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Les leçons de l’échec : le témoignage rare et intéressant de Everpix

Deux entrepreneurs de l’EPFL m’ont demandé ce que je pensais de l’histoire d’Everpix . Si vous ne la connaissez pas , vous devriez lire les liens suivants :
– Un article très bien fait sur The Verge: Out of the picture: why the world’s best photo startup is going out of business. Everpix was great. This is how it died.
– Un compte rendu très détaillé de l’histoire d’Everpix par ses fondateurs sur Gifthub avec des tonnes de documentation et d’archives : Everpix – Intelligence

Je connaissais certains acteurs: Pierre- Olivier Latour est un ancien élève de l’EPFL que j’ai rencontré au cours de mes années Index et à nouveau en 2006 quand j’ai visité la Silicon Valley avec les futurs fondateurs de Jilion. Neil Rimer, l’un des investisseurs dans Everpix était mon patron avant que je rejoigne l’EPFL.

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De gauche à droite, Zeno Crivelli, Pierre-Olivier Latour , moi-même et Mehdi Aminian en 2006 dans la Silicon Valley.

L’histoire va certainement alimenter le débat récurrent sur ​​VC ou pas de VC, et je pense que c’est un débat biaisé ! Vous pouvez lire mes récents messages sur les Dilemmes des Fondateurs
– Les dilemmes du fondateur – La réponse est « ça dépend! »
Les dilemmes du fondateur suisse

Convaincre les VCs n’est pas une chose facile. Il est difficile d’obtenir leur argent et quand vous l’avez, les contraintes augmentent. Vous pouvez regarder la vidéo « le capital-risque est une bombe à retardement » du fondateur de 37signals si vous ne savez pas de quoi je parle.

Je pense que le débat est biaisé car il ne s’agit pas de VC contre pas de VC . Peu d’entrepreneurs ont le choix de ne pas prendre l’argent des investisseurs (les business angels ne sont pas très différents des VCs) Il s’agit plutôt de: « voulez-vous avoir un impact et croître » (vous devez alors souvent avoir des investisseurs) OU « voulez-vous contrôler et rester indépendant ». Et c’est souvent OU et non pas ET. Je sais que beaucoup de gens (y compris des entrepreneurs et des investisseurs ) sont en désaccord avec moi. Mon expérience récente n’a pas fait changé cette conviction que j’ai depuis 15 ans.

Vous devriez lire Founders at Work si ce n’est pas déjà le cas. L’un d’eux affirme : « Les VCs? vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. » Je pense que cela est plus proche de la vérité. Il a dit exactement: « Les VCs sont un groupe intéressant, vous ne pouvez pas vivre avec eux, vous ne pouvez pas vivre sans eux. Ils jouent un rôle dans votre succès, car ils vous donnent de l’argent et un appui très fort. Ils ont ce réseau de connexions mafieuses et ils vous aider avec des offres et à trouver les bons dirigeants. Ils travaillent vraiment votre cas. Selon mon expérience, il est rare qu’ils se retournent contre vous, parce que vous êtes une équipe et si l’équipe ne fonctionne pas, l’entreprise sera vouée à l’échec. Parfois, quand tout échoue, ils auront à prendre une décision difficile et licencier quelqu’un, mais c’est rare à mon avis. Parce qu’ils n’investiraient pas dans votre entreprise si ils ne croyaient pas en vous et votre équipe. Donc, j’ai toujours eu une bonne expérience de travail avec les VCs ».

Retour à Everpix. Je n’ai pas vraiment de point de vue car je ne connais pas les détails. Mais permettez- moi de citer les acteurs directement depuis l’article: «Les fondateurs reconnaissent qu’ils ont fait des erreurs en cours de route. Ils ont passé trop de temps sur le produit et pas assez de temps sur la croissance et la distribution. La première présentation pour les investisseurs était médiocre. Ils ont commencé la commercialisation trop tard. Ils n’ont pas réussi à se positionner efficacement contre des géants comme Apple et Google, dont l’offre est assez robuste – et la plupart du temps gratuite. Et alors que le produit n’était pas particulièrement difficile à utiliser, il y avait une courbe d’apprentissage et un engagement pour confier à une start-up inconnu les souvenirs de votre vie – un défi que Everpix n’a jamais eu le temps de vraiment simplifier. » « On avait réussi sur plein de choses possibles », a déclaré Jason Eberle, qui a construit la version web de Everpix , « à l’exception de la seule chose qui compte ».

Alors ce que les investisseurs soulignent était: « Bien que le produit était clairement superbe avec une communauté certes très petite mais très fidèle, nous n’avons pas été assez à l’aise avec les autres aspects de l’entreprise pour un investissement de plus », a déclaré Neil Rimer, ajoutant: « avoir un bon produit n’est pas la seule chose qui rend finalement une entreprise prospère. » Il reste la question de la création de valeur attendue par les VCs, qui n’est pas toujours accessible aux entrepreneurs:  » Vous semblez être une équipe spectaculairement talentueuse et certaines vérifications l’ont confirmé, mais tout le monde ici est bloque sur l’inquiétude quant à la possibilité de construire une entreprise de plus de 100 M$ de revenus dans les photos à l’âge d’outils de photo gratuits. » Et un partenaire d’uen autre firme: « la réaction a été positive pour vous comme une équipe, mais faible en termes de savoir si une entreprise de $1B pourrait être construite ».

Le débat continuera sans doute, mais c’est à peut près ce que m’inspire cette histoire. Sans oublier la conclusion de Latour: « J’ai plus de respect pour quelqu’un qui commence un restaurant et y met ses économies d’une vie que ce que j’ai fait. Nous sommes quand même chanceux. Nous sommes dans un environnement qui a une assez bon filet de sécurité, dans la Silicon Valley « .

L’État entrepreneurial (partie 5) – conclusion sur un grand livre

Encore une fois, j’ai été très impressionné par l’État Entrepreneurial, mais j’ai aussi des doutes et même quelques désaccords. Peut-être que j’ai été été victime d’un lavage de cerveau pendant les 20 dernières années de ma vie, mais mon expérience dans la Silicon Valley et du capital de risque ainsi que mon expérience moins que satisfaisante dans l’innovation planifiée de l’État me convainquent que l’entrepreneuriat est essentiel et peut-être plus important que le rôle de l’État dans le cadre de l’innovation (et non pas en qui concerne la recherche ou encore la R&D).

Maintenant, je suis tout à fait d’accord que le financement initial de l’innovation par l’État par la recherche et les taxes qui doivent être payées par les entreprises sont essentiels. Je reconnais également que VC est de moins en moins dans la prise de risque et que les activités de R&D des entreprises sont juste du domaine du D alors que le R a disparu à la fois dans l’informatique et l’industrie pharmaceutique.

Mais laissez-moi finir avec mes notes sur cet excellent ouvrage. Pour rappel, la partie 1 traitait de la crise de l’innovation, la partie 2 portait sur le rôle respectif du secteur public et privé dans la R&D et l’innovation, la partie 3 de l’ iPhone d’Apple, la partie 4 de la révolution verte et les risques et récompenses.

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Chapitre 9 – La socialisation des risques et la privatisation des récompenses.

« L’innovation a tendance à permettre à ceux ayant des compétences élevées de prospérer et aux personnes peu qualifiées se laisser distancer. » [Voir aussi son commentaire sur l’économie nouvelle et ancienne dans la partie 4] « S’agit-il du même type d’acteurs économiques qui sont mesure de s’approprier les rendements du processus d’innovation si et quand ils apparaissent ? Autrement dit, qui prend les risques et qui obtient les récompenses? Nous soutenons que ce sont les caractéristiques collectives, cumulatives et incertaines du processus d’innovation qui font cette déconnexion entre les risques et les retours possibles. » […] « Quand certains acteurs sont en mesure de se positionner au point – le long de la courbe d’innovation cumulative – où l’entreprise innovante génère des rendements financiers, qui est proche du produit final ou, dans certains cas, à proximité d’un marché financier comme le marché boursier. Ces acteurs privilégiés avancent ensuite des arguments idéologiques – généralement avec des sources intellectuelles dans les propositions de l’efficacité de l’économie néoclassique (et la théorie liée à la « valeur actionnariale » ) – qui justifient les parts disproportionnées des profits résultant de l’innovation qu’ils ont pu s’approprier [Page 186] (Ce passage est un peu long, mais très vrai.)

Trouver un moyen de réaligner la prise de risque avec les retours est donc crucial, non seulement pour réduire les inégalités , mais aussi pour favoriser davantage l’innovation. [ … ] Dit de manière provocante, si l’Etat avait gagné juste un pour cent des gains réalisés dans l’Internet, il serait beaucoup plus aujourd’hui à même d’investir dans les technologies vertes. Beaucoup affirment qu’il est inapproprié de considérer des retours directs parce que l’État gagne déjà via le système fiscal. La réalité est, cependant, que le régime fiscal n’a pas été conçu pour soutenir l’innovation et l’argument ignore le fait que l’évasion et l’optimisation fiscales sont monnaie courante. [Page 187]

Mazzucato suggère 3 propositions concrètes :
– Un droit sur la propriété intellectuelle (PI) et un « fonds d’innovation » national par extraction d’une redevance Le gouvernement devrait conserver une part des brevets , en s’assurant que le propriétaire des brevets agit de manière coopérative, en octroyant des licences largement et équitablement, après une période initiale de protection.
– Des revenus sur des prêts et des capitaux propres conditionnels. « Après que Google a fait des milliards de bénéfices, ne devrait-elle pas reverser un petit pourcentage de ceux-ci à la l’agence publique qui a financé l’algorithme ?  »
– Des banques de développement. Si / quand l’institution de l’Etat est gérée par des gens qui ne croient pas seulement dans la puissance de l’État, mais ont aussi avoir une expertise pour comprendre le processus d’innovation, les résultats produisent de vrais retours.
[Eh bien n’est-ce pas au moins en partie ce que les Américains font à travers le Bayh Dole Act ?]

