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Optimisme et désillusions dans la Silicon Valley. Partie 2 : l’interview de Steve Jobs dans Playboy

C’est la troisième fois que je peux associer le magazine Playboy aux startups technologiques. Étrange.

En 1971, Intel entra en bourse le même jour que Playboy et son co-fondateur, Gordon Moore, raconte avec humour dans Something Ventured : Et quelques années plus tard l’un des analystes : « Le marché a parlé. Ce sont des chips sur des chicks, 10 contre 1. » Il n’a pas exactement dit cela, mais quelque chose de similaire. Je vous laisse chercher si vous le souhaitez…

En 2004, l’interview dans le même magazine des fondateurs de Google, The Google Guys, les nouveaux milliardaires d’Amérique, fut très controversée et faillit annuler l’entrée en bourse du célèbre moteur de recherche. Voir par exemple Google indique que l’article de Playboy pourrait être coûteux.

Et je viens de découvrir qu’en 1984, le magazine publia une longue interview de 13 pages de Steve jobs, la nouvelle star de la Silicon Valley : Steven Jobs, une conversation ingénue sur la fabrication d’ordinateurs, sur les erreurs et sur les millions avec le jeune entrepreneur qui a déclenché une révolution commerciale. En voici quelques extraits:

À propos des ordinateurs

Nous vivons dans le sillage de l’évolution pétrochimique d’il y a 100 ans. La révolution pétrochimique nous a donné de l’énergie gratuite – de l’énergie mécanique gratuite, dans ce cas. Cela a changé les textures de la société à bien des égards. Cette révolution, la révolution de l’information, est aussi une révolution d’énergie gratuite, mais d’un autre genre : une énergie intellectuelle gratuite. C’est très rudimentaire aujourd’hui, mais notre ordinateur Mackintosh consomme moins d’énergie qu’une ampoule de 100 watts pour fonctionner et il peut vous faire gagner des heures par jour. Que pourra-t-il faire d’ici 10 ou 20 ans, ou d’ici 50 ans ? Cette révolution éclipsera la révolution pétrochimique. Nous sommes à l’avant-garde.

Les ordinateurs seront essentiels dans la plupart des foyers. La raison la plus convaincante d’acheter un ordinateur pour la maison sera de le relier à un réseau de communication national. Nous n’en sommes qu’au début de ce qui sera une percée vraiment remarquable pour la plupart des gens – une percée aussi remarquable que le téléphone.

C’est souvent la même chose avec toute nouvelle chose révolutionnaire. Les gens se figent en vieillissant. Nos esprits sont des sortes d’ordinateurs électrochimiques. Vos pensées construisent des modèles comme des échafaudages dans votre esprit. Vous gravez vraiment des motifs chimiques. Dans la plupart des cas, les gens restent figés dans ces schémas, tout comme pour les sillons d’un disque, et ils n’en sortent jamais.

C’est une personne rare, celle qui grave des sillons qui ne soient pas une façon particulière de voir les choses, une façon particulière d’interroger les choses. Il est rare de voir un artiste dans la trentaine ou la quarantaine contribuer vraiment à quelque chose d’incroyable. Bien sûr, il y a des gens qui sont naturellement curieux, toujours des petits enfants émerveillés par la vie, mais ils sont rares.

À propos de l’innovation

Ce qui se passe dans la plupart des entreprises, c’est que vous ne gardez pas des personnes formidables dans des environnements de travail où l’accomplissement individuel est découragé plutôt qu’encouragé. Les gens formidables partent et vous vous retrouvez avec la médiocrité. Je le sais, parce que c’est comme ça qu’Apple a été construite. Apple est une entreprise d’Ellis Island. Apple est construite sur des réfugiés d’autres entreprises. Ce sont les contributeurs individuels extrêmement brillants qui ont été des fauteurs de troubles dans d’autres entreprises.

Polaroid a fait cela pendant quelques années, mais finalement le Dr Land, l’un de ces brillants fauteurs de troubles, a été invité à quitter sa propre entreprise – ce qui est l’une des choses les plus stupides dont j’aie jamais entendu parler.

À propos de la croissance

Quoi qu’il en soit, l’un de nos plus grands défis et celui sur lequel je pense que John Sculley et moi devrions être jugés dans cinq à dix ans est de faire d’Apple une entreprise incroyablement réussie de dix ou 20 milliards de dollars. Y aura-t-il encore l’état d’esprit qu’il y a aujourd’hui ? Nous explorons un nouveau territoire. Il n’y a pas de modèles vers lesquels nous pouvons nous tourner pour notre forte croissance, pour certains des nouveaux concepts de gestion que nous avons. Nous devons donc trouver notre propre chemin.

La façon dont cela va fonctionner est que dans notre entreprise, afin de continuer à être l’un des principaux contributeurs, nous allons devoir compter sur une entreprise de dix milliards de dollars. Cette croissance est nécessaire pour nous permettre de se maintenir avec la concurrence. Notre souci est de savoir comment devenir cela, plutôt que l’objectif du dollar, qui n’a pas de sens pour nous.

Il reste peut-être des imitateurs dans la fourchette de 100 000 000 $ à 200 000 000 $, mais être une entreprise à 200 000 000 $ signifie que vous luttez pour votre survie, et ce n’est pas vraiment une position à partir de laquelle innover. Non seulement je pense qu’IBM éliminera ses imitateurs en fournissant des logiciels qu’ils ne peuvent pas fournir, mais je pense qu’elle finira par proposer une nouvelle norme qui ne sera même pas compatible avec ce qu’elle fabrique actuellement – car elle est trop restrictive .

[Steve Jobs fut un visionnaire, mais il ne pouvait pas avoir toujours raison. Regardez Dell, Compaq, Lenovo, HP et Intel/Microsoft…]

J’avais pensé à vendre 1 000 000 d’ordinateurs par an, mais ce n’était qu’une idée. Quand cela se produit réellement, c’est une chose totalement différente. Donc ce fut : « Putain de merde, c’est en train de se réaliser ! » Mais ce qui est difficile à expliquer, c’est que cela ne se passe pas du jour au lendemain.

