Qu’est qui fait un « grand » entrepreneur? (selon Max Levchin)

Une courte citation de Max Levchin tirée du dernier numéro de la MIT Technology Review. Q: Qu’est qui fait un « grand » entrepreneur?

R: Je ne pense pas que l’entrepreneuriat puisse être enseigné. Je ne pense pas que qu’il s’agisse de: « Faites ces cinq choses et vous serez un entrepreneur. » Et par extension, je ne pense pas qu’il s’agisse de: « Faites ces cinq choses mieux et vous serez un meilleur entrepreneur. » Tous ceux que je connais ont leur propre style. Les caractéristiques communes sont tout de même identiques: l’énergie, une certaine incapacité à bien jouer en équipe, un esprit de décision, et à l’occasion, une indifférence générale au rationnel. L’entrepreneuriat est cette expérience bizarre d’avancer constamment à l’aveuglette, en décidant au fur et à mesure, et aussi en ayant cette confiance extrême que tout va bien se passer. Et la seule façon de le faire est de croire que ça va vraiment être le cas. Donc, il s’agit essentiellement d’une capacité continue à oublier votre propre incrédulité. – Max Levchin, fondateur de plusieurs sociétés, dont PayPal, qui était en 2002 lauréat des « innovateurs de moins de 35 ans » de la MIT Tech Review.

Levchin on Entrepreneurship

De plus je viens de lire une interview de Bernard Dallé, associé de Index Ventures dans Entreprise Romande, dans la même numéro spécial consacré à l’échec où j’ai écrit une courte note intitulée « La culture suisse tolère-t-elle l’échec?« . Bernard est interrogé sur les caractéristiques communes aux entrepreneurs: « Bien souvent, ils ne sont pas attirés par l’argent. Ils ne craignent pas l’échec. Leur but est d’avoir un impact sur la société ».

Les péchés capitaux de la Silicon Valley

Les gens qui me sont proches se fatiguent parfois (souvent ?) de mon enthousiasme pour la Silicon Valley. C’est bien connu, l’énergie créatrice dans l’innovation est assez unique et la création de valeur qui en découle assez énorme. Cette énergie est communicative et comme disait Steve Jobs : « Si vous regardez un peu en arrière, il y a deux ou trois choses. Le mouvement Beatnik a commencé à San Francisco. C’est une chose assez intéressante à noter. C’est le seul endroit des États Unis où le Rock’n’roll a vraiment eu lieu. N’est-ce pas ? La plupart des groupes du pays, Bob Dylan dans les années 60, je veux dire, ils sont tous venus d’ici. Je pense à Joan Baez, Jefferson Airplane, les Grateful Dead. Tout est venu d’ici, Janis Joplin, Jimmy Hendrix, tous. Pourquoi ? Vous avez aussi Stanford et Berkeley, deux universités extraordinaires qui attirent les gens brillants de toute la planète et leur font découvrir une région belle et ensoleillée, où ils trouvent d’autres gens intelligents et aussi une nourriture excellente. Et aussi beaucoup de drogue à une certaine époque. Alors ils sont restés. Il y a beaucoup de richesse humaine qui se déverse dans la région. Des gens très brillants. Les gens semblent plutôt brillants ici en comparaison au reste du pays. Ils sont plutôt plus ouverts aussi. Je crois que la région est unique et elle a une histoire qui le montre bien. Tout cela attire plus de monde. Je donne aussi un grand crédit, peut-être le plus grand crédit, à Stanford et Berkeley. » Un vrai paradis ? Voilà une jolie question ! Je vais donc essayer d’aborder un sujet moins connu, les côtés sombres de cette région, ses péchés capitaux.

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Tous ces avantages au travail ne sont pas sans conséquences négatives. Reuters/Erin Siegal
extrait de Those cool Silicon Valley offices? More like secretly evil empires

Une dévotion unique à l’intérêt personnel

Le sujet n’est pas du tout nouveau. En 1984, les auteurs de Silicon Valley Fever consacrèrent deux chapitres aux difficultés de la région, l’un intitulé « Styles de vie » et l’autre « Problèmes au paradis ». A la page 184, ils indiquent : « en 1980, les premières fissures firent leur apparition » et concluent (page 202) que « peut-être la plus grande menace de toutes est la dévotion unique à l’intérêt personnel au détriment du bien commun. »

Je pense qu’il s’agit du problème le plus grave de la Silicon Valley. Dans un article récent du Nouvel Observateur, La face cachée des oligarques du Net, Natacha Tatu critique des entrepreneurs richissimes qui « s’enrichissent parfois au mépris des intérêts américains. » En effet, les grandes sociétés de la technologie (Intel, Oracle, Google, Apple, etc) ont constitué de véritables trésors de guerre hors des États Unis et préfèrent ne pas les rapatrier pour ne pas payer des impôts qu’elles considèrent excessifs. « Le taux d’impôt effectif des géants de la high-tech est seulement de 16% en 2011. A ce petit jeu, le champion est Amazon, dont les impôts se sont élevés à seulement 3,5% des bénéfices en 2011, suivi par Xerox (7,3%) et Apple (9,8%). » selon BFM TV dans Comment Google, Apple & Co utilisent les paradis fiscaux. Et d’ajouter « En 2004, George W. Bush, magnanime, avait accordé un tel « tax holliday », où les profits rapatriés furent taxés à seulement 5%, au lieu de 35%, que HP en profita pour rapatrier 16 milliards de dollars; IBM 12 milliards; Intel 7,6 milliards; Oracle 3,3 milliards; et Microsoft 1 milliard. » Cet égoïsme fiscal peut expliquer en partie le délabrement des infrastructures (transports publics, autoroutes, écoles, services de santé), vice typiquement américain mais pas unique à la Silicon Valley. Il n’en reste pas moins que l’écart entre la richesse de la région et la pauvreté du système public est des plus extrêmes.

Une région hors de prix et de grandes inégalités

Je cite cette fois Chris Schrader dans What’s The Dark Side Of Silicon Valley? « Le niveau de richesse dans la région a entraîné une hausse du prix des maisons (à proximité des lieux de travail) à des niveaux astronomiques ». Si l’on ajoute le coût de la santé et de l’éducation, vivre dans la Silicon Valley est un cauchemar si l’on n’a pas de revenus confortables. Je ne parle pas des pauvres ou « working poor » dont la situation est des plus difficiles en admettant que leur situation soit légale. Sans oublier qu’une grande partie de la production de produits est sous-traitée dans des pays émergents aux conditions de travail plus difficiles encore. Inutile de revenir sur l’exemple de Foxconn en Chine qui fournit l’essentiel des produits Apple.