Conclusion

« Plutôt que de compter sur le faux rêve que « les marchés » géreront le monde de façon optimale pour nous « si nous les laissons seuls », les décideurs doivent mieux apprendre à utiliser efficacement les outils et les moyens de façonner et de créer des marchés – faire bouger les choses qui, autrement, ne se feront pas. L’Etat peut le faire en s’appuyant sur un (considérable) réseau social national de connaissances et de sens des affaires. L’Etat devrait «rester fou », comme disait Jobs, dans sa quête de développement technologique. Il peut le faire à une échelle et avec des outils qui ne sont pas disponibles pour les entreprises. Le succès d’Apple ne dépendait pas de sa capacité à créer de nouvelles technologies, mais surtout de sa capacité d’organisation en intégrant le marketing et la vente de ces technologies qui n’attendaient que d’être utilisées.

Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est une perspective de « systèmes », mais qui soit plus réaliste quant au rôle exact – et non pas mythique – des acteurs individuels, et les liens entre ces acteurs, à l’intérieur et le long du profil des risques. Il est, par exemple, irréaliste de penser que les domaines à forte intensité capitalistique et à haut risque dans les technologies propres seront développés par le capital-risque. L’histoire des nouveaux secteurs nous apprend que les investissements privés ont tendance à attendre que les investissements à haut risque soient d’abord réalisés par l’Etat. Pourtant, les rendements de ces investissements « révolutionnaires » de l’Etat ont été presque totalement privatisés. Bien que ce soit surtout évident dans l’industrie pharmaceutique, c’est également vrai dans d’autres domaines de haute technologie, comme le montre le cas d’Apple, qui a reçu des soutiens considérables de fonds publics, à la fois directs et indirects, et en évitant de payer ses impôts.

Premièrement, il ne suffit pas de parler de l’État «entrepreneuriale», il faut le construire, avec des stratégies à long terme. Il n’y a rien dans l’ADN du secteur public qui le rend moins innovante que le secteur privé. Il s’agit d’une prophétie auto réalisatrice qu’il serait plus excitant et amusant de travailler chez Goldman Sachs ou Google, plutôt que dans une banque d’investissement de l’État ou un ministère de l’innovation. La seule façon de rééquilibrer ce problème consiste à mettre à niveau, et pas de dégrader le statut du service public. Deuxièmement, il y a nécessité d’un retour sur investissement pour couvrir les pertes, au-delà des taxes et de la possibilité de recruter des personnels qualifiés. Un retour direct. Troisièmement, cela aura le potentiel de mieux informer les politiques qui sont dirigés vers d’autres acteurs dans «l’écosystème » de l’innovation. (Sauf que le monde est global ce qui peut rendre les efforts nationaux très difficiles.)

Recommandations
– Réduire les transferts directs de l’Etat tels que l’allégement de l’impôt,
– Dépenser de l’argent sur les nouvelles technologies et se concentrer sur les entreprises qui peuvent investir dans l’innovation
– Abandon des boîtes de brevet
– Examiner les crédits d’impôt afin que les entreprises rendent des comptes sur l’innovation, et pas seulement sur la R&D
– Réduire les zones franches d’entreprises
– Retour d’investissement en partie au gouvernement
– Utilisation l’argent économisé pour des investissements massifs à la Darpa
– Adopter une approche proactive pour les technologies vertes
– (Pas sûr d’avoir compris l’argument sur la durée de l’investissement avant les exonérations fiscales )
– le court-termisme est problématique.

Alors que je terminai ces notes, je découvre l’émission de France Culture consacré à la remise du rapport d’Anne Lauvergeon sur l’innovation. dans L’ECONOMIE EN QUESTIONS par Dominique Rousset (le samedi de 11h à 12h)

L’État entrepreneurial (partie 4) – la révolution verte – un déséquilibre entre risques et retours.

– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– La partie 3 se concentre sur le rôle de l’État dans les technologies de l’iPhone.
Voici donc la 4ème partie sur les chapitres 6 à 8.

Chapitre 6 – Pousser ou juste donner un coup de pouce à la révolution industrielle verte.

Les technologies vertes (ou propres) sont une autre situation très intéressante. « Jusqu’à ce que les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques puissent produire de l’énergie à un coût égal ou inférieur à celui des combustibles fossiles, ils vont probablement continuer à être des technologies marginales qui ne pourront pas accélérer la transition si nécessaire à atténuer le changement climatique. » [Page 114] « Les politiques axées sur la demande (réglementation) sont essentiels, mais elles deviennent trop souvent des plaidoyers pour le changement. Des politiques d’offre (production d’énergie) sont aussi importantes car elles montrent que l’acte suit la parole. » [Page 155]

Encore une fois j’ai été un observateur (trop ?) prudent des technologies vertes quand l’Allemagne subventionnait de nombreuses entreprises qui ont fait faillite lorsque la Chine est arrivée avec des produits beaucoup moins chers ou quand la France et le Japon pariaient sur l’énergie nucléaire comme la plus propre … Mazzucato décrit à juste titre « les Etats-Unis avec une approche du tout financer en espérant qu’une innovation de rupture dans l’énergie émergera tôt ou tard. Cela n’a pas été le cas parce que beaucoup de technologies propres nécessitent un engagement financier à long terme, ce que les VCs ne sont pas disposés à ou capables d’entreprendre ». Dans mon analyse continue de récentes introductions en bourse, j’ai remarqué 11 entreprises dans les technologies vertes sur les 165 documents bâti que j’ai depuis 2002. Le plus ancien date de 2009. Ces sociétés ont levé plus de 2 milliards de dollars, soit environ 180 millions de dollars par entreprise. Elles avaient plus de 5’000 collaborateurs au total. Pour moi cela ressemble à une bulle spéculative ; de ce point de vue, Mazzucato a raison de dire que les investisseurs sont impatients. Je ne suis pas sûr qu’ils soient pour autant « timides » avec leur argent.

Les États-Unis ont continué à bâtir sur leur compréhension de ce qui a fonctionné dans les précédentes révolutions technologiques. (…) Mais si tout cela a été efficace pour mettre en relation et créer des effets de levier pour les universités, l’industrie et de l’entrepreneuriat dans dans les technologies propres, la performance a été inégale. (…) Une des principales raisons de cette performance inégale aux États-Unis a été sa forte dépendance envers le capital -risque pour « donner un coup de pouce » au développement des technologies vertes. (…) Comme certaines technologies propres en sont encore à leurs premières phases de développement, lorsque « l’incertitude de Knight » est le plus élevée, le financement VC se concentre sur quelques paris plus sûrs plutôt que sur l’innovation radicale qui est pourtant nécessaire pour permettre de transformer la société. (Pages 126-127) La conclusion qui pourrait suivre est que le gouvernement devrait se concentrer exclusivement sur le développement des technologies les plus risquées.

Des investissements impatients peuvent détruire les entreprises qui avaient promis de développer des produits basés des technologies financées par le gouvernement. Si les VCs ne sont pas intéressés par les industries à forte intensité capitalistique, ou à bâtir les capacités de production, des usines, qu’ont-ils exactement à offrir en termes de développement économique? Leur rôle devrait alors être considéré pour ce qu’elle est : limité. (Page 131)

On s’attend à ce que la possibilité d’effectuer des recherches à haut risque et d’avant-garde « va attirer plusieurs des meilleurs et des plus brillants cerveaux – ceux de scientifiques et d’ingénieurs expérimentés et particulièrement ceux des étudiants et des jeunes chercheurs, y compris dans le monde entrepreneurial. » (Page 134)

L’histoire de l’investissement du gouvernement américain en matière d’innovation, de l’Internet à la nanotechnologie montre qu’il a été crucial pour le gouvernement d’avoir sa part à la fois dans la recherche fondamentale et appliquée. La NIH est responsable de 75 pour cent des nouveaux médicaments les plus radicaux. Donc, l’hypothèse qu’on peut abandonner la recherche appliquée au secteur privé et que cela va stimuler l’innovation n’est pas démontrée (et peut même priver certains pays d’importantes percées.) (Page 136)

En réalité, les activités du gouvernement et des entreprises se recoupent souvent. Les capital-risqueurs et entrepreneurs répondent aux stimuli du gouvernement dans le choix des technologies dans lesquelles investir, mais ils sont rarement axés sur le long terme. En l’absence d’un modèle d’investissement approprié, le VC aura du mal à fournir le « capital patient » nécessaire au plein développement d’innovations radicales. Il est crucial que le financement soit patient. (Page 138)

Les finances publiques (telles que les banques de développement de l’Etat) sont donc supérieures aux banques commerciales ou au VC pour la promotion de l’innovation, car elles sont engagées et patientes.

Les risques financiers et technologiques liés au développement des énergies renouvelables modernes ont été trop élevé pour le soutien VC. Un problème clé est que les VCs recherchent des rendements qui ne sont pas réalistes pour des technologies à forte intensité capitalistique. Les rendements spéculatifs des révolutions TIC ne peuvent pas être le « norme » pour être reproduits dans toutes les autres industries de haute technologie. (Page 140)

Mes commentaires : Je suis d’accord avec la critique sur le capital -risque. Maintenant, la solution proposée de banques de développement engagées et patientes est nouvelle pour moi. Je comprends « patient », je suis moins sûr pour « engagé ». Cela signifie-t-il actif et compétent?

Mais ma principale préoccupation est de nouveau la différence entre inventer et innover. Je dois revenir à Apple. Selon Wikipedia, une définition classique de l’entrepreneuriat est « la poursuite des d’opportunités, sans égard pour les ressources actuellement disponibles ». Le terme met l’accent sur les risques et les efforts engagés par des personnes qui créent puis gèrent une entreprise, et sur les innovations résultant de la poursuite de la réussite économique.

Quand Mazzucato décrit l’Etat entrepreneurial, elle décrit autant un État Inventer qu’un État Innovateur. Il n’y a pas de mal à cela. Apple a été une entreprise très forte pour utiliser des inventions et des innovations surtout pour les intégrer dans de nouveaux produits. C’est pourquoi Apple fait si peu de R & D. Une même entreprise peut-elle faire la recherche et explorer de nouveaux territoires pour développer de nouvelles technologies et les intégrer dans de nouveaux produits. Je ne suis pas sûr que cela ait été démontré par des preuves claires. Mais nous devrions probablement demander historiens de la technologie.

