donné la possibilité de cette libre tribune.

YouHaveMoneyButLittleCapital

« You have money but you have little capital. » C’est en substance la phrase que l’ambassadrice des Etats Unis en Suisse, Madame Suzie Levine, a prononcé lors d’une cérémonie en l’honneur des alumni de ventureleaders – un groupe de jeunes entrepreneurs suisses – cérémonie organisée le 15 novembre dernier à Berne.

Elle a précisé qu’elle la reprenait de mémoire après l’avoir entendue de l’un de ses interlocuteurs récents. Je la cite aussi de mémoire et depuis cette date, j’y ai repensé de nombreuses fois en essayant de la comprendre.

Vous, c’est bien sûr la Suisse. De l’argent, nous en avons. La Suisse est riche. Elle se porte bien, socialement, économiquement et financièrement. Et les entreprises suisses investissent sagement. Il ne serait donc pas juste de prendre le « peu de capital » au pied de la lettre, si l’on définit le capital par ce que l’on investit. Je me sens obligé de la répéter « Vous avez de l’argent, mais vous avez peu de capital. »

La première explication, la plus évidente sans doute, tient à la constatation factuelle de la faiblesse du capital-risque suisse. Les chiffres varient de 200 millions à 400 millions par an, selon que l’on définit ce capital-risque comme l’argent investi dans les entreprises suisses (indépendamment de l’origine de ce capital) ou le capital investi par des institutions financières suisses (indépendamment de la géographie des entreprises). A titre de comparaison, le capital-risque en Europe est de l’ordre de 5 milliards et aux Etats Unis de 30 milliards, soit 75 fois moins qu’aux Etats-Unis alors que la population n’est que 40 fois moins nombreuse.

Une deuxième explication, peut-être moins connue, est liée à la relative absence des « business angels » (BAs). Alors que la Suisse compte la plus grande densité de « super-riches » et l’un des niveaux de vie les plus élevés au monde [1], les investissements par les particuliers dans les start-up suisses sont limités. Les start-up suisses ne profitent malheureusement pas de cette manne potentielle : les montants investis par les BAs sont de l’ordre de 50 millions par an et de 30 milliards aux Etats Unis. Et situation pire encore, l’essentiel des investissements américains se fait dans deux régions (la Silicon Valley et Boston), ce qui ne permet plus de relativiser les chiffres par rapport à la taille des populations.

Certain acteurs tels que la SECA, l’association suisse des investisseurs en capital ou le Réseau à travers son « manifeste en faveur des start-up suisses » [2] ont pris la mesure de ce déficit. Ils font ainsi pression pour créer de nouveaux fonds de fonds en capital-risque et défiscaliser les investissements privés dans les start-up.

Enfin, mais ceci serait en soi l’objet d’un autre article, la transition entre business angels qui fournissent les premiers fonds (jusqu’au million en général) et les capitaux-risqueurs qui interviennent à partir de 5 à 10 millions est beaucoup moins naturelle qu’aux Etats Unis par manque de confiance et de connaissance mutuelles.

Je crains toutefois que la citation-titre de cet article ne puisse pas être expliquée par la seule et simpliste constatation des chiffres. La troisième explication, je devrais dire interprétation, du mot capital, est celui de capital humain ou culturel. La force des investissements américains dans l’innovation n’a pas été que financière. Elle tient d’une attitude individuelle plus que du raisonnement économique.

Une remarque : il est peut-être utile de rappeler que le capital-risque institutionnel (celui des fonds de pension et des entreprises) est né de la vision de quelques individus qui croyaient au potentiel de l’innovation par l’entrepreneuriat ; ce sont les business angels qui ont créé le capital-risque (et pas l’inverse). Cette vision vient d’un optimisme typiquement américain et aussi au fait plus prosaïque que ces premiers business angels avaient eux-mêmes gagné de l’argent en pariant sur l’innovation.

L’argent suisse est moins aventureux et surtout, on me l’a souvent dit, un capital issu d’une création de valeur économique plus traditionnelle, peut-être moins innovant. Il est aussi transmis par héritage. Comme il a été plus durement acquis, la crainte est plus forte de le perdre ou la confiance moindre de pouvoir le faire à nouveau fructifier. La prise de risque et l’absence de stigmate lié à l’échec sont des caractéristiques propres à l’entrepreneuriat américain, cela est bien connu. On peut ainsi mieux comprendre les (bonnes) raisons du plus grand conservatisme suisse (et européen).

Plus grave encore, car le capital financier voyage aisément et de nombreuses start-up suisses vont chercher leurs investisseurs à Londres, Boston ou San Francisco, ce capital culturel fait défaut en Suisse. Je ne parle pas de la qualité des cadres des grandes entreprises et PMEs qui gèrent parfaitement leurs entreprises et qui ne les quittent que rarement (à raison peut-être !) pour créer leurs entreprises. Je parle de la quasi-inexistence d’hommes et de femmes qui ont réussi dans le monde des start-up. On se lasse à toujours citer Daniel Borel comme « role model » suisse de l’entrepreneur high-tech. La Silicon Valley aura créé dans le même laps de temps des milliers de millionnaires dans la technologie, riches individus qui ont systématiquement réinvesti leur argent et surtout leur temps dans de nouvelles aventures.

