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Le père du capital-risque: Georges Doriot

Peu de gens ont jamais entendu parler de Georges Doriot. Je connaissais son nom (mais guère plus) parce que je connais un peu le capital-risque (vous pouvez toujours voir l’histoire visuelle que j’en ai fait). Maintenant que j’ai lu Creative Capital de Spencer Ante, j’en sais beaucoup plus sur Doriot. Comme d’habitude, quand je commente des livres, je fais surtout des copier-collés. Les voici:

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En 1921, Doriot arriva en Amérique sur un bateau à vapeur. Même s’il n’avait pas d’amis ou de famille aux États-Unis, ne fut jamais diplômé de l’université, et abandonna ses études supérieures, le Français est devenu, sans doute, le professeur le plus influent et le plus populaire de la Graduate School of Business de l’Université Harvard. Sur plus de trois générations, Doriot a enseigné à des milliers d’étudiants [Page xiv].

Il était fut parmi les premiers à reconnaître l’importance de la mondialisation et de la créativité dans le monde de l’entreprise. « Beaucoup de choses qui ont été attribués à Peter Drucker [blog du lien] étaient des idées de Doriot », explique Charles P. Waite [Page xv].

Il croyait en l’idée de bâtir des entreprises sur le long terme, et non pas pour faire un profit rapide. Les retours sur investissement sont le résultat du travail, pas un objectif. Doriot a souvent travaillé avec des entreprises pendant une décennie ou plus avant de réaliser un profit. C’est pourquoi il a souvent comparé ses sociétés à des « enfants ». « Quand vous avez un enfant, vous ne posez pas la question en termes d’investissement » indiqua Doriot dans un article de Fortune daté de 1967. « Bien sûr, vous avez des espoirs – vous espérez que votre enfant deviendra président des États-Unis. Mais ce n’est pas très probable. Je souhaite qu’ils fassent remarquablement bien dans leur domaine. Et s’ils le font, les récompenses viendront. Mais si un homme est bon et loyal et n’atteint pas le retour espéré, je ne vais pas l’abandonner. Certaines personnes ne deviennent pas des génies qu’après un certain âge, vous savez. Si j’étais un spéculateur, la question du retour s’appliquerait. Mais je ne considère pas un spéculateur – dans ma définition du mot – comme un bâtisseur. Je construis des hommes et des sociétés. « [Page xvii]

« Un homme créatif a simplement des idées, un homme qui construit les met en pratique. » [Page xviii]

[Il] a inauguré une nouvelle ère de la culture d’entreprise. Chez DEC (Digital Equipment), l’ingénieur était roi. La hiérarchie pas de mise. Un chaos contrôlé la remplaçait. Comme avec Jack Kerouac et la Beat Generation, Digital était une boîte de Pétri dans laquelle la contre-culture est née, à la fin des années 1950. « Il fit certainement partie d’une révolution sociale qui desserra les étaux. »

Pendant 20 ans, Doriot fut un professeur et un conseiller en affaires. « Comment un homme avec pratiquement aucune expérience de la gestion d’une entreprise devint un tel homme d’affaires, de classe mondiale? La réponse est que, durant ces années, des dizaines d’entreprises ont recruté le professeur pour les guider à travers la pire catastrophe qui n’ait jamais frappé l’économie américaine. Durant cette sombre décennie, Doriot a gagné en expérience directeur et consultant « [Page 64].

American Research and Development Corporation (ARD)

L’idée d’une entité qui aiderait les entreprises en faisant des investissements risqués est née avant la Seconde Guerre mondiale, mais pourrait être mis en œuvre qu’en 1946. Le 6 juin 1946, l’ « American Research and Development Corporation » (ARD) fut constituée sous la loi du Massachusetts. ARD croyait en « l’innovation, la prise de risque avec une foi inébranlable dans le potentiel humain ». Ils ont également réalisé que les organisations disposant de ressources et les gestionnaires chevronnés qui les dirigent ne sont pas téméraires dans l’art de l’invention et que, inversement, les inventeurs sont des créatifs sans argent. L’ARD a cherché à réunir ces deux communautés encore largement séparées et indépendants.

Typiquement, ARD préférait adopter une approche détachée (« hands-off »). Ils étaient là pour entraîner, guider et inspirer. La gestion de l’entreprise était de la responsabilité de l’entrepreneur. Mais bien souvent, les circonstances appelaient à des mesures plus draconiennes. [Page 121]

« Ne faites pas de capital de risque si vous aspirez à une vie paisible. » [Page 126] En 1953, Doriot était pessimiste quant à l’état du capital-risque. « Le capital-risque n’est plus à la mode « . Des vagues de technologies semblaient venir de nulle part et s’écraser sur le rivage tous les vingt ou trente ans. L’astuce d’un capital-risqueur était d’attraper la vague plusieurs années avant quelle culmine et de la quitter avant qu’elle ne s’évanouisse. [Cela ne ressemble-t-il pas à de la spéculation ?] Il est intéressant de voir comment le grand intérêt qui existait il y a sept ou huit ans dans le capital-risque a disparu et comment l’audace et le courage qui prévalaient à ce moment-là ont maintenant diminué », a écrit Doriot. [Page 138]

POur ceux que les données intéressent, j’ajoute un tableau sur les performances de l’ARD en toute fin d’article.