Il y a une invention qui montre la difficulté du transfert de l’invention à l’innovation : le transistor a été inventé au Bell Labs en 1947. Certains des éléments de l’invention seulement ont été brevetées (car il y avait eu des idées antérieures datant de 1925.) En 1951, Bell Labs avait octroyé des licences (sous la pression de l’Etat) de la technologie à plus de 40 entreprises et Texas Instruments et Sony (qui étaient alors de petites entreprises) sont connus comme le premiers producteurs de transistors commerciaux. Les inventeurs ont reçu le prix Nobel en 1957 et l’un s’est installé à Palo Alto, déménagement qui est probablement à l’origine de la Silicon Valley. En raison de la menace de l’URSS en tant que puissance technologique émergente, les États-Unis ont déversé beaucoup d’argent de l’armée et du spatial sur le potentiel de l’électronique du transistor.

La difficulté avec les nanotechnologies et les technologies vertes c’est que dans la situation de poule et l’œuf que sont les de tractions du marché (poule) et de poussée des technologies (œuf), les besoins du marché peuvent être clairs, mais la poussée de la technologie me le semble beaucoup moins. Je ne suis pas sûr de voir ce qu’est l’équivalent du transistor pour ces domaines «prometteur».

Chapitre 7 – Les énergies éolienne et solaire

Ce chapitre porte sur l’histoire et la situation actuelle de ces deux énergies. Les acteurs dans l’éolien sont GE et Vestra (Danemark). C’est une longue et intéressante histoire. Il y a une histoire similaire, longue et douloureuse, pour l’énergie solaire. First Solar, Solyndra , SunPower , Evergreen sont décrits en détail. Mazzacutto se concentre sur la stratégie à long terme de la Chine face au plus court terme américain, ainsi que sur l’approche innovante de l’Allemagne dans le marché. « L’échec de Solyndra souligne le système parasitique d’innovation que les Etats-Unis ont créé – où les intérêts financiers sont toujours le juge, jury et bourreau de tous les dilemmes d’investissement en innovations ». « Le cas de la technologie propre nous enseigne déjà que changer le monde exige coordination et investissement de plusieurs États, sinon la R&D, le soutien pour la fabrication et le soutien pour la création et le fonctionnement du marché resteront des impasses. »(Page 155)

Un cadre devrait inclure des politiques de la demande pour promouvoir la consommation accrue ainsi que des politiques de l’offre qui favorisent la fabrication des technologies avec du capital patient. (Page 159)

Mais les arguments de McKay sur l’énergie durable – ce n’est pas que du vent me rendent prudent …

Mazzacuto rappelle ici quelques éléments fondamentaux : elle revient sur le Mythe 2 (small is beautiful) « Nous ne devrions pas sous-estimer le rôle des petites entreprises si supposer que seules les grandes entreprises ont les ressources adéquates. (…) La volonté de modifier les modèles de marché actuels est nécessaire pour une véritable révolution industrielle verte. (… ) Ce devrait être un sujet de débat, de savoir si le soutien public devrait aller aux grandes entreprises qui pourraient faire leurs propres investissements et aussi de savoir si elles seraient prêtes à se passer des technologies qui offrent leurs principales sources de revenus.» comme mon ami Dominique ((-:) l’a mentionné à juste titre dans une réaction à un précédent post sur le sujet : « Le financement de la recherche et à quel niveau de précocité cette recherche est financée par une entreprise dépend bien sûr de ses attentes, mais aussi de ses marges. Dans les années 70, les grandes entreprises pouvaient se permettre de financer la recherche au début parce que 1) elles prévoyaient des marchés stables ou en croissance et 2) parce que leurs marges étaient constamment élevées, je crois. Aujourd’hui la vitesse @ les marchés évoluent est certainement dissuasive pour la recherche à un stade précoce dans les entreprises… »

Chapitre 8 – Risques et récompenses : abandonner les pommes pourries pour des écosystèmes symbiotiques.

La prise de risque a été un effort collectif alors que les rendements ont été distribués beaucoup moins collectivement. [Page 165] L’histoire que l’on raconte aux contribuables américains est que la croissance économique et l’innovation sont les résultats de différents « génies » de la Silicon Valley, les « entrepreneurs », les capital-risqueurs ou les « petites entreprises », aidés par règlementations laxistes (ou inexistantes) avec des impôts bas – en comparaison des états trop présents dans une grande partie de l’Europe. [Page 166]

L’incertitude de Knight dans l’innovation, avec les coûts irrécupérables et inévitables et l’intensité du capital dont elle a besoin, est en fait la raison pour laquelle le secteur privé, y compris le capital -risque, se dérobe. C’est aussi la raison pour laquelle l’État est l’acteur qui prend souvent la responsabilité, non seulement de fixer les erreurs des marchés, mais aussi de les créer. [Page 167]

Garder cette histoire inédite a permis à Apple d’éviter de « rembourser » une part de ses bénéfices à ce même Etat. Apple a progressivement incorporé à chaque nouvelle génération de produits des technologies que l’Etat a initiées, cultivées et affinées. [Page 168]

Mazzucato a ensuite une analyse très intéressante des modèle d’affaires de la vieille et de la nouvelle économie : dans le passé on pouvait compter sur la stabilité, la générosité, l’équité alors que dans la nouvelle, il est question de volatilité, de mobilité, et de faibles engagements. Les emplois ne sont pas égaux, même chez Apple selon que l’on soit dans la R&D, là où les produits sont conçus, ou en Chine, où a lieu la production ou enfin à nouveau aux Etats-Unis là où ils sont vendus dans les magasins d’Apple; mais pire, la mobilité et la mondialisation ont permis l’évasion et l’optimisation fiscales. Apple a une filiale dans le Nevada, Braeburn Capital pour éviter l’impôt sur le revenu ou sur le capital. Puis elle a des filiales au Luxembourg, en Irlande, aux Pays-Bas et aux Iles Vierges britanniques pour des avantages liés à la faible fiscalité. L’IP d’Apple est détenue par des filiales irlandaises, qui perçoivent des redevances sur les ventes d’Apple (!) Et dont la propriété est co-détenue par une autre filiale aux Iles Vierges, Baldwin Holdings… GE, Google, Oracle, Amazon et Intel sont également célèbres pour l’optimisation fiscale et la perte pourrait être de 60 à 80 milliards de dollars pour les États-Unis depuis une décenni . [Pages 168-175]

Le but ultime de mettre de l’argent des contribuables dans le développement de nouvelles technologies est de prendre le risque qui accompagne normalement la poursuite de produits complexes et de systèmes innovants nécessaires pour atteindre des objectifs collectifs. [Page 176]

Mazzucato termine ce nouveau chapitre avec « Où sont les Bell Labs d’aujourd’hui ? » « Une des raisons expliquées dans une étude [récente du MIT] est le fait que les grands centres de R&D – comme Bell Labs, Xerox PARC et Alcoa Research Lab – sont devenus une chose du passé dans les grandes entreprises. Les recherche fondamentale et appliquée sur long terme ne font plus partie de la stratégie des grandes entreprises. Ce qui n’est pas clair cependant, c’est pourquoi et comment cela a changé au fil du temps. L’écart entre les rendements privés et sociaux ( découlant des retombées de la R&D) est le même à l’ère des Bell Labs qu’aujourd’hui. Et ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est le volet privé de la R&D en partenariat avec la composante publique, créant ce que j’appelle plus tard, un écosystème moins symbiotique. Il est essentiel de comprendre non seulement la façon de construire un «écosystème» d’innovation efficace, mais aussi et peut-être surtout, comment transformer cet écosystème afin qu’il soit symbiotique plutôt que parasitaire. [Page 179]

D’un côté, je vois le succès des anciens pays émergents tels que Taiwan et la Corée, mais je suis aussi né dans le pays des Concorde, TGV, Rafale et des centrales nucléaires que la France a eu du mal à vendre à l’étranger.

De même pourquoi la fission nucléaire (militaire et civile) a-t-elle été un tel succès alors que la fusion nucléaire civile n’a donné aucun succès commercial 50 ans après son utilisation militaire? Je me souviens avoir lu Richard Feynman sur le Projet Manhattan et l’intensité folle (et entrepreneuriale) du projet. Serait-ce que l’entreprenariat manque au projet ITER? Innovation et esprit d’entreprise sont très liés et toujours en quelque sorte un mystère.

Et pourquoi le succès (certes encore initial) d’un Tesla et d’Elon Musk serait-il possible si l’argent n’était pas assez disponible pour les technologies de rupture propres…

L’innovation planifiée est un défi très difficile que Mazzucato comprend très bien d’ailleurs et l’incertitude demeure. Rappelez-vous comment l’intelligence artificielle a été une déception pendant des années pour ne pas dire jusqu’à présent. Je voudrais terminer ici avec un article intéressant du journal Le Monde :

Innover n’est pas planifier.
LE MONDE | 30.09.2013 | Par Armand Hatchuel.

Le 12 septembre, le président République, François Hollande, et le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, ont présenté trente-quatre « plans de reconquête » allant de « la rénovation thermique des bâtiments » à « l’usine du futur », en passant par les « dirigeables pour charges lourdes ». Cette annonce a été perçue comme le retour d’une politique industrielle planificatrice, et a suscité les habituelles critiques à l’encontre du volontarisme public.
Critiques contestables car, en l’occurrence, il ne s’agit pas vraiment de planification. Les thèmes retenus visent d’abord à stimuler l’innovation et de nouvelles activités industrielles. Or, de nombreux travaux ont montré qu’une politique d’innovation – qu’elle soit publique ou privée – ne peut réussir que si sa conception, son pilotage et son évaluation s’éloignent clairement d’une logique planificatrice (Philippe Lefebvre, chercheur enseignant à l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris : « Organizing deliberate innovation in knowledge clusters : from accidental brokering to purposeful brokering processes » [Organiser l’innovation dans les écosystèmes : au-delà de l’émergence accidentelle, un pilotage des interactions créatrices], International Journal of Technology Management, vol. 63, n° 3/4, 2013).