L’année prochaine sera ma dixième année. Je n’avais jamais rien fait de plus d’un an dans ma vie. Six mois pour moi, c’était long quand on a lancé Apple. C’est donc ma vie depuis que je suis une sorte d’adulte libre. Chaque année a été si remplie de problèmes, de succès, d’expériences d’apprentissage et d’expériences humaines qu’une année est une vie chez Apple. Cela fait donc dix vies.

Il y a un vieux dicton hindi qui me vient à l’esprit de temps en temps : « Pendant les 30 premières années de votre vie, vous façonnez vos habitudes. Pendant les 30 dernières années de votre vie, vos habitudes vous façonnent. Comme je vais avoir 30 ans en février, l’idée m’a traversé l’esprit.

Et je ne suis pas sûr. Je resterai toujours connecté avec Apple. J’espère que tout au long de ma vie, j’aurai en quelque sorte le fil de ma vie et le fil d’Apple tissés l’un dans l’autre, comme une tapisserie. Il peut y avoir quelques années où je ne serai pas là, mais je reviendrai toujours.

À propos de l’intelligence artificielle

Les premiers jeux vidéo ont capturé les principes de la gravité. Et ce que la programmation informatique peut faire, c’est capturer les principes sous-jacents, l’essence sous-jacente, puis faciliter des milliers d’expériences basées sur cette perception des principes sous-jacents.

Maintenant, et si nous pouvions capturer la vision du monde d’Aristote – les principes sous-jacents de sa vision du monde ? Ensuite, vous pourriez poser une question à Aristote. Ok, vous pourriez dire que ce ne serait pas exactement ce qu’était Aristote. Tout pourrait être faux. Mais peut-être pas.

Une partie du défi, je pense, est de fournir ces outils à des millions et des dizaines de millions de personnes et de commencer à affiner ces outils afin qu’un jour nous puissions grossièrement, puis dans un sens plus raffiné, capturer un Aristote ou un Einstein ou un Land de son vivant.

C’est pour quelqu’un d’autre. C’est pour la prochaine génération. Je pense qu’un défi intéressant dans ce domaine de la recherche intellectuelle est de devenir obsolète avec élégance, dans le sens où les choses changent si vite que certainement d’ici la fin des années 80, nous voulons vraiment passer les rênes à la prochaine génération, de sorte qu’ils peuvent continuer, se tenir sur nos épaules et aller beaucoup plus loin. C’est un défi très intéressant, n’est-ce pas ? Comment devenir obsolète avec grâce.

Post-Scriptum : difficile d’ajouter quelque chose à cette belle conclusion et pourtant je souhaite créer un lien (assez artificiel) entre ces deux premières parties. Je viens de le découvrir en terminant cet article et la coïncidence est assez jolie.

Je ne connaissais pas cette interview de Steve Jobs. Beaucoup plus connu, célèbre même est le discours qu’il donna en 2005 à l’université de Stanford, pour la remise des diplômes des étudiants (son « commencement speech » qui fut la motivation de mon premier article sur ce blog.)

Par coïncidence, Michael Gibson termine son livre Paper Belt of Fire par l’analyse d’un autre discours donné en 2005 et considéré par certains comme un des plus beaux avec celui de Jobs. Il s’agit de « This is water » de David Foster Wallace, dont vous trouverez ici l’intégralité sur This Is Water: Some Thoughts, Delivered on a Significant Occasion, about Living a Compassionate Life. .

En voici la conclusion:

The capital-T Truth is about life BEFORE death.

It is about the real value of a real education, which has almost nothing to do with knowledge, and everything to do with simple awareness; awareness of what is so real and essential, so hidden in plain sight all around us, all the time, that we have to keep reminding ourselves over and over:

“This is water.”
“This is water.”

It is unimaginably hard to do this, to stay conscious and alive in the adult world day in and day out. Which means yet another grand cliché turns out to be true: your education really IS the job of a lifetime. And it commences: now.

[Et ma traduction rapide:

La Vérité avec un V majuscule concerne la vie AVANT la mort.

Il s’agit de la valeur réelle d’une véritable éducation, qui n’a presque rien à voir avec la connaissance, et tout à voir avec la simple prise de conscience ; conscience de ce qui est si réel et essentiel, si caché à la vue tout autour de nous, tout le temps, que nous devons nous rappeler sans cesse :

« C’est de l’eau. »

« C’est de l’eau. »

Il est incroyablement difficile de faire cela, de rester conscient et vivant dans le monde des adultes jour après jour. Ce qui signifie qu’un autre grand cliché s’avère être vrai : votre éducation EST vraiment le travail de toute une vie. Et ça commence : maintenant.]

Optimisme et désillusions dans la Silicon Valley. Partie 1: La couronne de papier en feu

J’ai donc demandé à Gates : « Que pensez-vous de l’idée que nous ne voyons pas autant d’innovation et de progrès scientifiques que nous le devrions ? Que le rythme des progrès est au point mort ? »
« Oh, vous êtes pleins de merde. Merde totale… »

C’est ainsi que Bill Gates réagit à la page XI du livre Paper Belt on Fire, How Renegade Investors Sparked a Revolt against the University aux idées Michael Gibson qu’il décrit en détail dans son récent livre. Un titre que l’on pourrait traduire par La couronne de papier en feu.

Le livre est à la fois passionnant et frustrant, convaincant parfois et énervant à d’autres moments. Mais permettez-moi de mentionner ce qui me questionne.

