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L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 2)

Comme je l’ai dit dans l’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1), Mariana Mazzucato a écrit un livre important même si je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments.

Nous sommes en accord sur la problématique du financement des technologies, des inventions et des innovations. Il est généralement convenu que la commercialisation des produits et leur développement préalable est de la responsabilité du secteur privé dans une économie capitaliste. Le financement de la recherche (au moins la recherche fondamentale) est généralement la mission de l’Etat, mais la recherche appliquée (même si je n’ai jamais vraiment compris de quoi il s’agit) peut être faite par l’État ainsi que par le secteur privé .

Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse ici: je ne suis pas un grand fan des concepts de recherche fondamentale et appliquée, mais je comprends mieux d’autres concepts d’amont en aval. Ici, ils s’agit de:
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La recherche n’a pas de résultat connu a priori, sauf de la connaissance, alors qu’à un stade ultérieur dans le développement, les objectifs sont un peu plus clairs. Ceci étant dit, je ne suis pas très à l’aise avec les arguments de Mazzucato quand elle dit l’État fait beaucoup pour l’innovation. Mais elle montre clairement il ya une zone grise entre les 3 étapes que j’ai simplement décrites ci-dessus. Je fais partie (au moins pour l’instant) du groupe de personnes qui croient que c’est la mission de l’Etat d’être actif aux deux premiers stades, et que le secteur privé est actif dans le troisième. Rien n’interdit le secteur privé à aller plus en amont et le secteur public plus en aval, mais c’est assez rarement le cas. Voici mes notes sur les chapitres 3 et suivants :

Chapitre 3 – La prise de risque de l’Etat : de « dé-risquer » à « lancer-le ! »

Lors d’une visite du président Mitterrand dans la Silicon Valley, Thomas Perkins qui dont le fonds avait financé Genentech vanta les vertus de la prise de risque de ces investisseurs qui financent les entrepreneurs. Perkins fut interrompu par Paul Berg, professeur à Stanford et lauréat du prix Nobel. Il demanda: « Où étiez-vous dans les années 50 et 60 pour le financement qui devait nécessaire à la science fondamentale ?  » [Page 57]

L’entrepreneuriat, comme la croissance, est un des sujets les moins bien compris en économie. Selon Schumpeter, l’entrepreneur est une personne prête à et capable de convertir une nouvelle idée ou une invention en une innovation réussie (tel que des produits, services ou processus). L’Entrepreneuriat emploie la « destruction créatrice » pour remplacer, en tout ou partie, les innovations inférieures, créant simultanément de nouveaux produits, y compris de nouveaux modèles d’affaires. Chaque nouvelle technologie majeure conduit à la destruction créatrice. [Page 58]

[Encore une fois je dois réagir ici: là où je suis entièrement d’accord avec l’esprit d’entreprise et les définitions de l’innovation, je suis sceptique quant à la remarque sur la technologie: certaines « grandes » nouvelles technologies ne détruisent rien, car elles ne devinrent pas un succès commercial (l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale par exemple mais il y en a bien d’autres). Je dirais plutôt que les grandes innovations couronnées de succès conduisent à la destruction créatrice. Ceci est important parce que, comme le dit justement Mazzucato, il n’y a pas de processus linéaire dans l’innovation mais par contre beaucoup d’incertitude.]

L’entrepreneuriat est une question de prise de risques et est très incertain. Les investissements en R&D qui contribuent aux changements technologiques non seulement prennent des années à se concrétiser en de nouveaux produits, mais la plupart des produits développés échouent. Le modèle de la Silicon Valley raconte une histoire « d’entrepreneurs en roue libre » et de capitaux-risqueurs visionnaires et pourtant cette histoire ignore le facteur crucial: le rôle de l’armée dans sa création et son succès. [Mazzucato montre les mêmes probématiques dans la l’industrie pharmaceutique où les grands acteurs développent des médicaments d’imitation et laisse l’État développer les innovations radicales dans les universités, comme le montre l’anecdote ci-dessus avec Mitterand, Perkins et Berg.]

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Encore une fois, j’ai quelques soucis avec cette description. Premièrement dans l’image ci-dessus, j’aurais aimé voir le R face au D et pas le R fondamental face à l’ensemble. Mazzucato a raison sur le financement de la recherche, aucun doute à ce sujet. Je l’illustre depuis de nombreuses années par des graphiques où le financement de la recherche dans les universités américaines par l’industrie est de 4-7 % alors que le financement fédéral est d’environ 60 % ! Vous pouvez consulter les Figures 1 et 2 ci-dessous. Mais, quand il s’agit d’innovation, je ne vois pas où l’Etat a produit la biotechnologie ou l’industrie IT. Il a rendu les inventions disponibles. Vous avez cependant besoin d’entrepreneurs et d’investisseurs visionnaires comme je l’ai dit sur mon blog dans le cas Genentech il y a quelques années [voir Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech]

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Figure 1: le financement public et privé de la recherche universitaire américaine.

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Figure 2: le financement public et privé de la recherche à l’université de Stanford et au MIT.

Chapitre 4 – L’état entrepreneurial américain.

Dans ce court chapitre, Mazzucato montre à travers quatre exemples comment le gouvernement américain encouragée innovation. Il s’agit du DARPA (le financement de la recherche par l’armée américaine), des SBIR (Les « Small Business Innovation Research »), les médicaments orphelins et les nanotechnologies.

Sur le Darpa, « une série de petits équipes, composées d’éminents scientifiques, se sont vu données une autonomie de budget considérable, … finança un mélange de chercheurs universitaires, de start-up, d’entreprises établies et de consortiums … aidant ainsi les entreprises à emmener les produits au stade de la viabilité commerciale ». [Page 78] Encore une fois l’impact du DARPA dans le financement de la recherche est indiscutable. Et oui, il faut le dire, Mazzucato a raison sur ce quasi-assourdissant silence sur le rôle de l’Etat. Vous pourriez aussi le vérifer avec cette autre excellente référence qu’est l’ouvrage de Rebecca Lowen “Creating the Cold War University – the Transformation of Stanford”.

Je suis moins convaincu sur le SBIR. « Les agences gouvernementales allouent une fraction de leur budget de recherche pour soutenir les petites entreprises, indépendantes et à but lucratif. » Mazzucato affirme qu’Apple a été financé par un tel fonds, le Continental Illinois Venture Corp (CIVC), mais j’ai vérifié le document d’introduction en bourse d’Apple et le CIVC n’était pas à l’origine de l’entreprise. Arthur Rock and Don Valentine convainquirent Markkula d’aider les deux Steve et investirent en janvier 1979. Même si CIVC avait investi à cette même date (ce que j’ignore), c’était un actionnaire minoritaire et passif. En outre, le CIVC était la filiale VC d’une banque, donc pas un investissement purement public… Mazzucato cite également Lerner et Audretsch, éminents professeurs comme références . Dans un livre récent (Boulevard of Broken Dreams – Pages 125-126), le même Lerner explique que le manque de flexibilité du SBIR et de l’ATP fut préjudiciable (il devait être question de financement pré-commercial pour l’ATP ; les start-ups devaient être détenues à 51% au moins par des citoyens américains ou des résidents, au point que la présence de capital-risque pouvait exclure l’entreprise du financement SBIR !) J’ai lutté pendant des années pour trouver l’impact réel de SBIR et je n’ai jamais trouvé de données convaincantes. Il y a un débat récurrent sur le rôle direct de l’État dans le financement VC, avec des réponses assez peu claires depuis des années.

Je ne sais pas rien des médicaments orphelins, mais je suis sceptique sur les nanotechnologies. « Les nanotechnologies vont très probablement être la prochaine technologie d’application générale ». [Page 83] « Ce sera une révolution encore plus important que l’ordinateur. » « Aujourd’hui, elles ne créent pas encore un impact économique majeur en raison de l’absence de commercialisation de ces nouvelles technologies, ce qui s’explique par des investissements excessifs dans la recherche par rapport aux investissements dans la commercialisation. […] Cela soulève une question : si le gouvernement doit financer la recherche, financer de grands investissements d’infrastructure et aussi entreprendre les efforts de commercialisation, quel est exactement le rôle du secteur privé ? » [Page 86]

Et bien, encore une fois, je trouve l’argumentation un peu contradictoire. Si les nanotechnologies était juste un autre fruit mûr qu’il suffit de cueillir pour les commercialiser grâce à l’investissement de l’Etat, nous aurions déjà vu les premiers résultats. L’initiative américaine sur les nanotechnologies a été lancée en 2000. Il y a eu des start-up très visibles telles que A123 ou Nanosys. Dans le tableau de capitalisation datant de 2004 de Nanosys, peut voir le financement de la start-up provenant de sources privées .

Je lis en ce moment le chapitre 5 et je reviendrai sur le livre de Mazzucato dans une troisième partie !

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L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1)

L’État entrepreneurial (The Entrepreneurial State) de Mariana Mazzacuto est, je pense, un livre important. L’auteur affirme que nous avons été injustes avec le rôle dans l’innovation du gouvernement et du secteur public en général, qui a fourni des fonds pour la plupart pour ne pas dire toute la R&D (Pharma, IT, spatial). Je partage le blâme car je suis un fervent partisan des start-up, du capital-risque, et la Silicon Valley est le modèle ultime. Et l’idée que l’Etat doit juste fournir les bases (éducation, recherche, infrastructure) et laisser le secteur privé innover a peut-être été une grosse erreur (de moi y compris). Je ne prendrai pas le blâme sur le second argument que j’ai toujours partagé avec l’auteur : l’idée que les allégements fiscaux et l’évasion fiscale rend le jugement encore plus injuste. Enfin, le secteur privé est très frileux face aux risques si bien qu’il y a moins d’innovation (et pas seulement à cause du capital-risque, mais en raison de la R&D privée, par rapport au passé lorsque les laboratoires de R&D au sein d’IBM , Bell ou Xerox étaient grands ou quand les VCs contribuaient vraiment à l’innovation dans les semi-conducteurs, les ordinateurs et la biotechnologie dans les années 60 et 70 )

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Permettez-moi maintenant de citer Mariana Mazzacuto en suivant son livre linéairement . Vous pouvez également écouter une conférence qu’elle a donnée à TEDx.

Alors que l’innovation n’est pas le rôle principal de l’État, illustrer le potentiel d’innovation et de dynamisme de l’Etat – sa capacité historique, dans certains pays, à jouer un rôle d’entrepreneur dans la société est peut-être le moyen le plus efficace pour défendre son existence. (Page 1).

L’entrepreneuriat n’est pas (seulement) le sujet des start-ups, du capital-risque et des « bricoleurs de garage ». Il s’agit de la volonté et de la capacité des agents économiques à prendre des risques et affronter une incertitude réellement Knightienne*, ce qui est vraiment inconnu. (Page 2).
Note *: l’incertitude Knightienne concerne le risque « incommensurable », c’est à dire un risque qui ne peut être calculé.

Même pendant un boom économique, la plupart des entreprises et des banques préfèrent (ou préféreraient) financer des innovations incrémentales à faible risque, en attendant que l’État fasse sa marque dans les domaines les plus radicaux. (Page 7) Des exemples sont fournis par l’industrie pharmaceutique – où les nouveaux médicaments les plus révolutionnaires sont fabriqués principalement avec des fonds publics, et non privés. (Page 10.)

Apple doit payer des impôts, non seulement parce que c’est une bonne chose, mais parce qu’elle est l’épicentre d’une entreprise qui a besoin de fonds publics qui soient très grands et prêts à assumer une prise de risque suffisante pour continuer à faire les investissements sur lesquels les entrepreneurs tels que Steve Jobs pourront ensuite capitaliser. (Page 11) C’est précisément parce que les investissements de l’État sont incertains, qu’il y a un risque élevé qu’ils échouent. Mais quand ils réussissent, il est naïf et dangereux de permettre à toutes les récompenses d’être privatisées. (Page 12)

Chapitre 1 – (La crise de l’innovation)

L’accent mis sur l’État en tant qu’agent entrepreneurial n’a évidemment pas pour but de nier l’existence de l’activité et de l’esprit d’entreprise du secteur privé, depuis le rôle des jeunes et nouvelles entreprises qui dynamisent ou créent de nouveaux secteurs (comme par exemple Google) jusqu’à la source importante de financement du privé comme le capital-risque . Le principal problème est que c’est la seule histoire qui est généralement racontée. (Page 20)

Il est naïf d’attendre du capital-risque de mener à un stade précoce le développement risqué de tout nouveau secteur économique aujourd’hui ** (tels que les technologies propres par exemple). Dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’Internet, le capital-risque est arrivé 15 à 20 ans après les investissements les plus importants réalisés par des fonds publics. (Page 23) L’État a été à l’origine des révolutions les technologiques et des périodes de croissance à long terme. C’est pourquoi un état « entrepreneurial » est nécessaire pour s’engager dans la prise de risque et la création d’une nouvelle vision.
Note **: Peut-être pas dans les années 50 à 70 , certainement au cours des 10 dernières années.