LARGE PART D’INCONNU
Car, qu’est-ce qu’un « plan » ? Pour guider l’action future, chacun construit des représentations. On « planifie » nos vacances, la route à prendre ou la perte de quelques kilos. Reste que, tout en concédant des incertitudes, un plan suppose que le but, les moyens et les partenaires soient suffisamment connus. On peut, à la limite, penser que moyens et partenaires seront choisis « chemin faisant ». Mais il faut au moins préciser le but à atteindre. La politique agricole, la politique de télécommunications ou la politique du logement se construisent comme des plans dont l’objectif est clairement affiché : par exemple, un niveau chiffré de production ou d’équipement du pays.
Il n’en va plus ainsi pour un authentique programme d’innovation. On doit admettre que le but qu’il poursuit présente nécessairement une large part d’inconnu. Il n’est plus possible de spécifier par avance les trajectoires et les résultats les plus intéressants du projet.
Paradoxalement, cet inconnu ne retire rien à la valeur mobilisatrice d’un concept innovant. Qui ne souhaiterait une « voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km » ? Mais force est de reconnaître que l’on ne sait pas comment cette valeur sera concrétisée en techniques et produits efficaces : s’agit-il de petites voitures urbaines ? De systèmes intelligents de conduite ? De nouveaux types de véhicules ou de carburants ? De même ignore-t-on si de nouvelles entreprises ou de nouveaux marchés naîtront dans l’aventure.
L’histoire confirme abondamment la rationalité surprenante des grands programmes d’innovation. En 1854, l’Autriche lance le concours du col du Semmering pour la conception de la première locomotive destinée à un chemin de fer de montagne. De nombreuses solutions furent proposées, mais aucune ne put aboutir. En revanche, les grands bénéficiaires des innovations du Semmering furent… les nouvelles locomotives de plaine !

OUVRIR DES PISTES
Plus près de nous, ni Toyota ni Apple n’ont jamais lancé de projets visant à aboutir à la Prius ou à l’iPhone. Leur succès vint de leur capacité à bien piloter des programmes d’innovation ouverts (« véhicule vert », interfaces homme-machine « magiques ») et à tirer parti, avant leurs concurrents, des déconvenues ou des découvertes rencontrées. Il importe donc d’ouvrir des pistes très contrastées et de prêter attention à leurs croisements et aux apprentissages que chacune provoque.
Car l’inconnu ne paralyse pas l’action : il interdit de la gérer selon les codes rigides d’une planification. Depuis peu d’années, la recherche a éclairci les mécanismes cognitifs et collectifs qui limitent ou favorisent l’exploration de l’inconnu. On connaît mieux les règles de pilotage adaptées à l’innovation, qu’il s’agisse des démarches de conception innovante (expansion des alternatives, hybridations conceptuelles, prototypages d’exploration…) ou de la gestion des différentes valeurs qui émergent (compétences nouvelles, marchés inédits, nouveaux usages…). A cet égard, la rationalité classique est souvent trompeuse.
Dans la logique du plan, on distingue le projet de ses « retombées ». On vise le succès du premier, les secondes étant constatées après coup. Cette distinction ne vaut plus dans un programme d’innovation. Une « retombée » peut s’avérer plus importante que le projet lui-même. Piloter l’innovation, c’est se préparer à l’identité changeante du projet et à provoquer activement des « retombées » inattendues. L’indétermination entre « projet » et « retombées » multiplie les sources de valeur et permet de minimiser les risques financiers.
Au-delà de la rationalité économique qui vise l’optimisation dans un monde connu, la rationalité de l’innovation s’exprime dans la capacité des responsables de projets à régénérer les solutions, les marchés et les partenariats.
Face au défi du renouveau industriel, la question n’est pas de savoir si l’Etat doit recourir à la planification. Il faut surtout s’assurer que les grands chantiers lancés seront conduits par l’Etat et ses partenaires industriels selon les démarches les plus rigoureuses et les plus cohérentes avec l’intensité d’innovation espérée.

Harmand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech

L’État entrepreneurial (partie 3) – son rôle dans l’iPhone

Le livre de Mariana Mazzucato est si important et intéressant qu’il me faudra plusieurs articles pour le couvrir d’une manière satisfaisante (du moins pour moi).
– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– Dans cette partie 3, je vais me concentrer sur le chapitre 5, sur le rôle de l’Etat dans les technologies de l’iPhone.
– La Partie 4 portera sur les chapitres sur les technologies vertes
– et j’aurai besoin d’une Partie 5 pour conclure et ajouter quelques commentaires.

Chapitre 5 – l’Etat derrière l’iPhone

Mazzucato montre ici comment « Apple concentre son ingéniosité non pas sur le développement de nouvelles technologies et des composants, mais en les intégrant dans une architecture innovante. […] Les capacités d’Apple sont principalement (a) de reconnaître les technologies émergentes à fort potentiel, (b) d’appliquer des compétences d’ingénierie complexes qui intègrent avec succès les nouvelles technologies identifiées, et (c) maintenir une vision d’entreprise claire donnant la priorité au développement de produits orientés vers le design. » [Page 93]

C’est pourquoi « Apple a reçu un énorme soutien étatique et / ou indirect provenant de trois grands domaines: (1) une participation directe au capital , (2) l’accès aux technologies, et (3) la création de politiques technologiques ou fiscales. » J’ai déjà discuté du premier domaine et exprimé mes doutes. Aucune objection et aucune discussion su troisième point. Je ne suis que partiellement d’accord avec la deuxième point : j’ai l’impression que l’accès aux technologies s’est par l’intermédiaire d’autres entreprises, qui elles-mêmes ont pu avoir recevoir le soutien du gouvernement ou de la recherche universitaire. Xerox PARC est un exemple des plus célèbres, mais Apple a également acquis des start-up peu connues qui avaient développé des produits à partir de ces recherches. Mazzucato construit un graphique intitulé « les origines des produits Apple. »

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C’est un graphique très intéressant, mais j’aurais aimé voir les «entités» qui avaient développé les produits mentionnés. Dans certains cas, il s’agit d’organismes publics, comme pour l’Internet par exemple (http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_the_Internet) et dans d’autres cas, il s’agit d’un organisme privé financé initialement avec de l’argent public.

Siri est un exemple intéressant, car il a des racines ici à l’EPFL. Le programme CALO avait été financé par le DARPA, mais une start-up a été lancé avec du capital-risque en 2008, start-up ensuite été rachetée par Apple.

Sur le sujet des écrans, Mazzucato cite Florida et Browdy et « The invention that got away » (1991) quant à l’incapacité des acteurs privés à bâtir des capacités de production. « La perte de cette technologie d’affichage [TFT- LCD] révèle des faiblesses fondamentales du système de la haute technologie américaine. Non seulement nos grandes entreprises n’ont pas la vision et la persistance de transformer l’invention en un produit commercialisable, mais les bailleurs de fonds du capital-risque qui ont rendu possibles des industries de haute technologie comme les semi-conducteurs et les ordinateurs ont également échoué ». Le document montre les efforts supérieurs l’industrie japonaise qui a investi des centaines de millions de dollars dans le développement de la technologie. Dans mon analyse d’entreprises high-tech liées à Stanford , je me souviens avoir été frappé par le montant du financement de Candescent. Sur l’Internet Archive en date de 1998, j’ai pu trouver ce qui suit:
« Candescent Technologies Corporation est une société vieille de sept ans qui développe un nouvel écran plat révolutionnaire [qui est] une amélioration spectaculaire par rapport aux écrans à cristaux liquides. En 1991 Candescent a formé une alliance stratégique avec Hewlett- Packard. A la date du 1 er mai 1998, Candescent avait reçu plus de 337 millions de dollars de financement de partenaires stratégiques, d’entreprises de capital-risque, d’investisseurs institutionnels, et d’organisations publiques américaines ». En 2001, elle avait recueilli plus de 600 millions de dollars avec Compaq, Hewlett-Packard, Citicorp, JP Morgan, NEA, Sevin Rosen, Sierra ventures, et autres. En Juin 2004, Candescent déposa un dossier de réorganisation volontaire en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code devant le tribunal des faillite San Jose. En août 2004, Candescent vendit la quasi- totalité de ses actifs, y compris la propriété intellectuelle sur la technologie d’écrans à Canon. »

Encore une fois, je n’ai pas de désaccords majeurs avec Mazzacuto mais mon expérience avec l’innovation montre que c’est une activité très incertaine et je ne suis pas sûr que cela est dû uniquement à l’absence de soutien du secteur privé. En fin de compte, ni le Japon ni les États-Unis n’ont gagné, mais la Corée avec Samsung et LG.

Je connaissais moins la situation des écrans multi-touch et l’histoire intéressante de FingerWorks, dont Apple a acheté les actifs lorsque la société a fait faillite.
« Les produits de la Société restèrent dans un créneau haut de gamme et un objet de curiosité, malgré une bonne presse et des récompenses de l’industrie. Au début 2005, FingerWorks traversa une période délicate et arrêta de livrer de nouveaux produits. Des rumeurs indiquèrent qu’ils avaient été acquis par une société de technologie connue. Cette société s’est avéré être Apple. En Juin 2005, FingerWorks a officiellement annoncé qu’ils n’étaient plus en activité. Les fondateurs ont continué à produire et traiter des brevets pour leur travail jusqu’à la fin 2007. Et en Août 2008, ils ont encore déposé des brevets pour Apple ». (http://en.wikipedia.org/wiki/FingerWorks)

Apple a également travaillé avec Corning pour développer des écrans ultra- robustes appelé le verre Gorilla (http://en.wikipedia.org/wiki/Gorilla_Glass).