Workaholics

C’est connu. Dans la Silicon Valley. On travaille. Pas seulement pour l’argent, sans doute, mais les considérations matérielles semblent être l’unique préoccupation commune à tous. C’est sans doute la conséquence de cette dévotion à l’intérêt personnel et à une région hors de prix. Pour se payer maison, santé et éducation, il faut travailler comme un fou. Mais cela va plus loin, et cela est sans doute lié à la culture protestante du travail et aussi à la recherche de la richesse que les start-up laissent espérer. la vie sociale y est du coup sacrifiée et j’ai le souvenir que nombre d’étudiants à Stanford ne pensait qu’à leurs études, ce qui est tout de même assez triste…

Cette culture de geek ne contribue pas à faire de la Silicon Valley une société très équilibrée. Les discriminations, les inégalités y restent fortes. Noyce, le fondateur d’Intel, avait peur des syndicats et pensait que leur arrivée tuait les entreprises. Le travail au noir existe et les conditions de travail sont loin d’être aussi idyllique qu’on le décrit parfois. Plus simplement, les comportements sont souvent arrogants, hypocrites ou superficiels.

Une qualité de vie dégradée

Les auteurs de Silicon Valley Fever mentionnent quelques conséquences négatives des points précédents : l’absence de temps libre a des conséquences évidemment négatives sur la vie de famille, qui est sacrifiée à l’autel du dieu travail. peu de vacances, peu de curiosité aussi. En plus du stress lié à ces vies de familles dégradées et sans oublier un fort taux de divorce, toutes ces contraintes financières impliquent un système de transport en souffrance puisque l’on habite en général loin de chez soi. Les embouteillages y sont si déraisonnables que Chris Schrader dit: « je dois établir mon horaire en fonction du trafic domicile-travail qui me fait généralement quitter la maison bien avant 7 heures et rentrer souvent vers 20 heures. Quitter le travail à 17 heures n’a tout simplement pas de sens, parce que j’arriverais au même moment que si je partais à 19h. » Je ne parle même pas des transports en commun quasi-inexistants en comparaison des villes européennes ou même des régions métropolitaines de la côte Est des États Unis.

La sécurité n’est pas le sujet de préoccupation principale de la région de la Baie de San Francisco, mais il y a des poches d’insécurité considérables à East Palo Alto ou Oakland. Je vous laisse découvrir la photo que j’ai prise il y a quelques années.

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Une vie socioculturelle pauvre

Contrairement à ce que je citais des affirmations de Steve Jobs plus haut, la Silicon Valley ne brille pas par sa vie culturelle. Peu de grands créateurs (en comparaison de la richesse de la région). Athènes, Rome, Florence dans un lointain passé ou Paris, Londres, Vienne et aujourd’hui New York ont fait beaucoup mieux à leur apogée. Pas de grand musée dans la région. Relativement peu de grands artistes. Pas de grande figure de la politique ou des sciences humaines malgré deux grandes universités. Si vous allez à New York, Washington, Chicago ou Los Angeles, je suis assez peu près sûr que vous y trouverez une vie culturelle plus riche.

Des comportements moutonniers

Je suis loin d’avoir fait une liste exhaustive des éléments négatifs de la région, mais je souhaite finir par un point qui crée certainement beaucoup de frustration pour les innovateurs et les créateurs. Les modes y sont si fortes qu’il est difficile de pouvoir s’y exprimer ou pire y réussir s’il l’on nage à contre-courant. Cette « herd mentality » fait que l’on écoute rarement ceux qui viennent avec des idées en apparence farfelue. Même les fondateurs de Google auront dû se débattre plusieurs mois avant de convaincre qui que ce soit. Plus récemment Elon Musk n’a pas utilisé pour Tesla Motors les investisseurs habituels de la Silicon Valley pour financer son rêve de véhicules électriques, néanmoins il est devenu la dernière coqueluche de la région. L’argent pourtant coule à flots dans des dizaines de projets similaires et souvent assez pue innovants… Les employés des start-up suivent ces modes et n’ont aucun attachement ou fidélité pour leur employeurs. Cela a sans doute quelques bons côtés (l’exigence est de mise), mais la superficialité des relations sociales en général peut devenir problématique.

Je ne renie en aucune manière mon enthousiasme pour la Silicon Valley qui reste dans mon esprit une des régions les plus dynamiques et créatrices de la planète. J’y ai trouvé inspiration et enthousiasme à des moments critiques de ma vie et la beauté de la nature environnante, l’enthousiasme (même artificiel) de la population et la douceur de vie (quand on a les moyens) en font une région des plus agréables et stimulantes. Elle n’est en est pas pour autant un paradis et il y a clairement de la place pour les améliorations.

Qu’est-ce qu’une start-up? (partie 3)

Mon collègue Jean-Philippe Solvay m’a récemment demandé de réagir à un message Facebook demandant ce qu’est exactement une start-up. Et comme vous pouvez le lire dans ce message facebook, ce n’est pas si facile de répondre. Une des meilleures références données dans le post est l’analyse assez exhaustive de swombat.com.

Dans le passé, j’ai écrit deux messages sur le sujet: dans la Partie 1 en 2011, j’avais donné ma définition: « Une start-up est une entreprise qui est née d’une idée et a le potentiel pour devenir une grande entreprise » ainsi que la très bonne définition de Steve Blank: « les start-up sont des entités temporaires destinées à la recherche d’un modèle d’affaires extensible et reproductible. » (Il y a toutefois quelque chose avec quoi je ne suis pas à l’aise chez Steve Blank de: je voudrais supprimer le mot « modèle », et le remplacer par « business » car une start- peut savoir ce qu’elle veut faire, mais ne l’a pas encore validé. Les start-up copiant des modèles d’affaires existants n’en seraient pas…)

Puis, dans la « partie 2 » en janvier 2013, j’ai ajouté ce qui suit: « Une start-up est une société qui explore, qui est à la recherche d’un modèle d’entreprise, d’un marché, de clients et tente d’innover. Elle cherche généralement un grand marché (« scalable/extensible ») et donc les entreprises de services ne sont pas des start-up (sauf sur le web). Il est donc aussi question de croissance forte et rapide car pour ces marchés émergents, la concurrence est rude et les gagnants peu nombreux. Il faut souvent aller vite. C’est aussi pourquoi c’est un état d’esprit: vous êtes curieux, dans un monde incertain, en essayant d’apporter de nouvelles choses au monde, voire de le changer. Parce que vous êtes à la recherche d’un modèle d’affaires, vous n’avez pas assez de clients payants, et vous aurez probablement besoin de capitaux externes (business angels, capital-risque), sauf si vos futurs clients acceptent de payer en ‘avance. C’est pourquoi il existe une forte corrélation entre le statut de start-up et avoir des investisseurs. »

Je suis d’accord avec la plupart des caractéristiques indiquées dans les contributions Facebook ou swombat: « les start-up sont de nouvelles entreprises focalisées sur l’innovation et la croissance dans des situations de grande incertitude (ou de risque) ». Elles n’ont pas à être dans la technologie et si c’est le cas, ielles sont appelées start-up high-tech. Peut-être que l’innovation n’est pas si importante, comme beaucoup d’entre elles copient les autres, mais la croissance (la scalability) est critique. Les entreprises de services ou de consulting ne sont généralement pas des start-up parce que la croissance est linéaire, et non exponentielle (avec le nombre d’emplois).