La thèse centrale du livre comporte quatre parties. La première est que la science, le savoir-faire et la sagesse sont la source de presque tout ce qui est bon : un niveau de vie plus élevé ; des vies plus longues et en meilleure santé; des collectivités prospères; des villes éblouissantes; des ciels bleus; des philosophies profondes; l’épanouissement des arts; et tout le reste. La deuxième est que le rythme de progrès de la science, du savoir-faire et de la sagesse s’est stabilisé depuis trop longtemps. Nous n’avons pas fait de progrès scientifiques, technologiques ou philosophiques à la vitesse dont nous avions besoin depuis environ 1971. (Nonobstant les ordinateurs et les smartphones.) La troisième affirmation est que l’échec complet et total de notre éducation, du K-12 à Harvard, est un exemple de cette stagnation. Nous ne sommes pas très doués pour éduquer les gens et nous n’avons pas beaucoup amélioré l’apprentissage des élèves en plus d’une génération, même si nous dépensons trois à quatre fois plus par élève à n’importe quel niveau. Notre manque de progrès dans la connaissance de la manière d’améliorer les résultats des élèves a grandement contribué au déclin de la créativité dans à peu près tous les domaines. Le dernier point principal est que le sort de notre civilisation dépend du remplacement ou de la réforme de nos institutions peu fiables et corrompues, qui comprennent à la fois l’école publique locale et l’ensemble de l’Ivy League. Mes collègues et moi essayons de tracer une voie dans le domaine de l’éducation. Nous pouvons nous tromper dans nos méthodes, mais notre diagnostic est correct. [Pages XIX-XX]

Quels sont les traits des grands fondateurs ? [Pages 89-96]

Contrôle des bords, ramper-marcher-courir, hyperfluidité, profondeur émotionnelle et résilience, une motivation durable, l’éclat alpha-gamma tension, l’ambition sans ego et la sphère de Dyson du vendredi soir.

Edge control (Contrôle des bords): une volonté jour après jour, de défier la frontière entre le connu et l’inconnu, l’ordre et le désordre, la vision et l’orgueil.

Crawl-walk-run (ramper-marcher-courir): une équipe fondatrice doit avoir l’intelligence nécessaire pour construire ce qu’elle va construire. […] La meilleure façon de dépister ces traits est de les voir jouer dans la nature. Il faut du temps pour voir leur évolution.

Hyperfluidité : les meilleurs fondateurs ont le charme d’un colporteur et la rigueur d’un physicien. […] Ils parlent avec une compétence fluide.

Profondeur émotionnelle et résilience : les fondateurs d’une entreprise doivent avoir l’intelligence sociale et émotionnelle pour embaucher, travailler avec les clients, lever des fonds auprès des investisseurs et se mêler aux co-fondateurs. La complexité de cet effort total est incroyablement exigeante et émotionnellement épuisante.

Tensive brilliance (Éclat en tension) : ce que nous avons remarqué, c’est que les créatifs ont tendance à avoir une unité née de la variété. Cette unité peut avoir une forte tension, car elle tente de concilier les contraires. Initié mais marginal, familier mais extérieur, étrange mais pas étranger, jeune d’âge mais plus âgé d’esprit, membre d’une institution mais paria social – toutes sortes de polarités qui se prêtent au dynamisme. C’est en partie, je crois, pourquoi les immigrants et les citoyens de première génération montrent une forte productivité pour l’entrepreneuriat. Ils sont identiques, mais différents.

Ambition sans ego : d’un côté, il y a un engagement intense à faire de grandes choses. Mais de l’autre côté, il y a un élément de détachement, une attitude libre et sereine qui traite le triomphe et le désastre de la même manière.

Friday-night-Dyson-sphere (la Sphère de Dyson du vendredi soir): le physicien Freeman Dyson a imaginé une fois une sphère de matériau absorbant la lumière entourant tout notre système solaire à sa périphérie. L’un des moments les plus électrisants pour nous est lorsqu’une équipe nous convainc, par une série d’étapes plausibles étayées par des preuves, qu’elle est capable de transformer un stand de limonade en une entreprise qui construit des Sphères de Dyson. De plus, il est clair qu’ils préfèrent bricoler un vendredi soir quand tous les gamins cools font la fête.

Le fonds 1517 [1]

« Nous sommes nommés d’après l’année où Martin Luther a cloué ses quatre-vingt-quinze thèses sur la porte d’une église dans une petite ville allemande. Cela a commencé une révolution, la Réforme Protestante. Mais tout a commencé parce qu’il protestait contre la vente d’un bout de papier appelé indulgence. En 1517, l’église disait que ce morceau de papier coûteux pourrait sauver votre âme. En 2015, les universités vendent un autre morceau de papier coûteux, le diplôme, en disant que c’est le seul moyen de sauver votre âme. Eh bien, c’était des conneries alors. Et ce sont des conneries aujourd’hui. » [Page 144]

D’une part, la plupart des fonds de capital-risque échouent. Des singes aveugles qui lancent des fléchettes pour sélectionner des actions obtiendraient de meilleurs résultats que l’investisseur qui a choisi le fonds de capital-risque moyen. Le capital-risque médian rapporte environ 1,6 % de moins que si quelqu’un plaçait simplement son argent dans un fonds commun de placement indiciel. [Page 147]

Pour accélérer les progrès, nous avons besoin que les jeunes travaillent aux frontières de la connaissance plus tôt qu’ils ne l’ont fait par le passé. Ils ont aussi besoin de plus de liberté. Cela signifie que les institutions leur fassent confiance pour prendre des risques et faire preuve d’un certain contrôle sur leurs recherches. Nous devons considérer comme une loi assez prévisible de la créativité que l’inconnu doit toujours traverser l’étrange avant que nous puissions le comprendre.
Les universités ont rempli cette fonction de recherche dans le passé et continueront de le faire. Mais ellese sont tourmentés par quatre réalités. La première est la lenteur d’une éducation formelle basée sur des diplômes. Il faut quatre ans pour obtenir un bachelor, puis sept ou huit ans pour obtenir un doctorat. Deuxièmement, les universités sont devenues des ruches de pensée de groupe. Troisièmement, l’octroi de bourses est motivé par le prestige, la crédibilité et une mentalité sans prise de risque (« cover your ass »). Quatrièmement, les incitations des institutions académiques récompensent les calculs politiques avisés, l’incrémentalisme, les horizons à court terme et une hiérarchie des statuts dans laquelle la loyauté est plus récompensée que l’avancement des connaissances.
[Pages 261-2]

À propos de l’éducation

La bonne nouvelle est que deux méthodes bon marché et relativement faciles à utiliser se distinguent comme étant les plus efficaces pour améliorer les performances des élèves : les auto-tests pratiques et la pratique distribuée. La pratique distribuée est lorsque les étudiants établissent et s’en tiennent à un calendrier de pratique cohérent au fil du temps. (Son antithèse est le bachotage.) La pratique n’est pas une simple répétition, mais un effort délibéré pour améliorer les performances dans la zone de Boucle d’Or où le succès n’est ni trop facile à gagner, ni le défi trop difficile. L’auto-test en tant que technique ne doit pas être confondu avec des tests standardisés à enjeux élevés, mais plutôt comme un moyen de sonder fréquemment les limites des connaissances dans un domaine. […] L’auto-évaluation cohérente et la pratique distribuée sont les techniques d’apprentissage les plus efficaces, mais elles sont aussi les plus pénibles, car ces deux stratégies nécessitent de la discipline, de l’énergie et des efforts individuels.