Sur le microprocesseur, j’ai deux remarques similaires:
– Bien qu’il existe de nombreuses sources sur l’origine du microprocesseur, il est souvent mentionné qu’Intel lança véritablement la technologie comme un produit et cela est venu d’une commande d’une société japonaise, pas de commandes publiques.
– Beaucoup plus tard, Apple a acheté P.A. Semi. qui développait des microprocesseurs spécialisés. Notez que P.A. Semi. avait eu des liens étroits avec le DoD donc Mazzucato a des arguments solides quant aux soutiens au moins indirects.

La MIT Technology Review a publié un article intéressant sur l’Apple I, l’iPhone et l’iPad qui montre la qualité de l’intégration. Il y eu de nombreux modèles d’ordinateurs et de téléphones intelligents, mais chez Apple, il y avait le génie de Wozniak et d’autres quand Jobs fut de retour – http://www.technologyreview.com/view/425238/classic-hacks-the-apple-i-computer-the-iphone-and-the-ipad-3g/

Iphone Technologies sketch

Ma réaction est que, oui, beaucoup pour ne pas dire la plupart des technologies ont leurs racines dans des laboratoires publics, au moins au stade de la recherche, mais le développement est souvent concrétisé dans des start-up, avec ou sans capital-risque. Apple achète moins d’entreprises financées par le capital-risque que par exemple Cisco avec sa stratégie A&D (Acquisition et développement) et clairement la plupart des grandes entreprises ne font pas beaucoup de recherche. Le défi se trouve dans la capacité à traduire les résultats de la recherche en développement, ce qui est la raison d’être des start-up. C’est le modèle de la Silicon Valley.

Je vais terminer ces notes sur le chapitre 5 avec Mazzacuto : « Il est incontestable que la plupart des meilleures technologies d’Apple existent en raison des efforts collectifs et cumulés de la puissance publique ». [Page 112]

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 2)

Comme je l’ai dit dans l’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1), Mariana Mazzucato a écrit un livre important même si je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments.

Nous sommes en accord sur la problématique du financement des technologies, des inventions et des innovations. Il est généralement convenu que la commercialisation des produits et leur développement préalable est de la responsabilité du secteur privé dans une économie capitaliste. Le financement de la recherche (au moins la recherche fondamentale) est généralement la mission de l’Etat, mais la recherche appliquée (même si je n’ai jamais vraiment compris de quoi il s’agit) peut être faite par l’État ainsi que par le secteur privé .

Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse ici: je ne suis pas un grand fan des concepts de recherche fondamentale et appliquée, mais je comprends mieux d’autres concepts d’amont en aval. Ici, ils s’agit de:
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La recherche n’a pas de résultat connu a priori, sauf de la connaissance, alors qu’à un stade ultérieur dans le développement, les objectifs sont un peu plus clairs. Ceci étant dit, je ne suis pas très à l’aise avec les arguments de Mazzucato quand elle dit l’État fait beaucoup pour l’innovation. Mais elle montre clairement il ya une zone grise entre les 3 étapes que j’ai simplement décrites ci-dessus. Je fais partie (au moins pour l’instant) du groupe de personnes qui croient que c’est la mission de l’Etat d’être actif aux deux premiers stades, et que le secteur privé est actif dans le troisième. Rien n’interdit le secteur privé à aller plus en amont et le secteur public plus en aval, mais c’est assez rarement le cas. Voici mes notes sur les chapitres 3 et suivants :

Chapitre 3 – La prise de risque de l’Etat : de « dé-risquer » à « lancer-le ! »

Lors d’une visite du président Mitterrand dans la Silicon Valley, Thomas Perkins qui dont le fonds avait financé Genentech vanta les vertus de la prise de risque de ces investisseurs qui financent les entrepreneurs. Perkins fut interrompu par Paul Berg, professeur à Stanford et lauréat du prix Nobel. Il demanda: « Où étiez-vous dans les années 50 et 60 pour le financement qui devait nécessaire à la science fondamentale ?  » [Page 57]

L’entrepreneuriat, comme la croissance, est un des sujets les moins bien compris en économie. Selon Schumpeter, l’entrepreneur est une personne prête à et capable de convertir une nouvelle idée ou une invention en une innovation réussie (tel que des produits, services ou processus). L’Entrepreneuriat emploie la « destruction créatrice » pour remplacer, en tout ou partie, les innovations inférieures, créant simultanément de nouveaux produits, y compris de nouveaux modèles d’affaires. Chaque nouvelle technologie majeure conduit à la destruction créatrice. [Page 58]

[Encore une fois je dois réagir ici: là où je suis entièrement d’accord avec l’esprit d’entreprise et les définitions de l’innovation, je suis sceptique quant à la remarque sur la technologie: certaines « grandes » nouvelles technologies ne détruisent rien, car elles ne devinrent pas un succès commercial (l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale par exemple mais il y en a bien d’autres). Je dirais plutôt que les grandes innovations couronnées de succès conduisent à la destruction créatrice. Ceci est important parce que, comme le dit justement Mazzucato, il n’y a pas de processus linéaire dans l’innovation mais par contre beaucoup d’incertitude.]

L’entrepreneuriat est une question de prise de risques et est très incertain. Les investissements en R&D qui contribuent aux changements technologiques non seulement prennent des années à se concrétiser en de nouveaux produits, mais la plupart des produits développés échouent. Le modèle de la Silicon Valley raconte une histoire « d’entrepreneurs en roue libre » et de capitaux-risqueurs visionnaires et pourtant cette histoire ignore le facteur crucial: le rôle de l’armée dans sa création et son succès. [Mazzucato montre les mêmes probématiques dans la l’industrie pharmaceutique où les grands acteurs développent des médicaments d’imitation et laisse l’État développer les innovations radicales dans les universités, comme le montre l’anecdote ci-dessus avec Mitterand, Perkins et Berg.]

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Encore une fois, j’ai quelques soucis avec cette description. Premièrement dans l’image ci-dessus, j’aurais aimé voir le R face au D et pas le R fondamental face à l’ensemble. Mazzucato a raison sur le financement de la recherche, aucun doute à ce sujet. Je l’illustre depuis de nombreuses années par des graphiques où le financement de la recherche dans les universités américaines par l’industrie est de 4-7 % alors que le financement fédéral est d’environ 60 % ! Vous pouvez consulter les Figures 1 et 2 ci-dessous. Mais, quand il s’agit d’innovation, je ne vois pas où l’Etat a produit la biotechnologie ou l’industrie IT. Il a rendu les inventions disponibles. Vous avez cependant besoin d’entrepreneurs et d’investisseurs visionnaires comme je l’ai dit sur mon blog dans le cas Genentech il y a quelques années [voir Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech]

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Figure 1: le financement public et privé de la recherche universitaire américaine.

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Figure 2: le financement public et privé de la recherche à l’université de Stanford et au MIT.

Chapitre 4 – L’état entrepreneurial américain.

Dans ce court chapitre, Mazzucato montre à travers quatre exemples comment le gouvernement américain encouragée innovation. Il s’agit du DARPA (le financement de la recherche par l’armée américaine), des SBIR (Les « Small Business Innovation Research »), les médicaments orphelins et les nanotechnologies.

Sur le Darpa, « une série de petits équipes, composées d’éminents scientifiques, se sont vu données une autonomie de budget considérable, … finança un mélange de chercheurs universitaires, de start-up, d’entreprises établies et de consortiums … aidant ainsi les entreprises à emmener les produits au stade de la viabilité commerciale ». [Page 78] Encore une fois l’impact du DARPA dans le financement de la recherche est indiscutable. Et oui, il faut le dire, Mazzucato a raison sur ce quasi-assourdissant silence sur le rôle de l’Etat. Vous pourriez aussi le vérifer avec cette autre excellente référence qu’est l’ouvrage de Rebecca Lowen “Creating the Cold War University – the Transformation of Stanford”.

Je suis moins convaincu sur le SBIR. « Les agences gouvernementales allouent une fraction de leur budget de recherche pour soutenir les petites entreprises, indépendantes et à but lucratif. » Mazzucato affirme qu’Apple a été financé par un tel fonds, le Continental Illinois Venture Corp (CIVC), mais j’ai vérifié le document d’introduction en bourse d’Apple et le CIVC n’était pas à l’origine de l’entreprise. Arthur Rock and Don Valentine convainquirent Markkula d’aider les deux Steve et investirent en janvier 1979. Même si CIVC avait investi à cette même date (ce que j’ignore), c’était un actionnaire minoritaire et passif. En outre, le CIVC était la filiale VC d’une banque, donc pas un investissement purement public… Mazzucato cite également Lerner et Audretsch, éminents professeurs comme références . Dans un livre récent (Boulevard of Broken Dreams – Pages 125-126), le même Lerner explique que le manque de flexibilité du SBIR et de l’ATP fut préjudiciable (il devait être question de financement pré-commercial pour l’ATP ; les start-ups devaient être détenues à 51% au moins par des citoyens américains ou des résidents, au point que la présence de capital-risque pouvait exclure l’entreprise du financement SBIR !) J’ai lutté pendant des années pour trouver l’impact réel de SBIR et je n’ai jamais trouvé de données convaincantes. Il y a un débat récurrent sur le rôle direct de l’État dans le financement VC, avec des réponses assez peu claires depuis des années.

Je ne sais pas rien des médicaments orphelins, mais je suis sceptique sur les nanotechnologies. « Les nanotechnologies vont très probablement être la prochaine technologie d’application générale ». [Page 83] « Ce sera une révolution encore plus important que l’ordinateur. » « Aujourd’hui, elles ne créent pas encore un impact économique majeur en raison de l’absence de commercialisation de ces nouvelles technologies, ce qui s’explique par des investissements excessifs dans la recherche par rapport aux investissements dans la commercialisation. […] Cela soulève une question : si le gouvernement doit financer la recherche, financer de grands investissements d’infrastructure et aussi entreprendre les efforts de commercialisation, quel est exactement le rôle du secteur privé ? » [Page 86]

Et bien, encore une fois, je trouve l’argumentation un peu contradictoire. Si les nanotechnologies était juste un autre fruit mûr qu’il suffit de cueillir pour les commercialiser grâce à l’investissement de l’Etat, nous aurions déjà vu les premiers résultats. L’initiative américaine sur les nanotechnologies a été lancée en 2000. Il y a eu des start-up très visibles telles que A123 ou Nanosys. Dans le tableau de capitalisation datant de 2004 de Nanosys, peut voir le financement de la start-up provenant de sources privées .