Les grands laboratoires privés de R&D ont fermé et le R de la R&D a également diminué. Une étude du MIT récente [1] affirme que l’absence actuelle aux États-Unis des laboratoires d’entreprises comme le Xerox PARC (qui a produit la technologie d’interface utilisateur graphique qui a contribué à la fois aux systèmes d’exploitation de Apple et de Windows) et les Bell Labs – cofinancés par le budget des agences gouvernementales – est une des raisons pour lesquelles la machine d’innovation américain est menacée. (Page 24) Rodrik (2004) affirme que le problème n’est pas dans quels types de mécanismes (R&D, crédits d’impôt, subventions) ou quels types de secteurs choisir (acier vs. logiciel), mais comment la politique peut favoriser les processus de découverte qui favorisent la créativité et l’ innovation – la nécessité de favoriser l’ exploration par essai et erreur (ce qui est le principe de base de la « théorie évolutionniste du changement économique » au chapitre 2)
Références:
[1] MIT 2013. Rapport économique Innovation, web.mit.edu/press/images/ documents/pie-report.pdf
[2] Rodrik, 2004. Politique industrielle pour le 21e siècle. CEPR Discussion Paper 4767

Chapitre 2 – Technologie, innovation et croissance.

Les politiques de redistribution progressive sont fondamentales, mais elles ne causent pas la croissance. En réunissant les leçons de Keynes et de Schumpeter, on peut la rendre possible. (Page 31) Solow a découvert que 90 pour cent de la variation de la production économique n’a pas été expliqué par le capital et le travail, il a appelé le résidu le « changement technique ». (Page 33)

La « théorie de l’évolution économique » explique cela comme un processus constant de différenciation entre les entreprises, en fonction de leur capacité à innover. La sélection ne conduit pas toujours à la « survie du plus apte » à la fois en raison des effets de rendements croissants et aussi des effets des politiques. La dynamique de sélection des marchés des produits et des marchés financiers peuvent être en désaccord.

L’innovation est spécifique à l’entreprise et très incertaine. Ce n’est pas la quantité de R&D qui compte, mais la façon dont elle est distribuée dans toute l’économie. La vieille idée que la R&D peut être modélisée comme une loterie où une certaine quantité va créer une certaine probabilité de succès de l’innovation est critiquée car en fait l’innovation serait un exemple d’une véritable incertitude Knightienne, qui ne peut être modélisée avec une distribution normale (ou toute autre distribution de probabilité). (Page 35 – à nouveau le Black Swan !)

Les systèmes d’innovation sont définis comme le « réseau des institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies ». (La Théorie de l’Equilibre ne peut pas fonctionner, et plutôt que d’utiliser le calcul incrémental de la physique newtonienne, les mathématiques de la biologie sont utilisées, car elles peuvent explicitement prendre en compte l’hétérogénéité et la possibilité de dépendance de route et des équilibres multiples.) (Page 36) La perspective n’est ni micro ni macro, mais méso. Le lien de causalité entre la science fondamentale, en allant vers la R&D à grande échelle, puis les applications jusqu’à la diffusion des innovations n’est pas linéaire, mais plein de boucles de rétroaction. On doit être capable de reconnaître le hasard, la sérendipité, et l’incertitude qui caractérise le processus d’innovation. […] En utilisant l’exemple du Japon, « les contributions de l’Etat au développement au Japon ne peuvent être comprises en faisant abstraction de la croissance des entreprises comme Toyota, Sony ou Hitachi à côté du soutien public de l’Etat japonais pour l’industrie ». (Page 38)

Les systèmes régionaux d’innovation focalisent sur la proximité culturelle, géographique et institutionnelle qui crée et facilite les transactions entre les différents acteurs socio-économiques, y compris les administrations locales, les syndicats et les entreprises familiales … L’Etat agit en ralliant les réseaux d’innovation existants ou en facilitant le développement de nouveaux qui rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes. Mais un système riche d’innovation n’est pas suffisant. L’État doit élaborer des stratégies pour le développement technologique.

Mazzacuto termine le chapitre 2 avec 6 mythes sur l’innovation, et je suis totalement d’accord avec elle!

Mythe 1 : L’innovation c’est la R&D. « Il est fondamental d’identifier les conditions spécifiques aux entreprises pour permettre que les dépenses de R&D influent positivement sur la croissance.  »

Mythe 2 : Small is Beautiful. « Il y a confusion entre la taille et la croissance. » Ce qui est important est le « rôle des jeunes entreprises à forte croissance ». Beaucoup de petites entreprises ne sont pas en forte croissance. […] « L’essentiel de l’impact est lié à l’âge. Le ciblage de l’aide aux PMEs sous forme de subventions, de prêts bonifiés ou d’allégements fiscaux impliquera nécessairement un niveau élevé de déchets. Bien que ces déchets soient est un pari nécessaire dans le processus de l’innovation », elle doit être ciblée sur une croissance élevée et non sur les PMEs [en général], à savoir le soutien aux « jeunes entreprises qui ont déjà démontré de l’ambition ».

Mythe 3 : Le capital-risque aime le risque. « Le capital-risque est rare dans la phase d’amorçage. il est de plus concentré dans les domaines à fort potentiel de croissance, à faible complexité technologique et à faible intensité capitalistique. » […] «La polarisation sur le court terme est dommageable pour le processus d’exploration scientifique qui nécessite un plus long horizon et la tolérance à l’échec ». « Les récompenses pour le VC ont été disproportionnées par rapport aux risques pris », mais Mazzacuto reconnaît également que « le capital-risque a plus réussi aux États-Unis, quand il a fourni non seulement les financements, mais aussi l’expertise dans la gestion. » Enfin « la commercialisation progressive de la science semble être improductive ».

Mythe 4 : Les brevets. « La hausse du nombre des brevets ne reflète pas une augmentation de l’innovation ». [Je ne vais pas revenir ici sur le sujet, mais relisez Contre les monopoles intellectuels]

Mythe 5: Le problème de l’Europe est avant tout celui de la commercialisation. « Si les Etats-Unis sont meilleurs dans l’innovation, ce n’est pas parce que les liens université-industrie sont supérieurs (ils ne le sont pas) ou parce que les universités américaines produisent plus de spinouts (elles ne le font pas). Cela reflète tout simplement le fait que plus de recherche se fait dans plus d’institutions, qui génèrent de meilleures compétences techniques pour le monde du travail. Le financement américain est divisé entre la recherche dans le monde universitaire et le développement de la technologie à un stade précoce dans les entreprises. L’Europe a un système plus faible pour la recherche scientifique et les entreprises sont plus faibles et moins innovantes ».

Mythe 6 : Les entreprises doivent payer moins d’impôt. « Les systèmes de crédit d’impôt R&D ne demandent pas aux entreprises responsables de chercher de nouvelles innovations qui autrement n’auraient pas eu lieu, ou qu’elles ne se contentent pas simplement de formes de développement de produits routiniers. » « Comme Keynes l’a souligné, l’investissement des entreprises est une fonction de l’instinct des investisseurs quant aux perspectives de croissance future. » Ceci n’est pas affecté par les crédits d’impôt, mais par la qualité de la de la science, de l’éducation, du système de crédit et du capital humain au niveau national. « Il est important pour la politique d’innovation de résister à l’appel des mesures fiscales de toutes sortes ».

Plus suivra quand j’aurai lu les chapitres 3 et suivants. Mais, j’ai besoin de partager certaines de mes préoccupations, d’abord en citant Mazzacuto à nouveau :

« L’entrepreneuriat par l’État peut prendre de nombreuses formes. Quatre exemples : le DARPA, les SBIR, le Orphan Drug Act, les nanotechnologies. (…) Apple est loin d’être l’exemple libéral, que semble être la société. C’est une société qui a non seulement reçu des financements précoces du gouvernement (à travers le programme SBIC), mais elle a aussi « ingénieusement » fait usage de technologies financées par les fonds publics*** pour créer des produits « intelligents » . (Pages 10-11)
Note ***: par exemple l’Internet, le GPS, l’écran tactile et Siri.

« Beaucoup de jeunes entreprises les plus innovantes aux Etats-Unis ont été financées non par du capital-risque privé, mais par le capital-risque public, tel que celui fourni par le programme SBIR (Small Business Innovation Research). » (Page 20)

Mes préoccupations sont que
– La recherche n’est pas l’innovation et le transfert est là où l’esprit d’entreprise se produit et donc l’investissement dans la recherche n’est pas l’innovation ou même être entrepreneurial. C’est du moins mon expérience dans le domaine .
– L’impact réel du SBIR est incertain
– les technologies vertes et nano ont également un impact incertain
Mais je n’ai pas encore fini de lire cet excellent travail…

Contre les monopoles intellectuels – 3ème et dernier acte

Voici mon troisième et dernier message sur le livre de Levine et Boldrin. Je couvre ici les deux derniers chapitres sur l’industrie pharmaceutique (chapitre 9) et leurs conclusions (chapitre 10). Paresseux comme d’habitude, ce sont surtout certains des extraits. Pour rappel vous pouvez trouver ici les partie 1 et partie 2.

L’industrie pharmaceutique

Le modèle traditionnel prédit qu’il devrait y avoir de nombreux producteurs potentiels d’un médicament, que l’industrie devrait être dynamique et concurrentielle, et donc très innovante avec de nouveaux arrivants contestant fréquemment les opérateurs historiques au moyen de médicaments supérieurs et innovateurs.

Certaines personnes estiment l’industrie pharmaceutique et certaines personnes la méprisent: il y a peu de moyen terme. L’industrie pharmaceutique est l’exemple type de tous les supporters du monopole intellectuel. Il est l’exemple vivant que, sans les brevets qui protégent les inventeurs, la production de nouveaux médicaments miracles que nous avons pris l’habitude de vivre ne se seraient pas matérialisée, notre espérance de vie serait beaucoup plus courte, et des millions de gens seraient morts des maladies. Le « Big Pharma » a plutôt réussi. Dans le camp opposé, le Big Pharma est le fléau de l’humanité: un club d’hommes blancs oligopolistiques qui, en contrôlant la médecine dans le monde entier et en refusant de vendre des médicaments à leur coût marginal, laissent mourir des millions de personnes pauvres. […] Tout cela semble bien compliqué, alors laissez-nous traiter cela avec soin et, pour une fois, jouer le rôle des sages: media stat virtus, et sanitas.

Quelle est la force de l’argument pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique? Alors que le Big Pharma n’est pas forcément le monstre que certains représentent, l’argumentaire pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique est beaucoup plus faible que la plupart des gens pensent. [Pages 242-243]

Les auteurs font une analyse longue et intéressante de l’histoire de l’industrie chimique avec la France et le Royaume-Uni jouant les monopoles tandis que l’Allemagne et la Suisse pouvaient innover.

[Page 249] Voici comment Murmann résume les principales conclusions de son étude historique sur les industries européennes des colorants pendant la période 1857-1914. Les entreprises de colorants synthétiques britanniques et françaises qui initialement dominaient l’industrie en raison de leurs positions sur les brevets, mais plus tard perdirent leurs positions de leadership sont des exemples importants. Il semble que ces entreprises n’ont pas réussi à développer des capacités supérieures dans la production, la commercialisation et la gestion précisément parce que les brevets les protégeaient de la concurrence. Les entreprises allemandes et suisses, par contre, ne pouvaient pas déposer de brevets sur leurs marchés d’origine et seules les entreprises qui ont développé des capacités supérieures ont survécu dans leur marché intérieur concurrentiel. Lorsque les brevets français et britanniques expirèrent, les principales entreprises allemandes et suisses sont entrées dans le marché britannique et français, capturant de grandes part de ventes au détriment des anciens acteurs.