Ensuite, il y a les questions plus intangibles qui nécessitent notre attention. Comment pouvons-nous encourager les élèves à rechercher la vérité, indépendamment de l’approbation des autres ? Comment enseignons-nous la désobéissance civile, en formant nos jeunes à se battre pour ce qui est juste ? Ou comment pratiquer la gratification différée pour des objectifs valables à long terme ? Est-ce même possible à enseigner? Personne n’a pris la peine de demander. [Pages 301-302]

Si vous n’êtes pas énervé et toujours intrigué, vous pouvez lire son dernier chapitre autour de James Stockdale et David Foster Wallace.

Maintenant, ce que j’ai trouvé énervant, c’est l’énorme différence entre les exceptions, les anecdotes dans un système et un problème de statistique sociale. Je ne citerai qu’un grand roman plutôt méconnu, Les Thibault de Roger Martin du Gard : « Je vous avoue que je ne sais plus très bien ce que je lui ai conseillé. J’ai dû – naturellement – l’engager à ne pas abandonner l’École. Pour des êtres de sa trempe, notre enseignement est, somme toute, inoffensif : ils savent choisir, d’instinct ; ils ont – comment dirais-je – une désinvolture de bonne race, qui ne se laisse pas mettre en lisière. L’École n’est fatale qu’aux timides et aux scrupuleux. Au reste, il m’a paru qu’il venait me consulter pour la forme et que sa résolution était prise. C’est justement l’indice d’une vocation, qu’elle soit impérieuse. C’est bon signe qu’un adolescent soit en révolte, par nature, contre tout. Ceux de mes élèves, qui sont arrivés à quelque chose étaient tous de ces indociles. » [Page 754 du volume 1, collection folio]

[1] Je n’ai pas mentionné jusqu’à présent et je le fais dans cette note de bas de page que Gibson appartient en quelque sorte à la mafia PayPal des anarcho-libertaires qui incluent Peter Thiel et Elon Musk. Gibson a cogéré la bourse Thiel et aujourd’hui le fonds 1517. Il y a des boursiers notables comme indiqué sur Wikipedia. Maintenant, citant Peter Thiel, les destinataires ont-ils fait mieux que ce dont il rêvait : « Nous voulions des voitures volantes, nous avons obtenu 140 caractères à la place » ou ont-ils vraiment répondu à sa célèbre question « Qu’est-ce que vous croyez être vrai que le reste du monde pense faux ? » [Page 60]

De nouvelles données sur le transfert de technologie universitaire aux startups

Nathan Benaich est très mécontent du transfert de technologie au Royaume-Uni et il a probablement raison de l’être. Pendant de nombreuses années, j’avais remarqué que les institutions universitaires britanniques prenaient souvent plus de 25 % des parts d’une startup en échange d’une licence de propriété intellectuelle, alors que le chiffre standard aux États-Unis et en Europe continentale se situe plutôt entre 5 et 10 %. Il avait publié un article très intéressant en mai 2021, Rewriting the European spinout playbook où il se plaignait d’un manque de transparence et de processus très frustrants.

Il travaille actuellement sur un nouvel ensemble de données fournies par les fondateurs qu’il met gratuitement à disposition sur spinout.fyi. Il demande de l’aide et tout fondateur intéressé devrait en fournir un peu. J’ai téléchargé ses données et fourni ici ma propre analyse bien que Nathan ait la sienne ici. Vous devriez le lire. Voici une première série de tableaux :

Si vous n’aimez pas les tableaux et même si vous les aimez, voici d’autres illustrations :

Et parce que j’avais fait une recherche similaire il y a quelques années, publiée ici sous le titre Que demandent les universités aux start-up pour une licence de propriété intellectuelle ?, j’ai fait l’exercice de combiner ses données et les miennes. Il s’agit d’un ensemble de plus de 190 entreprises ! Vous verrez ici la prise d’equity selon les domaines et les géographies (j’avais très peu de données sur les royalties, la transparence est encore moindre sur ce sujet).

Alors, quelles leçons en tirer? Le Royaume-Uni est clairement dans une situation aberrante, mais ce qui est plus frappant, c’est la volatilité des chiffres. Et pourquoi ? Certains professionnels affirment que chaque startup est différente. Je ne suis pas d’accord. Vraiment pas ! Le manque de transparence des politiques de transfert est la raison principale de la volatilité. Les fondateurs savent rarement comment ils seront traités. C’est pourquoi j’étais si heureux que l’EPFL publie sa politique. Voir mon récent article sur le sujet : Le transfert de technologie selon l’EPFL et les règles pour les startups.

J’espère vraiment que les efforts de Nathan Benaich aideront à apporter une transparence indispensable de ces chiffres !