Permettez-moi d’ajouter un autre point: si le mot a été créé, il doit y avoir une bonne raison! Quand est-il apparu? Wikipedia affirme qu’il est devenu populaire avec la bulle dot.com des années 90. Cependant, j’ai trouvé le terme dans Regional Advantage de Saxenian (1994) et même dans Silicon Valley Fever (1984). Il ne fait aucun doute que le terme a émergé avec les clusters technologiquse tels que la Route 128 et la Silicon Valley, raison pour laquelle il est associé à la haute technologie ainsi qu’au capital-risque. Mais toutes les start-up ne font pas partie de ces entités géographiques. Microsoft et Amazon sont basées à Seattle, qui n’est pas vraiment un cluster. Quand ils n’appartiennent pas à un cluster géographique, ils appartiennent à une grappe technologique, principalement IT (électronique, logiciel, internet) ou biotech / medtech. Tesla Motors est considéré comme une start-up, car elle appartient à l’écosystème de la Silicon Valley même si elle est dans un secteur où il existe très peu de start-up. Je ne pense pas que EasyJet ait jamais été appelée une start-up, car elle n’appartient à aucun cluster (technologique ou géographique). Donc, j’aurais tendance à définir une start-up comme « une nouvelle entreprise focalisée sur la croissance dans des situations de grande incertitude, et appartenant à un cluster technologique ou géographique ».

PS: en regardant le sujet à nouveau, j’ai découvert un débat sur ​​la façon d’épeler le mot … En 2007, j’avais décidé pour « start-up », mais « start up » et « startup » étaient employés également. Il semble « startup » soit maintenant de plus en plus populaire. Je m’en tiens à « start-up » pour le moment, pour être cohérent avec ce que j’ai toujours fait. De même je ne mets pas de « s » au pluriel…

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

Voici ma quatrème contribution à Entreprise Romande. Je me rends compte qu’il y ait souvent question d’échec et d’innovation. Ce nouvel article maintient la tradition. Et comme il s’agissait d’un numéro spécial sur l’échec, je me permets de vous fournir l’éditorial de la rédactrice en chef.

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Voici donc l’Editorial d’Entreprise romande – 5 juillet 2013 Par Véronique Kämpfen, rédactrice en chef:

La tolérance à l’échec favorise la croissance

Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de l’échec. Un constat confirmé par une étude fouillée de Barclays parue fin 2012. Tout d’abord, les Européens ont plus de mal à voir l’échec de manière positive (69%) que les Américains (71%), les Asiatiques (80%) et les Moyens-Orientaux (91%). Ensuite, les entrepreneurs ont une attitude moins négative face à l’échec que le reste de la population. Ils sont nombreux à penser que les échecs ont forgé leur caractère, que cette épreuve leur a appris beaucoup et qu’ils ont su rebondir rapidement. Les entrepreneurs sont en outre largement plus optimistes que le reste de leurs concitoyens. Ce phénomène est décrit dans la littérature médicale: il semblerait qu’un nombre élevé d’entrepreneurs à succès seraient caractérisés par une forme génétique de biais psychiatrique, qui les prédisposerait à être créatifs, enthousiastes et peu craintifs vis-à-vis de la prise de risques. John Gartner, le psychiatre à l’origine de cette étude, souligne les traits de ces caractères particuliers: « Avoir ce genre de confiance en soi peut entraîner un aveuglement face aux risques, parce que ces personnalités ne pensent pas pouvoir échouer. (…) Si elles échouent néanmoins, elles ne resteront pas longtemps abattues et seront rapidement énergisées par une idée complètement nouvelle ».

De manière plus générale, l’étude Barclays montre que la tolérance à l’échec est essentielle à la croissance. Le processus de «destruction créative», qui veut que des idées, des modèles technologiques et d’affaires obsolètes laissent la place à de nouvelles impulsions, est essentiel pour le progrès économique et la création d’emplois. Pour que ce processus soit efficace, il faut des entrepreneurs ayant envie de prendre des risques, ainsi qu’un environnement qui accompagne leurs efforts. Jusqu’à présent, la Suisse semble tirer son épingle du jeu, comme l’attestent sa bonne santé économique et son excellent classement en termes d’innovation et de compétitivité. Les Suisses n’étant pas les champions de la tolérance vis-à-vis de l’échec, il faut qu’ils soient soutenus par des conditions-cadre adaptées et entourés au mieux pour que celles et ceux qui ont la fibre entrepreneuriale puissent se lancer… sans trop prendre de risques! Ces thèmes sont traités de manière très détaillée dans Le Magazine d’Entreprise romande, encarté dans ce journal. Le tabou de l’échec et de la faillite y est analysé sous toutes ses formes et mis en perspective grâce à des conseils pratiques et à des témoignages d’entrepreneurs. Bonne lecture et… bel été!

et voici ma contribution:

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

« La société nous donne tellement de baffes à travers l’éducation qu’on a peur d’être créatif, car on montre ses faiblesses. En exprimant ses rêves, on fait un strip-tease intellectuel, on craint que les autres les considèrent comme mauvais, pas bien, pas bons et pas justes. » C’est ce qu’affirme d’Elmar Mock, inventeur de la Swatch et fondateur de Créaholic. Le système scolaire suisse n’est en effet pas connu pour sa créativité. Le célèbre « faut se gaffer » romand pourrait faire sourire ; quant à nos enseignants, ils semblent accorder plus d’importance à la rigueur qu’à la créativité de nos chères têtes blondes. Le droit à l’erreur est inconsciemment refoulé. Si l’on accepte l’idée qu’innover c’est avant tout créer dans des situations d’incertitude, l’affirmation a de quoi inquiéter. Pourtant la Suisse est championne du monde de l’innovation dans la quasi-totalité des rapports mondiaux. Contradiction ?

L’innovation est une chose subtile. L’innovation ne se réduit pas à l’invention et l’innovation n’est pas seulement technologique ; elle est le résultat qu’un processus, au bout duquel sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands). Le processus conduisant à l’innovation est long, imprévisible et peu contrôlable ; l’innovation ne se planifie donc pas et il faut accepter l’échec.

Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, a bâti une théorie autour de l’innovation de rupture, celle qui permet l’émergence de nouveaux produits révolutionnaires comme l’Internet, le téléphone portable mais aussi les compagnies aériennes à bas coût, celle qui permet aussi à de nouveaux acteurs d’émerger et de remplacer leurs concurrents vieillissants. Selon Christensen, l’innovation de rupture ne peut se produire au sein des institutions établies. Les meilleures entreprises sont à l’écoute de clients qui ne souhaitent que l’amélioration des produits existants et ne souhaitent que rarement de nouveaux produits. Les Etats Unis ont vu plus de 80 nouvelles entreprises majeures émerger depuis 1970 ; la France, seulement 4. Et la Suisse?

La Suisse est championne du monde de l’innovation tout d’abord parce que les conditions cadre sont excellentes. Tout est fait pour que les entreprises réussissent, en minimisant barrières et contraintes. Ensuite, parce qu’il existe une culture du travail bien fait. L’apprentissage contribue dès les premières années de formation à maintenir cette tradition et les entreprises suisses sont connues pour être à l’écoute de leurs clients pour faire évoluer les produits existants dans la bonne direction. Mais de quelle innovation parle-t-on ? Celle qui donne naissance à des ruptures technologiques? Non, plutôt un autre type d’innovation, l’innovation incrémentale, faite de « graduelles, continuelles améliorations de techniques ou de produits existants ; l’innovation incrémentale ne change généralement pas fondamentalement la dynamique d’une industrie, ni ne requiert un changement de comportement » d’après wikipedia. La Suisse est championne de l’innovation incrémentale, à travers un tissu dense de PMEs performantes. L’échec est donc relativement peu absent, quand l’attention à tous les détails est permanente. Mais cela est-il suffisant ?

Non seulement le système scolaire suisse n’est pas connu pour sa créativité, mais de plus les spin-off académiques ne créent que peu d’emplois. Si l’on accepte le corolaire que l’innovation est source de croissance et de nouveaux emplois, nous ne sommes peut-être pas aussi innovants qu’il serait souhaitable. Nous sommes évidemment performants pour l’innovation incrémentale, mais certainement pas aussi bons dès qu’il s’agit de rupture. A part un exemple qui me vient naturellement en tête, la Swatch. Mais Nicholas Hayek n’était pas le produit de la culture suisse ! On pourrait ajouter Nespresso, mais Eric Favre inventeur du produit aura souffert des réticences initiales chez Nestlé au point de dire : « L’économie suisse manque de vrais entrepreneurs ! » La difficulté à intégrer le risque, la nouveauté radicale peut rendre myope face aux changements en cours et engendrer d’autres échecs, comme le témoigne le grounding de Swissair, qui a été vécue comme un traumatisme national. Les Etats-Unis ont perdu TWA et Panam, mais ils ont su inventer le concept de low cost avec Southwest ou JetBlue, qui les a allègrement remplacés. L’Europe, avec easyJet et d’autres compagnies, n’a fait que suivre le modèle américain.

Les start-up suisses ne meurent jamais. Elles ont un taux de survie de 90% après 5 ans. Alors qu’outre-Atlantique et même en Suisse pour les entreprises traditionnelles, le taux est inférieur à 50%… Cela peut vouloir dire, en citant Xavier Comtesse, que « les start-up sont protégées par le système académique ou le financement fédéral. » Parce qu’échouer serait un stigmate inacceptable ? Ou parce que prendre des risques, cause inévitable d’un taux d’échecs plus important, serait trop dangereux ? Sans être aussi pessimiste, j’ajouterai que nos start-up restent souvent d’excellents bureaux d’ingénieurs, au savoir-faire reconnu, mais la composante service finissant par l’emporter sur les produits, la société survit sans importante création d ‘emplois et sans forte croissance. J’ai souvent demandé à des entrepreneurs qui avaient échoué de partager leur expérience. En vain ! Nos experts et mentors ne poussent pas nos jeunes entrepreneurs dans cette direction; je l’ai si souvent entendu, que j’ai presque fini par m’habituer. Nos business angels ont une grande méfiance d’investisseurs à risque plus agressifs dont ils redoutent l’approche plus binaire du « ça passe ou ça casse. »

Daniel Borel, entrepreneur emblématique : «Dans notre secteur, si on n’innove pas constamment, si on n’a pas le courage de prendre des risques, on disparaît. Raison pour laquelle je préférerais me lancer dans sept projets quitte à en rater trois, que de ne rien louper, par chance, en ayant misé sur un seul projet. » […] « On n’apprend que de ses échecs, rarement de ses succès. Le succès peut être votre pire ennemi: il vous fait croire que vous êtes fort, très fort, que vous pourriez même marcher sur les eaux. Et c’est à ce moment-là que vous vous noyez. »

La culture suisse n’est certainement pas très tolérante avec l’échec. Elle favorise un type d’innovation (incrémentale) qui peut expliquer les forces du pays. Son tissu de PMEs performantes est sans doute le résultat de cette culture prudente, exigeante. Il y a raison d’en être fier. Mais j’aime la citation de l’ancienne star du Hockey, Wayne Gretzky : « Je patine à l’endroit où le palet va être, et non là où il a été. » Toute la question est de savoir si la Suisse sera demain à la bonne place pour récupérer le palet…

Quand la science ressemble à la religion: la théorie qui ne mourrait pas.

Voici le troisième livre que je lis en peu de temps sur les statistiques et c’est probablement le plus étrange. Après mon cher Taleb et son Cygne Noir, après les statistiques plus classiques avec Naked Statistics, voici l’histoire de la statistique bayésienne.

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Si vous ne connaissez pas Bayes, permettez-moi simplement de mentionner sa formule, belle par sa symétrie: [Selon wikipedia]
En théorie des probabilités, le théorème de Bayes énonce des probabilités conditionnelles : étant donné deux évènements A et B, le théorème de Bayes permet de déterminer la probabilité de A sachant B, si l’on connaît les probabilités de A, de B et de B sachant A.
P (A | B) P (B) = P (B | A) P (A)

Je n’ai jamais été vraiment à l’aise avec ses applications. J’avais sans doute tort encore une fois, étant donné tout ce que j’ai appris après la lecture de livre de Sharon Bertsch McGrayne. Mais j’ai aussi compris pourquoi je n’ai jamais été à l’aise: depuis trois siècles, il y a eu une guerre quasi-religieuse entre bayésiens et fréquentistes sur l’utilisation des probabilités. Sont-elles liées aux événements fréquents seulement ou peuvent-elles être appliquées à des événements rares? Quelle est la probabilité d’un événement rare qui peut ne jamais se produire ou peut-être juste une fois?