Les auteurs analysent aussi l’Italie et l’Inde qui n’avaient pas jusque récemment de politiques sur les brevets. « Fait intéressant cependant, nous n’avons pas pu trouver un seul analyste indépendant affirmant que la quantité supplémentaire de brevets pharmaceutiques peut stimuler l’industrie indienne et sera assez grande pour compenser les autres coûts sociaux. Plus précisément, la conséquence positive de l’adoption des brevets dans des pays tels que l’Inde est, selon la plupart des analystes, la conséquence de la discrimination par les prix. L’argument est le suivant: un pouvoir de monopole permet la discrimination des prix – c’est é dire la vente du même bien à un prix élevé aux gens qui l’apprécient plus (généralement des personnes plus riches que la moyenne) et pour un prix modique à des personnes l’estimant peu (généralement les gens plus pauvre que la moyenne). En raison de l’absence de protection par brevet, il y a beaucoup de nouveaux médicaments qui ne sont pas commercialisés dans les pays pauvres par leur producteur initial, parce que celui-ci n’est pas protégé par des brevets fiables dans ce pays. [Page 253]

[Un autre] doute vient du constat suivant: s’il était vrai que l’imitation et le «piratage» de nouveaux médicaments est si facile, en l’absence de protection des brevets, des entreprises locales seraient déjà en production et la commercialisation de ces médicaments aurait lieu dans le pays en question. [Page 254]

La pharma aujourd’hui
Quelques faits supplémentaires: le top 30 des entreprises dépensent environ deux fois plus dans la promotion et la publicité que dans la R&D, et le top 30 sont là où les dépenses privées de R&D sont réalisées, dans l’industrie. Ensuite, nous constatons que pas plus de 1/3 – plus probablement 1/4 – d’approbation des nouveaux médicaments sont considérés par la FDA pour avoir un avantage thérapeutique par rapport aux traitements existants, ce qui implique que, sous des hypothèses les plus généreuses, seulement 25-30% du dépenses totales de R&D va vers de nouveaux médicaments. [Page 255]

Pour résumer et aller plus loin, voici les symptômes du malaise que nous devrions étudier plus avant.
– Il y a de l’innovation, mais pas autant qu’on pourrait le penser, compte tenu de ce que nous dépensons.
– L’innovation pharmaceutique semble avoir des coûts gigantesques et la commercialisation de nouveaux médicaments encore plus, ce qui rend le prix final pour les consommateurs très élevé et croissant.
– Certains consommateurs sont pénalisés plus que d’autres, même après l’extension mondiale de la protection des brevets. [Page 256]

D’où les médicaments viennent-ils? [Pages 257-260]
Les nouveaux médicaments utiles semblent venir dans un pourcentage croissant de petites entreprises, les start-up et des laboratoires universitaires. […] Ensuite, il y a le pas ce détail, qui n’est pas sans importance, que la plupart des laboratoires universitaires sont en fait financés par l’argent public, l’argent principalement fédéral qui coule à travers le NIH. L’industrie pharmaceutique est beaucoup moins essentielle pour la recherche médicale que leurs lobbyistes pourraient vous le faire croire. En 1995, […] environ 11,5 milliards de dollars provenait du gouvernement, avec 3,6 milliards de dollars de plus de la recherche universitaire non financée par le gouvernement fédéral. L’industrie avait dépensé environ 10 milliards de dollars. Cependant, l’industrie a un crédit d’impôt d’environ 20%, de sorte que le gouvernement a également pris en charge environ 2 milliards de dollars du coût de la recherche «de l’industrie». […] En 2006, le total était de 57 milliards de dollars alors que le budget des NIH la même année (la NIH est la plus grande, mais en aucun cas la seule source de financement public pour la recherche biomédicale) a atteint 28,5 milliards de dollars. […] Il est bon aussi de rappeler que le «cocktail» moderne qui est utilisé pour traiter le HIV n’a pas été inventé par une grande société pharmaceutique. Il a été inventé par un chercheur universitaire: David Ho.

Il est vrai que, sans une forte incitation que la perspective de succès d’un brevet induit, les chercheurs ne feraient pas un travail aussi dur qu’ils le font. C’est un fait, alors considérons la question une fois de plus. Nous observons que, bien que l’incitation à breveter et à commercialiser les découvertes a dû être augmentée par le Bayh-Dole Act autorisant la brevetabilité de ces résultats de recherche, il n’y a aucune preuve que, depuis 1980, année où la loi a été adoptée, les grandes découvertes scientifiques médicales ont afflué en masse des laboratoires des universités américaines.

Il reste donc une question ouverte: est-ce que la brevetabilité des innovations biomédicales fondamentales a créé une incitation à s’engager dans des projets et de recherche socialement plus importants? Quelles découvertes médicales et pharmaceutiques ont été vraiment fondamentales et d’où viennent-elles?

Voici les quinze avancées les plus importantes de la médecine: la pénicilline, les rayons x, la culture de tissus, l’éther (anesthésique), la chlorpromazine, l’hygiène publique, la théorie des germes, la médicine basée sur les preuves, les vaccins, la pilule, les ordinateurs, la thérapie de réhydratation orale, la structure de l’ADN, la technologie des anticorps monoclonaux, les risques pour la santé du tabagisme. Combien de noms dans cette liste ont été brevetés, ou étaient dus à certains brevets précédents, ou ont été obtenus au cours d’un projet de recherche motivé par le désir d’obtenir un brevet? Deux: la chlorpromazine et la pilule. […] Maintenant, considérons la liste des produits pharmaceutiques actuels qui se vendent le plus dans le monde, et il y a en 46. Les brevets n’avaient à peu près rien à voir avec le
développement de 20 parmi les 46 médicaments les plus vendus. […] Notez cependant que dans ces 26, 4 ont été découverts complètement par hasard et 2 ont été découverts dans des laboratoires universitaires avant que la loi Bayh-Dole ait même été conçu. En outre, quelques-uns ont été simultanément découverts par plus d’une entreprise menant à des batailles juridiques longues et coûteuses, mais les détails ne sont pas pertinents pour notre propos. Plus de la moitié des médicaments les plus vendus dans le monde entier ne doivent pas leur existence aux brevets pharmaceutiques.

Recherche de rente et redondance. [Pages 260-263]
La prochaine question est donc, si ce n’est pas dans les nouvelles découvertes médicales fondamentales, où va tout l’argent de la R&D pharmaceutique? […] 54% des demandes de médicaments approuvées par la FDA impliquent des médicaments qui contenaient des substances actives déjà sur le marché. […] 35% étaient des produits contenant de nouveaux principes actifs, mais seulement une partie de ces médicaments ont été jugés avoir des améliorations cliniques suffisantes par rapport aux traitements existants pour obtenir le statut de priorité. En fait, seulement 238 des 1035 médicaments approuvés par la FDA contiennent de nouveaux ingrédients actifs et ont eu des évaluations prioritaires sur la base de leurs performances cliniques. En d’autres termes, environ 77% de ce que la FDA approuve est «redondant» du point de vue strictement médical. […] Triste mais vrai, ironiquement, les me-too ou copycat sont de loin le seul outil disponible capable d’induire une sorte de concurrence dans un marché par ailleurs monopolisé. ..] L’aspect ironique des me-too, de toute évidence, c’est qu’ils sont très coûteux en raison de la protection des brevets, et ce coût, nous le prenons en charge, nous-mêmes, sans raison valable. […] Dans la mesure où les nouveaux médicaments sont des remplacements pour les médicaments qui existent déjà, ils ont une valeur économique faible voire nulle dans un monde sans brevets – mais le coût de l’ordre de 800 millions de dollars pour les mettre sur le marché, parce que l’existence de brevets oblige les producteurs à « inventer quelque chose » de sorte que l’USPTO puisse prétendre être suffisamment qu’il est différent du médicament original breveté.

Des bibliothèques ont été remplies d’ouvrages sur le lien évident entre le marketing et l’absence de concurrence. L’industrie pharmaceutique ne fait pas exception à cette règle, et la preuve que le professeur Sager, et bien d’autres, indique a une explication simple et claire: en raison de la généralisation et de l’extension sans fin et des brevets, les grandes sociétés pharmaceutiques ont pris l’habitude de fonctionner comme des monopoles. Les monopoles innovent aussi peu que possible et seulement quand ils sont forcés à, le faire ; en général, ils préfèrent passer du temps à chercher des rentes via la protection politique, tout en essayant de vendre à un prix élevé leurs vieux produits reconditionnés aux consommateurs impuissants, via des doses massives de publicité.

Les auteurs terminent avec une analyse économique des coûts sociaux et des avantages des brevets et de l’absence de brevets, et proposent des solutions dans le dernier chapitre.

Conclusions: Le mauvais, le bon et le truand

Edith Penrose, a conclu que «Si nous n’avions pas un système de brevet, il serait irresponsable, sur la base de notre connaissance actuelle de ses conséquences économiques, de recommander sa création. Mais puisque nous avons un système de brevet depuis longtemps, il serait irresponsable, sur la base de nos connaissances actuelles, de recommander son abolition

Mais les auteurs affirment: « Sur la base des connaissances actuelles » abolir progressivement mais efficacement la protection de la propriété intellectuelle est la seule chose socialement responsable à faire. […] Une vision réaliste du monopole intellectuel, c’est qu’il s’agit d’une maladie plutôt que d’un traitement. Il ne résulte pas d’un effort pour accroître l’innovation, mais d’une combinaison délétère d’institutions médiévales – les guildes, les licences royales, les restrictions commerciales, la censure religieuse et politique – et d’un comportement de recherche de rente de monopoles qui cherchent à augmenter leur richesse au détriment de la prospérité publique. [Pages 277-78]

Une myriade d’autres institutions juridiques et informelles, de pratiques commerciales et de compétences professionnelles ont grandi autour d’elle et en symbiose avec elle. Par conséquent, une élimination brutale des lois de propriété intellectuelle peut provoquer des dommages collatéraux d’une ampleur intolérable. Prenons par exemple le cas des produits pharmaceutiques. Les médicaments sont non seulement brevetés, ils sont également réglementés par le gouvernement d’une myriade de façons. Dans le système actuel, pour obtenir l’approbation de la FDA aux États-Unis, il faut des essais cliniques coûteux – et les résultats de ces essais doivent être librement accessibles aux concurrents. Certes, abolir les brevets et demander simultanément aux entreprises qui effectuent des essais cliniques coûteux de mettre leurs résultats gratuitement à la disposition des concurrents, ne peut pas être une bonne réforme. Les brevets ne peuvent être sensiblement éliminés qu’en changeant simultanément également le processus par lesquels les résultats des essais cliniques sont obtenus, d’abord, et, ensuite, mis à la disposition du public et des concurrents en particulier. [Page 278]

Les auteurs se penchent sur de nombreuses solutions intermédiaires y compris la déréglementation, les contrats privés, les subventions, les normes sociales, mais ils sont clairement convaincus (et convaincants) que l’évolution est nécessaire, même si ils sont pessimistes.

