Archives de catégorie : Innovation

Sur les origines des innovations

Un article intéressant sur les origines des innovations a été récemment publié. Il étudie l’origine des R&D 100 Awards pour montrer d’où proviennent les innovations. Il commence par une analyse approfondie de l’évolution économique:

– Des changements dans la connaissance scientifique:

la vieille distinction entre recherche fondamentale et recherché appliqué devient obsolète,

un consensus qui se généralise quant à la nécessité d’équipes multidisciplinaires pour générer des innovations technologiques,

IBM, Xerox et bien d’autres ont été à l’origine de nombreuses innovations, mais ces entreprises ont parfois échoué à les transformer en innovations radicales.

– Une évolution dramatique du capitalisme « oligopole » due à:

une compétition internationale croissante,

des changements dans les politiques publiques de régulation,

l’impact de l’informatique,

une évolution du goût des consommateurs vers des produits non standardisés,

une révolution des marchés financiers.

– En conséquence les années 80 ont produit des efforts pour:

augmenter l’impact commercial de la recherché (Bay Dohle Act),

financer la R&D précompétitive (SBIR),

fournir de l’aide technique aux entreprises (accès aux laboratoires),

soutenir des alliances (SEMATECH)

Un résultat de cette situation a été une évolution dans l’origine des innovations majeures comme illustrée ci-dessous:

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J’aurais cru que cette évolution avait favorisé les universités et les start-up. L’étude montre que ce sont les collaborations interdisciplinaires et les Laboratoires Fédéraux qui sont devenus les sources de ces innovations techniques. « Les efforts de recherche qui impliquent des collaborations entre deux organisations ou plus diminuent les contraintes hiérarchiques pour penser outside the box. »

L’article poursuit par une discussion sur les raisons pour lesquelles les Fortune 500 ont été moins efficaces dans l’innovation. Les facteurs semblent être:

les grandes entreprises font face à des pressions de plus en plus fortes de la part des marchés financiers pour réduire leurs dépenses non directement productives,

la montée de l’informatique et de l’Internet a permis à de petites sociétés de pénétrer des marchés auxquels elles n’avaient pas accès,

un changement dans les préférences en termes d’employeurs des scientifiques et des ingénieurs,… « il semble tout à fait possible que de nombreux talents aient voté avec leurs pieds en quittant les laboratoires privés pour les laboratoires publics, les universités et les plus petites entreprises. »

Et les auteurs semblent convaincus que les États Unis aient connu un retour au modèle d’Edison, à savoir le succès d’organisations publiques ou privées développant un mélange très productif de projets internes et externes.

En conclusion, « aux États Unis, il n’y a pas de plan centralise pour l’innovation et différentes agences fédérales s’engagent dans le soutien aux nouvelles technologies, souvent en compétition directe avec d’autres agences. Le gouvernement fédéral a créé un réseau décentralisé de laboratoires financés par la puissance publique où chercheurs et ingénieurs ont des incitations à travailler avec le privé et à trouver des manières de transformer leurs inventions en produits commerciaux. » Il y a donc une combinaison de réseaux décentralisés et de financements ciblés, similaires au modèle du capital risque, où de nombreuses idées échouent et un petit nombre réussit. « Les gains énormes produits par le faible pourcentage de réussites couvrira plus que largement les pertes des autres ».

 

Europe et Silicon Valley

Le sujet est sans aucn doute d’actualité. Deux lettres ouvertes récentes abordent le sujet. L’une émane du Science-Business Innovation Board, l’autre a été co-signée par des français et publiée par Le Monde. Le texte anglais est disponible sur la version anglaise de mon blog, le texte français est sur le site du monde et en voici copie.

Ce qui est intéressant est qu’il s’agisse dans chaque cas de lettres ouvertes co-signées par des personnalités reconnues.

Un Google français n’est pas qu’une utopie

Après avoir déclaré qu’il ne serait pas le ministre de la « castration de l’Internet », Eric Besson (secrétaire d’Etat chargé de la prospective, de l’évaluation des politiques publiques et de l’économie numérique) ajoute qu’il aimerait que sa mission contribue à faire en sorte que le prochain Google soit français. Voilà un slogan qui a le mérite d’être simple, mais qui ne doit pas faire sourire.

