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L’État entrepreneurial (partie 5) – conclusion sur un grand livre

Encore une fois, j’ai été très impressionné par l’État Entrepreneurial, mais j’ai aussi des doutes et même quelques désaccords. Peut-être que j’ai été été victime d’un lavage de cerveau pendant les 20 dernières années de ma vie, mais mon expérience dans la Silicon Valley et du capital de risque ainsi que mon expérience moins que satisfaisante dans l’innovation planifiée de l’État me convainquent que l’entrepreneuriat est essentiel et peut-être plus important que le rôle de l’État dans le cadre de l’innovation (et non pas en qui concerne la recherche ou encore la R&D).

Maintenant, je suis tout à fait d’accord que le financement initial de l’innovation par l’État par la recherche et les taxes qui doivent être payées par les entreprises sont essentiels. Je reconnais également que VC est de moins en moins dans la prise de risque et que les activités de R&D des entreprises sont juste du domaine du D alors que le R a disparu à la fois dans l’informatique et l’industrie pharmaceutique.

Mais laissez-moi finir avec mes notes sur cet excellent ouvrage. Pour rappel, la partie 1 traitait de la crise de l’innovation, la partie 2 portait sur le rôle respectif du secteur public et privé dans la R&D et l’innovation, la partie 3 de l’ iPhone d’Apple, la partie 4 de la révolution verte et les risques et récompenses.

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Chapitre 9 – La socialisation des risques et la privatisation des récompenses.

« L’innovation a tendance à permettre à ceux ayant des compétences élevées de prospérer et aux personnes peu qualifiées se laisser distancer. » [Voir aussi son commentaire sur l’économie nouvelle et ancienne dans la partie 4] « S’agit-il du même type d’acteurs économiques qui sont mesure de s’approprier les rendements du processus d’innovation si et quand ils apparaissent ? Autrement dit, qui prend les risques et qui obtient les récompenses? Nous soutenons que ce sont les caractéristiques collectives, cumulatives et incertaines du processus d’innovation qui font cette déconnexion entre les risques et les retours possibles. » […] « Quand certains acteurs sont en mesure de se positionner au point – le long de la courbe d’innovation cumulative – où l’entreprise innovante génère des rendements financiers, qui est proche du produit final ou, dans certains cas, à proximité d’un marché financier comme le marché boursier. Ces acteurs privilégiés avancent ensuite des arguments idéologiques – généralement avec des sources intellectuelles dans les propositions de l’efficacité de l’économie néoclassique (et la théorie liée à la « valeur actionnariale » ) – qui justifient les parts disproportionnées des profits résultant de l’innovation qu’ils ont pu s’approprier [Page 186] (Ce passage est un peu long, mais très vrai.)

Trouver un moyen de réaligner la prise de risque avec les retours est donc crucial, non seulement pour réduire les inégalités , mais aussi pour favoriser davantage l’innovation. [ … ] Dit de manière provocante, si l’Etat avait gagné juste un pour cent des gains réalisés dans l’Internet, il serait beaucoup plus aujourd’hui à même d’investir dans les technologies vertes. Beaucoup affirment qu’il est inapproprié de considérer des retours directs parce que l’État gagne déjà via le système fiscal. La réalité est, cependant, que le régime fiscal n’a pas été conçu pour soutenir l’innovation et l’argument ignore le fait que l’évasion et l’optimisation fiscales sont monnaie courante. [Page 187]

Mazzucato suggère 3 propositions concrètes :
– Un droit sur la propriété intellectuelle (PI) et un « fonds d’innovation » national par extraction d’une redevance Le gouvernement devrait conserver une part des brevets , en s’assurant que le propriétaire des brevets agit de manière coopérative, en octroyant des licences largement et équitablement, après une période initiale de protection.
– Des revenus sur des prêts et des capitaux propres conditionnels. « Après que Google a fait des milliards de bénéfices, ne devrait-elle pas reverser un petit pourcentage de ceux-ci à la l’agence publique qui a financé l’algorithme ?  »
– Des banques de développement. Si / quand l’institution de l’Etat est gérée par des gens qui ne croient pas seulement dans la puissance de l’État, mais ont aussi avoir une expertise pour comprendre le processus d’innovation, les résultats produisent de vrais retours.
[Eh bien n’est-ce pas au moins en partie ce que les Américains font à travers le Bayh Dole Act ?]

Conclusion

« Plutôt que de compter sur le faux rêve que « les marchés » géreront le monde de façon optimale pour nous « si nous les laissons seuls », les décideurs doivent mieux apprendre à utiliser efficacement les outils et les moyens de façonner et de créer des marchés – faire bouger les choses qui, autrement, ne se feront pas. L’Etat peut le faire en s’appuyant sur un (considérable) réseau social national de connaissances et de sens des affaires. L’Etat devrait «rester fou », comme disait Jobs, dans sa quête de développement technologique. Il peut le faire à une échelle et avec des outils qui ne sont pas disponibles pour les entreprises. Le succès d’Apple ne dépendait pas de sa capacité à créer de nouvelles technologies, mais surtout de sa capacité d’organisation en intégrant le marketing et la vente de ces technologies qui n’attendaient que d’être utilisées.

Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est une perspective de « systèmes », mais qui soit plus réaliste quant au rôle exact – et non pas mythique – des acteurs individuels, et les liens entre ces acteurs, à l’intérieur et le long du profil des risques. Il est, par exemple, irréaliste de penser que les domaines à forte intensité capitalistique et à haut risque dans les technologies propres seront développés par le capital-risque. L’histoire des nouveaux secteurs nous apprend que les investissements privés ont tendance à attendre que les investissements à haut risque soient d’abord réalisés par l’Etat. Pourtant, les rendements de ces investissements « révolutionnaires » de l’Etat ont été presque totalement privatisés. Bien que ce soit surtout évident dans l’industrie pharmaceutique, c’est également vrai dans d’autres domaines de haute technologie, comme le montre le cas d’Apple, qui a reçu des soutiens considérables de fonds publics, à la fois directs et indirects, et en évitant de payer ses impôts.

Premièrement, il ne suffit pas de parler de l’État «entrepreneuriale», il faut le construire, avec des stratégies à long terme. Il n’y a rien dans l’ADN du secteur public qui le rend moins innovante que le secteur privé. Il s’agit d’une prophétie auto réalisatrice qu’il serait plus excitant et amusant de travailler chez Goldman Sachs ou Google, plutôt que dans une banque d’investissement de l’État ou un ministère de l’innovation. La seule façon de rééquilibrer ce problème consiste à mettre à niveau, et pas de dégrader le statut du service public. Deuxièmement, il y a nécessité d’un retour sur investissement pour couvrir les pertes, au-delà des taxes et de la possibilité de recruter des personnels qualifiés. Un retour direct. Troisièmement, cela aura le potentiel de mieux informer les politiques qui sont dirigés vers d’autres acteurs dans «l’écosystème » de l’innovation. (Sauf que le monde est global ce qui peut rendre les efforts nationaux très difficiles.)

Recommandations
– Réduire les transferts directs de l’Etat tels que l’allégement de l’impôt,
– Dépenser de l’argent sur les nouvelles technologies et se concentrer sur les entreprises qui peuvent investir dans l’innovation
– Abandon des boîtes de brevet
– Examiner les crédits d’impôt afin que les entreprises rendent des comptes sur l’innovation, et pas seulement sur la R&D
– Réduire les zones franches d’entreprises
– Retour d’investissement en partie au gouvernement
– Utilisation l’argent économisé pour des investissements massifs à la Darpa
– Adopter une approche proactive pour les technologies vertes
– (Pas sûr d’avoir compris l’argument sur la durée de l’investissement avant les exonérations fiscales )
– le court-termisme est problématique.

Alors que je terminai ces notes, je découvre l’émission de France Culture consacré à la remise du rapport d’Anne Lauvergeon sur l’innovation. dans L’ECONOMIE EN QUESTIONS par Dominique Rousset (le samedi de 11h à 12h)

L’État entrepreneurial (partie 4) – la révolution verte – un déséquilibre entre risques et retours.

– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– La partie 3 se concentre sur le rôle de l’État dans les technologies de l’iPhone.
Voici donc la 4ème partie sur les chapitres 6 à 8.

Chapitre 6 – Pousser ou juste donner un coup de pouce à la révolution industrielle verte.

Les technologies vertes (ou propres) sont une autre situation très intéressante. « Jusqu’à ce que les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques puissent produire de l’énergie à un coût égal ou inférieur à celui des combustibles fossiles, ils vont probablement continuer à être des technologies marginales qui ne pourront pas accélérer la transition si nécessaire à atténuer le changement climatique. » [Page 114] « Les politiques axées sur la demande (réglementation) sont essentiels, mais elles deviennent trop souvent des plaidoyers pour le changement. Des politiques d’offre (production d’énergie) sont aussi importantes car elles montrent que l’acte suit la parole. » [Page 155]

Encore une fois j’ai été un observateur (trop ?) prudent des technologies vertes quand l’Allemagne subventionnait de nombreuses entreprises qui ont fait faillite lorsque la Chine est arrivée avec des produits beaucoup moins chers ou quand la France et le Japon pariaient sur l’énergie nucléaire comme la plus propre … Mazzucato décrit à juste titre « les Etats-Unis avec une approche du tout financer en espérant qu’une innovation de rupture dans l’énergie émergera tôt ou tard. Cela n’a pas été le cas parce que beaucoup de technologies propres nécessitent un engagement financier à long terme, ce que les VCs ne sont pas disposés à ou capables d’entreprendre ». Dans mon analyse continue de récentes introductions en bourse, j’ai remarqué 11 entreprises dans les technologies vertes sur les 165 documents bâti que j’ai depuis 2002. Le plus ancien date de 2009. Ces sociétés ont levé plus de 2 milliards de dollars, soit environ 180 millions de dollars par entreprise. Elles avaient plus de 5’000 collaborateurs au total. Pour moi cela ressemble à une bulle spéculative ; de ce point de vue, Mazzucato a raison de dire que les investisseurs sont impatients. Je ne suis pas sûr qu’ils soient pour autant « timides » avec leur argent.

Les États-Unis ont continué à bâtir sur leur compréhension de ce qui a fonctionné dans les précédentes révolutions technologiques. (…) Mais si tout cela a été efficace pour mettre en relation et créer des effets de levier pour les universités, l’industrie et de l’entrepreneuriat dans dans les technologies propres, la performance a été inégale. (…) Une des principales raisons de cette performance inégale aux États-Unis a été sa forte dépendance envers le capital -risque pour « donner un coup de pouce » au développement des technologies vertes. (…) Comme certaines technologies propres en sont encore à leurs premières phases de développement, lorsque « l’incertitude de Knight » est le plus élevée, le financement VC se concentre sur quelques paris plus sûrs plutôt que sur l’innovation radicale qui est pourtant nécessaire pour permettre de transformer la société. (Pages 126-127) La conclusion qui pourrait suivre est que le gouvernement devrait se concentrer exclusivement sur le développement des technologies les plus risquées.