Où, aujourd’hui, est l’innovateur de logiciel qui peut trouver refuge contre les avocats de Microsoft? Où, demain, seront les compagnies pharmaceutiques qui mettront au défi les brevets des «big pharma» et produiront des médicaments et des vaccins pour les millions de victimes en Afrique et ailleurs? Où, aujourd’hui, sont les éditeurs courageux, déterminés à l’idée que la connaissance accumulée devrait être largement disponible, en défendant l’initiative de Google Book Search? Nulle part, autant que nous pouvons dire, et c’est un mauvais présage pour les temps à venir. La guerre juridique et politique entre les innovateurs et les monopoles est une vraie guerre, et les innovateurs ne peuvent pas gagner car les forces qui veulent «maintenir le cap» et «ne rien faire» sont puissants, et se développent. [Page 299]

Certes, la menace fondamentale à la prospérité et la liberté peut être rdéfaite par une réforme sensible. Mais la propriété intellectuelle est un cancer. L’objectif doit être non seulement de rendre le cancer plus bénin, mais finalement de s’en débarrasser complètement. Ainsi, alors que nous sommes sceptiques quant à l’idée d’éliminer immédiatement et en permanence les monopoles intellectuels – l’objectif à long terme ne devrait pas être inférieur à une élimination complète. Une réduction progressive de la durée des mandats des brevets et droits d’auteur serait le bon endroit pour commencer. En réduisant progressivement les termes, il devient possible de faire les ajustements nécessaires – par exemple la réglementation FDA, les techniques et pratiques d’édition, le développement logiciel et les méthodes de distribution – alors que dans le même temps il faute prendre un engagement à l’élimination finale. [Page 300]

Contre les monopoles intellectuels – acte 2

J’ai promis une suite à mon résumé de Contre le monopole intellectuel; la voici. Le livre est vraiment incontournable pour quiconque s’intéresse à l’innovation. Mais peut-être que vous voulez commencer avec une explication directe par les auteurs. Ecoutez l’interview audio ci-dessous.

Alors, comme prolongement, voici quelques questions très intéressantes:
– Est-ce que l’IP accroît l’innovation?
– Les clauses de non concurrence des contrats de travail freinent l’innovation .
Il s’agit de sujets auxquels je suis particulièrement sensible, comme vous le verrez ci-dessous grâce à des liens passés. Mais avant cela, nous suivons le livre depuis l’endroit où je m’étais arrêté.

Critique de la théorie schumpétérienne
« Bien qu’à l’origine ce n’était pas une opinion dominante dans l’économie, le point de vue de Schumpeter est maintenant en passe de devenir une orthodoxie dans la plupart des cercles. Schumpeter célèbre le monopole comme l’accomplissement ultime du capitalisme. Il fait valoir que, dans un monde dans lequel les détenteurs de propriété intellectuelle sont accapareurs, la concurrence est un processus dynamique qui est mise en œuvre via le processus de destruction créatrice. […] Combien d’industries peut-on mentionner où le mécanisme décrit dans le modèle de Schumpeter a été à l’œuvre, avec des innovateurs supplantent souvent le monopole en place, devenant ainsi un monopole à son tour aavnt d’être évincé peu après par un autre innovateur? » [Pages 189-190]

À propos de secret et de la divulgation par les brevets et droits d’auteur
« Un argument courant en faveur du droit des brevets est que, pour obtenir un brevet, vous devez révéler le secret de votre invention. […] Supposons que chaque innovation peut être gardé secrète pendant une certaine période de temps, avec une durée réelle qui varie d’une l’innovation à l’autre, et que la durée de la protection juridique des brevets est de 20 ans. Ensuite, l’innovateur choisira le secret dans les cas où il est possible de garder le secret pendant plus de 20 ans, et une protection par brevet dans les cas où le secret ne peut être tenu que pour moins de 20 ans. Dans ce cas, la protection par brevet a un effet dommageable socialement. Les secrets qui peuvent être gardés pendant plus de 20 ans sont encore conservés pour la durée maximale du temps, tandis que ceux qui sans brevet aurait été monopolisé pendant une période plus courte, sont désormais monopolisé pendant 20 ans. En effet, il est important de réaliser que, en dehors de l’industrie pharmaceutique, où le système de réglementation oblige effectivement la révélation, le secret est nettement plus important que le brevet. À plusieurs reprises, dans les enquêtes sur des laboratoires R&D ou des chefs d’entreprise, de 23% à 35% indiquent que les brevets sont un moyen efficace de retours sur l’affectation de crédits. En revanche, 51% affirment que le secret est efficace. » [Page 186]

«S’il y a une compétition pour un brevet, l’incitation est de garder secret des résultats intermédiaires de manière à empêcher les concurrents de gagner la course. En fait, il y a beaucoup de preuves que le secret et le monopole légal sont complémentaires plutôt que des solutions de rechange. Malgré le droit d’auteur, les producteurs de livres, musique et films ont agressivement tenté d’encrypter les œuvres avec les Digital Rights Management (DRM). » [Page 187]

Pire, [pour le brevet en 1 clic d’Amazon], « comme on peut le voir, le « secret » qui est révélé est à peine plus informatif que le simple constat que l’acheteur achète quelque chose au moyen d’un simple clic. » [Page 189]

« Dans le cas des créations protégeables, on peut affirmer que le changement technologique – ordinateurs et Internet – fait fortement abaisser le coût de la reproduction, et donc le modèle traditionnel selon lequel les prix descendent instantanément à zéro est pertinent. Cependant, c’est le coût relatif au montant de la rente qui compte. En effet, si l’Internet réduit la rente, il faut garder à l’esprit que la même technologie informatique réduit le coût de production des créations protégeables. Prenez la musique, par exemple. Les capacités d’édition et le matériel de studio nécessaires coûtaient des millions de dollars, il y a dix ans, il faut désormais un investissement dans du matériel informatique en milliers de dollars. Et bien avant que l’Internet commercialise la musique et les films, les auteurs pourront créer des œuvres sur leurs ordinateurs personnels sans plus de difficulté que d’écrire un livre – et en plus sans l’aide d’acteurs, de techniciens, et toutes les autres personnes qui contribuent au coût élevé de la réalisation de films. […] Que le prix tombant à zéro implique que les revenus tombent à zéro dépend de l’élasticité de la demande, la mathématique de l’infini fois zéro est compliquée par moments et c’est le cas ici. Si, en effet, la demande est élastique, alors le prix chute à zéro implique (parce que beaucoup plus d’unités sont vendues) une augmentation des recettes à l’infini. [Pages 193-194]

À propos de l’économie mondialisée
« On retrouve souvent l’argument selon lequel la libération du commerce, la croissance de nombreuses économies asiatiques, et l’abaissement des coûts de transport créent un mélange dangereux pour notre stabilité économique. En particulier, il est soutenu que nos idées et nos produits sont de plus en plus « injustement copiés », ce qui exige une certaine forme d’intervention sérieuse de nos gouvernements. En d’autres termes, la mondialisation est risquée pour nos innovateurs, et nous avons besoin de renforcer la protection de la propriété intellectuelle et de forcer les pays émergents à faire de même. » [Page 194]

« Il y a un […] argument peut-être plus subtil, mais certainement pas moins pertinent. Comme la taille du marché augmente, deux choses se produisent. D’abord plus de consommateurs sont ajoutés pour toutes ces idées que vous avez déjà produites ou que vous auriez produites de toute façon. Appelons ces idées « bonnes », car elles étaient assez bonnes pour être rentables, même quand le marché était limité. En outre, d’autres nouvelles idées, produites par de nouveaux innovateurs, vont entrer dans le jeu. Appelons ces idées «marginales», puisque si elles avaient été de bonnes idées, elles auraient été introduites, même quand le marché était limité. Maintenant, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, on diminue les distorsions de monopole pour tous les consommateurs des « bonnes » idées. Avec un marché plus vaste, beaucoup plus de consommateurs bénéficient de la plus grande utilité et la disponibilité de toutes ces « bonnes » idées. Deuxièmement, l’abaissement de la protection de la propriété intellectuelle rend plus difficile l’entrée des idées « marginales » dans le marché. Mais dans un marché plus vaste, plusieurs de ces idées « marginales » vont être produites de toute façon, comme il y a plus de consommateurs à payer pour le coût de les inventer. Ainsi, en conclusion l’augmentation de la taille du marché, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, permet de beaucoup plus utiliser de « bonnes » idées sans avoir autant d’idées « marginales ».

« Une règle simple serait que si la taille du marché augmente de 4%, la durée de protection doit être coupée de 1%. […] Malheureusement, dans le cas du droit d’auteur, les termes sont allés dans la mauvaise direction, ils ont augmentés d’un facteur 4 environ, tandis que le PIB mondial a augmenté de près de deux ordres de grandeur. Par conséquent, si la durée du copyright de 28 ans au début du 20ème siècle était socialement optimale, le terme courant devrait être d’environ un an, plutôt que le terme actuel d’environ 100 ans ! » [Page 196]

Et les auteurs ajoutent régulièrement que seules les idées déjà couronnées de succès sont copiées, donc oui il y a moins de revenus et de profits pour les succès. Encore une fois combien est assez …?

Est-ce que l’IP augmente l’innovation? [Chapitre 8]
« Un certain nombre d’historiens de l’économie, Douglass North et ses disciples avant tout, ont fait valoir que la grande accélération de l’innovation et de la productivité que nous associons avec la révolution industrielle a été causée par le développement des moyens de protéger le droit des inventeurs, en leur permettant de tirer profit de leurs innovations. Centrale parmi ces moyens était l’attribution de brevets aux inventeurs et leur respect soit par le Parlement ou par les tribunaux. Relativement aux droits contractuels très mal définis de l’Europe pré-dix-sept siècle, en proie aux violations royale et aristocratique de la propriété et des contrats, il ne fait aucun doute que de permettre aux individus un monopole temporaire mais bien défini sur les fruits de leur effort d’invention fut une étape majeure. Même la propriété monopolistique est bien meilleure qu’un système qui permet la saisie arbitraire par le riche et puissant. Cela ne signifie pas, cependant, que cela contredise notre affirmation selon laquelle les droits monopolistiques généralisés et sans cesse croissants ne sont pas aussi bénéfiques pour la société que les droits de propriété dans une concurrence bien définie. » [Page 209] « La question, alors, est celle que nous avons posée au début: Un monopole conduit-il vraiment à davantage d’innovation, en moyenne, que la concurrence? La théorie donne une réponse non-ambiguë, alors penchons-nous sur des évidences, soutenues par un peu de bon sens statistique ». [Page 210]

Après une analyse intéressante de la composition musicale avant et après les droits d’auteur [pages 211-213], les auteurs analysent les brevets. « Un certain nombre d’études scientifiques ont tenté de déterminer si l’introduction ou le renforcement de la protection des brevets conduit à une plus grande innovation en utilisant des données provenant des économies avancées d’après-guerre. Nous avons identifié vingt-trois études économiques qui ont examiné cette question de façon empirique. En résumé, ces études trouvent peu ou pas de preuve que le renforcement des régimes de brevets augmente l’innovation; ils trouvent des preuves que le renforcement du régime brevets augmente … les brevets! Ils trouvent également des preuves que, dans les pays ayant des régimes de propriété intellectuelle initialement faibles, le renforcement de la propriété intellectuelle augment le flux des investissements étrangers dans les secteurs où les brevets sont fréquemment utilisés. » [Page 216]

L’innovation peut conduire à plus de brevets, mais plus de brevets et la protection par les brevets ne conduisent pas à plus d’innovation. [Page 219]

À propos des clauses de contrat de travail [Pages 224-227]
(La Route 128, la Silicon Valley et les clauses restrictives de « non-concurrence » des contrats de travail)

« Empêcher légalement les travailleurs de propager les connaissances acquises dans les professions précédentes est un moyen inefficace pour internaliser les externalités de connaissances. »

« En 1965, la Silicon Valley et la Route 128 étaient des centres de l’emploi de la technologie d’égale importance, et avec des potentiels et des aspirations de croissance similaires. … En 1990, la Silicon Valley a exporté deux fois la quantité de produits électroniques de la Route 128, une comparaison qui exclut les domaines tels que les logiciels et le multimédia, où la croissance de la Silicon Valley a été la plus forte. »

« Qu’est-ce qui explique cette différence radicale de croissance de ces deux régions? … La seule différence significative entre les deux régions réside dans une petite mais importante différence de la législation du travail entre le Massachusetts et la Californie: Une règle de non-concurrence postérieure à l’emploi empêche les retombées de la connaissance et des savoir-faire exclusifs de l’employeur non pas, comme le fait la loi sur le secret commercial, en interdisant la divulgation ou l’usage, mais en bloquant le mécanisme par lequel le débordement se produit: les employés quittent leur emploi pour en prendre un avec un concurrent ou pour former une start-up. La loi du Massachusetts est représentative de l’approche de non-concurrence généralement adoptée à l’égard des engagements postérieurs à l’emploi par la grande majorité des Etats. La loi californienne régissant les clauses de non-concurrence est à la fois inhabituelle et radicalement différente de celle du Massachusetts. « Tout contrat par lequel quelqu’un est empêché de se livrer à une profession légale, le commerce ou les affaires de toute nature est nul. »

Le paradoxe de la Silicon Valley, c’est que la concurrence a exigé l’innovation continue, qui à son tour exige une coopération entre les entreprises. [Une citation de AnnaLee Saxenian. Il s’agit d’une de mes « obsessions » préférées comme en témoigne Le cercle vertueux des spin-off ou (en anglais) Silicon Valley – more of the same?