Une étoile est née – 1957

«Au début des années 1950, l’euphorie d’après-guerre de la décennie précédente qui avait infusé aux Américains un sentiment de possibilités infinies s’était transformé en un miasme de Guerre Froide, fait de peur et de paranoïa. Pourtant, sous la surface de la peur, une sous-culture de l’expérimentation et de la rébellion a prospéré. Au début des années 50 jusqu’au milieu de la décennie, Allen Ginsberg, Jack Kerouac et William Burroughs développèrent une nouvelle forme, radicale, de littérature qui a souligné le « courant de conscience ». La peinture moderne abstraite de Jackson Pollock, Willem de Kooning et Mark Rothko a renversé les conventions européennes de la beauté et de la forme. Et dans les laboratoires et universités de la côte est, un groupe de scientifiques et d’ingénieurs bricolait de nouveaux produits, étranges mais puissants, dans les domaines électroniques et de informatiques, promettant de changer complètement la façon dont les gens communiquaient et travaillaient. » [Page 147]

Au printemps 1957 Ken Olsen, alors au MIT, allait faire équipe avec son ami Harlan Anderson. Ils avaient une idée et un plan. Ils avaient besoin d’un peu d’argent. Ils contactèrent General Dynamics, qui les « refusa parce que nous n’avions aucune expérience des affaires. » Puis ils contactèrent l’ARD. L’ARD avait la formule parfaite: deux hommes de catégorie A avec une excellente idée. L’ARD a offrit 70’000 dollars pour une participation de 70 pour cent. Dix pour cent était réservé à un gestionnaire chevronné (qui ne serait jamais recruté ) et les 20% restants aux 2 fondateurs (12% à Olsen et 8% pour Anderson). Parce que les ordinateurs n’étaient pas à la mode, le nom du projet d’entreprise fut changé de Digital Computers à Digital Equipment Corporation (DEC). [Pages 148-150]

1957 avait été une année critique. L’Amérique avait été choquée par le Spoutnik. L’argent public se mit à couler à flot à la fois dans la R&D avec la création de l’ARPA (plus tard le DARPA) et dans le capital-risque par le biais du nouveau programme SBIC. « Nombre des investisseurs en capital risque les plus prospères d’aujourd’hui soulignent à juste titre que le programme SBIC n’a jamais créé une entreprise au succès considérable et durable. Mais si le programme SBIC a peu contribué à faire progresser l’art et la pratique de l’investissement à risque, il aida à propulser l’industrie du capital-risque en attirant de jeunes gens talentueux qui plus tard sont devenus pionniers du domaine.

En 1957, Doriot a également travaillé à la création de l’INSEAD à Paris, qui a ouvert ses portes en Septembre 1959. Doriot aura eu 3 carrières dans sa vie, un professeur à Harvard (notamment en aidant à la création de l’INSEAD), un consultant et même un administrateur pour l’armée, raison pour laquelle il était un général et enfin un VC avec non seulement ARD mais également à l’origine de TED (UK), CED (Canada) & EED (Europe).

La naissance d’une nouvelle industrie

Le succès du DEC fit le succès de l’ARD, mais contribua aussi à sa fin … En tant que société d’investissement, l’ARD était très réglementé; la rémunération de ses employés allait devenir une longue bataille avec la SEC et l’IRS. Seuls 4 employés de l’ARD avaient reçu des actions de DEC (d’une valeur de pour chaque individu) et l’allocation semblait arbitraire pour beaucoup. « ARD fut de plus en plus contraint de divulguer le désordre croissant des problèmes de réglementation, et aussi fortement encouragée à introduire DEC en bourse. Mais Doriot ne pensait pas que Digital était prêt à faire face au statut impitoyable d’une société cotée. » [Page 186]