Des investissements impatients peuvent détruire les entreprises qui avaient promis de développer des produits basés des technologies financées par le gouvernement. Si les VCs ne sont pas intéressés par les industries à forte intensité capitalistique, ou à bâtir les capacités de production, des usines, qu’ont-ils exactement à offrir en termes de développement économique? Leur rôle devrait alors être considéré pour ce qu’elle est : limité. (Page 131)

On s’attend à ce que la possibilité d’effectuer des recherches à haut risque et d’avant-garde « va attirer plusieurs des meilleurs et des plus brillants cerveaux – ceux de scientifiques et d’ingénieurs expérimentés et particulièrement ceux des étudiants et des jeunes chercheurs, y compris dans le monde entrepreneurial. » (Page 134)

L’histoire de l’investissement du gouvernement américain en matière d’innovation, de l’Internet à la nanotechnologie montre qu’il a été crucial pour le gouvernement d’avoir sa part à la fois dans la recherche fondamentale et appliquée. La NIH est responsable de 75 pour cent des nouveaux médicaments les plus radicaux. Donc, l’hypothèse qu’on peut abandonner la recherche appliquée au secteur privé et que cela va stimuler l’innovation n’est pas démontrée (et peut même priver certains pays d’importantes percées.) (Page 136)

En réalité, les activités du gouvernement et des entreprises se recoupent souvent. Les capital-risqueurs et entrepreneurs répondent aux stimuli du gouvernement dans le choix des technologies dans lesquelles investir, mais ils sont rarement axés sur le long terme. En l’absence d’un modèle d’investissement approprié, le VC aura du mal à fournir le « capital patient » nécessaire au plein développement d’innovations radicales. Il est crucial que le financement soit patient. (Page 138)

Les finances publiques (telles que les banques de développement de l’Etat) sont donc supérieures aux banques commerciales ou au VC pour la promotion de l’innovation, car elles sont engagées et patientes.

Les risques financiers et technologiques liés au développement des énergies renouvelables modernes ont été trop élevé pour le soutien VC. Un problème clé est que les VCs recherchent des rendements qui ne sont pas réalistes pour des technologies à forte intensité capitalistique. Les rendements spéculatifs des révolutions TIC ne peuvent pas être le « norme » pour être reproduits dans toutes les autres industries de haute technologie. (Page 140)

Mes commentaires : Je suis d’accord avec la critique sur le capital -risque. Maintenant, la solution proposée de banques de développement engagées et patientes est nouvelle pour moi. Je comprends « patient », je suis moins sûr pour « engagé ». Cela signifie-t-il actif et compétent?

Mais ma principale préoccupation est de nouveau la différence entre inventer et innover. Je dois revenir à Apple. Selon Wikipedia, une définition classique de l’entrepreneuriat est « la poursuite des d’opportunités, sans égard pour les ressources actuellement disponibles ». Le terme met l’accent sur les risques et les efforts engagés par des personnes qui créent puis gèrent une entreprise, et sur les innovations résultant de la poursuite de la réussite économique.

Quand Mazzucato décrit l’Etat entrepreneurial, elle décrit autant un État Inventer qu’un État Innovateur. Il n’y a pas de mal à cela. Apple a été une entreprise très forte pour utiliser des inventions et des innovations surtout pour les intégrer dans de nouveaux produits. C’est pourquoi Apple fait si peu de R & D. Une même entreprise peut-elle faire la recherche et explorer de nouveaux territoires pour développer de nouvelles technologies et les intégrer dans de nouveaux produits. Je ne suis pas sûr que cela ait été démontré par des preuves claires. Mais nous devrions probablement demander historiens de la technologie.

Il y a une invention qui montre la difficulté du transfert de l’invention à l’innovation : le transistor a été inventé au Bell Labs en 1947. Certains des éléments de l’invention seulement ont été brevetées (car il y avait eu des idées antérieures datant de 1925.) En 1951, Bell Labs avait octroyé des licences (sous la pression de l’Etat) de la technologie à plus de 40 entreprises et Texas Instruments et Sony (qui étaient alors de petites entreprises) sont connus comme le premiers producteurs de transistors commerciaux. Les inventeurs ont reçu le prix Nobel en 1957 et l’un s’est installé à Palo Alto, déménagement qui est probablement à l’origine de la Silicon Valley. En raison de la menace de l’URSS en tant que puissance technologique émergente, les États-Unis ont déversé beaucoup d’argent de l’armée et du spatial sur le potentiel de l’électronique du transistor.

La difficulté avec les nanotechnologies et les technologies vertes c’est que dans la situation de poule et l’œuf que sont les de tractions du marché (poule) et de poussée des technologies (œuf), les besoins du marché peuvent être clairs, mais la poussée de la technologie me le semble beaucoup moins. Je ne suis pas sûr de voir ce qu’est l’équivalent du transistor pour ces domaines «prometteur».

Chapitre 7 – Les énergies éolienne et solaire

Ce chapitre porte sur l’histoire et la situation actuelle de ces deux énergies. Les acteurs dans l’éolien sont GE et Vestra (Danemark). C’est une longue et intéressante histoire. Il y a une histoire similaire, longue et douloureuse, pour l’énergie solaire. First Solar, Solyndra , SunPower , Evergreen sont décrits en détail. Mazzacutto se concentre sur la stratégie à long terme de la Chine face au plus court terme américain, ainsi que sur l’approche innovante de l’Allemagne dans le marché. « L’échec de Solyndra souligne le système parasitique d’innovation que les Etats-Unis ont créé – où les intérêts financiers sont toujours le juge, jury et bourreau de tous les dilemmes d’investissement en innovations ». « Le cas de la technologie propre nous enseigne déjà que changer le monde exige coordination et investissement de plusieurs États, sinon la R&D, le soutien pour la fabrication et le soutien pour la création et le fonctionnement du marché resteront des impasses. »(Page 155)

Un cadre devrait inclure des politiques de la demande pour promouvoir la consommation accrue ainsi que des politiques de l’offre qui favorisent la fabrication des technologies avec du capital patient. (Page 159)

Mais les arguments de McKay sur l’énergie durable – ce n’est pas que du vent me rendent prudent …

Mazzacuto rappelle ici quelques éléments fondamentaux : elle revient sur le Mythe 2 (small is beautiful) « Nous ne devrions pas sous-estimer le rôle des petites entreprises si supposer que seules les grandes entreprises ont les ressources adéquates. (…) La volonté de modifier les modèles de marché actuels est nécessaire pour une véritable révolution industrielle verte. (… ) Ce devrait être un sujet de débat, de savoir si le soutien public devrait aller aux grandes entreprises qui pourraient faire leurs propres investissements et aussi de savoir si elles seraient prêtes à se passer des technologies qui offrent leurs principales sources de revenus.» comme mon ami Dominique ((-:) l’a mentionné à juste titre dans une réaction à un précédent post sur le sujet : « Le financement de la recherche et à quel niveau de précocité cette recherche est financée par une entreprise dépend bien sûr de ses attentes, mais aussi de ses marges. Dans les années 70, les grandes entreprises pouvaient se permettre de financer la recherche au début parce que 1) elles prévoyaient des marchés stables ou en croissance et 2) parce que leurs marges étaient constamment élevées, je crois. Aujourd’hui la vitesse @ les marchés évoluent est certainement dissuasive pour la recherche à un stade précoce dans les entreprises… »

Chapitre 8 – Risques et récompenses : abandonner les pommes pourries pour des écosystèmes symbiotiques.

La prise de risque a été un effort collectif alors que les rendements ont été distribués beaucoup moins collectivement. [Page 165] L’histoire que l’on raconte aux contribuables américains est que la croissance économique et l’innovation sont les résultats de différents « génies » de la Silicon Valley, les « entrepreneurs », les capital-risqueurs ou les « petites entreprises », aidés par règlementations laxistes (ou inexistantes) avec des impôts bas – en comparaison des états trop présents dans une grande partie de l’Europe. [Page 166]

L’incertitude de Knight dans l’innovation, avec les coûts irrécupérables et inévitables et l’intensité du capital dont elle a besoin, est en fait la raison pour laquelle le secteur privé, y compris le capital -risque, se dérobe. C’est aussi la raison pour laquelle l’État est l’acteur qui prend souvent la responsabilité, non seulement de fixer les erreurs des marchés, mais aussi de les créer. [Page 167]

Garder cette histoire inédite a permis à Apple d’éviter de « rembourser » une part de ses bénéfices à ce même Etat. Apple a progressivement incorporé à chaque nouvelle génération de produits des technologies que l’Etat a initiées, cultivées et affinées. [Page 168]

Mazzucato a ensuite une analyse très intéressante des modèle d’affaires de la vieille et de la nouvelle économie : dans le passé on pouvait compter sur la stabilité, la générosité, l’équité alors que dans la nouvelle, il est question de volatilité, de mobilité, et de faibles engagements. Les emplois ne sont pas égaux, même chez Apple selon que l’on soit dans la R&D, là où les produits sont conçus, ou en Chine, où a lieu la production ou enfin à nouveau aux Etats-Unis là où ils sont vendus dans les magasins d’Apple; mais pire, la mobilité et la mondialisation ont permis l’évasion et l’optimisation fiscales. Apple a une filiale dans le Nevada, Braeburn Capital pour éviter l’impôt sur le revenu ou sur le capital. Puis elle a des filiales au Luxembourg, en Irlande, aux Pays-Bas et aux Iles Vierges britanniques pour des avantages liés à la faible fiscalité. L’IP d’Apple est détenue par des filiales irlandaises, qui perçoivent des redevances sur les ventes d’Apple (!) Et dont la propriété est co-détenue par une autre filiale aux Iles Vierges, Baldwin Holdings… GE, Google, Oracle, Amazon et Intel sont également célèbres pour l’optimisation fiscale et la perte pourrait être de 60 à 80 milliards de dollars pour les États-Unis depuis une décenni . [Pages 168-175]

Le but ultime de mettre de l’argent des contribuables dans le développement de nouvelles technologies est de prendre le risque qui accompagne normalement la poursuite de produits complexes et de systèmes innovants nécessaires pour atteindre des objectifs collectifs. [Page 176]

Mazzucato termine ce nouveau chapitre avec « Où sont les Bell Labs d’aujourd’hui ? » « Une des raisons expliquées dans une étude [récente du MIT] est le fait que les grands centres de R&D – comme Bell Labs, Xerox PARC et Alcoa Research Lab – sont devenus une chose du passé dans les grandes entreprises. Les recherche fondamentale et appliquée sur long terme ne font plus partie de la stratégie des grandes entreprises. Ce qui n’est pas clair cependant, c’est pourquoi et comment cela a changé au fil du temps. L’écart entre les rendements privés et sociaux ( découlant des retombées de la R&D) est le même à l’ère des Bell Labs qu’aujourd’hui. Et ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est le volet privé de la R&D en partenariat avec la composante publique, créant ce que j’appelle plus tard, un écosystème moins symbiotique. Il est essentiel de comprendre non seulement la façon de construire un «écosystème» d’innovation efficace, mais aussi et peut-être surtout, comment transformer cet écosystème afin qu’il soit symbiotique plutôt que parasitaire. [Page 179]

D’un côté, je vois le succès des anciens pays émergents tels que Taiwan et la Corée, mais je suis aussi né dans le pays des Concorde, TGV, Rafale et des centrales nucléaires que la France a eu du mal à vendre à l’étranger.

De même pourquoi la fission nucléaire (militaire et civile) a-t-elle été un tel succès alors que la fusion nucléaire civile n’a donné aucun succès commercial 50 ans après son utilisation militaire? Je me souviens avoir lu Richard Feynman sur le Projet Manhattan et l’intensité folle (et entrepreneuriale) du projet. Serait-ce que l’entreprenariat manque au projet ITER? Innovation et esprit d’entreprise sont très liés et toujours en quelque sorte un mystère.