Je lis en ce moment le chapitre 5 et je reviendrai sur le livre de Mazzucato dans une troisième partie !

Nanosys

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1)

L’État entrepreneurial (The Entrepreneurial State) de Mariana Mazzacuto est, je pense, un livre important. L’auteur affirme que nous avons été injustes avec le rôle dans l’innovation du gouvernement et du secteur public en général, qui a fourni des fonds pour la plupart pour ne pas dire toute la R&D (Pharma, IT, spatial). Je partage le blâme car je suis un fervent partisan des start-up, du capital-risque, et la Silicon Valley est le modèle ultime. Et l’idée que l’Etat doit juste fournir les bases (éducation, recherche, infrastructure) et laisser le secteur privé innover a peut-être été une grosse erreur (de moi y compris). Je ne prendrai pas le blâme sur le second argument que j’ai toujours partagé avec l’auteur : l’idée que les allégements fiscaux et l’évasion fiscale rend le jugement encore plus injuste. Enfin, le secteur privé est très frileux face aux risques si bien qu’il y a moins d’innovation (et pas seulement à cause du capital-risque, mais en raison de la R&D privée, par rapport au passé lorsque les laboratoires de R&D au sein d’IBM , Bell ou Xerox étaient grands ou quand les VCs contribuaient vraiment à l’innovation dans les semi-conducteurs, les ordinateurs et la biotechnologie dans les années 60 et 70 )

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Permettez-moi maintenant de citer Mariana Mazzacuto en suivant son livre linéairement . Vous pouvez également écouter une conférence qu’elle a donnée à TEDx.

Alors que l’innovation n’est pas le rôle principal de l’État, illustrer le potentiel d’innovation et de dynamisme de l’Etat – sa capacité historique, dans certains pays, à jouer un rôle d’entrepreneur dans la société est peut-être le moyen le plus efficace pour défendre son existence. (Page 1).

L’entrepreneuriat n’est pas (seulement) le sujet des start-ups, du capital-risque et des « bricoleurs de garage ». Il s’agit de la volonté et de la capacité des agents économiques à prendre des risques et affronter une incertitude réellement Knightienne*, ce qui est vraiment inconnu. (Page 2).
Note *: l’incertitude Knightienne concerne le risque « incommensurable », c’est à dire un risque qui ne peut être calculé.

Même pendant un boom économique, la plupart des entreprises et des banques préfèrent (ou préféreraient) financer des innovations incrémentales à faible risque, en attendant que l’État fasse sa marque dans les domaines les plus radicaux. (Page 7) Des exemples sont fournis par l’industrie pharmaceutique – où les nouveaux médicaments les plus révolutionnaires sont fabriqués principalement avec des fonds publics, et non privés. (Page 10.)

Apple doit payer des impôts, non seulement parce que c’est une bonne chose, mais parce qu’elle est l’épicentre d’une entreprise qui a besoin de fonds publics qui soient très grands et prêts à assumer une prise de risque suffisante pour continuer à faire les investissements sur lesquels les entrepreneurs tels que Steve Jobs pourront ensuite capitaliser. (Page 11) C’est précisément parce que les investissements de l’État sont incertains, qu’il y a un risque élevé qu’ils échouent. Mais quand ils réussissent, il est naïf et dangereux de permettre à toutes les récompenses d’être privatisées. (Page 12)

Chapitre 1 – (La crise de l’innovation)

L’accent mis sur l’État en tant qu’agent entrepreneurial n’a évidemment pas pour but de nier l’existence de l’activité et de l’esprit d’entreprise du secteur privé, depuis le rôle des jeunes et nouvelles entreprises qui dynamisent ou créent de nouveaux secteurs (comme par exemple Google) jusqu’à la source importante de financement du privé comme le capital-risque . Le principal problème est que c’est la seule histoire qui est généralement racontée. (Page 20)

Il est naïf d’attendre du capital-risque de mener à un stade précoce le développement risqué de tout nouveau secteur économique aujourd’hui ** (tels que les technologies propres par exemple). Dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’Internet, le capital-risque est arrivé 15 à 20 ans après les investissements les plus importants réalisés par des fonds publics. (Page 23) L’État a été à l’origine des révolutions les technologiques et des périodes de croissance à long terme. C’est pourquoi un état « entrepreneurial » est nécessaire pour s’engager dans la prise de risque et la création d’une nouvelle vision.
Note **: Peut-être pas dans les années 50 à 70 , certainement au cours des 10 dernières années.

Les grands laboratoires privés de R&D ont fermé et le R de la R&D a également diminué. Une étude du MIT récente [1] affirme que l’absence actuelle aux États-Unis des laboratoires d’entreprises comme le Xerox PARC (qui a produit la technologie d’interface utilisateur graphique qui a contribué à la fois aux systèmes d’exploitation de Apple et de Windows) et les Bell Labs – cofinancés par le budget des agences gouvernementales – est une des raisons pour lesquelles la machine d’innovation américain est menacée. (Page 24) Rodrik (2004) affirme que le problème n’est pas dans quels types de mécanismes (R&D, crédits d’impôt, subventions) ou quels types de secteurs choisir (acier vs. logiciel), mais comment la politique peut favoriser les processus de découverte qui favorisent la créativité et l’ innovation – la nécessité de favoriser l’ exploration par essai et erreur (ce qui est le principe de base de la « théorie évolutionniste du changement économique » au chapitre 2)
Références:
[1] MIT 2013. Rapport économique Innovation, web.mit.edu/press/images/ documents/pie-report.pdf
[2] Rodrik, 2004. Politique industrielle pour le 21e siècle. CEPR Discussion Paper 4767

Chapitre 2 – Technologie, innovation et croissance.

Les politiques de redistribution progressive sont fondamentales, mais elles ne causent pas la croissance. En réunissant les leçons de Keynes et de Schumpeter, on peut la rendre possible. (Page 31) Solow a découvert que 90 pour cent de la variation de la production économique n’a pas été expliqué par le capital et le travail, il a appelé le résidu le « changement technique ». (Page 33)

La « théorie de l’évolution économique » explique cela comme un processus constant de différenciation entre les entreprises, en fonction de leur capacité à innover. La sélection ne conduit pas toujours à la « survie du plus apte » à la fois en raison des effets de rendements croissants et aussi des effets des politiques. La dynamique de sélection des marchés des produits et des marchés financiers peuvent être en désaccord.

L’innovation est spécifique à l’entreprise et très incertaine. Ce n’est pas la quantité de R&D qui compte, mais la façon dont elle est distribuée dans toute l’économie. La vieille idée que la R&D peut être modélisée comme une loterie où une certaine quantité va créer une certaine probabilité de succès de l’innovation est critiquée car en fait l’innovation serait un exemple d’une véritable incertitude Knightienne, qui ne peut être modélisée avec une distribution normale (ou toute autre distribution de probabilité). (Page 35 – à nouveau le Black Swan !)

Les systèmes d’innovation sont définis comme le « réseau des institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies ». (La Théorie de l’Equilibre ne peut pas fonctionner, et plutôt que d’utiliser le calcul incrémental de la physique newtonienne, les mathématiques de la biologie sont utilisées, car elles peuvent explicitement prendre en compte l’hétérogénéité et la possibilité de dépendance de route et des équilibres multiples.) (Page 36) La perspective n’est ni micro ni macro, mais méso. Le lien de causalité entre la science fondamentale, en allant vers la R&D à grande échelle, puis les applications jusqu’à la diffusion des innovations n’est pas linéaire, mais plein de boucles de rétroaction. On doit être capable de reconnaître le hasard, la sérendipité, et l’incertitude qui caractérise le processus d’innovation. […] En utilisant l’exemple du Japon, « les contributions de l’Etat au développement au Japon ne peuvent être comprises en faisant abstraction de la croissance des entreprises comme Toyota, Sony ou Hitachi à côté du soutien public de l’Etat japonais pour l’industrie ». (Page 38)

Les systèmes régionaux d’innovation focalisent sur la proximité culturelle, géographique et institutionnelle qui crée et facilite les transactions entre les différents acteurs socio-économiques, y compris les administrations locales, les syndicats et les entreprises familiales … L’Etat agit en ralliant les réseaux d’innovation existants ou en facilitant le développement de nouveaux qui rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes. Mais un système riche d’innovation n’est pas suffisant. L’État doit élaborer des stratégies pour le développement technologique.

Mazzacuto termine le chapitre 2 avec 6 mythes sur l’innovation, et je suis totalement d’accord avec elle!

Mythe 1 : L’innovation c’est la R&D. « Il est fondamental d’identifier les conditions spécifiques aux entreprises pour permettre que les dépenses de R&D influent positivement sur la croissance.  »

Mythe 2 : Small is Beautiful. « Il y a confusion entre la taille et la croissance. » Ce qui est important est le « rôle des jeunes entreprises à forte croissance ». Beaucoup de petites entreprises ne sont pas en forte croissance. […] « L’essentiel de l’impact est lié à l’âge. Le ciblage de l’aide aux PMEs sous forme de subventions, de prêts bonifiés ou d’allégements fiscaux impliquera nécessairement un niveau élevé de déchets. Bien que ces déchets soient est un pari nécessaire dans le processus de l’innovation », elle doit être ciblée sur une croissance élevée et non sur les PMEs [en général], à savoir le soutien aux « jeunes entreprises qui ont déjà démontré de l’ambition ».

Mythe 3 : Le capital-risque aime le risque. « Le capital-risque est rare dans la phase d’amorçage. il est de plus concentré dans les domaines à fort potentiel de croissance, à faible complexité technologique et à faible intensité capitalistique. » […] «La polarisation sur le court terme est dommageable pour le processus d’exploration scientifique qui nécessite un plus long horizon et la tolérance à l’échec ». « Les récompenses pour le VC ont été disproportionnées par rapport aux risques pris », mais Mazzacuto reconnaît également que « le capital-risque a plus réussi aux États-Unis, quand il a fourni non seulement les financements, mais aussi l’expertise dans la gestion. » Enfin « la commercialisation progressive de la science semble être improductive ».