Le (pas si) célèbre Wagon Wheel Bar, incarnation des transferts de connaissance informels.

Nous savons qu’il y a de bonnes raisons économiques pour lesquelles il doit en être ainsi: la concurrence est le mécanisme qui engendre l’innovation, et une innovation concurrentielle durable, aussi paradoxal que cela puisse paraître à ceux qui ne le comprennent pas, est souvent mieux mise en œuvre par la coopération entre des entreprises concurrentes.

Alors que les entreprises de la Route 128 ont dépensé des ressources pour garder la connaissance secrète – inhibant et empêchant la croissance de l’industrie de la haute technologie – en Californie ce n’était pas possible. Et donc, la Silicon Valley – libérée du jalon de la monopolisation – a progressé à pas de géant quand les employés démarraient de nouvelles entreprises, rejoignaient d’autres entreprises et généralement diffusaient des connaissances utiles socialement.

A propos des inventions simultanées [Pages 229-235]
Les auteurs ajoutent des exemples intéressants où des découvertes simultanées ont été faites, y compris la triste histoire de Tesla contre Marconi. « Alors, pourquoi la N. Tesla Broadcasting Co. détint pas un monopole complet sur les communications radio aux États-Unis jusqu’à la fin des années 1920? Pourquoi Nikola Tesla est-il mort pauvre alors que Marconi s’est enrichi, sur son chemin vers un prix Nobel? Parce que alors, comme maintenant, le jeu des brevets et du monopole intellectual n’est pas du tout démocratique et ouvert aux petits gars comme le livre récent et tout à fait intéressant de Mme Khan voudrait nous le faire croire. Donc, il est vrai que Marconi, soutenu par des gens comme Edison et Carnegie, a martelé le Bureau américain des brevets jusqu’à ce que, en 1904, ils changèrent de direction et donnèrent à Marconi un brevet pour l’invention de la radio. Nous lisons: «Les raisons n’ont jamais été bien expliquées, mais le soutien financier puissant pour Marconi aux États-Unis suggère une explication possible. » […] L’histoire de l’injustice contre Nikola Tesla a une fin tragi-comique: en 1943, la Cour suprême des Etats-Unis a confirmé le brevet radio de Tesla infirmant la décision antérieure de l’office américain des brevets. Bien sûr, Tesla était mort à cette époque – et en fait, c’est pourquoi il a reçu le brevet. Le Gouvernement des États-Unis avait été poursuivi par la société Marconi pour l’utilisation de ses brevets au cours de la Première Guerre mondiale. En décernant le brevet à Tesla, ils ont éliminé la réclamation de Marconi – et ne faisant face à aucune demande similaire de Tesla, qui, étant mort, a était incapable de poursuivre. » [Pages 232-33]

Pour référence: Khan, Z. [2005], The Democratization of Invention. Patents and Copyrights in American Development, 1790-1920. Cambridge University Press.

Plus dans le 3ème et dernier acte.

Contre les monopoles intellectuels

En octobre dernier, j’ai publié un post sur l’article Un argumentaire contre les brevets de Michele Boldrin et David K. Levine. J’avais mentionné à la fin qu’il y avait aussi un livre intitulé Contre les monopoles intellectuels. Je ne l’ai pas encore fini, mais il est si étrange, puissant et complexe que je vais en parler en deux parties. Plus de détails dans quelques jours …

C’est un livre très étrange (et les auteurs sont connus pour leurs arguments depuis quelques années), car il donne des arguments contre la propriété intellectuelle (« PI »). Ils ne sont pas toujours faciles à suivre. Il s’agit d’un livre d’économie qui, parfois, souvent (mais pas toujours) confirme l’intuition qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec la PI. Oui les inventeurs, les innovateurs, les créateurs doivent être en mesure de protéger leur création contre les voleurs. Est-ce que cela signifie qu’ils doivent avoir un monopole (brevets) ou le droit d’empêcher la copie de leur travail (droit d’auteur)? C’est ce à quoi les auteurs tentent de répondre. Vous pouvez maintenant lire mes commentaires, mais je vous conseille vivement de lire le livre et ses arguments complexes et fascinants, même si à la fin, vous n’êtes pas d’accord avec eux! En guise de provocation, ils terminent leur 1er chapitre avec: « Cela nous amène à notre conclusion finale: la propriété intellectuelle est un mal non nécessaire ». [Page 12]

Un de leurs arguments les plus forts est le suivant: « On entend souvent dire, surtout dans les industries de la biotechnologie et des logiciels, que les brevets sont une bonne chose pour les petites entreprises. Sans les brevets, les petites entreprises n’auraient pas de pouvoir de négociation et ne pourraient pas défier les grandes entreprises. Cet argument est fallacieux pour au moins deux raisons. D’abord, il n’a même pas été envisagé l’hypothèse la plus évidente: combien de nouvelles entreprises seraient créées si les brevets n’existaient pas, c’est à dire si les entreprises dominantes n’empêchaient pas leur entrée en détenant des brevets sur à peu près tout ce qui est raisonnablement faisable? Pour une petite entreprise trouvant une niche dans la forêt des brevets, combien ont été tenues à l’écart par le fait que tout ce qu’elles voulaient utiliser ou produire avait déjà été breveté mais pas sous licence? Deuxièmement, les gens en faisant valoir que les brevets sont bons pour les petites entreprises ne se rendent pas compte que, en raison du système des brevets, la plupart des petites entreprises de ces secteurs sont obligées de se constituer en sociétés d’une seule idée, visant seulement à être achetée par le gros acteur. En d’autres termes, la présence d’un maquis de brevets crée une incitation à ne pas concurrencer le monopole, mais simplement à trouver quelque chose de précieux pour l’alimenter, via un nouveau brevet, au prix le plus élevé possible, et puis sortir du chemin. » [Page 82]

Ce qui suit n’est pas loin d’être aussi fort: « L’incitation à partager de l’information est particulièrement forte dans les premiers stades d’une industrie, où l’innovation est rapide et furieuse. Dans ces premières phases, les contraintes de capacité de production sont si contraignantes que les réductions de coûts des concurrents ne font pas pour autant baisser les prix, parce que ce dernier est complètement déterminé par la volonté des consommateurs à payer pour un bien nouveau et rare. L’innovateur analyse correctement le fait qu’en partageant son innovation, il ne perd rien, et même qu’il peut bénéficier des améliorations de ses concurrents. Les gains économiques liés à l’abaissement de ses coûts ou à l’amélioration de ses propres produits, lorsque les contraintes de capacité sont fortes, sont si grands qu’ils éclipsent facilement les gains liés au monopole. C’est seulement quand une industrie est mature, quand la réduction des coûts ou l’amélioration des innovations de qualité sont plus difficiles à mettre en œuvre ou que les capacités de production ne sont plus une contrainte sur la demande que les bénéfices du monopole deviennent pertinents. En résumé, les entreprises dans les industries jeunes, créatives et dynamiques s’appuient rarement sur les brevets et droits d’auteur, tandis que celles appartenant à des industries stagnantes, inefficaces et obsolètes font un lobbying désespéré pour toutes sortes de protections de la propriété intellectuelle. » [Page 153]

Vous pouvez vous arrêter là! Ou lire des extraits supplémentaires ci-dessous, ou comme je l’ai conseillé aller lire leur livre …

« Un fait essentiel, cependant, est que la séquence causale suivante n’a jamais eu lieu, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde: L’organe législatif aurait adopté une loi disant que « la protection par brevet est étendue aux inventions réalisées dans le domaine X », où X serait un domaine encore non développé de l’activité économique. Quelques mois, années, voire décennies après que la loi a été adoptée, les inventions ont cru dans le domaine X, qui s’est rapidement transformé en une nouvelle industrie, innovatrice et florissante. En effet, la brevetabilité est toujours venue après que l’industrie avait déjà émergé et évolué selon ses propres termes. Un test un peu plus fort, que nous devons à un lecteur doutant de notre travail, est le suivant: peut-on parler d’un seul cas d’une nouvelle industrie ayant émergé grâce à la protection des lois sur les brevets. Nous pourrions exister? Nous n’avons pas trouvé de tels exemples, et notre lecteur sceptique non plus. Étrange coïncidence, n’est-ce pas? » [Page 51]

« En Italie, les produits et procédés pharmaceutiques n’étaient pas couverts par des brevets jusqu’en 1978, de même en Suisse pour les processus jusqu’en 1954, et pour les produits jusqu’en 1977 ». [Page 52]

« Les entreprises devaient indiquer si des méthodes particulières avaient été efficaces dans l’appropriation des bénéfices d’une innovation. Le tableau ci-dessous montre le pourcentage d’entreprises indiquant quelle technique particulière avait été efficace. Les chiffres entre parenthèses sont les chiffres correspondants aux industries du matériel médical et pharmaceutique respectivement (ce sont les deux secteurs dans lesquels le plus fort pourcentage des répondants ont indiqué que les brevets sont efficaces). [Page 68]

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« Alors que les portefeuilles de brevets ont l’avantage d’éliminer les effets néfastes des brevets au sein d’une communauté – ils laissent les externes, eh bien, à l’extérieur. » [Page 70]

« Plus tard dans le livre nous parlons du modèle d’«efficacité dynamique» de Schumpeter via la «destruction créatrice». Ce dernier rêve d’un flux continu d’innovations grâce à de nouveaux entrants doublant les acteurs établis, atteignant un nouveau stade de monopole, jusqu’à ce que de nouveaux innovateurs prennent rapidement leur place. Dans cette théorie, les nouveaux arrivants travaillent comme des fous pour innover, attirés par les énormes profits qu’ils feront en situation de monopole. Notre simple observation est que, du même coup, les monopole vont également travailler comme des fous pour conserver leurs énormes profits de monopole. Il y a une petite différence entre acteurs établis et nouveaux entrants: Les premiers sont plus gros, plus riches, plus forts et beaucoup mieux connectés. David a peut-être gagné une fois dans le passé lointain, mais Goliath a tendance à gagner beaucoup plus souvent ces derniers temps. D’où l’inefficacité de la PI ». [Page 76]

« Nous comprenons que le lecteur attentif réagisse à cet argument en pensant « Eh bien, les médicaments contre le sida ne sont peut-être pas chers à produire, maintenant qu’ils ont été inventés, mais leur invention coûte un montant substantiel d’argent que les compagnies pharmaceutiques doivent récupérer. Si elle ne peuvent pas les vendre à un prix assez élevé, elles font des pertes, et cesseront de faire des recherches pour lutter contre le sida. » Cet argument est correct, en théorie, mais pas si clair et évident dans les faits. Pour éviter de s’écarter de la ligne principale de l’argumentation dans ce chapitre, nous reconnaissons simplement la pertinence théorique de ce contre-argument, et nous reportons le débat jusqu’à notre avant-dernier chapitre, qui porte sur la recherche pharmaceutique. Pour l’heure, deux mises en garde devraient suffire. Le mot clé dans la déclaration qui précède est « assez »: à combien doivent s’élever les profits pour être considérés comme suffisants. La seconde faiblesse est un peu plus subtile car il est question de la discrimination du prix, et nous l’examinons plus loin. » [Page 77] Il y a un chapitre entier sur la pharma, que je n’ai pas encore lu et je vais probablement le couvrir dans la partie 2 de cet article.