[Laissez-moi vous donner un exemple personnel: Je suis intéressé par l’entrepreneuriat en série, et j’ai fait et je fais encore des tonnes de statistiques sur les entreprises liées à Stanford. J’ai plus de 5’000 entrepreneurs, et plus de 1’000 sont en série. J’ai des résultats qui montrent que les entrepreneurs en série ne sont pas en moyenne meilleurs que les autres, en utilisant  les méthodes classiques des statistiques. Mais maintenant, je dois penser à utiliser:
P (Réussite | Série) = P (Série | Réussite) P (Réussite) / P (Série)
Je ne sais pas ce qui va en ressortir, mais je devrais essayer!].

Si vous voulez un bon résumé de l’ouvrage, lisez la critique de Andrew I. Daleby (pdf). McGrayne illustre l’histoire «récente» des statistiques et des probabilités par des scientifiques de renom (Laplace) et moins célèbres (Bayes), à travers de histoires célèbres (la machine Enigma et Alan Turing) et moins célèbres (des bombes atomiques perdues dans la nature) et c’est un livre fascinant. Je ne suis pas convaincu qu’il soit bon à expliquer la science, mais la quantité d’anecdotes est impressionnante. Et peut-être qu’il n’est pas question de science en définitive, mais plus de croyance comme cela est mentionné dans le livre: « Swinburne inséra des opinions personnelles à la fois dans les probabilités a priori et dans les données prétendument objectives du théorème de Bayes pour conclure que Dieu avait plus de 50% de chance d’exister; plus tard Swinburne calcula la probabilité de la résurrection de Jésus « à quelque chose comme 97 pour cent » [page 177]. Cela évidemment me rappelle la fameuse citation d’Einstein: « Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers. » Ce n’est pas directement lié mais encore une fois, je lisais quelque chose sur les liens entre la science, la religion et les probabilités.

Le partage du gâteau (acte 2) ou « comment finance-t-on une start-up? »

Une de mes collègues à l’EPFL vient de me mentionner une jolie illustration du partage des actions dans une start-up: How Startup Funding Works. Le contenu a apparemment ses sources chez le célèbre entrepreneur Paul Graham. Il pourrait s’agir de son essai écrit en 2005. Beau travail de visualisation en effet. Merci Sanna 🙂

Donc, après de nombreux articles dur le partage des actions, y compris celui sur le livre Slicing Pie, voici le visuel.

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L’amour, l’Amérique, la Technologie et l’Art

Qu’est-ce que ces quatre mots ont en commun? Je ne sais pas vraiment. Mais au cours des douze dernières heures, j’ai pu les relier ensemble. Ma vie professionnelle est liée à la technologie, mais je ne suis pas un technophile. Je n’ai pas de « téléphone intelligent ». Mais j’aime les gens et je l’ai de manière un peu étrange redécouvert avec l’entrepreneuriat high-tech. Il y a beaucoup, beaucoup de choses plus importantes. Je vais vous donner deux exemples avec Bruce Springsteen et Jonathan Franzen, deux sympathisants connus de Barack Obama, que j’ai mentionné à quelques reprises ici. Ce ne sont que deux (donc trois) raisons pour lesquelles il est possible d’aimer l’Amérique… Suivez-moi un instant, vous n’avez pas à être d’accord!

(Permettez-moi d’ajouter 5 minutes après la publication de cet article que nous sommes le 4 Juillet!)

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Hier, j’étais à Genève pour l’un des meilleurs concerts de ma vie. Le Boss et ses seize musiciens ont donné un spectacle de près de 3 trois heures, d’une générosité que je n’avais jamais connue sur scène. Je ne connaissais pas ses « sign requests ». Ses fans lui montrent des cartons avec les titres des chansons et il en prend quelques-uns; il en chantera quelques uns. Pas le genre de machines bien huilées qu’on a l’habitude de rencontrer. Un enfant est monté sur scène et a chanté seul pendant un moment. Un moment magique. Il est âgé de 63 ans et a l’énergie d’un jeune homme, la générosité d’un homme sage. Pas de naïveté. « Nous avons un travail à faire ici ce soir ». Quel boulot! J’ai trouvé un site qui a fait un bref compte-rendu, y compris les chansons qu’il a choisi hier (y compris ceux « signés » – voir à la fin). Springsteen fait partie du groupe de personnes qui montrent pourquoi nous pouvons aimer l’Amérique.

J’aime aussi Jonathan Franzen. J’ai presque lu tous ses livres, The Corrections reste mon préféré. Je suis en train de lire ses derniers essais. Il montre aussi la souffrance, la misère, la galère en Amérique. Un autre genre de souffrance, mais à la fin, c’est probablement la même chose. L’Amérique est grande quand elle montre ses faiblesses. Mais ni Sprinsteen ni Franzen ne sont déprimants, parce qu’ils sont généreux, ils sont passionnés. Je ne vois pas de cynisme. J’espère que je ne suis pas naïf. Dans un de ses derniers essais, un discours à la remise de diplômes au Kenyon College, il relie la technologie et l’amour … Le titre est PAIN WON’T KILL YOU et dans le New York Times, il fait une autre version intitulée Liking Is for Cowards. Go for What Hurts.

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Voici la version complète du NYT. Je pense qu’il vaut la peine de la lire. Mais vous pouvez utiliser les deux liens web précédents aussi. Je vais essayer de donner ma traduction française plus tard …
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Liking Is for Cowards. Go for What Hurts.
By JONATHAN FRANZEN
Published: May 28, 2011