Mythe 4 : Les brevets. « La hausse du nombre des brevets ne reflète pas une augmentation de l’innovation ». [Je ne vais pas revenir ici sur le sujet, mais relisez Contre les monopoles intellectuels]

Mythe 5: Le problème de l’Europe est avant tout celui de la commercialisation. « Si les Etats-Unis sont meilleurs dans l’innovation, ce n’est pas parce que les liens université-industrie sont supérieurs (ils ne le sont pas) ou parce que les universités américaines produisent plus de spinouts (elles ne le font pas). Cela reflète tout simplement le fait que plus de recherche se fait dans plus d’institutions, qui génèrent de meilleures compétences techniques pour le monde du travail. Le financement américain est divisé entre la recherche dans le monde universitaire et le développement de la technologie à un stade précoce dans les entreprises. L’Europe a un système plus faible pour la recherche scientifique et les entreprises sont plus faibles et moins innovantes ».

Mythe 6 : Les entreprises doivent payer moins d’impôt. « Les systèmes de crédit d’impôt R&D ne demandent pas aux entreprises responsables de chercher de nouvelles innovations qui autrement n’auraient pas eu lieu, ou qu’elles ne se contentent pas simplement de formes de développement de produits routiniers. » « Comme Keynes l’a souligné, l’investissement des entreprises est une fonction de l’instinct des investisseurs quant aux perspectives de croissance future. » Ceci n’est pas affecté par les crédits d’impôt, mais par la qualité de la de la science, de l’éducation, du système de crédit et du capital humain au niveau national. « Il est important pour la politique d’innovation de résister à l’appel des mesures fiscales de toutes sortes ».

Plus suivra quand j’aurai lu les chapitres 3 et suivants. Mais, j’ai besoin de partager certaines de mes préoccupations, d’abord en citant Mazzacuto à nouveau :

« L’entrepreneuriat par l’État peut prendre de nombreuses formes. Quatre exemples : le DARPA, les SBIR, le Orphan Drug Act, les nanotechnologies. (…) Apple est loin d’être l’exemple libéral, que semble être la société. C’est une société qui a non seulement reçu des financements précoces du gouvernement (à travers le programme SBIC), mais elle a aussi « ingénieusement » fait usage de technologies financées par les fonds publics*** pour créer des produits « intelligents » . (Pages 10-11)
Note ***: par exemple l’Internet, le GPS, l’écran tactile et Siri.

« Beaucoup de jeunes entreprises les plus innovantes aux Etats-Unis ont été financées non par du capital-risque privé, mais par le capital-risque public, tel que celui fourni par le programme SBIR (Small Business Innovation Research). » (Page 20)

Mes préoccupations sont que
– La recherche n’est pas l’innovation et le transfert est là où l’esprit d’entreprise se produit et donc l’investissement dans la recherche n’est pas l’innovation ou même être entrepreneurial. C’est du moins mon expérience dans le domaine .
– L’impact réel du SBIR est incertain
– les technologies vertes et nano ont également un impact incertain
Mais je n’ai pas encore fini de lire cet excellent travail…

Stanford va investir dans les sociétés créées par ses étudiants

« La prestigieuse université américaine Stanford va désormais investir dans des start-up. » C’est ainsi que commence un article du journal Le Monde. L’auteur, Jérôme Marin, est plutôt négatif quant à cette décision, telle la citation suivante: « La confusion des genres est alimentée même au sommet de l’université : son président entretient des liens étroits avec plusieurs géants de la Silicon Valley, notamment Google dont il est membre du conseil d’administration. » Sans chercher à polémiquer, il me semble que le journaliste se trompe.

Stanford va investir

Mais avant de vous donner mon point de vue, j’aimerais mentionner que j’ai cherché d’autres articles sur le sujet, j’en ai trouvé au moins deux:
– celui de TechCrunch, proche de celui du Monde, Stanford University Is Going To Invest In Student Startups Like A VC Firm. L’article est également critique mais mieux informé… il parle aussi des tensions entre mondes académiques et des affaires. « That tension between academia and industry was highlighted this past spring when a number of students dropped out of school to start Clinkle » avec des références à un autre article du New Yorker.
– le communiqué de l’université de Stanford, StartX, Stanford University and Stanford Hospital & Clinics announce $3.6M grant and venture fund. Si on lit le communiqué attentivement, il est question d’un don de Stanford à StartX et d’un fond conjoint Stanford-StartX. StartX est un accélérateur créé par les étudiants et je comprends que l’université soutient donc cette initiative. Il n’est pas question ici toutefois d’un fond géré par Stanford comme par un VC.

La raison pour laquelle je pense que le journaliste se trompe c’est quand il dit que « Stanford va investir dans les sociétés créées par ses étudiants ». Comme si cela était nouveau. Même si on admettait que la prise de participation dans des start-up en échange de licences de propriété intellectuelle n’est pas un investissement en soi, Stanford a tout de même pris des participations dans plus de 170 de ses start-up dans le passé.

De plus « l’endowment » de Stanford a investi au cas par cas dans de nombreuses start-up dans le passé (ainsi que dans des fonds de capital-risque). Par exemple, j’ai trouvé dans une base de données que je construis sur les entreprises liées à Stanford, que Stanford a investi dans Aion (1984), Convergent (1980), Gemfire (1995), Metreo (2000), Tensilica (1998). le site LinkSv mentionne Stanford dans 143 entreprises. [Je suis conscient qu’il y a une confusion entre investisseur et actionnaire, de sorte que le sujet reste quelque peu confus].

Enfin, dans les années 2000, le bureau de transfert de technologie de Stanford, OTL gérait deux fonds, le Birdseed Fund (pour des montants de $5k à $25k) et le Gap Fund ($25k to $250k) comme l’indique le rapport annuel d’OTL de 2002.

Il n’est donc pas du tout nouveau que Stanford investisse dans les start-up de ces étudiants ou chercheurs. Il y a toujours eu des tensions, il ne faut pas le nier non plus. Un exemple assez peu connu traite des débuts de Cisco, spin-off de Stanford. Rien donc de nouveau sous le soleil. Mais je vais ajouter sans surprise que le résultat global me semble extrêmement positif pour tous les acteurs, l’université (y compris dans sa dimension académique), les individus, les start-up et l’économie plus globalement.

Le partage du gâteau (acte 2) ou « comment finance-t-on une start-up? »

Une de mes collègues à l’EPFL vient de me mentionner une jolie illustration du partage des actions dans une start-up: How Startup Funding Works. Le contenu a apparemment ses sources chez le célèbre entrepreneur Paul Graham. Il pourrait s’agir de son essai écrit en 2005. Beau travail de visualisation en effet. Merci Sanna 🙂

Donc, après de nombreux articles dur le partage des actions, y compris celui sur le livre Slicing Pie, voici le visuel.

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Le père du capital-risque: Georges Doriot

Peu de gens ont jamais entendu parler de Georges Doriot. Je connaissais son nom (mais guère plus) parce que je connais un peu le capital-risque (vous pouvez toujours voir l’histoire visuelle que j’en ai fait). Maintenant que j’ai lu Creative Capital de Spencer Ante, j’en sais beaucoup plus sur Doriot. Comme d’habitude, quand je commente des livres, je fais surtout des copier-collés. Les voici:

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En 1921, Doriot arriva en Amérique sur un bateau à vapeur. Même s’il n’avait pas d’amis ou de famille aux États-Unis, ne fut jamais diplômé de l’université, et abandonna ses études supérieures, le Français est devenu, sans doute, le professeur le plus influent et le plus populaire de la Graduate School of Business de l’Université Harvard. Sur plus de trois générations, Doriot a enseigné à des milliers d’étudiants [Page xiv].

Il était fut parmi les premiers à reconnaître l’importance de la mondialisation et de la créativité dans le monde de l’entreprise. « Beaucoup de choses qui ont été attribués à Peter Drucker [blog du lien] étaient des idées de Doriot », explique Charles P. Waite [Page xv].

Il croyait en l’idée de bâtir des entreprises sur le long terme, et non pas pour faire un profit rapide. Les retours sur investissement sont le résultat du travail, pas un objectif. Doriot a souvent travaillé avec des entreprises pendant une décennie ou plus avant de réaliser un profit. C’est pourquoi il a souvent comparé ses sociétés à des « enfants ». « Quand vous avez un enfant, vous ne posez pas la question en termes d’investissement » indiqua Doriot dans un article de Fortune daté de 1967. « Bien sûr, vous avez des espoirs – vous espérez que votre enfant deviendra président des États-Unis. Mais ce n’est pas très probable. Je souhaite qu’ils fassent remarquablement bien dans leur domaine. Et s’ils le font, les récompenses viendront. Mais si un homme est bon et loyal et n’atteint pas le retour espéré, je ne vais pas l’abandonner. Certaines personnes ne deviennent pas des génies qu’après un certain âge, vous savez. Si j’étais un spéculateur, la question du retour s’appliquerait. Mais je ne considère pas un spéculateur – dans ma définition du mot – comme un bâtisseur. Je construis des hommes et des sociétés. « [Page xvii]

« Un homme créatif a simplement des idées, un homme qui construit les met en pratique. » [Page xviii]

[Il] a inauguré une nouvelle ère de la culture d’entreprise. Chez DEC (Digital Equipment), l’ingénieur était roi. La hiérarchie pas de mise. Un chaos contrôlé la remplaçait. Comme avec Jack Kerouac et la Beat Generation, Digital était une boîte de Pétri dans laquelle la contre-culture est née, à la fin des années 1950. « Il fit certainement partie d’une révolution sociale qui desserra les étaux. »

Pendant 20 ans, Doriot fut un professeur et un conseiller en affaires. « Comment un homme avec pratiquement aucune expérience de la gestion d’une entreprise devint un tel homme d’affaires, de classe mondiale? La réponse est que, durant ces années, des dizaines d’entreprises ont recruté le professeur pour les guider à travers la pire catastrophe qui n’ait jamais frappé l’économie américaine. Durant cette sombre décennie, Doriot a gagné en expérience directeur et consultant « [Page 64].