Doriot n’avait pas préparé sa succession ; les incitations étaient faibles pour les salariés, certains démissionnèrent. Elfers d’abord pour fonder Greylock, Waite le suivit. «Il y avait une raison supplémentaire de partir. Efers avait réalisé avec un nombre croissant d’investisseurs dans les nouvelles entreprises que le capital-risque et les marchés boursiers se mélangeaient aussi bien que l’huile et l’eau. Pour Elfers, les solutions à de nombreux problèmes d’ARD auraient été de profiter d’une nouvelle forme d’organisation: le limited partnership (LP). En 1959, le premier LP avait été créé à Palo Alto: Draper, Gaither & Anderson. Puis en 1961, Arthur Rock, un ancien élève de Doriot fonda Davis & Rock. Il y avait des avantages à la structure de LP : les managers recevaient non seulement des frais de gestion, mais aussi une part des plus-values. Le LP permettrait aussi d’éviter l’exposition de la divulgation publique ». [Page 190]

Pourtant l’introduction en bourse de DEC fut un succès (voir tableau). « L’introduction en bourse de DEC équivalait à une révolution financière. C’était vraiment hallucinant de pouvoir investir une petite quantité de capital d’amorçage et d’obtenir la propriété d’une entreprise qui eut plus de valeur que IBM en un assez court laps de temps. « [Page 197]

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L’émergence de la Silicon Valley

« Aujourd’hui, de nombreux bailleurs de fonds et les entrepreneurs assument que la côte ouest a toujours dominé le monde du VC. Ils ne savent tout simplement que cette industrie a été lancée par l’ARD et quelques fonds du nord-est au cours des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Alors pourquoi Silicon Valley a-t-elle pris les rênes? » [Page 227] Spencer Ante explique qu’avec le MIT et Harvard à Boston et New York en tant que capitale financière, la côte Est avait une énorme avance mais un climat hospitalier, la diversité ethnique et la vision de Terman à Stanford furent des atouts pour l’ouest. « Terman était troublé devoir que la plupart de ses meilleurs étudiants fuyaient vers la côte Est. En 1934, deux de ses meilleurs étudiants, Dave Packard et William Hewlett, suivirent le même chemin. Terman sut les convaincre de revenir. » [Page 229] Ensuite, après Fairchild, des start-up dans les semi-conducteurs ont commencé à apparaître un peu partout dans le nord de la Californie. « Il a suffi alors d’un approvisionnement régulier de capital de risque. » Il est ironique de lire que Tom Perkins déclina l’offre de rejoindre ARD. Il voulait lancer sa propre entreprise. Avec Sequoia, Kleiner Perkins allait devenir l’un des 2 meilleurs VCs de la Silicon Valley. Le reste appartient à l’histoire … ARD a fusionné avec Textron pour 400 millions de dollars en 1972. Il avait fait plus de 200 millions de dollars avec DEC à partir d’un amorçage initial 70k $.

« En 1978, il y avait 23 fonds de capital risque gérant 500 millions $. En 1983, on dénombrait 230 entreprises qui supervisaient 11 milliards $. » [Page 250] Sans doute, la côte Est a manqué quelques-uns des éléments que la cote Ouest sut développer, une culture ouverte et les bonnes incitations, s’ajoutant à ce que Doriot avait créé sur la côte Est … Il mourut le 2 Juin 1987. Il avait 87 ans.

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Lorsque l’âge n’empêche pas la créativité: un rare exemple en mathématiques

Je parle rarement ici (mais parfois) de Science ou de Mathématique. Seulement quand cela m’aide à illustrer ce que l’innovation ou la créativité ont en commun, et parfois quand je vois des crises analogues dans ces domaines (voir par exemple mes articles sur Dyson, Thiel, Ségalat ou Smolin). Et il y a un autre point connexe: il est souvent affirmé que les grandes découvertes scientifiques et les projets d’entreprise sont réalisés à un jeune âge.

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Yitang Zhang

Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Yitang Zhang qui a stupéfié le monde des mathématiques le mois dernier en ayant résolu un problème vieux de plusieurs siècles. C’est un mathématicien totalement inconnu et plus surprenant, il a (plus de) 50 ans. Pour ceux qui s’intéressent au problème, vous pouvez lire d’abord l’article de Nature First proof that infinitely many prime numbers come in pairs. Fondamentalement, Zhang a prouvé qu’il existe une infinité de paires de nombres premiers dont la distance est inférieur à un nombre N donné. Les mathématiciens rêvent encore de prouver que N est égal à 2 – la conjecture des nombres premiers jumeaux -, mais Zhang est le premier à prouver que N existe … même si N vaut 70 millions!

Tumblr: l’acquisition et les actionnaires

Tumblr a fait la une ces derniers jours, il y a eu quelques discussions très passionnées au sujet des gains des investisseurs, du fondateur et des employés, telles que les réactions de Fred Wilson. On pourrait discuter longtemps des raisons de Yahoo la start-up d’un gamin de 26 ans, comme on avait pu le faire pour Instagram (voir mon post d’Avril 2012), mais le fait est qu’il y a eu un flux continu de telles histoires depuis des décennies dans la Silicon Valley.