Licence exclusive ou possession de la propriété intellectuelle

La propriété intellectuelle (PI) est un sujet sensible et souvent clivant. J’ai parfois abordé le sujet ici, à travers le terme #propriete-intellectuelle (et aussi #transfert-de-technologie). Mais même une fois que la valeur générale de la propriété intellectuelle est abordée, il existe quantité de problèmes secondaires. L’un est la question spécifique de savoir comment la possession de la propriété intellectuelle par une startup par rapport à une licence exclusive accordée par une institution académique est considérée, en particulier par les investisseurs. Le 27 janvier 2022, j’ai envoyé un court e-mail à plus de 300 investisseurs et j’ai obtenu un taux de réponse d’environ 10 %. En parallèle, j’ai évoqué le sujet sur mon compte LinkedIn et j’ai reçu des commentaires complémentaires. Bien qu’il existe une riche argumentation sur les avantages et les inconvénients des deux situations, si bien que le lecteur pourra vouloir lire les réponses plus loin, voici ma compréhension synthétique :

Il n’y a pas de différence fondamentale entre licence et cession du point de vue de la stratégie de la startup, si ce n’est ce qu’il advient en cas de faillite ou liquidation. La licence n’est pas un actif et donc la propriété intellectuelle n’est plus utilisable. Avec cette nuance, certes de taille, il y a deux points complémentaires :
– Certains investisseurs pensent que le propriétaire paie la maintenance de la PI et poursuit les éventuels « infringers » pour défendre cette propriété. Je ne crois pas que ce soit le cas car dans mon expérience c’est le licencié qui agit ainsi.
– Dans le cas d’une vente (acquisition de la startup par un tiers), il est important que la licence puisse être transmise et c’est un élément majeur, qui doit être garanti. Il peut cependant y avoir des problèmes politiques ou stratégiques.
Enfin, un prix pour le transfert peut être ajouté quand ou si possible.
Il ne fait aucun doute que la réputation de l’institution et la stabilité de ces actes sont essentiels. (Il y aurait plus à ajouter comme la prise de participation ou les redevances (plafonnées ou non) dans les termes de la licence, les jalons et de nombreux détails… mais j’ai fait aussi court que possible).

Vous pouvez télécharger ici le fichier pdf Survey on license vs ownership of IP.

Survey on license vs ownership of IP – Lebret – 1Feb2022

Comment les Offices de Transfert de Technologie vont plus loin dans la création de startups

Comment les Offices de Transfert de Technologie (OTT) vont plus loin dans la création de startups, était le thème d’un atelier de la conférence BIG auquel j’ai participé ce 1er octobre 2020. Si vous avez un peu de temps, voici une retransmission:

C’est un sujet que j’ai déjà abordé ici
– en novembre 2013 : Que demandent les universités aux start-up pour une licence de propriété intellectuelle?
– en juin 2015 : Les universités doivent-elles s’enrichir avec leurs spin-offs?
et plus généralement avec le tag #tranfert-de-technologie

Réactions bienvenues…

Google n’est plus la source de revenu de licence la plus importante de Stanford

Jusqu’à tôt ce matin, je pensais que la licence Google (c’est-à-dire les droits que l’université de Stanford avait accordés à la startup sur le brevet PageRank) était le plus grand générateur de revenus de licences pour l’université californienne. J’avais tort! Si vous lisez les rapports annuels de l’OTL, son Office of Technology Licensing, par exemple le pdf de son rapport annuel 2016, vous remarquerez que le plus grand générateur de revenus avait une autre source: la propriété intellectuelle / les brevets sur les anticorps monoclonaux. Voici ce que ces rapports disent de la plus grande quantité de revenus pour une année donnée issue d’une seule invention:
2016: $64M
2015: $62,77M
2014: $60,53M
2013: $55M
2012: $51M
2011: $44M
2010: $45M
2009: $38M
2008: $37M
2007: $33,5M
2006: $29M
Ces chiffres donnent un total de $363M et un autre livre mentionne $125M cumulativement avant 2006. Et un document powerpoint plus récent indique que le total des revenus cumulés est de … 613 M $ !!

Pour information, en 2005, le brevet Google a généré $336M suite à l’introduction en bourse de la société. Les rapports de 2004 et de 2003 ne mentionnent pas le montant de la plus grande source de revenu, alors qu’en 2002, il s’agissait de « redevances exceptionnelles de 5,8 millions de dollars » et en 2001, « pour la première fois depuis plus de 20 ans, une invention en physique – un amplificateur à fibre optique – a généré le plus de revenus ».

Comme l’a dit Lita Nelsen du MIT (voir mon article précédent): « Même à l’échelle nationale, vous pouvez montrer que le transfert de technologie est, au mieux, une loterie si vous croyez pouvoir influencer [la situation financière d’une université]. Les principaux gagnants – pas 100 pour cent d’entre eux, mais presque – sont des produits pharmaceutiques. Parce que si un produit pharmaceutique arrive sur le marché, il se situera dans un ordre de grandeur de plusieurs milliards de dollars. L’equity vaut rarement beaucoup, à moins bien sûr que vous puissiez suivre avec des investissements privilégiés. Mais ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire. Toute université qui compte sur son transfert de technologie pour faire un changement important dans ses finances sera statistiquement en difficulté ». Google fut une énorme exception tandis que le brevet autour des anticorps monoclonaux et le brevet Cohen-Boyer sont liés à l’industrie pharmaceutique. regardez la figure suivante extraite du même document powerpoint.

Coïncidence intéressante, je suis en train de lire un livre excellent (plus quand j’aurai terminé) qui décrit les débuts de la Silicon Valley et en particulier la création du bureau de transfert de technologie par Niels Rimers.

Dans Troublemakers, l’auteur Leslie Berlin décrit en détail le brevet Cohen-Boyer. Dans la note 32 (page 450), elle décrit les termes de la licence Cohen-Boyer. Vous pouvez également les trouver dans les leçons de la commercialisation des brevets Cohen-Boyer: Le programme de licences de l’Université de Stanford (Lessons from the Commercialization of the Cohen-Boyer Patents: The Stanford University Licensing Program).

73 entreprises avaient signé le paiement initial initial de $10’000 , mais « dix entreprises à elles seules ont fourni 77% (197 millions $ US) du revenu total des licences » et 3 (Amgen, Genentech et Lily) ont fourni près de 50% du total. Tout cela est bien connu mais je pensais qu’il serait intéressant de bloguer à ce sujet aujourd’hui.