American Research and Development Corporation (ARD)

L’idée d’une entité qui aiderait les entreprises en faisant des investissements risqués est née avant la Seconde Guerre mondiale, mais pourrait être mis en œuvre qu’en 1946. Le 6 juin 1946, l’ « American Research and Development Corporation » (ARD) fut constituée sous la loi du Massachusetts. ARD croyait en « l’innovation, la prise de risque avec une foi inébranlable dans le potentiel humain ». Ils ont également réalisé que les organisations disposant de ressources et les gestionnaires chevronnés qui les dirigent ne sont pas téméraires dans l’art de l’invention et que, inversement, les inventeurs sont des créatifs sans argent. L’ARD a cherché à réunir ces deux communautés encore largement séparées et indépendants.

Typiquement, ARD préférait adopter une approche détachée (« hands-off »). Ils étaient là pour entraîner, guider et inspirer. La gestion de l’entreprise était de la responsabilité de l’entrepreneur. Mais bien souvent, les circonstances appelaient à des mesures plus draconiennes. [Page 121]

« Ne faites pas de capital de risque si vous aspirez à une vie paisible. » [Page 126] En 1953, Doriot était pessimiste quant à l’état du capital-risque. « Le capital-risque n’est plus à la mode « . Des vagues de technologies semblaient venir de nulle part et s’écraser sur le rivage tous les vingt ou trente ans. L’astuce d’un capital-risqueur était d’attraper la vague plusieurs années avant quelle culmine et de la quitter avant qu’elle ne s’évanouisse. [Cela ne ressemble-t-il pas à de la spéculation ?] Il est intéressant de voir comment le grand intérêt qui existait il y a sept ou huit ans dans le capital-risque a disparu et comment l’audace et le courage qui prévalaient à ce moment-là ont maintenant diminué », a écrit Doriot. [Page 138]

POur ceux que les données intéressent, j’ajoute un tableau sur les performances de l’ARD en toute fin d’article.

Une étoile est née – 1957

«Au début des années 1950, l’euphorie d’après-guerre de la décennie précédente qui avait infusé aux Américains un sentiment de possibilités infinies s’était transformé en un miasme de Guerre Froide, fait de peur et de paranoïa. Pourtant, sous la surface de la peur, une sous-culture de l’expérimentation et de la rébellion a prospéré. Au début des années 50 jusqu’au milieu de la décennie, Allen Ginsberg, Jack Kerouac et William Burroughs développèrent une nouvelle forme, radicale, de littérature qui a souligné le « courant de conscience ». La peinture moderne abstraite de Jackson Pollock, Willem de Kooning et Mark Rothko a renversé les conventions européennes de la beauté et de la forme. Et dans les laboratoires et universités de la côte est, un groupe de scientifiques et d’ingénieurs bricolait de nouveaux produits, étranges mais puissants, dans les domaines électroniques et de informatiques, promettant de changer complètement la façon dont les gens communiquaient et travaillaient. » [Page 147]

Au printemps 1957 Ken Olsen, alors au MIT, allait faire équipe avec son ami Harlan Anderson. Ils avaient une idée et un plan. Ils avaient besoin d’un peu d’argent. Ils contactèrent General Dynamics, qui les « refusa parce que nous n’avions aucune expérience des affaires. » Puis ils contactèrent l’ARD. L’ARD avait la formule parfaite: deux hommes de catégorie A avec une excellente idée. L’ARD a offrit 70’000 dollars pour une participation de 70 pour cent. Dix pour cent était réservé à un gestionnaire chevronné (qui ne serait jamais recruté ) et les 20% restants aux 2 fondateurs (12% à Olsen et 8% pour Anderson). Parce que les ordinateurs n’étaient pas à la mode, le nom du projet d’entreprise fut changé de Digital Computers à Digital Equipment Corporation (DEC). [Pages 148-150]

1957 avait été une année critique. L’Amérique avait été choquée par le Spoutnik. L’argent public se mit à couler à flot à la fois dans la R&D avec la création de l’ARPA (plus tard le DARPA) et dans le capital-risque par le biais du nouveau programme SBIC. « Nombre des investisseurs en capital risque les plus prospères d’aujourd’hui soulignent à juste titre que le programme SBIC n’a jamais créé une entreprise au succès considérable et durable. Mais si le programme SBIC a peu contribué à faire progresser l’art et la pratique de l’investissement à risque, il aida à propulser l’industrie du capital-risque en attirant de jeunes gens talentueux qui plus tard sont devenus pionniers du domaine.

En 1957, Doriot a également travaillé à la création de l’INSEAD à Paris, qui a ouvert ses portes en Septembre 1959. Doriot aura eu 3 carrières dans sa vie, un professeur à Harvard (notamment en aidant à la création de l’INSEAD), un consultant et même un administrateur pour l’armée, raison pour laquelle il était un général et enfin un VC avec non seulement ARD mais également à l’origine de TED (UK), CED (Canada) & EED (Europe).

La naissance d’une nouvelle industrie

Le succès du DEC fit le succès de l’ARD, mais contribua aussi à sa fin … En tant que société d’investissement, l’ARD était très réglementé; la rémunération de ses employés allait devenir une longue bataille avec la SEC et l’IRS. Seuls 4 employés de l’ARD avaient reçu des actions de DEC (d’une valeur de pour chaque individu) et l’allocation semblait arbitraire pour beaucoup. « ARD fut de plus en plus contraint de divulguer le désordre croissant des problèmes de réglementation, et aussi fortement encouragée à introduire DEC en bourse. Mais Doriot ne pensait pas que Digital était prêt à faire face au statut impitoyable d’une société cotée. » [Page 186]

Doriot n’avait pas préparé sa succession ; les incitations étaient faibles pour les salariés, certains démissionnèrent. Elfers d’abord pour fonder Greylock, Waite le suivit. «Il y avait une raison supplémentaire de partir. Efers avait réalisé avec un nombre croissant d’investisseurs dans les nouvelles entreprises que le capital-risque et les marchés boursiers se mélangeaient aussi bien que l’huile et l’eau. Pour Elfers, les solutions à de nombreux problèmes d’ARD auraient été de profiter d’une nouvelle forme d’organisation: le limited partnership (LP). En 1959, le premier LP avait été créé à Palo Alto: Draper, Gaither & Anderson. Puis en 1961, Arthur Rock, un ancien élève de Doriot fonda Davis & Rock. Il y avait des avantages à la structure de LP : les managers recevaient non seulement des frais de gestion, mais aussi une part des plus-values. Le LP permettrait aussi d’éviter l’exposition de la divulgation publique ». [Page 190]

Pourtant l’introduction en bourse de DEC fut un succès (voir tableau). « L’introduction en bourse de DEC équivalait à une révolution financière. C’était vraiment hallucinant de pouvoir investir une petite quantité de capital d’amorçage et d’obtenir la propriété d’une entreprise qui eut plus de valeur que IBM en un assez court laps de temps. « [Page 197]

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L’émergence de la Silicon Valley

« Aujourd’hui, de nombreux bailleurs de fonds et les entrepreneurs assument que la côte ouest a toujours dominé le monde du VC. Ils ne savent tout simplement que cette industrie a été lancée par l’ARD et quelques fonds du nord-est au cours des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Alors pourquoi Silicon Valley a-t-elle pris les rênes? » [Page 227] Spencer Ante explique qu’avec le MIT et Harvard à Boston et New York en tant que capitale financière, la côte Est avait une énorme avance mais un climat hospitalier, la diversité ethnique et la vision de Terman à Stanford furent des atouts pour l’ouest. « Terman était troublé devoir que la plupart de ses meilleurs étudiants fuyaient vers la côte Est. En 1934, deux de ses meilleurs étudiants, Dave Packard et William Hewlett, suivirent le même chemin. Terman sut les convaincre de revenir. » [Page 229] Ensuite, après Fairchild, des start-up dans les semi-conducteurs ont commencé à apparaître un peu partout dans le nord de la Californie. « Il a suffi alors d’un approvisionnement régulier de capital de risque. » Il est ironique de lire que Tom Perkins déclina l’offre de rejoindre ARD. Il voulait lancer sa propre entreprise. Avec Sequoia, Kleiner Perkins allait devenir l’un des 2 meilleurs VCs de la Silicon Valley. Le reste appartient à l’histoire … ARD a fusionné avec Textron pour 400 millions de dollars en 1972. Il avait fait plus de 200 millions de dollars avec DEC à partir d’un amorçage initial 70k $.

« En 1978, il y avait 23 fonds de capital risque gérant 500 millions $. En 1983, on dénombrait 230 entreprises qui supervisaient 11 milliards $. » [Page 250] Sans doute, la côte Est a manqué quelques-uns des éléments que la cote Ouest sut développer, une culture ouverte et les bonnes incitations, s’ajoutant à ce que Doriot avait créé sur la côte Est … Il mourut le 2 Juin 1987. Il avait 87 ans.

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Tumblr: l’acquisition et les actionnaires

Tumblr a fait la une ces derniers jours, il y a eu quelques discussions très passionnées au sujet des gains des investisseurs, du fondateur et des employés, telles que les réactions de Fred Wilson. On pourrait discuter longtemps des raisons de Yahoo la start-up d’un gamin de 26 ans, comme on avait pu le faire pour Instagram (voir mon post d’Avril 2012), mais le fait est qu’il y a eu un flux continu de telles histoires depuis des décennies dans la Silicon Valley.

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David Karp, 26 ans, fondateur et PDG de Tumblr.

J’ai ajouté comme à mon d’habitude quelques tables de capitalisation ainsi que quelques chiffres sur les rendements et les ROIs (retour sur investissement). Je n’ai pas exactement les mêmes chiffres « énormes » qui sont à la base des discussions mentionnées, mais je peux me tromper… Maintenant, il y avait deux tableaux qui ne sont pas si différents. L’un donne les données par round, l’autre par fonds.

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