A COUPLE of weeks ago, I replaced my three-year-old BlackBerry Pearl with a much more powerful BlackBerry Bold. Needless to say, I was impressed with how far the technology had advanced in three years. Even when I didn’t have anybody to call or text or e-mail, I wanted to keep fondling my new Bold and experiencing the marvelous clarity of its screen, the silky action of its track pad, the shocking speed of its responses, the beguiling elegance of its graphics.
I was, in short, infatuated with my new device. I’d been similarly infatuated with my old device, of course; but over the years the bloom had faded from our relationship. I’d developed trust issues with my Pearl, accountability issues, compatibility issues and even, toward the end, some doubts about my Pearl’s very sanity, until I’d finally had to admit to myself that I’d outgrown the relationship.
Do I need to point out that — absent some wild, anthropomorphizing projection in which my old BlackBerry felt sad about the waning of my love for it — our relationship was entirely one-sided? Let me point it out anyway.
Let me further point out how ubiquitously the word “sexy” is used to describe late-model gadgets; and how the extremely cool things that we can do now with these gadgets — like impelling them to action with voice commands, or doing that spreading-the-fingers iPhone thing that makes images get bigger — would have looked, to people a hundred years ago, like a magician’s incantations, a magician’s hand gestures; and how, when we want to describe an erotic relationship that’s working perfectly, we speak, indeed, of magic.
Let me toss out the idea that, as our markets discover and respond to what consumers most want, our technology has become extremely adept at creating products that correspond to our fantasy ideal of an erotic relationship, in which the beloved object asks for nothing and gives everything, instantly, and makes us feel all powerful, and doesn’t throw terrible scenes when it’s replaced by an even sexier object and is consigned to a drawer.
To speak more generally, the ultimate goal of technology, the telos of techne, is to replace a natural world that’s indifferent to our wishes — a world of hurricanes and hardships and breakable hearts, a world of resistance — with a world so responsive to our wishes as to be, effectively, a mere extension of the self.
Let me suggest, finally, that the world of techno-consumerism is therefore troubled by real love, and that it has no choice but to trouble love in turn.
Its first line of defense is to commodify its enemy. You can all supply your own favorite, most nauseating examples of the commodification of love. Mine include the wedding industry, TV ads that feature cute young children or the giving of automobiles as Christmas presents, and the particularly grotesque equation of diamond jewelry with everlasting devotion. The message, in each case, is that if you love somebody you should buy stuff.
A related phenomenon is the transformation, courtesy of Facebook, of the verb “to like” from a state of mind to an action that you perform with your computer mouse, from a feeling to an assertion of consumer choice. And liking, in general, is commercial culture’s substitute for loving. The striking thing about all consumer products — and none more so than electronic devices and applications — is that they’re designed to be immensely likable. This is, in fact, the definition of a consumer product, in contrast to the product that is simply itself and whose makers aren’t fixated on your liking it. (I’m thinking here of jet engines, laboratory equipment, serious art and literature.)
But if you consider this in human terms, and you imagine a person defined by a desperation to be liked, what do you see? You see a person without integrity, without a center. In more pathological cases, you see a narcissist — a person who can’t tolerate the tarnishing of his or her self-image that not being liked represents, and who therefore either withdraws from human contact or goes to extreme, integrity-sacrificing lengths to be likable.
If you dedicate your existence to being likable, however, and if you adopt whatever cool persona is necessary to make it happen, it suggests that you’ve despaired of being loved for who you really are. And if you succeed in manipulating other people into liking you, it will be hard not to feel, at some level, contempt for those people, because they’ve fallen for your shtick. You may find yourself becoming depressed, or alcoholic, or, if you’re Donald Trump, running for president (and then quitting).
Consumer technology products would never do anything this unattractive, because they aren’t people. They are, however, great allies and enablers of narcissism. Alongside their built-in eagerness to be liked is a built-in eagerness to reflect well on us. Our lives look a lot more interesting when they’re filtered through the sexy Facebook interface. We star in our own movies, we photograph ourselves incessantly, we click the mouse and a machine confirms our sense of mastery.
And, since our technology is really just an extension of ourselves, we don’t have to have contempt for its manipulability in the way we might with actual people. It’s all one big endless loop. We like the mirror and the mirror likes us. To friend a person is merely to include the person in our private hall of flattering mirrors.
I may be overstating the case, a little bit. Very probably, you’re sick to death of hearing social media disrespected by cranky 51-year-olds. My aim here is mainly to set up a contrast between the narcissistic tendencies of technology and the problem of actual love. My friend Alice Sebold likes to talk about “getting down in the pit and loving somebody.” She has in mind the dirt that love inevitably splatters on the mirror of our self-regard.
The simple fact of the matter is that trying to be perfectly likable is incompatible with loving relationships. Sooner or later, for example, you’re going to find yourself in a hideous, screaming fight, and you’ll hear coming out of your mouth things that you yourself don’t like at all, things that shatter your self-image as a fair, kind, cool, attractive, in-control, funny, likable person. Something realer than likability has come out in you, and suddenly you’re having an actual life.
Suddenly there’s a real choice to be made, not a fake consumer choice between a BlackBerry and an iPhone, but a question: Do I love this person? And, for the other person, does this person love me?
There is no such thing as a person whose real self you like every particle of. This is why a world of liking is ultimately a lie. But there is such a thing as a person whose real self you love every particle of. And this is why love is such an existential threat to the techno-consumerist order: it exposes the lie.
This is not to say that love is only about fighting. Love is about bottomless empathy, born out of the heart’s revelation that another person is every bit as real as you are. And this is why love, as I understand it, is always specific. Trying to love all of humanity may be a worthy endeavor, but, in a funny way, it keeps the focus on the self, on the self’s own moral or spiritual well-being. Whereas, to love a specific person, and to identify with his or her struggles and joys as if they were your own, you have to surrender some of your self.
The big risk here, of course, is rejection. We can all handle being disliked now and then, because there’s such an infinitely big pool of potential likers. But to expose your whole self, not just the likable surface, and to have it rejected, can be catastrophically painful. The prospect of pain generally, the pain of loss, of breakup, of death, is what makes it so tempting to avoid love and stay safely in the world of liking.
And yet pain hurts but it doesn’t kill. When you consider the alternative — an anesthetized dream of self-sufficiency, abetted by technology — pain emerges as the natural product and natural indicator of being alive in a resistant world. To go through a life painlessly is to have not lived. Even just to say to yourself, “Oh, I’ll get to that love and pain stuff later, maybe in my 30s” is to consign yourself to 10 years of merely taking up space on the planet and burning up its resources. Of being (and I mean this in the most damning sense of the word) a consumer.
When I was in college, and for many years after, I liked the natural world. Didn’t love it, but definitely liked it. It can be very pretty, nature. And since I was looking for things to find wrong with the world, I naturally gravitated to environmentalism, because there were certainly plenty of things wrong with the environment. And the more I looked at what was wrong — an exploding world population, exploding levels of resource consumption, rising global temperatures, the trashing of the oceans, the logging of our last old-growth forests — the angrier I became.
Finally, in the mid-1990s, I made a conscious decision to stop worrying about the environment. There was nothing meaningful that I personally could do to save the planet, and I wanted to get on with devoting myself to the things I loved. I still tried to keep my carbon footprint small, but that was as far as I could go without falling back into rage and despair.
BUT then a funny thing happened to me. It’s a long story, but basically I fell in love with birds. I did this not without significant resistance, because it’s very uncool to be a birdwatcher, because anything that betrays real passion is by definition uncool. But little by little, in spite of myself, I developed this passion, and although one-half of a passion is obsession, the other half is love.
And so, yes, I kept a meticulous list of the birds I’d seen, and, yes, I went to inordinate lengths to see new species. But, no less important, whenever I looked at a bird, any bird, even a pigeon or a robin, I could feel my heart overflow with love. And love, as I’ve been trying to say today, is where our troubles begin.
Because now, not merely liking nature but loving a specific and vital part of it, I had no choice but to start worrying about the environment again. The news on that front was no better than when I’d decided to quit worrying about it — was considerably worse, in fact — but now those threatened forests and wetlands and oceans weren’t just pretty scenes for me to enjoy. They were the home of animals I loved.
And here’s where a curious paradox emerged. My anger and pain and despair about the planet were only increased by my concern for wild birds, and yet, as I began to get involved in bird conservation and learned more about the many threats that birds face, it became easier, not harder, to live with my anger and despair and pain.
How does this happen? I think, for one thing, that my love of birds became a portal to an important, less self-centered part of myself that I’d never even known existed. Instead of continuing to drift forward through my life as a global citizen, liking and disliking and withholding my commitment for some later date, I was forced to confront a self that I had to either straight-up accept or flat-out reject.
Which is what love will do to a person. Because the fundamental fact about all of us is that we’re alive for a while but will die before long. This fact is the real root cause of all our anger and pain and despair. And you can either run from this fact or, by way of love, you can embrace it.
When you stay in your room and rage or sneer or shrug your shoulders, as I did for many years, the world and its problems are impossibly daunting. But when you go out and put yourself in real relation to real people, or even just real animals, there’s a very real danger that you might love some of them.
And who knows what might happen to you then?
Jonathan Franzen is the author, most recently, of “Freedom.” This essay is adapted from a commencement speech he delivered on May 21 at Kenyon College.
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More for myself! (A blog is also my personal journal) Bruce Springsteen in Switzerland: Dedicates ‘Land of Hope and Dreams’ to Nelson Mandela. Bruce Springsteen and the E Street Band were back in action again on Wednesday, playing a 26-song, two-hour-and-52-minute show at the Stade de Genève in Geneva, Switzerland. Highlights included « Frankie » which was played for the first time in 2013 and for only the fifth time this tour and the encores started with Bruce playing « The Promise » solo on the piano, « Youngstown » and « Murder Inc. » were also played. It was the first show this tour that « Wrecking Ball » was not played. In the 118 shows so far this tour, three songs still have perfect attendance: « Waitin’ on a Sunny Day, » « Born to Run » and « Dancing in the Dark. » Bruce dedicated « Land of Hope and Dreams, » the final song of the main set, to Nelson Mandela. Show began at 7:40 p.m. local time (six hours ahead of New Jersey)
Set list
1. Shackled and Drawn
2. Badlands
3. Death to My Hometown
4. Out in the Street (sign request)
5. Hungry Heart (sign request)
6. Candy’s Room (sign request)
7. She’s the One
8. Because the Night
9. Spirit in the Night
10. Frankie
11. The River
12. Youngstown
13. Murder Incorporated
14. Darlington County (sign request)
15. Working on the Highway
16. Bobby Jean
17. Waitin’ on a Sunny Day
18. The Rising
19. Land of Hope and Dreams (dedicated to Nelson Mandela)
Encore:
20. The Promise (solo piano)
21. Born in the U.S.A.
22. Born to Run
23. Dancing in the Dark
24. 10th Avenue Freeze-Out
25. American Land
26. Thunder Road (solo acoustic)