Vers une nouvelle culture de la valorisation selon Jacques Lewiner

L’excellente Paris Innovation Review (anciennement connue sous le nom de ParisTech Review) vient de publier une interview de Jacques Lewiner (pour ceux qui ne le connaissent pas, vous pouvez jeter un coup d’œil à Jacques Lewiner et l’innovation. Ce nouvel article est intitulé Recherche : vers une nouvelle culture de la valorisation

Il commence ainsi: « La recherche académique n’a pas seulement vocation à faire progresser la science, mais aussi à changer le monde. Nombre de découvertes, y compris dans des domaines touchant à la recherche fondamentale, peuvent ouvrir sur de nouveaux procédés, de nouveaux produits, de nouveaux services. »

Lewiner explique alors la complexité d’une exploitation réussie et les biais qui lui sont liés. « Le premier [biais] est que quand on pense valorisation, on s’en tient aux brevets. […] Mais s’en tenir aux brevets, c’est faire l’impasse sur l’essentiel, qui est le volant entrepreneurial de la valorisation. […] D’où l’importance de jouer la carte entrepreneuriale, en encourageant les chercheurs à fonder des startups pour développer eux-mêmes le potentiel économique de leur découverte. Mais on tombe alors sur le deuxième biais, la forte difficulté à admettre qu’un chercheur puisse gagner de l’argent, voire faire fortune. […] le cerveau des chercheurs appartient à l’État ! »

Puis Lewiner adresse le sujet de l’octroi de licences – sur le sujet, voir Que demandent les universités aux start-up pour une licence de propriété intellectuelle? Voici donc ce qu’il dit: « Rien n’empêche l’institution de prendre des parts dans l’entreprise. 5% des parts, par exemple, est un chiffre raisonnable, proche de ce qui se pratique dans les écosystèmes les plus dynamiques. Tout comme la prétention de détenir des golden shares serait contreproductive. Bref, il y a toute une culture d’investissement à acquérir. »

Et Lewiner insiste sur l’importance d’une culture adéquate: « La vitesse est un vrai enjeu, et sur ce terrain une institution bien équipée, dotée d’une certaine expérience et de bons contacts […] peut avoir une vraie valeur ajoutée. Un autre élément très incitatif pour les chercheurs sont les modèles, qui jouent un rôle pour les désinhiber et les inciter à se lancer. […] Tous ces éléments de la « culture startup » demandent une transmission. »

En définitive, je ne suis qu’en léger désaccord avec son commentaire final: « Je rêve du jour où les doctorants français me diront, comme je l’entend fréquemment à Stanford ou à Harvard, lorsque je leur demande ce qu’ils comptent faire après leur thèse : « J’hésite à rentrer dans telle ou telle startup de mon patron de thèse ». » Je crois que Lewiner se trompe. Idéalement, ils devraient faire leurs propres start-ups, tout comme ils le font à Stanford

PS: Merci beaucoup à la collègue qui m’a mentionné cette excellente interview 🙂

Deux défis du transfert de technologie – Partie 2: Apprenez à connaître votre bureau de transfert.

Mon deuxième post sur le transfert de technologie (après celui sur les systèmes nationaux) traite de la micro-économie de l’activité. Il est motivé par l’excellent article de Nature intitulé Keys to the Kingdom et sous-titré Ce que vous devez savoir sur votre bureau de transfert de technologie.

Avant de résumer son contenu, permettez-moi de vous rappeler les articles qui couvrent déjà le sujet de sorte que vous en conviendrez, ce n’est pas un sujet nouveau pour moi et je considère aussi qu’il est important:
– Licences et start-up universitaires en mai 2010 (www.startup-book.com/fr/2010/05/04/licences-et-start-up-universitaires) suivie
– Licences et start-up universitaires (la suite) en juin 2010 (www.startup-book.com/fr/2010/06/15/licences-et-start-up-universitaires-la-suite)
– Que demandent les universités aux start-up pour une licence de propriété intellectuelle? en novembre 2013 (www.startup-book.com/fr/2013/11/05/que-demandent-les-universites-aux-start-up-pour-une-licence-de-propriete-intellectuelle)
– Les universités doivent-elles s’enrichir avec leurs spin-offs? en juin 205 (www.startup-book.com/fr/2015/06/09/les-universites-doivent-elles-senrichir-avec-leurs-spin-offs)

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Co-écrit par 18 personnes de Stanford, Oxford, Harvard, l’Université de Californie à San Francisco et l’University College de Londres, l’article décrit ce que devraient connaître les gens intéressés à obtenir une licence sur de la propriété intellectuelle pour créer une start-up. Le document commence par « Comme […] entrepreneur universitaire, vous ferez face à de nombreux défis » et le second paragraphe suit avec « En outre, vous aurez très probablement à négocier avec le bureau de transfert de technologie de votre université (TTO) une licence de propriété intellectuelle (PI) en rapport avec votre recherche. »

Quels sont ces défis liés au TTO? Ils sont écrits dans l’article en caractères gras comme suit: Surmonter l’asymétrie d’information – De longues négociations – L’inexpérience – le manque de financement – Les règles sur le conflit d’intérêt – Utiliser un avocat expérimenté. Cela signifie que comme futur entrepreneur, vous devriez être prêt et idéalement être informé sur le sujet.

Les défis

Le principal défi semble être la complexité administrative et l’opacité (page 1), y compris la confidentialité des contrats, qui rend difficile pour les observateurs extérieurs la compréhension des termes équitables d’un contrat (page 1 à nouveau). Et, ils concluent presque leur article par: « En effet, même pour les universités pour lesquelles nous disposons de données en ce qui concerne les politiques de prise de participation (equity), il a été souvent difficile de les trouver, cachées profondément dans un fouillis de jargon juridique. À cette fin, nous encourageons les universités et les instituts de recherche qui reçoivent des fonds publics à être totalement transparents dans leurs politiques d’equity et de redevances (royalties), et à ne pas utiliser ces asymétries d’information comme un avantage de négociation contre des […]entrepreneurs en herbe ».