Et pourquoi le succès (certes encore initial) d’un Tesla et d’Elon Musk serait-il possible si l’argent n’était pas assez disponible pour les technologies de rupture propres…

L’innovation planifiée est un défi très difficile que Mazzucato comprend très bien d’ailleurs et l’incertitude demeure. Rappelez-vous comment l’intelligence artificielle a été une déception pendant des années pour ne pas dire jusqu’à présent. Je voudrais terminer ici avec un article intéressant du journal Le Monde :

Innover n’est pas planifier.
LE MONDE | 30.09.2013 | Par Armand Hatchuel.

Le 12 septembre, le président République, François Hollande, et le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, ont présenté trente-quatre « plans de reconquête » allant de « la rénovation thermique des bâtiments » à « l’usine du futur », en passant par les « dirigeables pour charges lourdes ». Cette annonce a été perçue comme le retour d’une politique industrielle planificatrice, et a suscité les habituelles critiques à l’encontre du volontarisme public.
Critiques contestables car, en l’occurrence, il ne s’agit pas vraiment de planification. Les thèmes retenus visent d’abord à stimuler l’innovation et de nouvelles activités industrielles. Or, de nombreux travaux ont montré qu’une politique d’innovation – qu’elle soit publique ou privée – ne peut réussir que si sa conception, son pilotage et son évaluation s’éloignent clairement d’une logique planificatrice (Philippe Lefebvre, chercheur enseignant à l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris : « Organizing deliberate innovation in knowledge clusters : from accidental brokering to purposeful brokering processes » [Organiser l’innovation dans les écosystèmes : au-delà de l’émergence accidentelle, un pilotage des interactions créatrices], International Journal of Technology Management, vol. 63, n° 3/4, 2013).

LARGE PART D’INCONNU
Car, qu’est-ce qu’un « plan » ? Pour guider l’action future, chacun construit des représentations. On « planifie » nos vacances, la route à prendre ou la perte de quelques kilos. Reste que, tout en concédant des incertitudes, un plan suppose que le but, les moyens et les partenaires soient suffisamment connus. On peut, à la limite, penser que moyens et partenaires seront choisis « chemin faisant ». Mais il faut au moins préciser le but à atteindre. La politique agricole, la politique de télécommunications ou la politique du logement se construisent comme des plans dont l’objectif est clairement affiché : par exemple, un niveau chiffré de production ou d’équipement du pays.
Il n’en va plus ainsi pour un authentique programme d’innovation. On doit admettre que le but qu’il poursuit présente nécessairement une large part d’inconnu. Il n’est plus possible de spécifier par avance les trajectoires et les résultats les plus intéressants du projet.
Paradoxalement, cet inconnu ne retire rien à la valeur mobilisatrice d’un concept innovant. Qui ne souhaiterait une « voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km » ? Mais force est de reconnaître que l’on ne sait pas comment cette valeur sera concrétisée en techniques et produits efficaces : s’agit-il de petites voitures urbaines ? De systèmes intelligents de conduite ? De nouveaux types de véhicules ou de carburants ? De même ignore-t-on si de nouvelles entreprises ou de nouveaux marchés naîtront dans l’aventure.
L’histoire confirme abondamment la rationalité surprenante des grands programmes d’innovation. En 1854, l’Autriche lance le concours du col du Semmering pour la conception de la première locomotive destinée à un chemin de fer de montagne. De nombreuses solutions furent proposées, mais aucune ne put aboutir. En revanche, les grands bénéficiaires des innovations du Semmering furent… les nouvelles locomotives de plaine !

OUVRIR DES PISTES
Plus près de nous, ni Toyota ni Apple n’ont jamais lancé de projets visant à aboutir à la Prius ou à l’iPhone. Leur succès vint de leur capacité à bien piloter des programmes d’innovation ouverts (« véhicule vert », interfaces homme-machine « magiques ») et à tirer parti, avant leurs concurrents, des déconvenues ou des découvertes rencontrées. Il importe donc d’ouvrir des pistes très contrastées et de prêter attention à leurs croisements et aux apprentissages que chacune provoque.
Car l’inconnu ne paralyse pas l’action : il interdit de la gérer selon les codes rigides d’une planification. Depuis peu d’années, la recherche a éclairci les mécanismes cognitifs et collectifs qui limitent ou favorisent l’exploration de l’inconnu. On connaît mieux les règles de pilotage adaptées à l’innovation, qu’il s’agisse des démarches de conception innovante (expansion des alternatives, hybridations conceptuelles, prototypages d’exploration…) ou de la gestion des différentes valeurs qui émergent (compétences nouvelles, marchés inédits, nouveaux usages…). A cet égard, la rationalité classique est souvent trompeuse.
Dans la logique du plan, on distingue le projet de ses « retombées ». On vise le succès du premier, les secondes étant constatées après coup. Cette distinction ne vaut plus dans un programme d’innovation. Une « retombée » peut s’avérer plus importante que le projet lui-même. Piloter l’innovation, c’est se préparer à l’identité changeante du projet et à provoquer activement des « retombées » inattendues. L’indétermination entre « projet » et « retombées » multiplie les sources de valeur et permet de minimiser les risques financiers.
Au-delà de la rationalité économique qui vise l’optimisation dans un monde connu, la rationalité de l’innovation s’exprime dans la capacité des responsables de projets à régénérer les solutions, les marchés et les partenariats.
Face au défi du renouveau industriel, la question n’est pas de savoir si l’Etat doit recourir à la planification. Il faut surtout s’assurer que les grands chantiers lancés seront conduits par l’Etat et ses partenaires industriels selon les démarches les plus rigoureuses et les plus cohérentes avec l’intensité d’innovation espérée.

Harmand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech

L’État entrepreneurial (partie 3) – son rôle dans l’iPhone

Le livre de Mariana Mazzucato est si important et intéressant qu’il me faudra plusieurs articles pour le couvrir d’une manière satisfaisante (du moins pour moi).
– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– Dans cette partie 3, je vais me concentrer sur le chapitre 5, sur le rôle de l’Etat dans les technologies de l’iPhone.
– La Partie 4 portera sur les chapitres sur les technologies vertes
– et j’aurai besoin d’une Partie 5 pour conclure et ajouter quelques commentaires.

Chapitre 5 – l’Etat derrière l’iPhone

Mazzucato montre ici comment « Apple concentre son ingéniosité non pas sur le développement de nouvelles technologies et des composants, mais en les intégrant dans une architecture innovante. […] Les capacités d’Apple sont principalement (a) de reconnaître les technologies émergentes à fort potentiel, (b) d’appliquer des compétences d’ingénierie complexes qui intègrent avec succès les nouvelles technologies identifiées, et (c) maintenir une vision d’entreprise claire donnant la priorité au développement de produits orientés vers le design. » [Page 93]

C’est pourquoi « Apple a reçu un énorme soutien étatique et / ou indirect provenant de trois grands domaines: (1) une participation directe au capital , (2) l’accès aux technologies, et (3) la création de politiques technologiques ou fiscales. » J’ai déjà discuté du premier domaine et exprimé mes doutes. Aucune objection et aucune discussion su troisième point. Je ne suis que partiellement d’accord avec la deuxième point : j’ai l’impression que l’accès aux technologies s’est par l’intermédiaire d’autres entreprises, qui elles-mêmes ont pu avoir recevoir le soutien du gouvernement ou de la recherche universitaire. Xerox PARC est un exemple des plus célèbres, mais Apple a également acquis des start-up peu connues qui avaient développé des produits à partir de ces recherches. Mazzucato construit un graphique intitulé « les origines des produits Apple. »

Iphone Technologies origin

C’est un graphique très intéressant, mais j’aurais aimé voir les «entités» qui avaient développé les produits mentionnés. Dans certains cas, il s’agit d’organismes publics, comme pour l’Internet par exemple (http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_the_Internet) et dans d’autres cas, il s’agit d’un organisme privé financé initialement avec de l’argent public.

Siri est un exemple intéressant, car il a des racines ici à l’EPFL. Le programme CALO avait été financé par le DARPA, mais une start-up a été lancé avec du capital-risque en 2008, start-up ensuite été rachetée par Apple.

Sur le sujet des écrans, Mazzucato cite Florida et Browdy et « The invention that got away » (1991) quant à l’incapacité des acteurs privés à bâtir des capacités de production. « La perte de cette technologie d’affichage [TFT- LCD] révèle des faiblesses fondamentales du système de la haute technologie américaine. Non seulement nos grandes entreprises n’ont pas la vision et la persistance de transformer l’invention en un produit commercialisable, mais les bailleurs de fonds du capital-risque qui ont rendu possibles des industries de haute technologie comme les semi-conducteurs et les ordinateurs ont également échoué ». Le document montre les efforts supérieurs l’industrie japonaise qui a investi des centaines de millions de dollars dans le développement de la technologie. Dans mon analyse d’entreprises high-tech liées à Stanford , je me souviens avoir été frappé par le montant du financement de Candescent. Sur l’Internet Archive en date de 1998, j’ai pu trouver ce qui suit:
« Candescent Technologies Corporation est une société vieille de sept ans qui développe un nouvel écran plat révolutionnaire [qui est] une amélioration spectaculaire par rapport aux écrans à cristaux liquides. En 1991 Candescent a formé une alliance stratégique avec Hewlett- Packard. A la date du 1 er mai 1998, Candescent avait reçu plus de 337 millions de dollars de financement de partenaires stratégiques, d’entreprises de capital-risque, d’investisseurs institutionnels, et d’organisations publiques américaines ». En 2001, elle avait recueilli plus de 600 millions de dollars avec Compaq, Hewlett-Packard, Citicorp, JP Morgan, NEA, Sevin Rosen, Sierra ventures, et autres. En Juin 2004, Candescent déposa un dossier de réorganisation volontaire en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code devant le tribunal des faillite San Jose. En août 2004, Candescent vendit la quasi- totalité de ses actifs, y compris la propriété intellectuelle sur la technologie d’écrans à Canon. »

Encore une fois, je n’ai pas de désaccords majeurs avec Mazzacuto mais mon expérience avec l’innovation montre que c’est une activité très incertaine et je ne suis pas sûr que cela est dû uniquement à l’absence de soutien du secteur privé. En fin de compte, ni le Japon ni les États-Unis n’ont gagné, mais la Corée avec Samsung et LG.

Je connaissais moins la situation des écrans multi-touch et l’histoire intéressante de FingerWorks, dont Apple a acheté les actifs lorsque la société a fait faillite.
« Les produits de la Société restèrent dans un créneau haut de gamme et un objet de curiosité, malgré une bonne presse et des récompenses de l’industrie. Au début 2005, FingerWorks traversa une période délicate et arrêta de livrer de nouveaux produits. Des rumeurs indiquèrent qu’ils avaient été acquis par une société de technologie connue. Cette société s’est avéré être Apple. En Juin 2005, FingerWorks a officiellement annoncé qu’ils n’étaient plus en activité. Les fondateurs ont continué à produire et traiter des brevets pour leur travail jusqu’à la fin 2007. Et en Août 2008, ils ont encore déposé des brevets pour Apple ». (http://en.wikipedia.org/wiki/FingerWorks)

Apple a également travaillé avec Corning pour développer des écrans ultra- robustes appelé le verre Gorilla (http://en.wikipedia.org/wiki/Gorilla_Glass).