Neolane, la nouvelle success story française

On moque souvent la France pour l’apparente faiblesse de ses start-up, mais force est de constater que la réalité est loin d’être aussi négative que la perception, Kelkoo dans le passé, Criteo sans doute dans quelques mois sans oublier Deezer. Et la semaine dernière Neolane. J’entends les critiques dire: « oui, mais que du Web ». ça serait oublier Parrot, Soitec, Envivio, Sequans, Ymagis, Qualys, Inside… neolane c’est l’histoire de 3 amis centraliens qui font une première start-up à la sortie de l’Ecole et la vendent avant l’Internet. Ils se relancent en 2001, trouvent l’appui d’Auriga en 2002. Neolane lève plus de €15M avant de se faire racheter par Adobe pour €460M la semaine dernière. On ne doit pas être très loin de la plus grosse valeur atteinte pour une acquisition de start-up française. Encore une fois l’acquéreur vient des Etats-Unis, comme c’est souvent le cas avec des acquisitions de start-up . Espérons que les emplois ne vont pas disparaître, mais c’est certainement une bonne nouvelle pour la France et l’Europe de bénéficier d’une telle réussite. Et bravo à mes amis d’Auriga (dont j’ignore s’ils apprécieront ou non cet article…) Commentaires bienvenus!

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Les fondateurs de Neolane. De gauche à droite, Benoît Gourdon, (directeur des opérations pour l’Europe), Stéphane Dietrich (Président Amérique du Nord), Stéphane Dehoche (CEO) et Thomas Boudalier (CTO).

Comme vous vous en doutez si vous connaissez mon blog, je me devais de bâtir la table de capitalisation. J’ai décidé de me concentrer ici sur les rendements du capital-risque, à savoir les multiples sur les investissements et le TRI. C’est un exercice intéressant car il y eut trois tours d’investissement y compris des ventes partielles. J’ai toujours été un peu perturbé par la différence entre les multiples et les TRI. Le multiple est ce qui compte en définitive, mais le TRI compte également comme une mesure relative de retour (si on le compare avec d’autres actifs).

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NB: toutes les données sont issues du registre du commerce français. Quelques chiffres manquaient, j’ai fait de mon mieux, « best effort » comme disent nos voisins. Et ce ne fut pas la table la plus simple à bâtir….

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Michel Rocard et le gâchis des talents

A voix nue est une excellente émission de France Culture. Chaque invité y raconte sa vie pendant les 5 jours de la semaine. Michel Rocard était l’invité du 17 au 21 juin. C’est passionnant, mais j’ai retenu une anecdote amusante, choquante, tout à fait en liaison avec mon précédent blog sur l’élite technique française et ses gâchis.

FQ-Rocard

Laissez moi d’abord vous rappeler ce que je disais des migrations et des élites dans l’article AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat: «L’élite technique de pays comme la France ou le Japon allait automatiquement vers des postes à statut élevé au sommet des grandes entreprises ou de la fonction publique. Ils sont peu incités à étudier ou travailler à l’étranger, et souvent cette élite doit faire face à des coûts d’opportunité importants s’ils le font. Par conséquent, relativement peu suivent une formation universitaire aux États-Unis, et ceux-ci reviennent souvent dans leur pays directement après l’obtention du diplôme. Ceux qui restent dans la Silicon Valley pour une plus longue période ne sont pas susceptibles d’avoir accès au capital, aux opportunités professionnelles, ou même au respect quand ils rentrent.»