Jerry Baker, vice-président d’Oracle Corporation: « Nos ingénieurs et avocats de brevet m’ont informé qu’il peut être pratiquement impossible de développer un produit logiciel complexe aujourd’hui sans porter atteinte à de nombreux brevets existants… Comme stratégie défensive, Oracle a dépensé de l’argent et des efforts pour se protéger en déposant sélectivement des brevets qui présenteront les meilleures possibilités de licences croisées entre Oracle et d’autres sociétés qui pourraient prétendre de manière substantielle à contrefaçon de brevet. Si un tel demandeur est également un développeur de logiciels et de commercialisation, nous pouvons espérer être en mesure d’utiliser nos demandes de brevet comme monnaie d’échange de licences croisées et laisser notre business inchangé. » [Page 80]

Roger Smith d’IBM: « Le portefeuille de brevets d’IBM nous donne la liberté de faire ce que nous souhaitons faire par le biais de licences croisées, il nous donne accès à des inventions des autres qui sont essentielles à des innovations rapides. L’accès est bien plus précieux pour IBM que les redevances qu’elle reçoit de ses 9’000 brevets actifs. Il n’y a pas de calcul direct de cette valeur, mais elle beaucoup plus grande que le revenu tiré des droits, peut-être d’un ordre de grandeur. » [Page 84]

« Remarquez, en particulier, que le dépôt de brevets se trouve être un substitut à la R&D, ce qui conduit à une réduction de l’innovation. Selon le calcul des auteurs [Bessen et Hunt], l’activité d’innovation dans l’industrie du logiciel aurait été environ 15% plus élevée en l’absence de protection par brevet pour un logiciel ». [Page 92]

Un exemple extrême d’aberrations dans le brevet US 6025810: « La présente invention traite de transmission d’énergie, et au lieu de l’envoyer dans le temps et dans l’espace normal, elle crée un petit trou dans une autre dimension, et ainsi, envoie de l’énergie par un endroit qui permet à la transmission d’énergie de dépasser la vitesse de la lumière. » [Page 101]

Les arguments en faveur de la propriété intellectuelle sont connus et cités à nouveau par Levine et Boldrin … « Afin de motiver la recherche, des innovateurs doivent être compensés d’une certaine manière. Le problème fondamental est que la création d’une nouvelle idée ou design … est coûteux … Il serait efficace ex post de rendre les inventions existantes librement accessibles à tous les producteurs, mais cette pratique ne parvient pas à fournir ex ante les incitations pour d’autres inventions à venir. Un compromis émerge … entre les restrictions sur l’utilisation des idées existantes et les récompenses à l’activité inventive. » [Page 176]

Plus de détails dans la partie 2 ….

Un argumentaire contre les brevets

Grâce à des collègues Français avec qui j’échange sur le système d’innovation de mon pays, j’ai découvert Michele Boldrin et David K. Levine.

Leur Case Against Patents (document pdf ici) est un étrange ouvrage en raison des positions extrêmes de ses auteurs. je crois ourtant que ce document de 25 pages mérite une lecture attentive, mais si vous êtes pressés, en voici de longs extraits (avec mes commentaires en italique). J’ai déjà mentionné ici les problèmes que me posent les brevets comme dans La propriété intellectuelle à bout de souffle ? or Les brevets freinent l’innovation, supprimons-les ! (bien que ce titre ne soit pas de moi) ou encore Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume du VC?. le sujet n’est donc pas nouveau pour moi.



[Page 1]
Il n’existe aucune preuve empirique que les brevets améliorent l’innovation et la productivité […] il y a des preuves solides, au contraire, que les brevets ont de nombreuses conséquences négatives.

[Page 2]
Il ne fait aucun doute que l’obtention d’un monopole comme une récompense pour l’innovateur augmente l’incitation à innover. Il ne fait non plus aucun doute que l’octroi d’un monopole pour une raison quelconque, a de nombreuses conséquences néfastes que nous associons au pouvoir d’un monopole – l’élément e plus important (et négligé) est l’incitation à s’engager dans une action politique pour préserver des rentes et étendre son monopole ou, pour ceux qui ne l’ont pas encore, pour essayer de l’obtenir.

À propos de la diffusion de l’innovation [pages 2-3]
Un deuxième avantage souvent cité des systèmes de brevets – mais pas tellement dans la littérature économique – serait la notion que les brevets sont un substitut au secret commercial (qui est lui socialement coûteux) et les brevets amélioreraient donc la communication des idées. […] Mais bien au contraire, les entreprises donnent en général des instructions à leurs ingénieurs d’éviter d’étudier des brevets existants afin d’être épargnées de demandes ultérieures de violation intentionnelle.

Ce que je peux confirmer avec la réponse suivante que j’ai eue il y a quelques années, lorsque j’explorais une possibilité licence de propriété intellectuelle à l’entreprise XXX: «Les avocats de XXX informent les employés de XXX de ne pas lire des demandes de brevet car cela pourrait empêcher ces employés d’explorer des idées dans des domaines proches. Si vous êtes intéressé par la vente de propriété intellectuelle, la seule fois où XXX a acheté de la propriété intellectuelle, c’est en acquérant une start-up développant cette propriété intellectuelle. »

À propos de la pharma [pages 4-5]
En général, le coût fixe de production d’un logiciel est faible – même si on estime que Apple a dépensé 150 millions de dollars pour le développement de l’iPhone. Ceci, cependant, n’est rien en comparaison du coût de développement de nouveaux médicaments – qui est estimé à près de 1 milliard de dollars – somme similaire à l’élaboration d’un nouveau modèle de voiture. Fait intéressant, il est vrai aussi que – à la fois selon des enquête et des preuves anecdotiques – les brevets jouent un rôle important dans la promotion de l’innovation dans l’industrie pharmaceutique tout en jouant un rôle mineur dans l’industrie automobile – dans la mesure où de nouveaux composants et même les usines sont souvent développés par des consortiums ou joint-ventures de producteurs, pourtant souvent concurrents forcenés, lorsqu’ils commercialisent différentes marques automobiles. La pertinence des brevets dans l’industrie pharmaceutique n’est probablement pas due aux coûts fixes élevés mais plutôt au fait que la divulgation dans le cas de médicaments est plus significative que dans celui des voitures et pour la plupart des autres produits [Le semiconducteur est un autre bon exemple]. La formule chimique et l’efficacité de la cure établie par des essais cliniques sont accessibles aux concurrents pour l’essentiel, quasi-gratuitement et c’est le second point qui représente environ 80% du coût fixe initial (de plus ces essais cliniques sont un bien public produit par le secteur privé en raison d’un choix politique.) […] Divers économistes, ayant des opinions différentes sur la propriété intellectuelle, ont cependant fait valoir que si l’intervention du gouvernement est en effet nécessaire dans ce marché, un système de prix serait de loin supérieur à l’actuel système de monopoles.

Sur les innovations matures et la PI [page 5]
Alors que l’industrie se développe, la demande se stabilise et devient beaucoup moins élastique; la possibilité de réduction des coûts des innovations diminue, les avantages d’un monopole croissent et le potentiel d’innovation est également réduit. Généralement, il y a un « shake-out » dans lequel de nombreuses entreprises quittent l’industrie ou sont rachetées. L’industrie automobile est un exemple classique de ce mouvement, mais plus récemment l’éclatement de la « bulle Internet » en est une meilleure illustration. A ce stade, la recherche de rente devient importante et les brevets sont largement utilisés pour inhiber l’innovation, empêcher les entrées et encourager les sorties.
[Page 11] De même, apparemment, les chercheurs en organisation de la plupart des pays industrialisés, essaient de comprendre pourquoi les brevets sont ignorés ou à peine utilisés dans les industries nouvelles et compétitives tout en étant très appréciés et sur-utilisés dans les domaines mûrs et très concentrés.
[Page 20] Dans les nouvelles industries comme la biotechnologie et les logiciels où l’innovation était en plein essor en l’absence de brevets, des brevets ont été mis en place. Compte tenu de cette extension continue, y a t-il eu une augmentation substantielle de l’innovation ces dernières années? Au contraire, il est évident que la récente explosion des brevets aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon, n’a pas apporté quelque chose de comparable en termes d’innovations utiles et de productivité globale.

Ici aussi je note que ni le microprocesseur, ni l’internet ne furent brevetés; de plus quand l’internet fut ouvert à des applications commerciales ou quand le brevet du transistor fut licencié à de multiples acteurs (ce qui revenait presque à le mettre dans le domaine public), alors les innovations connexes se multiplièrent.

À propos des patent trolls et des NPE (entités non pratiquantes) [page 8]
Malgré le fait que les brevets sont principalement utilisés pour la course aux armements et que ceux-ci, à leur tour, sont développés par des patent trolls, il n’y a pas de modèles formels décrivant la manière dont cela peut inhiber une entrée inefficace. Dans la théorie de la course aux armements, si toutes les entreprises contrebalancent leurs portefeuilles de brevets et si toutes innovent, alors elles auraient innové aussi en l’absence de brevets – donc les brevets ne servent pas à encourager l’innovation. D’autre part, si (comme Microsoft ou d’autres patent trolls) vous n’avez pas un produit, vous ne pouvez pas être contre-attaqué, et donc vous pouvez utiliser les brevets pour partager les bénéfices sans faire le travail – en conséquence les brevets découragent l’innovation et sont un gaspillage pur et simple d’un point de vue social.

Le système des brevets est cassé, mais peut-il être réparé? [Pages 9-10]
Il y a peu de doute que pour les économistes un système de brevets bien conçu permettrait d’encourager l’innovation. Il est généralement admis que le système des brevets tel qu’il existe sert à encourager l’innovation, mais que le système des brevets tel qu’il existe est cassé […] Si un système de brevets bien conçu peut servir, pourquoi recommandons-nous de le supprimer? Pourquoi ne pas, au contraire, le réformer? Pour répondre à la question, nous devons étudier l’économie politique des brevets: pourquoi le système politique a-t-il conduit au système des brevets que nous avons? Notre argument est qu’il ne peut pas en être autrement. […] D’un côté, nous comprenons la défense traditionnelle de brevets idéaux comme prévue par un planificateur bienveillant mais, de l’autre, nous voyons que le droit des brevets est essentiellement conçu par des groupes d’intérêt désireux d’augmenter leurs rentes de monopole, et non pas le bien commun global.

Aucune incitation aux réformes [page 12]
Il y a beaucoup d’acteurs dans l’industrie des brevets, mais « les consommateurs » n’en font pas partie. Du côté des déposants potentiels, il y a les inventeurs individuels, les entreprises qui inventent et les patent trolls, qui n’inventent jamais rien mais n’en déposent pas moins. De l’autre côté se trouve les offices des brevets, les avocats qui déposent des brevets et plaident et enfin les tribunaux où les litiges sont réglés. Les règles du jeu sont établies – mais seulement en partie – par la puissance publique, et dans la mesure où les intérêts de la population en général sont concernés, ce sont ces acteurs qui les représentent. Comme le dépôt de brevet est un sujet technique dont peu d’électeurs-citoyens ont la moindre connaissance – et peu sont susceptibles d’avoir une connaissance détaillée des conséquences des systèmes de brevets – les intérêts des électeurs ne sont pas bien représentés du tout, au contraire des intérêts concurrents des autres acteurs. […] Il doit être clair, alors, que compte tenu de l’ensemble de ces acteurs et de leurs motivations, le marché des brevets ne peut avoir qu’un seul équilibre au fil du temps, qui est celui que nous avons observé. […] A chaque étape de ce processus d’élargissement, la principale force motrice a été les efforts de recherche de rente des grandes entreprises riches en liquidités mais incapables de faire face à de nouveaux concurrents créatifs. Avocats de brevets, employés des offices de brevets et patent trolls ne sont en fait que la chair à canon des grands groupes.