Sur le microprocesseur, j’ai deux remarques similaires:
– Bien qu’il existe de nombreuses sources sur l’origine du microprocesseur, il est souvent mentionné qu’Intel lança véritablement la technologie comme un produit et cela est venu d’une commande d’une société japonaise, pas de commandes publiques.
– Beaucoup plus tard, Apple a acheté P.A. Semi. qui développait des microprocesseurs spécialisés. Notez que P.A. Semi. avait eu des liens étroits avec le DoD donc Mazzucato a des arguments solides quant aux soutiens au moins indirects.

La MIT Technology Review a publié un article intéressant sur l’Apple I, l’iPhone et l’iPad qui montre la qualité de l’intégration. Il y eu de nombreux modèles d’ordinateurs et de téléphones intelligents, mais chez Apple, il y avait le génie de Wozniak et d’autres quand Jobs fut de retour – http://www.technologyreview.com/view/425238/classic-hacks-the-apple-i-computer-the-iphone-and-the-ipad-3g/

Iphone Technologies sketch

Ma réaction est que, oui, beaucoup pour ne pas dire la plupart des technologies ont leurs racines dans des laboratoires publics, au moins au stade de la recherche, mais le développement est souvent concrétisé dans des start-up, avec ou sans capital-risque. Apple achète moins d’entreprises financées par le capital-risque que par exemple Cisco avec sa stratégie A&D (Acquisition et développement) et clairement la plupart des grandes entreprises ne font pas beaucoup de recherche. Le défi se trouve dans la capacité à traduire les résultats de la recherche en développement, ce qui est la raison d’être des start-up. C’est le modèle de la Silicon Valley.

Je vais terminer ces notes sur le chapitre 5 avec Mazzacuto : « Il est incontestable que la plupart des meilleures technologies d’Apple existent en raison des efforts collectifs et cumulés de la puissance publique ». [Page 112]

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 2)

Comme je l’ai dit dans l’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1), Mariana Mazzucato a écrit un livre important même si je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments.

Nous sommes en accord sur la problématique du financement des technologies, des inventions et des innovations. Il est généralement convenu que la commercialisation des produits et leur développement préalable est de la responsabilité du secteur privé dans une économie capitaliste. Le financement de la recherche (au moins la recherche fondamentale) est généralement la mission de l’Etat, mais la recherche appliquée (même si je n’ai jamais vraiment compris de quoi il s’agit) peut être faite par l’État ainsi que par le secteur privé .

Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse ici: je ne suis pas un grand fan des concepts de recherche fondamentale et appliquée, mais je comprends mieux d’autres concepts d’amont en aval. Ici, ils s’agit de:
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La recherche n’a pas de résultat connu a priori, sauf de la connaissance, alors qu’à un stade ultérieur dans le développement, les objectifs sont un peu plus clairs. Ceci étant dit, je ne suis pas très à l’aise avec les arguments de Mazzucato quand elle dit l’État fait beaucoup pour l’innovation. Mais elle montre clairement il ya une zone grise entre les 3 étapes que j’ai simplement décrites ci-dessus. Je fais partie (au moins pour l’instant) du groupe de personnes qui croient que c’est la mission de l’Etat d’être actif aux deux premiers stades, et que le secteur privé est actif dans le troisième. Rien n’interdit le secteur privé à aller plus en amont et le secteur public plus en aval, mais c’est assez rarement le cas. Voici mes notes sur les chapitres 3 et suivants :

Chapitre 3 – La prise de risque de l’Etat : de « dé-risquer » à « lancer-le ! »

Lors d’une visite du président Mitterrand dans la Silicon Valley, Thomas Perkins qui dont le fonds avait financé Genentech vanta les vertus de la prise de risque de ces investisseurs qui financent les entrepreneurs. Perkins fut interrompu par Paul Berg, professeur à Stanford et lauréat du prix Nobel. Il demanda: « Où étiez-vous dans les années 50 et 60 pour le financement qui devait nécessaire à la science fondamentale ?  » [Page 57]

L’entrepreneuriat, comme la croissance, est un des sujets les moins bien compris en économie. Selon Schumpeter, l’entrepreneur est une personne prête à et capable de convertir une nouvelle idée ou une invention en une innovation réussie (tel que des produits, services ou processus). L’Entrepreneuriat emploie la « destruction créatrice » pour remplacer, en tout ou partie, les innovations inférieures, créant simultanément de nouveaux produits, y compris de nouveaux modèles d’affaires. Chaque nouvelle technologie majeure conduit à la destruction créatrice. [Page 58]

[Encore une fois je dois réagir ici: là où je suis entièrement d’accord avec l’esprit d’entreprise et les définitions de l’innovation, je suis sceptique quant à la remarque sur la technologie: certaines « grandes » nouvelles technologies ne détruisent rien, car elles ne devinrent pas un succès commercial (l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale par exemple mais il y en a bien d’autres). Je dirais plutôt que les grandes innovations couronnées de succès conduisent à la destruction créatrice. Ceci est important parce que, comme le dit justement Mazzucato, il n’y a pas de processus linéaire dans l’innovation mais par contre beaucoup d’incertitude.]

L’entrepreneuriat est une question de prise de risques et est très incertain. Les investissements en R&D qui contribuent aux changements technologiques non seulement prennent des années à se concrétiser en de nouveaux produits, mais la plupart des produits développés échouent. Le modèle de la Silicon Valley raconte une histoire « d’entrepreneurs en roue libre » et de capitaux-risqueurs visionnaires et pourtant cette histoire ignore le facteur crucial: le rôle de l’armée dans sa création et son succès. [Mazzucato montre les mêmes probématiques dans la l’industrie pharmaceutique où les grands acteurs développent des médicaments d’imitation et laisse l’État développer les innovations radicales dans les universités, comme le montre l’anecdote ci-dessus avec Mitterand, Perkins et Berg.]

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Encore une fois, j’ai quelques soucis avec cette description. Premièrement dans l’image ci-dessus, j’aurais aimé voir le R face au D et pas le R fondamental face à l’ensemble. Mazzucato a raison sur le financement de la recherche, aucun doute à ce sujet. Je l’illustre depuis de nombreuses années par des graphiques où le financement de la recherche dans les universités américaines par l’industrie est de 4-7 % alors que le financement fédéral est d’environ 60 % ! Vous pouvez consulter les Figures 1 et 2 ci-dessous. Mais, quand il s’agit d’innovation, je ne vois pas où l’Etat a produit la biotechnologie ou l’industrie IT. Il a rendu les inventions disponibles. Vous avez cependant besoin d’entrepreneurs et d’investisseurs visionnaires comme je l’ai dit sur mon blog dans le cas Genentech il y a quelques années [voir Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech]

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Figure 1: le financement public et privé de la recherche universitaire américaine.

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Figure 2: le financement public et privé de la recherche à l’université de Stanford et au MIT.

Chapitre 4 – L’état entrepreneurial américain.

Dans ce court chapitre, Mazzucato montre à travers quatre exemples comment le gouvernement américain encouragée innovation. Il s’agit du DARPA (le financement de la recherche par l’armée américaine), des SBIR (Les « Small Business Innovation Research »), les médicaments orphelins et les nanotechnologies.

Sur le Darpa, « une série de petits équipes, composées d’éminents scientifiques, se sont vu données une autonomie de budget considérable, … finança un mélange de chercheurs universitaires, de start-up, d’entreprises établies et de consortiums … aidant ainsi les entreprises à emmener les produits au stade de la viabilité commerciale ». [Page 78] Encore une fois l’impact du DARPA dans le financement de la recherche est indiscutable. Et oui, il faut le dire, Mazzucato a raison sur ce quasi-assourdissant silence sur le rôle de l’Etat. Vous pourriez aussi le vérifer avec cette autre excellente référence qu’est l’ouvrage de Rebecca Lowen “Creating the Cold War University – the Transformation of Stanford”.

Je suis moins convaincu sur le SBIR. « Les agences gouvernementales allouent une fraction de leur budget de recherche pour soutenir les petites entreprises, indépendantes et à but lucratif. » Mazzucato affirme qu’Apple a été financé par un tel fonds, le Continental Illinois Venture Corp (CIVC), mais j’ai vérifié le document d’introduction en bourse d’Apple et le CIVC n’était pas à l’origine de l’entreprise. Arthur Rock and Don Valentine convainquirent Markkula d’aider les deux Steve et investirent en janvier 1979. Même si CIVC avait investi à cette même date (ce que j’ignore), c’était un actionnaire minoritaire et passif. En outre, le CIVC était la filiale VC d’une banque, donc pas un investissement purement public… Mazzucato cite également Lerner et Audretsch, éminents professeurs comme références . Dans un livre récent (Boulevard of Broken Dreams – Pages 125-126), le même Lerner explique que le manque de flexibilité du SBIR et de l’ATP fut préjudiciable (il devait être question de financement pré-commercial pour l’ATP ; les start-ups devaient être détenues à 51% au moins par des citoyens américains ou des résidents, au point que la présence de capital-risque pouvait exclure l’entreprise du financement SBIR !) J’ai lutté pendant des années pour trouver l’impact réel de SBIR et je n’ai jamais trouvé de données convaincantes. Il y a un débat récurrent sur le rôle direct de l’État dans le financement VC, avec des réponses assez peu claires depuis des années.

Je ne sais pas rien des médicaments orphelins, mais je suis sceptique sur les nanotechnologies. « Les nanotechnologies vont très probablement être la prochaine technologie d’application générale ». [Page 83] « Ce sera une révolution encore plus important que l’ordinateur. » « Aujourd’hui, elles ne créent pas encore un impact économique majeur en raison de l’absence de commercialisation de ces nouvelles technologies, ce qui s’explique par des investissements excessifs dans la recherche par rapport aux investissements dans la commercialisation. […] Cela soulève une question : si le gouvernement doit financer la recherche, financer de grands investissements d’infrastructure et aussi entreprendre les efforts de commercialisation, quel est exactement le rôle du secteur privé ? » [Page 86]

Et bien, encore une fois, je trouve l’argumentation un peu contradictoire. Si les nanotechnologies était juste un autre fruit mûr qu’il suffit de cueillir pour les commercialiser grâce à l’investissement de l’Etat, nous aurions déjà vu les premiers résultats. L’initiative américaine sur les nanotechnologies a été lancée en 2000. Il y a eu des start-up très visibles telles que A123 ou Nanosys. Dans le tableau de capitalisation datant de 2004 de Nanosys, peut voir le financement de la start-up provenant de sources privées .

Je lis en ce moment le chapitre 5 et je reviendrai sur le livre de Mazzucato dans une troisième partie !

Nanosys

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1)

L’État entrepreneurial (The Entrepreneurial State) de Mariana Mazzacuto est, je pense, un livre important. L’auteur affirme que nous avons été injustes avec le rôle dans l’innovation du gouvernement et du secteur public en général, qui a fourni des fonds pour la plupart pour ne pas dire toute la R&D (Pharma, IT, spatial). Je partage le blâme car je suis un fervent partisan des start-up, du capital-risque, et la Silicon Valley est le modèle ultime. Et l’idée que l’Etat doit juste fournir les bases (éducation, recherche, infrastructure) et laisser le secteur privé innover a peut-être été une grosse erreur (de moi y compris). Je ne prendrai pas le blâme sur le second argument que j’ai toujours partagé avec l’auteur : l’idée que les allégements fiscaux et l’évasion fiscale rend le jugement encore plus injuste. Enfin, le secteur privé est très frileux face aux risques si bien qu’il y a moins d’innovation (et pas seulement à cause du capital-risque, mais en raison de la R&D privée, par rapport au passé lorsque les laboratoires de R&D au sein d’IBM , Bell ou Xerox étaient grands ou quand les VCs contribuaient vraiment à l’innovation dans les semi-conducteurs, les ordinateurs et la biotechnologie dans les années 60 et 70 )

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Permettez-moi maintenant de citer Mariana Mazzacuto en suivant son livre linéairement . Vous pouvez également écouter une conférence qu’elle a donnée à TEDx.