J’avais trouvé la citation un peu injuste, à la première écoute, pour l’avoir mal comprise mais au pire facile à corriger si elle ne se référait qu’au manque de capital financier. Je me rends compte après réflexion qu’elle fait référence à une situation encore plus grave tant il faut du temps si nous le souhaitons pour changer une culture.

[1] Le Matin (mai 2012) : http://www.lematin.ch/economie/suisse-affiche-forte-densite-superriches/story/25762272
[2] Bilan (juin 2014) : http://www.bilan.ch/node/1015095

PS: le tableau qui suit n’était pas dans l’article mais je l’avais repris dans mon livre pour expliquer les différences « culturelles » entre capital-risque américain et européen.

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Founding Angels

Je viens de publier sur la partie anglaise de mon blog une longue interview que j’ai donnée à un doctorant de ETHZ, Martin Würmseher, qui travaille sur le concept de Founding Angels. « Les Founding Angels contribuent à combler le fossé, qui existe entre la recherche universitaire et la commercialisation de nouvelles technologies. En collaboration avec les inventeurs, ils fondent des start-up pour faire avancer davantage la recherche et en commercialiser les résultats. Le modèle d’affaires des Founding Angels est similaire à celui des Business Angels, mais le soutien opérationnel et financier des Founding Angels commence avant la fondation réelle de la start-up et, en tant que membre de l’équipe fondatrice, continue dans la fondation et le renforcement de la nouvelle start-up ».

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Martin m’a envoyé hier la transcription de l’interview et je l’ai beaucoup aimée. Martin m’a autorisé à la publier mais elle est si longue que je n’ai pas eu le courage de la traduire depuis l’anglais, vous la trouverez donc sur ce lien: Founding Angels.

Les Super Angels

Je rentre de vacances pour découvrir que le monde a changé! Avant ma coupure estivale, il y avait les business angels qui investissaient dans le premier tour jusque $1M environ et les VCs qui n’investissaient que rarement moins de $1-2M, et de plus en plus à partir du deuxième tour. Mais la frontière est devenue floue: il y a maintenant les « seed VCs » (dont Index seed est un dernier en date) et les Super Angels qui se font la compétition sur les mêmes territoires.

Si vous voulez en savoir plus vous trouverez de nombreux articles, essentiellement en anglais:

VCs et super Angels: la guerre pour les entrepreneurs qui est en fait la traduction de

VCs And Super Angels: The War For The Entrepreneur de Techcrunch.

Why Micro-VCs Are So Damn Friendly de Xconomy.

‘Super Angels’ Alight du WSJ.

Micro VCs Are all BFFs… Forever? par David Beisel.

Tout cela n’est pas si nouveau puisque Business Week relevait le phénomène dès mai 2009: ‘Super Angels’ Shake Up Venture Capital.

Et je ne dois pas oublier le blog de Fred Destin grâce à qui j’ai découvert tout cela: Super Angels, Lean VCs, Proto-Incubators, whatever. Focus on social contract. Il a aussi publié un post sur les European SuperAngels.

Alors tout cela est-il si révolutionnaire? Je ne suis pas trop convaincu, mais je suis peut-être si loin de ce monde que j’ai manqué ce changement. Ou bien le monde high-tech et du VC est dans une telle crise qu’il cherche de nouveaux modèles. Pourtant, il y a toujours eu de gros business angels, tels que Arthur Rock pour Intel et Apple, Andy Bechtolsheim pour Google et Magma, et Sequoia a financé Yahoo dès le début, alors quoi?

Il est vrai que les VCs ont des fonds de taille considérable, qui atteignent le milliard et investir mois de $1M devient un casse-tête, mais ils ont compris la faiblesse du modèle et ils reviennent au seed. Les entrepreneurs croient que les anges sont plus sympathiques, mais relisez mes posts sur la Tesla story ou sur Elon Musk.

Enfin, il y a des arguments intéressants comme le fait que les start-up dans le logiciel et l’internet ont moins besoin de capitaux que les start-up classiques et que ces entrepreneurs souhaitent se vendre à
Google pour $25M, ce qui n’est pas si mal, et du coup, ils n’ont peut-être plus besoin des VCs classiques. Au risque que la Silicon Valley ne produise plus de sociétés comme Google ou Apple. Alors il ne s’agit sans doute que d’un retour vers le futur…

Business angels et capital-risque

Je me suis amusé à utiliser Google Translate et à en laisser la majeure partie pour ce post que j’ai écrit initialement en anglais. Je n’ai corrigé que les choses incompréhensibles en laissant les maladresses visibles. Le résultat n’est pas inintéressant !

La question se pose souvent sur la différence entre les deux groupes, les business angels et investisseurs en capital-risque. La réponse simple, qui prétend que les anges viennent à l’amorçage alors que les VCs arrivent plus tard, est trompeuse. Par exemple, Google a obtenu 1 million de dollars de business angels initialement alors que Yahoo obtint son 1er million de Sequoia. En fait, les différences sont ailleurs. Un article scientifique récent, théorise certaines ces différences et je les décris ci-dessous.