A la page 2, je note:
– Une négociation peut être longue (6-12 mois, voire 18 mois) et une façon de faire court est d’accepter les termes proposés.
– Une façon d’atténuer l’inexpérience est de « préparer un plan d’affaires adéquat ou une stratégie pour votre PI avant d’approcher votre TTO » ou « d’amener avec vous des membres de l’équipe ayant une expérience préalable dans […] la commercialisation pour améliorer la crédibilité de votre équipe ».
– Le manque de financement peut être partiellement résolu par la signature de «contrats d’option de licence ».
– Les règles sur le conflit d’intérêt « existent pour empêcher les universitaires de jouer des deux côtés de la négociation d’un accord de licence ou de consacrer trop de temps à des obligations non académiques ». En outre, « les TTOs représentent les intérêts de l’université (et non les universitaires), mais l’universitaire est techniquement un employé de l’université. «Notre politique est de ne jamais négocier directement avec l’universitaire», dit un représentant de TTO américain ».
– Un avocat expérimenté est conseillé pour évaluer la qualité de la propriété intellectuelle, mais aussi parce que « […] les entrepreneurs échouent souvent à apprécier le coût d’opportunité pour le TTO dans l’octroi de licences. Si une technologie est octroyée à une équipe inefficace (en particulier avec une licence exclusive), l’université renonce à tout succès ou revenu qu’elle aurait pu avoir d’une licence de la technologie à un partenaire de l’industrie mieux organisé. De plus les universités ont des ressources humaines et des moyens limités pour protéger la propriété intellectuelle, et, pour cette raison, préfèrent une licence technologique aux équipes qu’elles estiment bien préparées pour la commercialiser ».

Les termes de la prise de participation (equity)

« Peut-être la différence la plus frappante entre les États-Unis et le Royaume-Uni concerne les termes de la prise de participation (equity). Au Royaume-Uni, un accord de licence typique est un partage 50/50 rarement négociable entre l’université et l'[…] entrepreneur universitaire, alors que les personnes interviewées dans les universités américaines ont indiqué des prises de participation négociables de l’ordre de 5-10% ».

Vous comprenez maintenant pourquoi je disais dans mon précédent post que je ne suis pas convaincu de prendre le Royaume-Uni comme une référence. La pratique des États-Unis montre qu’il y a de place dans le débat. Vous pouvez vérifier à nouveau dans mon article de novembre 2013, qu’un accord typique est soit de 10% d’equity à la création ou de 5% après un financement important. Très rarement plus.

Là encore, les auteurs mentionnent que « les fondateurs aux États-Unis souvent ne réalisent pas que certains termes de deal sont négociables, y compris les frais initiaux, les paiements d’option, l’equity, les paiements de redevances (royalties), les paiements intermédiaires, les territoires couverts, le domaine d’utilisation et l’exclusivité par rapport à la non-exclusivité » et que aussi, « au Royaume-Uni, les termes de licences sont souvent perçus comme étant non négociables, bien que ce soit pas toujours le cas. En fait, de nombreuses politiques d’universités indiquent explicitement que les termes des contrats sont négociables ». Cela peut par contre rendre le processus plus long.

À la page 4, les auteurs ajoutent: « Il est difficile de comprendre la justification des TTO britanniques, comme Isis Innovation d’Oxford, qui prennent 50% du capital d’une entreprise à la formation, ce qui après l’investissement peut laisser l’entrepreneur académique avec une très faible participation dès le lancement, pour ce qui était probablement des années de travail, et qui demandera encore beaucoup plus de temps et d’argent pour le développement à venir » et en fait « les données suggèrent que les TTOs qui demandent moins au début et laissent plus à l’universitaire et aux investisseurs qui vont effectivement développer l’idée plus avant est payante à long terme. Autrement dit: détenir une petite part de quelque chose est a encore plus de valeur qu’une plus grande part de rien du tout ».

Le mystère des redevances (royalties)

« Il est également intéressant de noter que, même si une discussion sur les redevances était hors de portée de cette étude, il ressort clairement de notre recherche que de nombreux TTO académiques « doublent la mise » en demandant prises de participations (equity) et redevances (royalties) significatives. » Mais encore une fois « peut-être plus inquiétante que les parts démesurées d’equity et de redevances que les universités revendiquent est le manque de transparence de la part de nombreuses universités sur cette question cruciale ».

Ma conclusion : tout entrepreneur en herbe devrait lire ce court document de 5 pages et être prêt à négocier. J’aimerais autant que les auteurs que les universités et les instituts de recherche soient totalement transparents dans leurs politiques d’equity et de royalties, mais je suis également conscient de la position éventuellement affaiblie des universités qui le feraient.

Deux défis du transfert de technologie – partie 1, les systèmes nationaux.

Deux documents m’ont conduit à décrire ici, deux types de défis auxquels font face les entités de transfert de technologies académiques.
– Tout d’abord d’un point de vue macro-économique, le défi vient des différentes structures administratives envisageables, mais aussi de la complexité des activités. Le rapport Transfert et Valorisation dans le PIA de Bruno Rostand compare les politiques de l’Allemagne et du Royaume Uni à celle de la France.
– Ensuite, d’un point de vue micro-économique, la revue Nature a publié l’article Keys to the kingdom avec pour sous-titre, Ce que vous devez savoir sur votre bureau de transfert de technologie. Je reviendrai sur cet article dans mon prochain post.

Mise en page 1

Le rapport de Bruno Rostand aborde les défis que la France rencontre en ayant créé des sociétés régionales de transfert de technologie, les « SATT ». Il note que l’Allemagne a bâti un système similaire avec ses « PVA » dans les länder. Dans les deux cas, il y a un objectif d’autonomie financière qui semble difficile à réaliser pour ne pas dire irréaliste, malgré l’existence de subsides publics. En Allemagne, deux de ces sociétés ont même déposé le bilan en Basse Saxe en 2006 et à Berlin en 2013.

Pourquoi de telles difficultés ? Parce que les retours sur investissement n’auront pas été à la hauteur des espérances. Par exemple, environ €10M d’euros auront été investi chaque année sous forme de fonds publics en Allemagne, mais les revenus seront restés bien inférieurs. De plus la structure régionale a montré ses limites, tant il est difficile d’acquérir une expertise dans tous les domaines de la technologie.