Alors que l’innovation n’est pas le rôle principal de l’État, illustrer le potentiel d’innovation et de dynamisme de l’Etat – sa capacité historique, dans certains pays, à jouer un rôle d’entrepreneur dans la société est peut-être le moyen le plus efficace pour défendre son existence. (Page 1).

L’entrepreneuriat n’est pas (seulement) le sujet des start-ups, du capital-risque et des « bricoleurs de garage ». Il s’agit de la volonté et de la capacité des agents économiques à prendre des risques et affronter une incertitude réellement Knightienne*, ce qui est vraiment inconnu. (Page 2).
Note *: l’incertitude Knightienne concerne le risque « incommensurable », c’est à dire un risque qui ne peut être calculé.

Même pendant un boom économique, la plupart des entreprises et des banques préfèrent (ou préféreraient) financer des innovations incrémentales à faible risque, en attendant que l’État fasse sa marque dans les domaines les plus radicaux. (Page 7) Des exemples sont fournis par l’industrie pharmaceutique – où les nouveaux médicaments les plus révolutionnaires sont fabriqués principalement avec des fonds publics, et non privés. (Page 10.)

Apple doit payer des impôts, non seulement parce que c’est une bonne chose, mais parce qu’elle est l’épicentre d’une entreprise qui a besoin de fonds publics qui soient très grands et prêts à assumer une prise de risque suffisante pour continuer à faire les investissements sur lesquels les entrepreneurs tels que Steve Jobs pourront ensuite capitaliser. (Page 11) C’est précisément parce que les investissements de l’État sont incertains, qu’il y a un risque élevé qu’ils échouent. Mais quand ils réussissent, il est naïf et dangereux de permettre à toutes les récompenses d’être privatisées. (Page 12)

Chapitre 1 – (La crise de l’innovation)

L’accent mis sur l’État en tant qu’agent entrepreneurial n’a évidemment pas pour but de nier l’existence de l’activité et de l’esprit d’entreprise du secteur privé, depuis le rôle des jeunes et nouvelles entreprises qui dynamisent ou créent de nouveaux secteurs (comme par exemple Google) jusqu’à la source importante de financement du privé comme le capital-risque . Le principal problème est que c’est la seule histoire qui est généralement racontée. (Page 20)

Il est naïf d’attendre du capital-risque de mener à un stade précoce le développement risqué de tout nouveau secteur économique aujourd’hui ** (tels que les technologies propres par exemple). Dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’Internet, le capital-risque est arrivé 15 à 20 ans après les investissements les plus importants réalisés par des fonds publics. (Page 23) L’État a été à l’origine des révolutions les technologiques et des périodes de croissance à long terme. C’est pourquoi un état « entrepreneurial » est nécessaire pour s’engager dans la prise de risque et la création d’une nouvelle vision.
Note **: Peut-être pas dans les années 50 à 70 , certainement au cours des 10 dernières années.

Les grands laboratoires privés de R&D ont fermé et le R de la R&D a également diminué. Une étude du MIT récente [1] affirme que l’absence actuelle aux États-Unis des laboratoires d’entreprises comme le Xerox PARC (qui a produit la technologie d’interface utilisateur graphique qui a contribué à la fois aux systèmes d’exploitation de Apple et de Windows) et les Bell Labs – cofinancés par le budget des agences gouvernementales – est une des raisons pour lesquelles la machine d’innovation américain est menacée. (Page 24) Rodrik (2004) affirme que le problème n’est pas dans quels types de mécanismes (R&D, crédits d’impôt, subventions) ou quels types de secteurs choisir (acier vs. logiciel), mais comment la politique peut favoriser les processus de découverte qui favorisent la créativité et l’ innovation – la nécessité de favoriser l’ exploration par essai et erreur (ce qui est le principe de base de la « théorie évolutionniste du changement économique » au chapitre 2)
Références:
[1] MIT 2013. Rapport économique Innovation, web.mit.edu/press/images/ documents/pie-report.pdf
[2] Rodrik, 2004. Politique industrielle pour le 21e siècle. CEPR Discussion Paper 4767

Chapitre 2 – Technologie, innovation et croissance.

Les politiques de redistribution progressive sont fondamentales, mais elles ne causent pas la croissance. En réunissant les leçons de Keynes et de Schumpeter, on peut la rendre possible. (Page 31) Solow a découvert que 90 pour cent de la variation de la production économique n’a pas été expliqué par le capital et le travail, il a appelé le résidu le « changement technique ». (Page 33)

La « théorie de l’évolution économique » explique cela comme un processus constant de différenciation entre les entreprises, en fonction de leur capacité à innover. La sélection ne conduit pas toujours à la « survie du plus apte » à la fois en raison des effets de rendements croissants et aussi des effets des politiques. La dynamique de sélection des marchés des produits et des marchés financiers peuvent être en désaccord.

L’innovation est spécifique à l’entreprise et très incertaine. Ce n’est pas la quantité de R&D qui compte, mais la façon dont elle est distribuée dans toute l’économie. La vieille idée que la R&D peut être modélisée comme une loterie où une certaine quantité va créer une certaine probabilité de succès de l’innovation est critiquée car en fait l’innovation serait un exemple d’une véritable incertitude Knightienne, qui ne peut être modélisée avec une distribution normale (ou toute autre distribution de probabilité). (Page 35 – à nouveau le Black Swan !)

Les systèmes d’innovation sont définis comme le « réseau des institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies ». (La Théorie de l’Equilibre ne peut pas fonctionner, et plutôt que d’utiliser le calcul incrémental de la physique newtonienne, les mathématiques de la biologie sont utilisées, car elles peuvent explicitement prendre en compte l’hétérogénéité et la possibilité de dépendance de route et des équilibres multiples.) (Page 36) La perspective n’est ni micro ni macro, mais méso. Le lien de causalité entre la science fondamentale, en allant vers la R&D à grande échelle, puis les applications jusqu’à la diffusion des innovations n’est pas linéaire, mais plein de boucles de rétroaction. On doit être capable de reconnaître le hasard, la sérendipité, et l’incertitude qui caractérise le processus d’innovation. […] En utilisant l’exemple du Japon, « les contributions de l’Etat au développement au Japon ne peuvent être comprises en faisant abstraction de la croissance des entreprises comme Toyota, Sony ou Hitachi à côté du soutien public de l’Etat japonais pour l’industrie ». (Page 38)

Les systèmes régionaux d’innovation focalisent sur la proximité culturelle, géographique et institutionnelle qui crée et facilite les transactions entre les différents acteurs socio-économiques, y compris les administrations locales, les syndicats et les entreprises familiales … L’Etat agit en ralliant les réseaux d’innovation existants ou en facilitant le développement de nouveaux qui rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes. Mais un système riche d’innovation n’est pas suffisant. L’État doit élaborer des stratégies pour le développement technologique.

Mazzacuto termine le chapitre 2 avec 6 mythes sur l’innovation, et je suis totalement d’accord avec elle!

Mythe 1 : L’innovation c’est la R&D. « Il est fondamental d’identifier les conditions spécifiques aux entreprises pour permettre que les dépenses de R&D influent positivement sur la croissance.  »

Mythe 2 : Small is Beautiful. « Il y a confusion entre la taille et la croissance. » Ce qui est important est le « rôle des jeunes entreprises à forte croissance ». Beaucoup de petites entreprises ne sont pas en forte croissance. […] « L’essentiel de l’impact est lié à l’âge. Le ciblage de l’aide aux PMEs sous forme de subventions, de prêts bonifiés ou d’allégements fiscaux impliquera nécessairement un niveau élevé de déchets. Bien que ces déchets soient est un pari nécessaire dans le processus de l’innovation », elle doit être ciblée sur une croissance élevée et non sur les PMEs [en général], à savoir le soutien aux « jeunes entreprises qui ont déjà démontré de l’ambition ».

Mythe 3 : Le capital-risque aime le risque. « Le capital-risque est rare dans la phase d’amorçage. il est de plus concentré dans les domaines à fort potentiel de croissance, à faible complexité technologique et à faible intensité capitalistique. » […] «La polarisation sur le court terme est dommageable pour le processus d’exploration scientifique qui nécessite un plus long horizon et la tolérance à l’échec ». « Les récompenses pour le VC ont été disproportionnées par rapport aux risques pris », mais Mazzacuto reconnaît également que « le capital-risque a plus réussi aux États-Unis, quand il a fourni non seulement les financements, mais aussi l’expertise dans la gestion. » Enfin « la commercialisation progressive de la science semble être improductive ».

Mythe 4 : Les brevets. « La hausse du nombre des brevets ne reflète pas une augmentation de l’innovation ». [Je ne vais pas revenir ici sur le sujet, mais relisez Contre les monopoles intellectuels]

Mythe 5: Le problème de l’Europe est avant tout celui de la commercialisation. « Si les Etats-Unis sont meilleurs dans l’innovation, ce n’est pas parce que les liens université-industrie sont supérieurs (ils ne le sont pas) ou parce que les universités américaines produisent plus de spinouts (elles ne le font pas). Cela reflète tout simplement le fait que plus de recherche se fait dans plus d’institutions, qui génèrent de meilleures compétences techniques pour le monde du travail. Le financement américain est divisé entre la recherche dans le monde universitaire et le développement de la technologie à un stade précoce dans les entreprises. L’Europe a un système plus faible pour la recherche scientifique et les entreprises sont plus faibles et moins innovantes ».

Mythe 6 : Les entreprises doivent payer moins d’impôt. « Les systèmes de crédit d’impôt R&D ne demandent pas aux entreprises responsables de chercher de nouvelles innovations qui autrement n’auraient pas eu lieu, ou qu’elles ne se contentent pas simplement de formes de développement de produits routiniers. » « Comme Keynes l’a souligné, l’investissement des entreprises est une fonction de l’instinct des investisseurs quant aux perspectives de croissance future. » Ceci n’est pas affecté par les crédits d’impôt, mais par la qualité de la de la science, de l’éducation, du système de crédit et du capital humain au niveau national. « Il est important pour la politique d’innovation de résister à l’appel des mesures fiscales de toutes sortes ».

Plus suivra quand j’aurai lu les chapitres 3 et suivants. Mais, j’ai besoin de partager certaines de mes préoccupations, d’abord en citant Mazzacuto à nouveau :

« L’entrepreneuriat par l’État peut prendre de nombreuses formes. Quatre exemples : le DARPA, les SBIR, le Orphan Drug Act, les nanotechnologies. (…) Apple est loin d’être l’exemple libéral, que semble être la société. C’est une société qui a non seulement reçu des financements précoces du gouvernement (à travers le programme SBIC), mais elle a aussi « ingénieusement » fait usage de technologies financées par les fonds publics*** pour créer des produits « intelligents » . (Pages 10-11)
Note ***: par exemple l’Internet, le GPS, l’écran tactile et Siri.