Quand Michel Rocard parle de l’ambition qu’avait son père pour lui, il est question de l’Ecole Normale Supérieure, voire de l’Ecole Polytechnique. Yves Rocard « a failli être prix Nobel de physique ». Il avait aussi plus de respect pour la science que pour la politique. Dans l’épisode 1 (à la minute 19 environ), Michel Rocard explique que son père rêvait de Polytechnique pour son fils, l’ENS semblant inaccessible. « Mon père rappelait beaucoup un mot terrible de Georges Clémenceau en 1919 : vous voulez empêcher l’Allemagne de se relever, créez-y une Ecole Polytechnique. C’était une allusion terrible que mon père partageait à la moisson de belles cervelles que fut le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique pour en faire des administrateurs et pas beaucoup de chercheurs ».

Je n’ai pas pu trouvé la citation ailleurs, mais même si elle était incorrecte, le message reste tristement valide. Comme AnnaLee Saxenian l’a écrit plus haut les sociétés française et japonaise gâchent une partie de leurs talents en ne les laissant pas exprimer leur créativité, en les décourageant parfois sans en avoir conscience…

AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat.

Honte sur moi! Comment est-il possible que je mentionne si peu AnnaLee Saxenian sur ce blog, sans parler de l’importance des migrants dans l’entrepreneuriat? J’avais brièvement mentionné Regional Advantage dans l’article Silicon Valley – more of the same?, mais c’était plus sur la culture de la Silicon Valley et pourquoi cette région a mieux réussi que la région de Boston.

C’est peut-être parce que la migration était une sujet important de mon livre et que je n’ai trouvé rien de nouveau à ajouter par la suite, même si le sujet est d’une importance capitale. Alors permettez-moi d’aborder le sujet des immigrants à nouveau maintenant. Dans son deuxième livre, publié en 2006, The New Argonauts: Regional Advantage in a Global Economy AnnaLee Saxenian a analysé l’importance des migrants dans l’entrepreneuriat high-tech, à la fois pour les Etats-Unis et pour les pays d’origine de ces migrants.

Saxeninan-TheNewArgonauts

Dans un article connexe, elle avait écrit: «Aux États-Unis, le débat sur l’immigration de scientifiques et d’ingénieurs ont porté principalement sur le fait que ces professionnels nés à l’étranger déplacent les travailleurs indigènes. Le point de vue depuis les pays d’origine, en revanche, a été que l’émigration de personnel hautement qualifiés vers les États-Unis représente une grande perte économique, une fuite des cerveaux. Aucun de ces points de vue n’est adéquat dans l’économie mondialisée d’aujourd’hui. Loin de simplement remplacer les travailleurs autochtones, les ingénieurs nés à l’étranger commencent de nouvelles entreprises et la création d’emplois et de richesse est au moins aussi performante que celle de leurs homologues américains. De plus le dynamisme des régions émergentes d’Asie et d’ailleurs attire maintenant les immigrants qualifiés en retour. Même quand ils choisissent de ne pas rentrer chez eux, ils servent d’intermédiaires reliant les entreprises aux États-Unis avec celles des régions éloignées ». [Brain Circulation: How High-Skill Immigration Makes Everyone Better Off – 2002 – http://www.brookings.edu/research/articles/2002/12/winter-immigration-saxenian]

Enfin, elle termine ainsi: «En définitive, les nouveaux argonautes sont des gens qui ont appris le modèle de la Silicon Valley, le plus souvent en faisant des études supérieures aux États-Unis et se sont profité de l’essor de la Silicon Valley. Ils ont mariné dans la culture de la Silicon Valley et appris. Cela a vraiment commencé à la fin des années 80 pour les Israéliens et les Taiwanais, et plutôt à la fin des années 90 ou même au début des années 00 pour les Indiens et les Chinois. Ils ont commencé à réaliser qu’ils pouvaient tirer profit de leurs propres réseaux personnels dans leurs pays d’origine pour fournir des compétences qui était rare dans la vallée, et qu’ils pourraient même rentrer à la maison et créer des entreprises là-bas qui tireraient profit de leurs anciens réseaux. Habituellement, ils rentraient chez eux en s’appuyant sur leurs camarades d’étude ou leurs amis de l’armée, dans le cas d’Israël. Ils comprenaient comment fonctionnaient les institutions et la culture de ces lieux, souvent la langue aussi, mieux que quiconque dans le monde. »

Des Nouveaux Argonautes, je ne prendrai que deux petits paragraphes: « L’élite des diplômés de l’Université Nationale de Taiwan, par exemple, est venue aux États-Unis dans les années 1980, comme l’a fait la majorité de l’ingénieurs et diplômés en sciences informatiques des prestigieux Indian Institutes of Technology. Les universités techniques des petits pays comme l’Irlande et Israël font également état de fortes proportions de diplômés partis étudier aux Etats-Unis, même si leur nombre est trop faible pour apparaître dans les statistiques. » [Page 50]

Maintenant, l’argument déprimant! « L’élite technique de pays comme la France ou le Japon allait automatiquement vers des postes à statut élevé au sommet des grandes entreprises ou de la fonction publique. Ils sont peu incités à étudier ou travailler à l’étranger, et souvent cette élite doit faire face à des coûts d’opportunité importants s’ils le font. Par conséquent, relativement peu suivent une formation universitaire aux États-Unis, et ceux-ci reviennent souvent dans leur pays directement après l’obtention du diplôme. Ceux qui restent dans la Silicon Valley pour une plus longue période ne sont pas susceptibles d’avoir accès au capital, aux opportunités professionnelles, ou même au respect quand ils rentrent. » [Page 333]

Saxenian a une longue histoire sur le sujet. Elle a commencé en 1999 quand elle a publié
Silicon Valley’s New Immigrant Entrepreneurs.

Dans deux études connexes, Saxenian et ses collègues ont fait une analyse quantitative beaucoup plus profonde. Il s’agit de America’s New Immigrant Entrepreneurs en 2007 de Vivek Wadhwa, AnnaLee Saxenian, Ben Rissing, et Gary Gereffi; cette étude fut mise à jour en 2012 dans America’s New Immigrant Entrepreneurs: – Then and Now écrit par Vivek Wadhwa, AnnaLee Saxenian et F. Daniel Siciliano.

America-New-Immigrants

Il y a un tableau j’avais utilisé dans mon livre que j’ai trouvé frappant: l’Europe a de nombreux migrants dans la Silicon Valley, comme indiqué ci-dessous. Mais nous n’avons pas été capables (encore) de les utiliser avec profit autant que l’Asie l’a fait. Nous commençons seulement …
L’Europe voit la valeur de la migration (toujours dans un sens, attirer les talents) et j’espère espérons que nous serons apprendre plus encore de toutes ces leçons …