Car la France a de très nombreux atouts. Le contexte français du haut débit constitue notamment un terrain très favorable. Grâce à une politique stimulant la concurrence, les offres d’accès haut débit en France figurent parmi les moins chères et les plus innovantes au monde. Ce terreau favorable a commencé à porter ses fruits, et quelques jeunes pousses nationales montrent le bout de leur nez sur la scène européenne et mondiale de l’Internet.

Notre première recommandation serait justement de maintenir le modèle ouvert qui a fait le succès de l’Internet et permis à un foisonnement de sites, de nouveaux services, d’applications innovantes, de contenus, d’avoir accès d’emblée à 1,3 milliard d’internautes. Certains opérateurs de télécommunications sont tentés de prendre le contrôle de cet espace ouvert. Un comportement surprenant d’ailleurs, au regard de ce que leur apporte directement le développement des acteurs du Web, ne serait-ce qu’en termes de revenus publicitaires et de débouchés sur des activités nouvelles de création et de diffusion de contenus. Un Internet non « neutre » introduirait surtout un péage à l’entrée à la rigueur soutenable pour des acteurs de l’Internet déjà établis, mais difficile à franchir pour les jeunes pousses.

Car le vrai sujet consiste à regarder comment l’économie française peut donner naissance non seulement à un champion mondial de l’Internet, mais aussi et finalement surtout à de nombreuses entreprises florissantes dans ce domaine. Pour paraphraser notre titre, n’oublions pas, au bout du compte, qu’un Google ne vient jamais seul !

C’est là un objectif que l’on se gardera donc de rapprocher du préhistorique plan calcul, dont les résultats furent si peu probants… En fait, notre principal message aux pouvoirs publics serait, paradoxalement, d’en faire… le moins possible ! Laissez agir les entrepreneurs, ils sauront évoluer, se regrouper, changer leur fusil d’épaule. Ils n’ont pas besoin de subventions. Par contre, osez défendre l’avenir contre le passé et non l’inverse ! L’économie numérique bouscule, parfois fortement, les secteurs plus traditionnels. C’est une bonne chose ! N’ayons pas peur des changements, prenons-les à bras le corps, cherchons à en être à l’avant-garde, le bilan sera, au final, largement positif. Il y a trois ans, Jean-Pierre Jouyet, l’actuel secrétaire d’Etat aux affaires européennes, et Maurice Lévy, le président de Publicis, publiaient un rapport qui a marqué les esprits. A la page 11, ils écrivaient : « Dans de nombreux domaines confrontés à un changement technologique, nous nous demandons comment protéger l’existant, alors qu’il faudrait d’abord chercher à tirer au mieux parti du changement. «  Il n’y a pas une virgule à modifier. Rien que du bon sens.

Ce sera donc notre autre message phare : l’économie numérique est davantage « génitrice » d’opportunités que de risques. Profitons-en ! Ces messages ont leur versant juridique. Savez-vous que la France est le pays du monde où les entreprises de l’Internet doivent faire face au plus grand nombre de procédures juridiques ? Quelle que soit la validité des procédures, elles nous semblent surtout révélatrices de peurs, d’appréhensions face au changement, de réflexes de crispation. Encore ne s’agit-il que des tribunaux, mais quand les élus de la nation se mettent en tête de revoir la loi pour la rendre encore plus protectrice des situations du passé, il est certain que l’innovation n’en sortira pas gagnante, et encore moins l’économie française. Il faut un environnement juridique qui, sans pour autant laisser faire n’importe quoi, laisse une marge à l’innovation.

Dernier point, cerise sur le gâteau : les taxes. Dans ce domaine, nous le savons, la créativité peut être grande. Peut-on la limiter ? Imagine-t-on aujourd’hui taxer les Vélib’ pour financer la hausse du prix du gazole ? C’est pourtant à cette situation absurde que font penser les projets récurrents de taxation de l’Internet pour contrebalancer les résistances au changement et à la migration vers le numérique de tel ou tel secteur. Par exemple, taxer l’Internet pour financer la télévision. Le prochain Google peut-il être français ? Chiche ! Rendez-vous dans dix ans.