« Beaucoup de jeunes entreprises les plus innovantes aux Etats-Unis ont été financées non par du capital-risque privé, mais par le capital-risque public, tel que celui fourni par le programme SBIR (Small Business Innovation Research). » (Page 20)

Mes préoccupations sont que
– La recherche n’est pas l’innovation et le transfert est là où l’esprit d’entreprise se produit et donc l’investissement dans la recherche n’est pas l’innovation ou même être entrepreneurial. C’est du moins mon expérience dans le domaine .
– L’impact réel du SBIR est incertain
– les technologies vertes et nano ont également un impact incertain
Mais je n’ai pas encore fini de lire cet excellent travail…

Les start-ups doivent-elles être davantage soutenues par l’Etat?

Tel était le sujet du débat de l’émission En Ligne Directe de la RTS auquel j’ai participé ce matin.

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Christophe Darbellay, conseiller national valaisan et président du PDC suisse avait déposé en 2009 un texte pour alléger la fiscalité des start-up. le conseil fédéral a dit non sous la forme du document: Rapport du Conseil fédéral «Diminution des recettes fiscales en cas d’exonération des jeunes entreprises développant des innovations» en réponse au postulat 09.3935 du Conseiller national Darbellay déposé le 25 septembre 2009 (document pdf).

Le document sonore devrait être disponible pendant un certain temps. Je crois que nous avons essayé de dire que le sujet est important mais mal compris. Les start-up ont besoin de talent et d’argent, mais aussi d’un environnement qui les encourage et qui soit ambitieux. Je me suis permis de citer à nouveau Neil Rimer qui avait réagi ici sur un sujet connexe: « Je continue à être sidéré par le propos qu’il n’y a pas suffisamment d’aide en Suisse pour les projets ambitieux. Nous, et d’autres investisseurs européens sommes perpétuellement à la recherche de projets d’envergure mondiale émanant de la Suisse. A mon avis, il y a trop de projets manquant d’ambition soutenus artificiellement par des organes— qui eux aussi manquent d’ambition— qui donne l’impression qu’il y a suffisamment d’activité entrepreneuriale en Suisse. » (A relire dans L’innovation en Suisse: tout changer ou continuer?)

Startup Kids, un film à voir par tous (et pas seulement les entrepreneurs)

Les films et la video sont peut-être en train de remplacer les livres et les blogs, en particulier pour communiquer sur les start-up et l’entrepreneuriat… C’est ce que m’avait dit Neil Rimer quand j’avais publié mon livre. Il est vrai qu’il y a eu récemment quelques films de fiction (Le réseau social, Jobs) et des documentaires (SomethingVentured) sans oublier quelques documents plus anciens comme Le triomphe des nerds.

Startup Kids fait sans aucun doute partie de cette tendance, et c’est un document intéressant (et divertissant). Vous pouvez voir la bande annonce ci-dessous et ensuite j’en cite quelques extraits. Ce travail m’avait été mentionné par quelques collègues (merci Corine :-)), y compris le très bon article du blog de Sébastien Flury, The Startup Kids – a film that any wannabe founder should watch!

Sur l’entrepreneuriat

StartupKids-Houston
Drew Houston, Dropbox: « C’est un peu comme sauter d’une falaise et devoir fabriquer votre propre parachute. »

StartupKids-Segerstrale
Kristian Segerstrale, Playfish: « Un entrepreneur, c’est quelqu’un qui ose avoir un rêve que peu de gens ont et, surtout, qui n’hésite pas à y investir son argent, sa parole, son temps, sa carrière et qui a l’audace de foncer pour concrétiser sa vision. »

StartupKids-Ljung
Alexandre Ljung, SoundCLoud (Suédois basé à Berlin et San Francisco): Je n’avais pas le profil type de l’entrepreneur, […] mais avec le recul, j’ai toujours eu beaucoup de projets passionnés, donc j’avais beaucoup d’esprit d’entreprise, mais pas dans le sens « business » du terme. »

Dans European Founders at Work, son co-fondateur, Eric Wahlforss indique : « Je pense que nous aurions pu facilement faire tout cela un an plus vite si nous avions pu être un peu plus audacieux et penser un peu plus en termes d’échelle dès le début. Nous avons commencé tout petit, avec presque pas d’argent, et une très petite équipe. Je pense que nous aurions pu être plus audacieux. […] Et fonctionnant avec une vision plus large dès le début. » Et puis, « Allez-y. » C’est la meilleure décision que j’ai jamais prise dans ma vie. […] Je faisais des études d’ingénierie et ainsi, j’ai eu une centaine de camarades de classe. Et je sais que presque aucun d’entre eux n’a fondé une entreprise, ce qui est fou parce que je sais que beaucoup d’entre eux avaient de bonnes idées. Mais aucun d’entre eux n’a tout à fait senti qu’ils étaient en mesure de se lancer vraiment.

La chance est un sujet important du film

Segerstrale à nouveau: «Pour réussir, une start-up a besoin de beaucoup de choses : une bonne idée, une super équipe, arriver au bon moment, avoir les investissements voulus, et elle a besoin de beaucoup de chance.»

StartupKids-Draper
Tim Draper, fondateur et investisseur, DFJ: « Le facteur chance a été très important pour les start-up qui ont connu le succès. Vous avez besoin de beaucoup de chance. 25 moteurs de recherche moteurs de recherche ont été financés avant que Google ne soit financé. Il y eut Friendster et LinkedIn et MySpace et environ 50 autres sociétés ont précédé FaceBook avant qu’il ne s’impose comme le grand gagnant sur son marché. » [Et c’était la même chose avec les sociétés d’ordinateurs dans les années 80!]

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Enfin ne manquez pas Zach Klein (fondateur de Vimeo) dans son magnifique chalet en bois qui me rappelle le Walden de Thoreau.

Quand la science ressemble à la religion: la théorie qui ne mourrait pas.

Voici le troisième livre que je lis en peu de temps sur les statistiques et c’est probablement le plus étrange. Après mon cher Taleb et son Cygne Noir, après les statistiques plus classiques avec Naked Statistics, voici l’histoire de la statistique bayésienne.

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Si vous ne connaissez pas Bayes, permettez-moi simplement de mentionner sa formule, belle par sa symétrie: [Selon wikipedia]
En théorie des probabilités, le théorème de Bayes énonce des probabilités conditionnelles : étant donné deux évènements A et B, le théorème de Bayes permet de déterminer la probabilité de A sachant B, si l’on connaît les probabilités de A, de B et de B sachant A.
P (A | B) P (B) = P (B | A) P (A)

Je n’ai jamais été vraiment à l’aise avec ses applications. J’avais sans doute tort encore une fois, étant donné tout ce que j’ai appris après la lecture de livre de Sharon Bertsch McGrayne. Mais j’ai aussi compris pourquoi je n’ai jamais été à l’aise: depuis trois siècles, il y a eu une guerre quasi-religieuse entre bayésiens et fréquentistes sur l’utilisation des probabilités. Sont-elles liées aux événements fréquents seulement ou peuvent-elles être appliquées à des événements rares? Quelle est la probabilité d’un événement rare qui peut ne jamais se produire ou peut-être juste une fois?

[Laissez-moi vous donner un exemple personnel: Je suis intéressé par l’entrepreneuriat en série, et j’ai fait et je fais encore des tonnes de statistiques sur les entreprises liées à Stanford. J’ai plus de 5’000 entrepreneurs, et plus de 1’000 sont en série. J’ai des résultats qui montrent que les entrepreneurs en série ne sont pas en moyenne meilleurs que les autres, en utilisant  les méthodes classiques des statistiques. Mais maintenant, je dois penser à utiliser:
P (Réussite | Série) = P (Série | Réussite) P (Réussite) / P (Série)
Je ne sais pas ce qui va en ressortir, mais je devrais essayer!].

Si vous voulez un bon résumé de l’ouvrage, lisez la critique de Andrew I. Daleby (pdf). McGrayne illustre l’histoire «récente» des statistiques et des probabilités par des scientifiques de renom (Laplace) et moins célèbres (Bayes), à travers de histoires célèbres (la machine Enigma et Alan Turing) et moins célèbres (des bombes atomiques perdues dans la nature) et c’est un livre fascinant. Je ne suis pas convaincu qu’il soit bon à expliquer la science, mais la quantité d’anecdotes est impressionnante. Et peut-être qu’il n’est pas question de science en définitive, mais plus de croyance comme cela est mentionné dans le livre: « Swinburne inséra des opinions personnelles à la fois dans les probabilités a priori et dans les données prétendument objectives du théorème de Bayes pour conclure que Dieu avait plus de 50% de chance d’exister; plus tard Swinburne calcula la probabilité de la résurrection de Jésus « à quelque chose comme 97 pour cent » [page 177]. Cela évidemment me rappelle la fameuse citation d’Einstein: « Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers. » Ce n’est pas directement lié mais encore une fois, je lisais quelque chose sur les liens entre la science, la religion et les probabilités.

L’amour, l’Amérique, la Technologie et l’Art

Qu’est-ce que ces quatre mots ont en commun? Je ne sais pas vraiment. Mais au cours des douze dernières heures, j’ai pu les relier ensemble. Ma vie professionnelle est liée à la technologie, mais je ne suis pas un technophile. Je n’ai pas de « téléphone intelligent ». Mais j’aime les gens et je l’ai de manière un peu étrange redécouvert avec l’entrepreneuriat high-tech. Il y a beaucoup, beaucoup de choses plus importantes. Je vais vous donner deux exemples avec Bruce Springsteen et Jonathan Franzen, deux sympathisants connus de Barack Obama, que j’ai mentionné à quelques reprises ici. Ce ne sont que deux (donc trois) raisons pour lesquelles il est possible d’aimer l’Amérique… Suivez-moi un instant, vous n’avez pas à être d’accord!

(Permettez-moi d’ajouter 5 minutes après la publication de cet article que nous sommes le 4 Juillet!)

Springsteen-geneve

Hier, j’étais à Genève pour l’un des meilleurs concerts de ma vie. Le Boss et ses seize musiciens ont donné un spectacle de près de 3 trois heures, d’une générosité que je n’avais jamais connue sur scène. Je ne connaissais pas ses « sign requests ». Ses fans lui montrent des cartons avec les titres des chansons et il en prend quelques-uns; il en chantera quelques uns. Pas le genre de machines bien huilées qu’on a l’habitude de rencontrer. Un enfant est monté sur scène et a chanté seul pendant un moment. Un moment magique. Il est âgé de 63 ans et a l’énergie d’un jeune homme, la générosité d’un homme sage. Pas de naïveté. « Nous avons un travail à faire ici ce soir ». Quel boulot! J’ai trouvé un site qui a fait un bref compte-rendu, y compris les chansons qu’il a choisi hier (y compris ceux « signés » – voir à la fin). Springsteen fait partie du groupe de personnes qui montrent pourquoi nous pouvons aimer l’Amérique.