Abolition des brevets [page 20]
L’abolition des brevets ne peut sembler que « vœu pieux » et il y a certainement beaucoup de mesures provisoires qui peuvent être prises pour atténuer les dommages: interpréter correctement la non-évidence d’inventivité, exiger une véritable divulgation des méthodes et défendre l’invention indépendante contre la contrefaçon sont utiles et – parmi les économistes – considérées comme acceptées. Mais pourquoi utiliser un cautère sur une jambe de bois? Les économistes se sont battus pendant des décennies – et, finalement, avec beaucoup de succès – pour abolir les restrictions commerciales. Il n’échappera pas au lecteur attentif que les brevets sont très semblables aux restrictions commerciales, car elles empêchent la libre entrée des concurrents sur les marchés nationaux, ce qui réduit la croissance des capacités de production et ralentit la croissance économique. De la même manière que les restrictions commerciales ont été progressivement réduites jusqu’à atteindre une (presque complète) abolition, une approche semblable (quoique, je l’espère moins lente) devrait être adoptée pour «se débarrasser» des brevets. De plus, en raison de la nature des brevets limitée dans le temps, il est relativement facile de les éliminer par une mise en place progressive de durées de brevets de plus en plus courts. Cette approche prudente a aussi l’avantage que si la réduction de la durée des brevets a en effet un effet catastrophique sur le processus d’innovation, elle peut être facilement inversée.
[…]
Les brevets ne devraient être autorisés que lorsque le pouvoir de monopole est justifié par des preuves au sujet des coûts fixes et de l’absence réelle d’appropriabilité.
[…]
Les résultats de la recherche subventionnés par la puissance publique ne doit pas conduire à la création de nouveaux monopoles privés, mais devrait être disponible pour tous les participants du marché. Cette réforme serait particulièrement utile pour l’industrie pharmaceutique.

je n’ai pas (encore) lu leur Against Intellectual Monopoly mais je vais sans doute le lire étant donné la profondeur de leur analyse. Comme ils le disent eux-mêmes, tout ceci n’est peut-être que « vœu pieux », irréaliste et donc inutile, et je devine aussi une approche libertarienne derrière tout cela. Mais une fois encore, je crois que leurs arguments méritent que l’on s’y arrête plus longuement que la simple lecture de ce long résumé.

La propriété intellectuelle à bout de souffle ?

Voici ma deuxième contribution à Entreprise Romande après un article sur la difficulté à innover.

Droits d’auteurs, brevets, marques. Jamais la propriété intellectuelle («PI») n’a fait autant parler d’elle, mais serait-elle victime de son succès ? Elle devient en effet l’outil quasi-exclusif des puissants et pire, elle est peut-être un frein à l’innovation qu’elle est censée encourager.

En juillet 2011, un consortium réunissant Apple, Microsoft, Sony rachetait 6 000 brevets du défunt Nortel pour $4.5 milliards, En août 2011, Google répliquait en rachetant les brevets de Motorola Mobile pour $12,5 milliards. Enfin en septembre 2011, les Etats-Unis annonçaient une réforme majeure de leur loi sur les brevets, l’America Invents Act. Ces trois événements en un seul été viennent confirmer la place de plus en plus prépondérante de la PI dans le monde des affaires. Pourtant je crois qu’il s’agit plutôt de mauvaises nouvelles!

Nouveaux privilèges

Si un dépôt de brevet ne coûte que quelques centaines de dollars et quelques dizaines de milliers à maintenir sur 20 ans, en garantir la protection en cas de litige juridique se comptera en millions de dédommagements et frais d’avocats. Toute entreprise aux reins fragiles pourra être morte bien avant d’obtenir réparation ou de prouver son innocence. Malheur aux faibles ! Les grandes entreprises ne sont pas les seules à l’avoir compris, puisque sont apparues depuis quelques années des sociétés spécialisées dans la valorisation de portefeuilles de PI («patent trolls») sans la moindre ambition de vendre des produits ou services autour de celle-ci. Et les européens ne doivent pas croire que le problème n’est qu’américain comme l’illustre la récente bataille entre Nokia et l’Allemand IPCom.

On est loin de l’origine des brevets et du droit d’auteur consolidés par les révolutions de la fin du XVIIIème siècle. Il était question de mettre fin au monopole du corporatisme et de soutenir inventeurs et créateurs. Loin de moi l’idée de pousser à la disparition de la propriété intellectuelle. Je ne citerai que l’exemple du laser dont la saga des brevets a au moins permis un magnifique livre, plus proche du thriller que de la physique ardue d’où il est né, Laser: The Inventor, the Nobel Laureate, and the Thirty-year Patent War. Mais je ne suis plus du tout convaincu que la PI pourrait aujourd’hui permettre ce qui avait été possible il y a presque 50 ans avec le laser. Et déjà au XIXème siècle, des mouvements abolitionnistes étaient apparus, conscients des limites d’un système instaurant de nouveaux privilèges.

Freins

L’autre débat autour de la PI est parfaitement résumé par un récent article de la ParisTech Review : « les brevets freinent-ils l’innovation ? » L’histoire est-elle aussi ancienne : Boldrin et ses co-auteurs [1] affirment que les développements de la machine à vapeur ont été freinés par des brevets déposés en 1769. Sait-on que le microprocesseur d’Intel ne fut jamais protégé, ni même bien sûr l’Internet ; et c’est plus ou moins contraint que Bell Labs accorda des licences sur le transistor, événement qui est peut-être à la naissance de culture de la Silicon Valley : « Dans les années 70 et 80, de nombreux ingénieurs de chez Fairchild, National et autres se rencontraient autour d’une bière pour parler des problèmes qu’ils rencontraient dans la production ou la vente de semi-conducteurs. Le Wagon Wheel Bar était un lieu de rencontres où même les concurrents les plus vifs échangeaient des idées. » Ayant récemment visité LinkedIn, j’y ai entendu des ingénieurs raconter comment ils résolvent certains problèmes avec leurs collègues chez Facebook. Discuter avec Apple ou Google semble beaucoup plus difficile.

La propriété intellectuelle n’est pas la réponse à tout et dans son évolution actuelle, elle pose plus de nouveaux problèmes qu’elle n’en résout. La réforme des brevets américains suscite déjà maintes critiques. Quant à l’Europe, elle semble bloquée dans ses égoïsmes nationaux puisqu’il n’existe pas de brevet européen et son refus des brevets sur le logiciel ou les modèles d’affaire ne lui donnent pas le moindre avantage. Dans un monde dématérialisé et globalisé, la PI doit protéger le créatif, pour mieux permettre la diffusion des idées et des techniques. Le mouvement « open source » dans le logiciel et les récentes expériences de diffusion d’œuvres artistiques exclusivement sur Internet montrent que de nouvelles approches sont possibles sans tuer ni les affaires, ni l’innovation. Mais il semble que les craintes des acteurs établis l’emportent sur la passion et la prise de risque des créateurs.

-[1] Do Patents Encourage or Hinder Innovation? The Case of the Steam Engine. Patent Law Is Highly Controversial. Michele Boldrin, David K. Levine, and Alessandro Nuvolari.
Laser: The Inventor, the Nobel Laureate, and the Thirty-year Patent War. Taylor, Nick (2000). New York: Simon & Schuster
Les brevets freinent-ils l’innovation ? Paristech Review, septembre 2011

PS: Au moment d’écrire ce texte, je n’avais pas encore pris la mesure de la guerre Apple-Samsung

Les brevets freinent l’innovation, supprimons-les !

Mon premier post pour 2012 une interview que j’ai donnée au magazine français La Recherche. Il a été publié en décembre dernier et vous pouvez avoir une version électronique ici ou un document pdf en cliquant sur la page de couverture ci-dessous. Le texte intégral suit. Maintenant, je dois dire que j’ai été un peu surpris par le titre que je n’avais pas prévu. J’avais plus pensé à quelque chose comme « Les start-up sont les parents pauvres de l’innovation ! » Le titre montre mes doutes sur la propriété intellectuelle et sur les brevets en particulier. Il est certainement trop fort, mais c’est ce pour quoi les titres sont faits…

Les brevets freinent l’innovation, supprimons-les !

L’innovation est affaire de culture. Admirateur de la Silicon Valley qu’il fréquente depuis vingt ans, Hervé Lebret invite l’Europe à s’inspirer du dynamisme et de la créativité de ses start-up. Mais tout est-il bon à prendre dans ce modèle ?

La Recherche : Un rapport de la Commission européenne souligne que l’Union est de plus en plus distancée par les États-Unis en termes d’innovation avec un niveau de recherche comparable [1]. Comment l’expliquez-vous ?
Hervé Lebret : La principale raison de ce retard de l’innovation en Europe est culturelle. J’ai toujours été frappé de voir à quel point les étudiants aux États-Unis s’intéressent aux applications de leurs recherches, alors que l’on pense plus en Europe en termes de connaissances. Et puis il y a les figures de jeunes créateurs d’entreprise ayant connu le succès. C’est frappant dans la Silicon Valley : Bill Gates a 20 ans quand il fonde Microsoft ; Steve Jobs 21 quand il crée Apple ; Larry Page et Sergey Brin, 25 quand ils créent Google. Ce sont de puissants modèles auxquels un jeune peut s’identifier.
Ce même rapport soutient qu’une des raisons du retard européen est en partie liée aux différences du système des brevets, plus complexe et plus onéreux en Europe. Qu’en pensez-vous ?
H.L. Je suis sceptique quant au rôle des différences législatives. C’est dans la tête des gens que cela se passe : aux États-Unis, ils ont envie d’essayer, n’ont pas peur de l’échec. Je ne suis pas convaincu que l’on soit plus innovant parce que l’on a plus de brevets. Voyez la Suisse, qui possède le plus grand nombre de brevets par habitant : ce pays ne crée pas beaucoup de start-up. Les politiques incitatives ne marchent que s’il existe un terrain culturel favorable.
Mais les brevets ne sont-ils pas un élément clé pour une entreprise innovante, dont la valeur repose souvent sur sa propriété intellectuelle ?
H.L. Les logiciels ne sont pas brevetables, mais cela n’a pas empêché Microsoft de connaître le succès que l’on sait. Quitte à être iconoclaste, je pense que les brevets sont un frein à l’innovation. Je me demande s’il ne faudrait pas les supprimer, sauf peut-être dans des domaines particuliers, telles les biotechnologies, où un brevet correspond grosso modo au procédé de fabrication d’une molécule. Mais dans la plupart des domaines industriels, il faut des milliers de brevets pour protéger une innovation commercialisée. L’entretien très onéreux de ce portefeuille de brevets mobilise de l’argent qui pourrait être mieux utilisé dans la recherche et l’innovation. Là où le brevet favorisait l’inventeur, il est devenu une arme défensive pour préserver des positions dominantes. Regardez la guerre entre Apple et Google : le premier reproche au second d’avoir développé son système d’exploitation des téléphones mobiles Android en violant certains de ses brevets. Cela va à l’encontre de la théorie classique selon laquelle le brevet est la protection du faible, qui peut développer une idée durant des années sans craindre de se la faire prendre.
La faiblesse du capital-risque, qui priverait les jeunes entreprises innovantes des capitaux nécessaires à leur développement, explique-t-elle en partie les carences de l’innovation en Europe ?
H.L. Contrairement à une idée reçue, il y a toujours eu du capital-risque en Europe, et en particulier en France. Ce n’est pas un problème quantitatif, mais qualitatif : le capital-risque, en Europe, est géré par des gens qui viennent de la finance ou de la consultance, pas de l’entrepreneuriat. Là encore, c’est une différence culturelle. C’est en train de changer. D’anciens entrepreneurs se mettent à créer des fonds de capital-risque ou à devenir business angels. En France, je pense à Bernard Liautaud, fondateur de l’éditeur de logiciel Business Objects, ou à Xavier Niel, fondateur de l’opérateur de téléphonie Free, qui ont tous deux rejoint des fonds de capital-risque. Les fondateurs de Skype, eux, ont créé Atomico, leur propre fonds.
Vous ne cachez pas votre admiration pour la Silicon Valley. Si le secret de son dynamisme est, comme vous le soutenez, d’ordre culturel, comment peut-on s’en inspirer en Europe ?
H.L. On peut s’inspirer d’usages, de pratiques, notamment la coopération. Dans la Silicon Valley, la curiosité est partagée. Les gens savent que l’échange d’idées est fructueux, et ne craignent pas de se faire voler leurs idées. Les deux fondateurs de Google étaient doctorants dans deux laboratoires rivaux de l’université Stanford, mais ils se sont parlé ! Il n’est pas rare que l’on s’adresse à son compétiteur pour résoudre ses problèmes : dans les années 1960, les principaux acteurs de l’industrie californienne des semi-conducteurs se retrouvaient au Wagon Wheel Bar, à Mountain View, pour discuter de leur travail. En Europe, beaucoup de laboratoires, académiques et plus encore privés, ont une culture du secret, ils craignent l’échange.
Que mettez-vous en œuvre à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où vous enseignez, pour développer ce goût de l’innovation et de l’entrepreneuriat chez les étudiants ?
H.L. Je crois beaucoup au rôle des modèles exemplaires. J’organise donc des conférences avec des entrepreneurs qui ont réussi pour qu’ils fassent partager leur expérience. Cela montre aux étudiants que ce sont des passionnés qui n’ont pas eu peur d’essayer, même si à peine un sur mille rencontre le succès. Ils donnent envie. Mais l’envie n’est rien sans les moyens. D’où le programme « Innogrants » que je gère : un salaire de un an pour un jeune chercheur qui est libéré de ses activités de recherche et d’enseignement pour pouvoir se consacrer à son projet d’innovation. Si cela marche, on espère que le privé prenne la suite. Cinquante Innogrants ont été attribués en cinq ans. La moitié d’entre eux ont débouché sur la création de sociétés en sciences de la vie, en micro- ou nanoélectronique ou en technologies de l’information. Et cinq d’entre elles ont trouvé des investisseurs privés.
Cela reste tout de même modeste…
H.L. Oui, il faut rester humble : tout ce que nous pouvons faire est de créer un terrain favorable à la création d’entreprises innovantes, comme nous le faisons avec les Innogrants. Au total, depuis quinze ans, il se crée environ une dizaine de start-up par an à l’EPFL. Une quinzaine ont levé du capital risque, 300 millions d’euros en tout. Quatre ou cinq ont été vendues à des groupes industriels, parfois très cher. Endoart, une société fondée en 1998 à l’EPFL spécialisée dans la fabrication d’implants médicaux contrôlables à distance, a ainsi été revendue neuf ans plus tard 100 millions de dollars à l’américain Allergan ! Mais on sent bien qu’il y a une sorte de modestie, d’auto-limitation des entrepreneurs européens par rapport à leurs homologues américains.
Un ancien chercheur de l’EPFL reprochait à la direction de cette université de « recopier aussi scrupuleusement que possible le modèle de l’université étatsunienne » [2]. Tout vous paraît-il bon dans le modèle américain ?
H.L. Ces critiques portent sur la science, pas sur l’innovation. La mise en compétition permanente des chercheurs, l’instabilité des statuts n’est pas une bonne idée dans la recherche. Il est très important de laisser des imaginations s’exprimer. Il y a un grand danger à maintenir les gens sous pression permanente. Mais en matière d’innovation, le modèle américain fonctionne.
Vous estimez qu’au plus une start-up sur mille rencontre le succès. Cela ne constitue-t-il pas quand même un énorme gaspillage ?
H.L. Il ne faut pas tout mesurer en termes d’argent ou de rendement. Ce qui compte, c’est la créativité. Pour moi, la Silicon Valley c’est la nouvelle Athènes. Comme la Grèce, c’est une culture : tout ce qui est sorti de cette région en cinquante ans est fabuleux. Les technologies du numérique qui y ont été inventées ont changé pour toujours notre manière de nous informer, de nous cultiver et de nous divertir. C’est sans doute pour cela que la mort de Steve Jobs, qui en était un personnage emblématique, a eu tant de retentissement en octobre dernier. Par ailleurs, si l’on raisonne en termes macroéconomiques, je ne pense pas que le modèle américain repose sur un gaspillage. Aux États-Unis, le capital-risque pèse une vingtaine de milliards de dollars par an. Depuis vingt ans, 400 milliards ont donc été investis. Et une seule entreprise, Google, en vaut aujourd’hui 200. Au final, la création de valeur économique est à la hauteur de l’argent qui a été investi. C’est un succès collectif, même s’il est fondé sur des milliers d’échecs individuels, qui sont souvent très durs humainement.