Catherine Barba, fondatrice et présidente de Malinea (Cashstore.fr) ;

François Bourdoncle, fondateur d’Exalead ;

Mats Carduner, directeur général de Google France et Europe du Sud ;

Pierre Kosciusko-Morizet, PDG de Price Minister et président de l’Association des sites Internet communautaires ;

Laurent Kott, directeur général d’Inria-Transfert ;

Cédric Manara, professeur associé à l’Edhec Business School ;

Mark Zaleski, PDG de Dailymotion.

Article paru dans l’édition du 08.07.08

EDA, une industrie de la Silicon Valley

Penny Aycinena m’a demandé d’écrire un bref article pour EDA confidential, qui résume mes inquiétudes et mes espoirs quant à l’innovation et aux start-up. Il est publié aujourd’hui (30 juin 2008).

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Laissez-moi lui ajouter quelques lignes:

Le chapitre de “Start-Up” qui a été le moins remarqué est le chapitre 6. Il est pourtant un de mes préférés. EDA signifie Electronic Design Automation. Aujourd’hui aucun architecte ne peut concevoir un bâtiment complexe sans logiciel spécialisé ; il en est de même pour un ingénieur qui conçoit une automobile, un avion. C’est exactement la même chose pour la conception des circuits électroniques.

Il y a vingt-cinq ans, l’EDA n’existait quasiment pas. Il y a quarante ans, les circuits étaient conçus en interne (et manuellement) chez IBM, Motorola,… mais petit à petit, de nouveaux acteurs apparurent, des start-up minuscules sont devenus des géants, et une industrie s’est bâtie. L’EDA a représenté plus de $5B de revenus en 2007. Le cycle typique de créations et d’acquisitions de start-up s’est perpétué sur presque vingt ans, mais depuis, 2001, il ne s’est plus passé grand-chose : pas d’IPO, peu d’acquisitions de taille, et il y a quelques jours, Cadence, le no1 mondial, a lancé une offre hostile d’acquisition contre Mentor, le no3. Les deux sociétés ont été fondées dans les années 80.

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L’EDA est une parfaite illustration de la Silicon Valley: un réseau dense d’individus, chercheurs, entrepreneurs, investisseurs. Ce qui est intéressant à propos de l’EDA est que son centre est Berkeley (plus que Stanford ou Sand Hill Road) comme le montre la figure qui suit. Pour terminer, voici deux citations de légendes de l’EDA, deux récipiendaires de la Kaufman award, le prix Nobel de l’EDA:

– “Risk taking in EDA is gone.” Joe Costello

– “If there is a single point I wish to make here today, it is that as a discipline, both in industry and in academia, we are just not taking enough risks today.” Richard Newton

Il est possible que la maturité de l’EDA comme de la Silicon Valley ne soit pas un très bon présage.

 

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Innovation: le moteur des affaires?

La Fondation Ditchley est une étrange chose, du moins je l’imagine pour un non-britannique. J’ai participé à la mi-mai à un workshop sur l’Innovation où les participants (car tout comme dans la technologie, la gente féminine y fut très minoritaire) discutèrent du sujet dans un très beau château XVIIIème siècle !

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Les discussions furent détendues, amicales (cadre oblige) mais aussi sérieuses et passionnées. La leçon principale que j’en ai tirée est que l’innovation est toujours vue comme un processus d’institutions établies et pas comme ce que les start-up font le mieux. Pour ceux intéressés par une vue rafraichissante du sujet, la synthèse produite par le chairman de Ditchley et de grand intérêt et disponible en ligne.

Ode au Désordre

Trop d’organisation nuit à l’innovation.