J’aime aussi Jonathan Franzen. J’ai presque lu tous ses livres, The Corrections reste mon préféré. Je suis en train de lire ses derniers essais. Il montre aussi la souffrance, la misère, la galère en Amérique. Un autre genre de souffrance, mais à la fin, c’est probablement la même chose. L’Amérique est grande quand elle montre ses faiblesses. Mais ni Sprinsteen ni Franzen ne sont déprimants, parce qu’ils sont généreux, ils sont passionnés. Je ne vois pas de cynisme. J’espère que je ne suis pas naïf. Dans un de ses derniers essais, un discours à la remise de diplômes au Kenyon College, il relie la technologie et l’amour … Le titre est PAIN WON’T KILL YOU et dans le New York Times, il fait une autre version intitulée Liking Is for Cowards. Go for What Hurts.

franzen-time

Voici la version complète du NYT. Je pense qu’il vaut la peine de la lire. Mais vous pouvez utiliser les deux liens web précédents aussi. Je vais essayer de donner ma traduction française plus tard …
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Liking Is for Cowards. Go for What Hurts.
By JONATHAN FRANZEN
Published: May 28, 2011

A COUPLE of weeks ago, I replaced my three-year-old BlackBerry Pearl with a much more powerful BlackBerry Bold. Needless to say, I was impressed with how far the technology had advanced in three years. Even when I didn’t have anybody to call or text or e-mail, I wanted to keep fondling my new Bold and experiencing the marvelous clarity of its screen, the silky action of its track pad, the shocking speed of its responses, the beguiling elegance of its graphics.
I was, in short, infatuated with my new device. I’d been similarly infatuated with my old device, of course; but over the years the bloom had faded from our relationship. I’d developed trust issues with my Pearl, accountability issues, compatibility issues and even, toward the end, some doubts about my Pearl’s very sanity, until I’d finally had to admit to myself that I’d outgrown the relationship.
Do I need to point out that — absent some wild, anthropomorphizing projection in which my old BlackBerry felt sad about the waning of my love for it — our relationship was entirely one-sided? Let me point it out anyway.
Let me further point out how ubiquitously the word “sexy” is used to describe late-model gadgets; and how the extremely cool things that we can do now with these gadgets — like impelling them to action with voice commands, or doing that spreading-the-fingers iPhone thing that makes images get bigger — would have looked, to people a hundred years ago, like a magician’s incantations, a magician’s hand gestures; and how, when we want to describe an erotic relationship that’s working perfectly, we speak, indeed, of magic.
Let me toss out the idea that, as our markets discover and respond to what consumers most want, our technology has become extremely adept at creating products that correspond to our fantasy ideal of an erotic relationship, in which the beloved object asks for nothing and gives everything, instantly, and makes us feel all powerful, and doesn’t throw terrible scenes when it’s replaced by an even sexier object and is consigned to a drawer.
To speak more generally, the ultimate goal of technology, the telos of techne, is to replace a natural world that’s indifferent to our wishes — a world of hurricanes and hardships and breakable hearts, a world of resistance — with a world so responsive to our wishes as to be, effectively, a mere extension of the self.
Let me suggest, finally, that the world of techno-consumerism is therefore troubled by real love, and that it has no choice but to trouble love in turn.
Its first line of defense is to commodify its enemy. You can all supply your own favorite, most nauseating examples of the commodification of love. Mine include the wedding industry, TV ads that feature cute young children or the giving of automobiles as Christmas presents, and the particularly grotesque equation of diamond jewelry with everlasting devotion. The message, in each case, is that if you love somebody you should buy stuff.
A related phenomenon is the transformation, courtesy of Facebook, of the verb “to like” from a state of mind to an action that you perform with your computer mouse, from a feeling to an assertion of consumer choice. And liking, in general, is commercial culture’s substitute for loving. The striking thing about all consumer products — and none more so than electronic devices and applications — is that they’re designed to be immensely likable. This is, in fact, the definition of a consumer product, in contrast to the product that is simply itself and whose makers aren’t fixated on your liking it. (I’m thinking here of jet engines, laboratory equipment, serious art and literature.)
But if you consider this in human terms, and you imagine a person defined by a desperation to be liked, what do you see? You see a person without integrity, without a center. In more pathological cases, you see a narcissist — a person who can’t tolerate the tarnishing of his or her self-image that not being liked represents, and who therefore either withdraws from human contact or goes to extreme, integrity-sacrificing lengths to be likable.
If you dedicate your existence to being likable, however, and if you adopt whatever cool persona is necessary to make it happen, it suggests that you’ve despaired of being loved for who you really are. And if you succeed in manipulating other people into liking you, it will be hard not to feel, at some level, contempt for those people, because they’ve fallen for your shtick. You may find yourself becoming depressed, or alcoholic, or, if you’re Donald Trump, running for president (and then quitting).
Consumer technology products would never do anything this unattractive, because they aren’t people. They are, however, great allies and enablers of narcissism. Alongside their built-in eagerness to be liked is a built-in eagerness to reflect well on us. Our lives look a lot more interesting when they’re filtered through the sexy Facebook interface. We star in our own movies, we photograph ourselves incessantly, we click the mouse and a machine confirms our sense of mastery.
And, since our technology is really just an extension of ourselves, we don’t have to have contempt for its manipulability in the way we might with actual people. It’s all one big endless loop. We like the mirror and the mirror likes us. To friend a person is merely to include the person in our private hall of flattering mirrors.
I may be overstating the case, a little bit. Very probably, you’re sick to death of hearing social media disrespected by cranky 51-year-olds. My aim here is mainly to set up a contrast between the narcissistic tendencies of technology and the problem of actual love. My friend Alice Sebold likes to talk about “getting down in the pit and loving somebody.” She has in mind the dirt that love inevitably splatters on the mirror of our self-regard.
The simple fact of the matter is that trying to be perfectly likable is incompatible with loving relationships. Sooner or later, for example, you’re going to find yourself in a hideous, screaming fight, and you’ll hear coming out of your mouth things that you yourself don’t like at all, things that shatter your self-image as a fair, kind, cool, attractive, in-control, funny, likable person. Something realer than likability has come out in you, and suddenly you’re having an actual life.
Suddenly there’s a real choice to be made, not a fake consumer choice between a BlackBerry and an iPhone, but a question: Do I love this person? And, for the other person, does this person love me?
There is no such thing as a person whose real self you like every particle of. This is why a world of liking is ultimately a lie. But there is such a thing as a person whose real self you love every particle of. And this is why love is such an existential threat to the techno-consumerist order: it exposes the lie.
This is not to say that love is only about fighting. Love is about bottomless empathy, born out of the heart’s revelation that another person is every bit as real as you are. And this is why love, as I understand it, is always specific. Trying to love all of humanity may be a worthy endeavor, but, in a funny way, it keeps the focus on the self, on the self’s own moral or spiritual well-being. Whereas, to love a specific person, and to identify with his or her struggles and joys as if they were your own, you have to surrender some of your self.
The big risk here, of course, is rejection. We can all handle being disliked now and then, because there’s such an infinitely big pool of potential likers. But to expose your whole self, not just the likable surface, and to have it rejected, can be catastrophically painful. The prospect of pain generally, the pain of loss, of breakup, of death, is what makes it so tempting to avoid love and stay safely in the world of liking.
And yet pain hurts but it doesn’t kill. When you consider the alternative — an anesthetized dream of self-sufficiency, abetted by technology — pain emerges as the natural product and natural indicator of being alive in a resistant world. To go through a life painlessly is to have not lived. Even just to say to yourself, “Oh, I’ll get to that love and pain stuff later, maybe in my 30s” is to consign yourself to 10 years of merely taking up space on the planet and burning up its resources. Of being (and I mean this in the most damning sense of the word) a consumer.
When I was in college, and for many years after, I liked the natural world. Didn’t love it, but definitely liked it. It can be very pretty, nature. And since I was looking for things to find wrong with the world, I naturally gravitated to environmentalism, because there were certainly plenty of things wrong with the environment. And the more I looked at what was wrong — an exploding world population, exploding levels of resource consumption, rising global temperatures, the trashing of the oceans, the logging of our last old-growth forests — the angrier I became.
Finally, in the mid-1990s, I made a conscious decision to stop worrying about the environment. There was nothing meaningful that I personally could do to save the planet, and I wanted to get on with devoting myself to the things I loved. I still tried to keep my carbon footprint small, but that was as far as I could go without falling back into rage and despair.
BUT then a funny thing happened to me. It’s a long story, but basically I fell in love with birds. I did this not without significant resistance, because it’s very uncool to be a birdwatcher, because anything that betrays real passion is by definition uncool. But little by little, in spite of myself, I developed this passion, and although one-half of a passion is obsession, the other half is love.
And so, yes, I kept a meticulous list of the birds I’d seen, and, yes, I went to inordinate lengths to see new species. But, no less important, whenever I looked at a bird, any bird, even a pigeon or a robin, I could feel my heart overflow with love. And love, as I’ve been trying to say today, is where our troubles begin.
Because now, not merely liking nature but loving a specific and vital part of it, I had no choice but to start worrying about the environment again. The news on that front was no better than when I’d decided to quit worrying about it — was considerably worse, in fact — but now those threatened forests and wetlands and oceans weren’t just pretty scenes for me to enjoy. They were the home of animals I loved.
And here’s where a curious paradox emerged. My anger and pain and despair about the planet were only increased by my concern for wild birds, and yet, as I began to get involved in bird conservation and learned more about the many threats that birds face, it became easier, not harder, to live with my anger and despair and pain.
How does this happen? I think, for one thing, that my love of birds became a portal to an important, less self-centered part of myself that I’d never even known existed. Instead of continuing to drift forward through my life as a global citizen, liking and disliking and withholding my commitment for some later date, I was forced to confront a self that I had to either straight-up accept or flat-out reject.
Which is what love will do to a person. Because the fundamental fact about all of us is that we’re alive for a while but will die before long. This fact is the real root cause of all our anger and pain and despair. And you can either run from this fact or, by way of love, you can embrace it.
When you stay in your room and rage or sneer or shrug your shoulders, as I did for many years, the world and its problems are impossibly daunting. But when you go out and put yourself in real relation to real people, or even just real animals, there’s a very real danger that you might love some of them.
And who knows what might happen to you then?
Jonathan Franzen is the author, most recently, of “Freedom.” This essay is adapted from a commencement speech he delivered on May 21 at Kenyon College.
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More for myself! (A blog is also my personal journal) Bruce Springsteen in Switzerland: Dedicates ‘Land of Hope and Dreams’ to Nelson Mandela. Bruce Springsteen and the E Street Band were back in action again on Wednesday, playing a 26-song, two-hour-and-52-minute show at the Stade de Genève in Geneva, Switzerland. Highlights included « Frankie » which was played for the first time in 2013 and for only the fifth time this tour and the encores started with Bruce playing « The Promise » solo on the piano, « Youngstown » and « Murder Inc. » were also played. It was the first show this tour that « Wrecking Ball » was not played. In the 118 shows so far this tour, three songs still have perfect attendance: « Waitin’ on a Sunny Day, » « Born to Run » and « Dancing in the Dark. » Bruce dedicated « Land of Hope and Dreams, » the final song of the main set, to Nelson Mandela. Show began at 7:40 p.m. local time (six hours ahead of New Jersey)
Set list
1. Shackled and Drawn
2. Badlands
3. Death to My Hometown
4. Out in the Street (sign request)
5. Hungry Heart (sign request)
6. Candy’s Room (sign request)
7. She’s the One
8. Because the Night
9. Spirit in the Night
10. Frankie
11. The River
12. Youngstown
13. Murder Incorporated
14. Darlington County (sign request)
15. Working on the Highway
16. Bobby Jean
17. Waitin’ on a Sunny Day
18. The Rising
19. Land of Hope and Dreams (dedicated to Nelson Mandela)
Encore:
20. The Promise (solo piano)
21. Born in the U.S.A.
22. Born to Run
23. Dancing in the Dark
24. 10th Avenue Freeze-Out
25. American Land
26. Thunder Road (solo acoustic)

Steve Jobs par Walter Isaacson

J’ai enfin lu la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson. J’ai longtemps hésité (l’édition originale date de 2011) car je redoutai un peu se lecture. de plus j’avais lu l’excellent The Apple Revolution ainsi que Return to the Little Kingdom. Je l’ai finalement lu en français et c’est aussi excellent. A lire si vous avez un intérêt pour le sujet. Je ne vais pas en faire l’analyse mais faire comme à mon habitude quelques extraits subjectifs ou frappants. Les citations font référence à la version livre de poche datant de octobre 2012.