L’entrepreneur doit être placé au centre de la politique de l’innovation

Les 200 milliards de dollars de capitalisation boursière de Google ne sont-ils pas exagérés par rapport à la valeur réelle de l’entreprise ?
H.L. Le monde du capital-risque est hélas devenu un actif financier comme un autre. Ce n’est plus un monde d’anciens entrepreneurs qui poursuivent leurs affaires tout en investissant dans celles d’autres. Il y a trop d’argent, trop de spéculation dans le capital-risque américain. Mais je rappelle que les start-up sont apparues bien avant le Nasdaq, la Bourse où s’échangent les actions d’entreprises de haute technologie. La Silicon Valley a commencé dans les années 1960 et 1970, dans le contexte de la contre-culture californienne. Steve Jobs n’hésitait pas à dire qu’une partie de sa créativité venait de la consommation de drogue lorsqu’il était jeune. La financiarisation de l’économie n’a débuté que dans les années 1980. À l’origine, les financiers n’étaient que les mécènes de grands créateurs. Cela dit, je pense que la tendance actuelle des grands groupes à restreindre leurs dépenses de recherche et développement est catastrophique. Les actionnaires veulent 15 % de rentabilité et poussent à couper dans les dépenses de recherche. De bonnes start-up ne peuvent naître que s’il y a aussi de la bonne recherche privée.
Allons-nous de ce fait vers un essoufflement du dynamisme de l’innovation technologique ?
H.L. Je suis en effet préoccupé par la panne actuelle que semble connaître l’innovation : les années 1970 ont été marquées par le transistor ; les années 1980 par l’ordinateur personnel ; les années 1990 par les réseaux. Mais dans les années 2000, je ne vois rien de bien nouveau. Le web 2.0 n’est pas une révolution technologique, c’est une consolidation. C’est plus général : la biotechnologie a été plutôt décevante, il n’y a pas non plus de révolution en matière d’énergie, de chimie. Il n’est pas clair que les nanotechnologies soient porteuses de vraies ruptures technologiques. Je crains que les années 2000 n’aient pas vu naître de start-up qui soient équivalentes d’Intel dans les années 1960, d’Apple, de Microsoft ou de Genentech dans les années 1970, de Cisco dans les années 1980, ou de Google dans les années 1990. Il y a certes Facebook mais cette société ne repose pas sur une grande innovation technologique. Cela dit, il y a toujours eu un pessimisme sur l’avenir de l’innovation, j’espère donc avoir tort !
Vous citez des entreprises de technologie de l’information ou de biotechnologie. Ce modèle de la start-up est-il transposable à des domaines gourmands en capitaux, et où existent déjà des acteurs importants, comme l’aéronautique, l’automobile, la chimie ?
H.L. Les acteurs établis ne sont pas forcément les plus innovants. Clayton Christensen, de la Harvard Business School, l’a bien montré en 1997 : dans une entreprise établie, on améliore des produits existants [3]. On y fait de l’innovation par évolution, pas par révolution. Renault peut inventer la voiture
électrique, mais pas un nouveau mode de transport. D’ailleurs l’idée du monospace, qui a ensuite été copiée, n’est pas venue des bureaux d’études de Renault, mais de la société Matra, qui n’avait pas la même expérience en automobile, ce qui la rendait plus créative. C’est aussi pour cette raison que les grosses entreprises, en particulier pharmaceutiques, sous-traitent leur politique de l’innovation : elles préfèrent laisser les start-up prendre des risques, et les acheter ensuite. Même une ancienne startup comme Cisco, en informatique, remplace le terme de recherche et développement par celui d’acquisition et développement.
Pourquoi insistez-vous tant sur les start-up ? Un institut académique peut aussi bien accorder des licences de ses brevets à des industriels, ou former des laboratoires mixtes privé/public…
H.L. Le problème de fond est de savoir vers qui est dirigée la politique de l’innovation. Ma conviction est que l’entrepreneur doit être au centre. Ce n’est pas ce que l’on fait en France : les pôles de compétitivité sont des clusters de sociétés établies, et non des dispositifs favorisant la créativité par l’entrepreneuriat. J’insiste sur le modèle start-up parce que c’est le parent pauvre des politiques de l’innovation. Bien sûr qu’il y a de l’innovation dans les grands groupes. Je me demande cependant s’ils sont capables de vraies ruptures novatrices. Ils peuvent se donner un objectif – l’écran plat, le téléphone intelligent, ou, aujourd’hui, la voiture électrique – et le sortir dans vingt ans. Mais peuvent-ils faire des choses entièrement nouvelles, comme l’a fait Google ? Ou Genentech, qui a révolutionné la fabrication de médicaments en utilisant les techniques du génie génétique ? Je crois que seules les start-up en sont capables. Christensen disait : si vous voulez faire une innovation majeure, créez une filiale et placez-la le plus loin possible de votre centre de recherche car le pire ennemi de l’innovation dans une entreprise est le conservatisme. L’innovation est la plus forte dans de petites équipes : c’est ce qui se passe dans les start-up.

■■ Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis


Hervé Lebret, polytechnicien, docteur en électronique et diplômé de l’université Stanford, a travaillé, après un passage dans la recherche, comme capital-risqueur, à Genève de 1997 à 2004. Depuis, il enseigne le management de la technologie et gère un fonds de préamorçage à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

>>Hervé Lebret, Start-up. Ce que nous pouvons encore apprendre de la Silicon Valley, Create Space, 2007. www.startup-book.com
>>L’étude de l’Organisation et de développement économiques sur les brevets. www.oecd.org/sti/scoreboard
>>Le site des Innogrants de l’EPFL. http://vpiv.epfl.ch/innogrants

[1] Commission européenne, Innovation Union Competitiveness Report 2011, http://ec.europa.eu/research/innovation-union.
[2] Libero Zuppiroli, La Bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? Éditions d’en bas, 2010.
[3] Clayton Christensen, The Innovator’s Dilemma, Harper’s, 1997.

Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume du VC?

A la suite de mon récent post, Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume des brevets?, je ne pouvais pas m’empêcher cette question provocatrice, malgré tout le respect que j’ai pour cette activité. Quand Kleiner Perkins, un des meilleurs VC de la Côte Ouest (pour ne pas dire une des meilleurs VC), Charles River, un des meilleurs VC de la Côte Est et Index, un des meilleurs VC européens co-investissent dans une société de brevets (un « Patent Risk Manager ») telle que RPX, j’ai pensé qu’il y avait là un événement assez remarquable. Et Randy Komisar que j’ai mentionné dans mon dernier post est sur le conseil d’administration de RPX… Il y a quelques jours, RPX a annoncé son intention d’entrer en bourse, alors comme à mon habitude, j’en ai bâti la table des actionnaires. Les données restent dépendantes de la date d’entrée en bourse et du prix réel par action… Dernière remarque: Les fondateurs de RPX sont des anciens d’Intellectual Ventures.

Y a-t-il quelque chose de pourri au royaume des brevets?

J’ai été surpris de ne pas lire plus de presse sur les actions récentes de Intellectual Ventures (IV). Vous pouvez y lire le nom des sociétés poursuivies pour infraction à la propriété intellectuelle d’IV.

Si vous ne connaissez pas Intellectual Ventures, vous devez au moins savoir que IV a acheté environ 30’000 brevets (ou dépôts de brevet) et a levé des milliards de dollars. Jusqu’à présent, personne n’était tout à fait sûr de la stratégie d’IV, mais avec cette annonce, les choses sont claires: IV n’est autre qu’un patent troll.

Au même moment, Paul Allen n’a pu obtenir réparation pour sa plainte en infraction sur ses brevets. Plus ici. Je dois ajouter que j’ai eu connaissance des deux informations sur le site web Xconomy.

Voici aussi pour moi l’occasion d’ajouter que je n’ai jamais été un grand fan de la PI, de la propriété intellectuelle, des brevets et du droit d’auteur. Je n’ai pas de bonne alternative à proposer, mais il me semble que l’innovation est plus question de rapidité et d’avance sur la concurrence. Je sais que tout cela n’est pas simple. J’ai un peu travaillé dans le domaine et je donne encore des cours sur le sujet. Ceux que cela intéresse pourront cliquer sur l’image qui suit ou sur ce lien.

Intellectual Ventures fut fondée par Nathan Myhrvold, qui fut aussi directeur technique (CTO) de Microsoft. Pas besoin d’ajouter ce que fut le role de Paul Allen chez Microsoft. Tout ceci pourrait presque être amusant si on se souvient que Microsoft n’a pas vraiment eu besoin de brevets pour réussir (ni même du fait que quantité de gens ont sans vergogne pillé ses logiciels…)