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Tels sont les titre et sous-titre du brillant article (de fond) de Julien Tarby dans le nouvel économiste publié le 5 juin. Un article proche des mes préoccupations sur l’innovation en Europe. L’article fait la part belle aux problèmes qu’ont les grandes entreprises à innover et l’analyse est passionnante. Mais il relève aussi des points connexes assez édifiants. Par exemple :

1 euro investi dans le venture-capital génèrera 10 fois plus de retombées qu’1 euro versé dans la R&D traditionnelle des entreprises (Source : Samuel Kortum et Josh Lerner)

Selon Pascal Picq, paléoanthropologue développant la théorie de l’évolution des espèces pour les entreprises : les start-up qui s’adaptent pour survivre son darwiniennes. “Malheureusement l’éducation française reste lamarckienne avant tout, considérant que les organisations s’améliorent dans un schéma de développement (administrations, grandes entreprises). C’est le pays des grands projets planifiés (avion, train…) et non des ruptures.” Cette culture de la norme n’admettrait pas la variabilité, ignorerait la phase essai/erreur, pousserait à améliorer les domaines d’excellence, non à créer de nouvelles filières.

Comme l’article est gratuit sur internet sous forme pdf, filez le télécharger !

L’ADN de l’Innovation

John HennessyIls sont peu nombreux à pouvoir parler d’innovation aussi bien que John Hennessy. Président de l’université de Stanford, fondateur de start-ups telles que MIPS ou Atheros, membre du conseil d’administration de Cisco et de Google, il est aussi un spécialiste d’informatique de classe mondiale.

Dans une tribune récente du Stanford Magazine, « the DNA of Innovation », il cite les trois ingrédients centraux à un esprit d’innovation :

les individus, à travers la diversité des talents et des approches,

un environnement favorable à la prise de risque et à la créativité

des institutions facilitant le transfert des connaissances et idées là où elles pourront être implémentées

Le texte est bref et mérite l’attention. Il est aussi disponible en pdf (scanné).

A propos de Peter Druker

Très éloigné de mon précédent post sur Perkins, le livre de Peter Drucker Innovation and Entrepreneurship aura été une lecture paradoxale. Les premiers chapitres me furent pénibles même s’ils sont brillants. J’y ai compris que l’innovation est un processus qui sera mené à bien s’il il est planifié et géré avec soin . Heureusement le chapitre 9 a complètement transformé mon malaise lorsque l’auteur s’attaque aux innovations basées sur la connaissance, qui englobent science et technologie. Je vais résumer (en anglais) ma compréhension de ce chapitre:

1- the characteristics of knowledge-based innovation:

a. the time span between the emergence of the technology and its application is long, 20 to 30 years,

b. it is a convergence of several knowledge and until all the needed ones are available, this innovation can not succeed,

2- the requirements:

a. a careful analysis of the required factors, i.e. the available knowledge and the missing ones,

b. a clear focus on the strategic position, i.e. you have to be right the first time or others will take your place,

c. learn and practice entrepreneurial management, because most tech. innovators lack management skills ,

3- the risks:

a. first, even after a careful analysis, knowledge-based innovation remain unpredictable and turbulent (see also Moore’s books about the chasm and the tornado), and this is linked to its characteristics above; this has two important implication:

i. time plays against innovators,

ii. survival rate is low,

b. there is a limited window where new ventures start, and when it closes, there is a general shakeout, where few survive; who survives is also unpredictable. The only chance of surviving is to have a strong management and resources,… and luck;

c. there is also a receptivity gamble. Even market research does not work with these innovations and the reason why an innovation is accepted or not is also unpredictable.

I have to admit this confirms an intuition I had since my VC years: you have to make a bet and then work hard. But there is no way, you can really plan the success of knowledge-based innovations.

The end of the book is quite good, in particular its conclusion: “The first priority in talking about public policies is to define what will not work: Planning is actually incompatible with an entrepreneurial society and economy. Innovation has to be decentralized, ad hoc, autonomous, specific. It had better start small, tentative, flexible. […] It is popular today [1983!], especially in Europe, to believe that a country can have “high-tech entrepreneurship” by itself. But it is a delusion. In fact a policy which promotes high-tech and high-tech alone will not even produce high tech. All it can come with is another expensive flop, another Concorde. […] The French are right, economic and political strength requires high tech but there must be an economy full of innovators with vision and entrepreneurial values, with access to venture capital, and full of economic vigour. »