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La Silicon Valley

« Divers séismes culturels bouleversèrent San Francisco et la Silicon Valley vers la fin des années 1960. Il y avait la révolution technologique, initiée par l’augmentation des contrats militaires, qui avait attiré des sociétés d’électronique, des fabricants de puces, des concepteurs de jeux vidéo et des fabricants d’ordinateurs. Il y avait une sous-culture, celle des pirates – des inventeurs de génie, des cyberpunks, des dilettantes comme des purs geeks ; on comptait également dans leurs rangs des électroniciens qui refusaient d’entrer dans le moule de HP et leurs enfants impétueux qui voulaient faire tomber toutes les barrières. Il y avait des groupes de recherche quasi-universitaires, qui menaient des expériences in vivo sur les effets du LSD, tels que Doug Engelbart à l’Augmentation Research Center, qui participera plus tard au développement de la souris et des interfaces graphiques, ou Ken Kesey, qui faisait l’éloge de la drogue dans des spectacles psychédéliques, mêlant musique et lumière, animés par un groupe de musiciens qui deviendra le mythique Grateful dead. Il y avait également le mouvement hippie, issu de la beat génération de Kerouac, originaire de la baie de San Francisco, et les activistes politiques, nés du Mouvement pour la liberté d’expression de Berkeley. Et, englobant tout ça, il y avait divers courants spirituels cherchant l’illumination intérieure – zen, hindouisme, méditation, yoga, cri primal, privation sensorielle et massage Esalen.
Steve Jobs était l’incarnation de cette fusion du Flower Power et des puces électroniques, de la quête de la révélation personnelle et de la haute technologie : il méditait le matin, suivait l’après-midi des cours de physique à Stanford, travaillant la nuit chez Atari en rêvant de lancer sa propre entreprise. » [Page 114]

La passion pour l’entrepreneuriat

Bushnell [fondateur de Atari] est de cet avis: « Pour être un bon chef d’entreprise, il faut avoir quelque chose de particulier, et j’ai vu cette chose chez Steve. Il n’était pas seulement intéressé par l’électronique, mais aussi par les affaires. Je lui ai montré qu’il fallait se comporter comme si on allait réussir ce qu’on voulait entreprendre et qu’alors ça se faisait tout seul. C’est ce que je dis tout le temps : si l’on feint de savoir ce que l’on fait, les gens vous suivent. » [Page 111]

Ses amis les plus proches pensent qu’avoir appris, si jeune, qu’il avait été abandonné à la naissance avait laissé des cicatrices indélébiles. « Son besoin d’avoir la maîtrise totale dans tout ce qu’il entreprend vient de cette blessure » [Page 34] … « Le plus étonnant chez Steve, c’est qu’il ne peut s’empêcher d’être cruel envers certaines personnes – une sorte de réflexe pavlovien. La clé du mystère, c’est le fait d’avoir été abandonné à la naissance. » [Page 35]

Il retourna donc vers Nolan Bushnell : « Steve m’a demandé de mettre cinquante mille dollars sur la table et qu’en échange il me donnait le tiers des parts d’Apple. Je me suis cru finaud et j’ai dit non. Quand j’y repense, j’en ris encore. Pour ne pas en pleurer ! » [Page 142]

Le champ de distorsion de la réalité

– « C’est de la folie. C’est impossible. »
On lui répliqua que Jobs ne voulait rien savoir.
– La meilleure définition de cette bizarrerie, tu l’as dans Star Trek. Steve crée un champ de distorsion de la réalité. En sa présence, la réalité devient malléable. Il peut faire croire à n’importe qui à peu près n’importe quoi. L’effet, certes, se dissipe, quand il n’est pas là, mais cela t’empêche sérieusement d’avoir des prévisions réalistes pour quoi que ce soit.
Le CDR était un mélange troublant de charisme et de force mentale ; c’est la volonté de plier les faits pour qu’ils entrent dans le moule. [Page 207]
Quand Jobs décréta que les sodas dans le réfrigérateur seraient remplacés par des jus bio d’oranges et de carottes, quelqu’un de l’équipe fit imprimer des tee-shirts avec écrit devant : « Attention au Champ de Distorsion de la Réalité ! » et derrière : « Il vient des jus de fruits ! »

Il y a un petit bug page 225 : Pour tracer des cercles, Atkinson trouva une astuce fondée sur le fait que les sommes des nombres impairs donnaient une succession de carrés parfaits (par exemple, 1 + 3 = 4, 1 + 3 + 5 = 8, etc.) [L’affirmation est correcte car la dernière somme vaut 9 et pas 8 !]

Être un pirate

« Mieux vaut être un pirate que de rejoindre la marine » [Page 248] Et le Jolly Roger décoré du logo Apple flotta pendant quelques semaines sur le toit du Bandley 3.

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Les chapitres sur la vie privée de Jobs et sur Pixar sont assez passionnants. A propos de l’IPO de Pixar : « Plutôt cette année-là, Jobs avait tenté de trouver un repreneur pour Pixar, pour cinquante millions de dollars, histoire de récupérer ses fonds. A la fin de cette journée historique, les actions qu’il avait gardées – soit 80% de la société – valaient plus de 20 fois cette somme : un milliard deux cents millions de dollars ! C’était près de 5 fois plus que ce qu’il avait gagné avec l’introduction en bourse d’Apple en 1980. Mais Jobs de fichait de faire fortune, comme il le confia à John Markoff du new York Times : « Je ne compte pas acheter de yacht. Je n’ai jamais fait ça pour l’argent. » [Page 471]. Il est à ce titre très différent de Larry Ellison, fondateur et CEO d’Oracle dont il devint l’ami et qui l’aida à revenir aux commandes d’Apple.

Le retour

A ce sujet, il y a une anecdote amusante page 482 : « Deux ans plus tôt, Guy Kawasaki, le chroniqueur du magazine Macworld (et ancien évangéliste de la Pomme) avait publié dans le magazine une parodie racontant qu’Apple rachetait NeXT et élisait Jobs comme PDG. L’article mettant en scène Mike Markkula s’adressant à Jobs : « Tu veux passer le reste de ta vie à vendre Unix avec un joli enrobage, ou changer le monde ? » Et Jobs répondait : « Désormais, je suis père de famille et je ne veux plus jouer les aventuriers. » L’article faisait cette supputation : « Suite à ses déboires avec NeXT, il est possible que Jobs, pour son retour dans le giron de la maison mère, apportera à la direction d’Apple une dose d’humilité. Bill Gates était aussi cité ; il disait que si Jobs revenait en piste, Microsoft aurait à nouveau des innovations à copier ! Tout était inventé et purement humoristique. Mais la réalité a cette fâcheuse habitude de rattraper toutes les satires. » [Page 482]

Et sur son retour: « Son credo était la perfection. Il n’était pas très doué pour les compromis, ou pour s’arranger avec la réalité. Il n’aimait pas la complexité. C’était le cas pour le design des ses produits ou le mobilier des ses maisons ; il en était de même pour ses engagements personnels. S’il était sûr de son fait, alors rien ne pouvait l’arrêter- Mais s’il avait des doutes, il préférait parfois jeter l’éponge, plutôt que de se retrouver dans une situation qui ne le satisfaisait pas complètement. [Page 509]

La mort

[Avec Markkula] Ils passèrent le reste du temps à parle de l’avenir d’Apple. Jobs voulait édifier une société qui lui survive et il lui demanda conseil. Markkula lui répondit que les sociétés qui perdurent sont celles qui savaient se renouveler. C’est ce qu’avait fait sans cesse Hewlett-Packard; elle avait commence par construire des instruments de mesure, puis des calculettes, puis des ordinateurs. « Apple a été évincé par Microsoft sur le marché des micro-ordinateurs, lui expliqua Markkula. Tu dois changer de cap, orienter Apple vers un autre produit. Tu dois être comme un papillon et accomplir ta métamorphose. » Jobs ne fut guère loquace, mais il retint la leçon. [page 515]

La musique fut évidemment un art essentiel dans la vie de Jobs. On sait sa passion pour Bob Dylan, pour Joan Baez, pour les Beatles. Mais voici un extrait plus étonnant : Bach, déclara-t-il, était son compositeur classique préféré. Il appréciait particulièrement le contraste entre les deux versions des Variations Goldberg enregistrées par Glenn Gould – la première en 1995 par le pianiste peu connu de vingt-deux ans qu’il était, la seconde en 1981, un an avant sa mort. « Elles sont comme le jour et la nuit, me dit un jour Steve après les avoir passées l’une après l’autre. La première est une œuvre exubérante, jeune, brillante, jouée si vite que c’en est une révélation. La seconde est plus économe, plus austère. On décèle âme profonde, au vécu douloureux. » Jobs en était à son troisième arrêt maladie quand il écouta les deux versions. Je lui demandai quelle était sa version préférée. « Gould préférait la dernière version. Autrefois, je préférais la première, l’exubérante. Mains maintenant, je comprends mieux ce qu’il voulait dire. »

Isaacson termine son livre par une brillante pirouette de Jobs sur le sujet de la vie et la mort. « Mais d’un autre côté, peut-être que c’est comme un interrupteur on/off. Clic et plus rien! » Il marqua une nouvelle pause et esquissa un sourire. « C’est sûrement pour cela  que jee n’ai jamais aimé les interrupteurs on/off sur les produits Apple. »

L’héritage

J’aurais aussi pu placer ces dernières remarques plus haut dans la section la passion pour l’entrepreneuriat. « Ma passion a été de bâtir une entreprise pérenne, où les gens étaient motivés pour fabriquer de formidables produits. Tout le reste était secondaire. Bien sûr , c’était génial de réaliser des profits, parce que cela nous permettait de créer de bons produits. Mais la motivation est le produit, non le profit. […] La différence est subtile, mais au final elle est cruciale, car elle définit tout: les gens qu’on embauche, ceux qu’on promeut, les sujets abordés en réunion. […] Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’ils ne l’ont pas sous les yeux, Voilà pourquoi je ne m’appuie jamais sur les études de marché. […] L’intersection entre les arts et les sciences. J’aime ce point de jonction, il a une aura magique. […] Notre innovation recèle une grande part d’humanité. Je pense que les grands artistes et les grands ingénieurs se ressemblent.. Tous deux ont le désir de s’exprimer. […] J’ai ma propre théorie pour expliquer le déclin de sociétés telles qu’IBM ou Microsoft. L’entreprise fait du bon boulot, innove et arrive au monopole ou presque dans certains domaines. C’est alors que la qualité du produit perd de son importance. La société encense les bons commerciaux […] qui finissent par prendre le contrôle de la boite. […] Je déteste les gens qui se disent entrepreneurs quand leur unique objectif est de monter une start-up pour la revendre ou la passer en Bourse. Il n’ont pas la volonté de bâtir une véritable société. […] Il ne faut jamais cesser d’innover. […] Je pense que la plupart des gens créatifs veulent remercier leurs prédécesseurs de l’héritage qui leur ont laissé. » [pages 889-892]

 

Une vie incroyable. Jobs ne peut que rester une des plus importantes célébrités du XXe siècle. Je me suis demandé ce que je garde en mémoire de Apple et Jobs et voici le résultat.

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