Le Royaume Uni connaît une situation différente. L’état n’aura été qu’un acteur marginal et ce sont soit les universités (Cambridge, Oxford, Imperial College) soit des structures privées proches du capital-risque (IP group) qui ont de manière organique contribué à structurer le transfert de technologie. En externalisant des structures devenues privées, ces organisation ont permis des bâtir des entités riches en ressources humaines et financières. À Oxford, ISIS emploie 80 personnes pour £14.5M de revenus en 2014. Imperial innovation est cotée en bourse depuis 2006, emploie 45 personnes et a généré un profit de £27M en 2014. Imperial innovation a élargi sa base initiale en collaborant avec d’autres universités. Enfin l’IP Group a des accords avec plus de 15 universités pour un profit de £9.5M en 2014. Le rapport montre bien des philosophies extrêmement différentes avec primauté du public ou du privé et des résultats de profitabilité divers, avec une dimension entrepreneuriale évidente au Royaume Uni. L’accent plus ou moins mis sur les start-up conduira à des structures différentes, y compris fonds de maturation et incubateurs.

Le rapport montre également qu’une politique de licence et une politique de soutien à la création de start-up sont différentes. Enfin, ces nouvelles structures de TT ont souvent la seule charge de la valorisation et de la maturation de la PI, alors que les collaborations de recherche avec l’industrie restent de la responsabilité des universités. Cette séparation pourrait être une faiblesse quand les deux sujets ont un lien.

Un sujet sensible est celui de l’exclusivité qui peut créer des tensions lorsque la gestion du TT est mutualisée. Certaines universités souhaitent garder une certaine autonomie, notamment dans des domaines où la compétence de la structure de TT leur semble faible. Un autre sujet délicat est celui de la structure par région alors qu’une structure par domaine de compétence transrégionale serait peut-être plus adaptée. (Le rapport aborde aussi la recherche partenariale et la coopération internationale que je ne traiterai pas ici.)

Dans la partie finale, Rostand montre la complexité des défis. Il faut déjà définir la mission du transfert qui peut être ou non celle de faire du profit. L’externalisation semble être une tendance dans les trois pays, mais elle a ses avantages et ses inconvénients. Il semble aussi qu’il y ait pas mal d’instabilité et de fluctuations dans les cycles de financement, ce qui n’aide pas à faire une analyse des outils de transfert. Le rapport aborde aussi la question des ressources humaines (types de compétences et d’expériences), autre sujet qui peut-être lié aux moyens dont disposent ces organisations.

Le seul commentaire personnel que je fais ici concerne ma légère frustration de ne pas avoir trouvé dans un rapport (extrêmement instructif par ailleurs) d’analyse de la situation américaine. Le pays du libéralisme et des universités privées compte très peu de structures de transfert externalisées, et encore moins à but non lucratif. Je n’ai en tête que WARF de l’Université du Wisconsin à Madison – www.warf.org) alors que les revenus de TT aux USA sont considérablement plus élevés qu’en Europe. L’explication pourrait simplement venir d’une innovation privée autrement plus dynamique, indépendamment de tous les systèmes mis en place.

Sciences et technologies émergentes, pourquoi tant de promesses? (Partie 4)

Suite et fin de ce que j’ai retenu de Sciences et technologies émergentes, pourquoi tant de promesses? (pour mémoire voici les liens aux partie 1, partie 2 et partie 3).

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Les derniers chapitres de cet excellent ouvrage essaient d’explorer des pistes pour résoudre le problème de l’excès de promesses qui est devenu un système. Dans le chapitre IV.2, il est question de désorcèlement, je l’ai lu comme une analyse critique du vocabulaire employé par ceux qui promettent. Le chapitre parle assez longuement du mouvement transhumaniste, la promesse des promesses! « […] décrire comment ces acteurs produisent certes, mais surtout détournent, reconfigurent et amplifient ces mêmes promesses […] face à des consommateurs passifs et naïfs ». [Page 261] et plus loin « [mais] les transhumanistes sont d’abord des militants, la plupart du temps ni ingénieurs, ni praticiens, […] tentant des réponses à des questions pas encore posées ou mal posées, […] d’où un corpus bien caricatural, » au point de parler de « secte » en citant Jean-Pierre Dupuy, « une pensée brouillonne, souvent contestable ». [page 262]

Dans la chapitre IV.3, les auteures explorent des approches non conventionnelle, signe possible d’un désarroi pour répondre « scientifiquement » aux promesses. Ainsi celles-ci ont-elles contribué à la création d’une bande dessinée pour répondre à une autre bande dessinée qui souhaitait vulgariser et promouvoir la biologie de synthèse.

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Enfin le dernier chapitre explore des scenarii face à l’explosion des promesses, comme l’idée d’augmenter le nombre de prix Nobel. Nouvelle promesses?!! Plus concrètement, l’auteur montre bien que les promesses initiales ne sont pas suivies dans les faits: « Le phénomène d’attentisme de l’investissement, ou déficit d’innovation, est par contre moins reconnu, quoique largement répandu: l’effet des promesses générales et diffuses entretient l’intérêt des acteurs mais trop d’incertitudes les retiennent d’investir dans des cycles de promesses-exigences concrets. » [Page 297] « Un jeu est à l’œuvre qui se poursuit tant que les joueurs se conforment aux règles, […] ils sont prisonniers du jeu. […] Ils peuvent aussi en sortir, si les circonstances s’y prêtent, et alors le jeu s’effondre. » [Page 298]

En conclusion, au delà d’une description très riche de nombreux exemples de promesses scientifiques et techniques, les auteurs ont bien montré comment un régime des promesses s’est bâti à travers les interactions entre différents acteurs (les chercheurs eux-mêmes, les décideurs politiques, sociaux et économiques qui les financent, et le grand public qui espère et angoisse). Le rapport au temps, non seulement le futur, mais aussi le présent et le passé, est joliment décrit, sans oublier un certain désir d’éternité. Et enfin, on découvre surtout que les promesses ont conduit à une multitude de débats qui étaient peut-être, pour ne pas dire tout à fait, inutiles, tant l’on pourrait peut-être découvrir que les promesses ne pourront jamais être tenues, dès même l’instant où elles ont été prononcées…