J’ai une tendance à dire que le capital-risque a été l’institutionnalisation des anges. Dans les années 60, il n’y avait pas beaucoup de capital-risque et les premiers fonds ont été construits par la syndication de l’argent ange et institutionnels. Même aujourd’hui, certains groupes d’anges syndiquent leur argent et ressemblent à du capital-risque. Alors, ils sont en effet assez similaires.

L’article universitaire récent que je viens de mentionner est «résultats de prévision et de contrôle dans l’incertitude: une analyse par les business angels», écrit par Wiltbalm, Read, Dew et Sarasvathy et publié dans le Journal of Business Venturing. Pour des questions de copyright, je ne suis pas sûr que vous pourrez accéder au papier, mais vous pouvez essayer en cliquant sur l’image ci-dessous.

Les auteurs définissent les investisseurs providentiels comme «une personne fortunée qui agit comme un investisseur en capital risque informel». Capital-risque informel et business angel institutionnel ; voilà deux définitions assez proches. L’un gère son argent directement, l’autre gère l’argent des autres. Mais il ya beaucoup plus que cela. Oubliez les conditions dans les « feuilles terme ». Ils sont devenus très similaires, même si certains pensent que les anges sont des partenaires plus simples. Vous trouverez des gens bons et mauvais dans les deux groupes. Le document que j’ai mentionné ci-dessus est très intéressant à un autre niveau. Il classe les investisseurs dans les deux groupes. Je simplifie certainement car ces documents académiques sont souvent trop détaillés pour un blog!

D’un côté, les auteurs affirment que vous avez les investisseurs qui se concentrent sur la prédiction, de l’autre côté, ceux qui insistent sur le contrôle. Prédiction signifie ici vous voyez une opportunité d’affaires à long terme et de déployer les ressources nécessaires pour cette ambition. Contrôle signifie que vous ne vous attachez pas au long terme mais que vous prévoyez à court terme et vous agissez comme vous apprenez. Pas réellement besoin d’un plan d’affaires. Permettez-moi d’utiliser les termes des auteurs :

« Stratégies prédictive impliquent des études de marché en utilisant des outils formels tels que des enquêtes, des modèles détaillés financiers et des calculs minutieux des risque-rendement ajusté prévus, etc, et sont très familiers à pratiquement toute personne impliquée dans la rédaction de plans d’affaires … Cependant, une forte incertitude peut réduire l’exactitude et l’utilité de la prévision … Un concept suggère que, dans la mesure où vous pouvez contrôler le futur, vous n’avez pas besoin de prévoir. Ces acteurs commencent avec qui ils sont, ce qu’ils savent et ce qu’ils connaissent, plutôt que par une vision prédéterminée ou validée par l’ »opportunité ». Cela signifie qu’ils n’évaluent pas les opportunités fondées sur le rendement attendu. Au contraire, ils travaillent avec tous les intéressés. En d’autres termes, ceux qui s’engagent à aider, à déterminer ce que l’entreprise va faire. Les gens travaillent sur des choses sous leur contrôle, s’emploient à étendre la zone de choses qu’ils ne peuvent matériellement contrôler, éliminant ainsi la nécessité de prévoir l’avenir.  »

Quelles sont les implications de ces deux stratégies?

Les auteurs affirment ce qui suit: « Les résultats montrent que l’insistance sur les stratégies de contrôle est fortement corrélée à moins d’échecs alors que les investisseurs qui insistent sur la prévision font des investissements sensiblement plus importants, mais ne connaissent pas plus de homeruns (des gros succès). Nous avons constaté que les investisseurs providentiels qui exerçait une diligence supérieure connu beaucoup plus de homeruns et plus d’échecs également (donc moins de sorties modérées). En outre, les investisseurs providentiels qui ont davantage participé à leurs projets, après l’investissement, ont connu moins de sorties négatives. Étonnamment, nous avons constaté que les investisseurs qui se sont concentrés sur les opportunités très tôt (seed, amorçage) ont connu moins de sorties négatives. Ces résultats soulèvent d’importantes considérations sur l’utilisation de la prévision et de contrôle dans des contextes très incertains. Comprendre l’utilisation différentielle de ces approches stratégiques pourrait être pertinent non seulement pour les investisseurs providentiels, mais aussi pour les sociétés de capital risque, les entrepreneurs des sociétés, et les managers qui prennent des décisions dans des situations très incertaines ».

Ces implications sont très intéressantes et aussi surprenantes. Si je comprends pleinement les avantages de la stratégie de contrôle, il semble surprenant qu’un homerun vienne avec une stratégie conservatrice. Mais le contrôle ne signifie pas conservateur, cela signifie plus pragmatique. Ceci est ma compréhension de la chose.

Pour ceux qui ont lu mon livre, vous vous rappelez peut-être l’analyse du capital-risque que j’avais empruntée à Tim Cruttenden. Je vois des similitudes entre sa description et les deux catégories sauf que Cruttenden s’attend à plus de homeruns (et plus d’échecs), avec des stratégies agressives. Que pensez-vous?