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David Karp, 26 ans, fondateur et PDG de Tumblr.

J’ai ajouté comme à mon d’habitude quelques tables de capitalisation ainsi que quelques chiffres sur les rendements et les ROIs (retour sur investissement). Je n’ai pas exactement les mêmes chiffres « énormes » qui sont à la base des discussions mentionnées, mais je peux me tromper… Maintenant, il y avait deux tableaux qui ne sont pas si différents. L’un donne les données par round, l’autre par fonds.

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Contre les monopoles intellectuels – 3ème et dernier acte

Voici mon troisième et dernier message sur le livre de Levine et Boldrin. Je couvre ici les deux derniers chapitres sur l’industrie pharmaceutique (chapitre 9) et leurs conclusions (chapitre 10). Paresseux comme d’habitude, ce sont surtout certains des extraits. Pour rappel vous pouvez trouver ici les partie 1 et partie 2.

L’industrie pharmaceutique

Le modèle traditionnel prédit qu’il devrait y avoir de nombreux producteurs potentiels d’un médicament, que l’industrie devrait être dynamique et concurrentielle, et donc très innovante avec de nouveaux arrivants contestant fréquemment les opérateurs historiques au moyen de médicaments supérieurs et innovateurs.

Certaines personnes estiment l’industrie pharmaceutique et certaines personnes la méprisent: il y a peu de moyen terme. L’industrie pharmaceutique est l’exemple type de tous les supporters du monopole intellectuel. Il est l’exemple vivant que, sans les brevets qui protégent les inventeurs, la production de nouveaux médicaments miracles que nous avons pris l’habitude de vivre ne se seraient pas matérialisée, notre espérance de vie serait beaucoup plus courte, et des millions de gens seraient morts des maladies. Le « Big Pharma » a plutôt réussi. Dans le camp opposé, le Big Pharma est le fléau de l’humanité: un club d’hommes blancs oligopolistiques qui, en contrôlant la médecine dans le monde entier et en refusant de vendre des médicaments à leur coût marginal, laissent mourir des millions de personnes pauvres. […] Tout cela semble bien compliqué, alors laissez-nous traiter cela avec soin et, pour une fois, jouer le rôle des sages: media stat virtus, et sanitas.

Quelle est la force de l’argument pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique? Alors que le Big Pharma n’est pas forcément le monstre que certains représentent, l’argumentaire pour les brevets dans l’industrie pharmaceutique est beaucoup plus faible que la plupart des gens pensent. [Pages 242-243]

Les auteurs font une analyse longue et intéressante de l’histoire de l’industrie chimique avec la France et le Royaume-Uni jouant les monopoles tandis que l’Allemagne et la Suisse pouvaient innover.

[Page 249] Voici comment Murmann résume les principales conclusions de son étude historique sur les industries européennes des colorants pendant la période 1857-1914. Les entreprises de colorants synthétiques britanniques et françaises qui initialement dominaient l’industrie en raison de leurs positions sur les brevets, mais plus tard perdirent leurs positions de leadership sont des exemples importants. Il semble que ces entreprises n’ont pas réussi à développer des capacités supérieures dans la production, la commercialisation et la gestion précisément parce que les brevets les protégeaient de la concurrence. Les entreprises allemandes et suisses, par contre, ne pouvaient pas déposer de brevets sur leurs marchés d’origine et seules les entreprises qui ont développé des capacités supérieures ont survécu dans leur marché intérieur concurrentiel. Lorsque les brevets français et britanniques expirèrent, les principales entreprises allemandes et suisses sont entrées dans le marché britannique et français, capturant de grandes part de ventes au détriment des anciens acteurs.

Les auteurs analysent aussi l’Italie et l’Inde qui n’avaient pas jusque récemment de politiques sur les brevets. « Fait intéressant cependant, nous n’avons pas pu trouver un seul analyste indépendant affirmant que la quantité supplémentaire de brevets pharmaceutiques peut stimuler l’industrie indienne et sera assez grande pour compenser les autres coûts sociaux. Plus précisément, la conséquence positive de l’adoption des brevets dans des pays tels que l’Inde est, selon la plupart des analystes, la conséquence de la discrimination par les prix. L’argument est le suivant: un pouvoir de monopole permet la discrimination des prix – c’est é dire la vente du même bien à un prix élevé aux gens qui l’apprécient plus (généralement des personnes plus riches que la moyenne) et pour un prix modique à des personnes l’estimant peu (généralement les gens plus pauvre que la moyenne). En raison de l’absence de protection par brevet, il y a beaucoup de nouveaux médicaments qui ne sont pas commercialisés dans les pays pauvres par leur producteur initial, parce que celui-ci n’est pas protégé par des brevets fiables dans ce pays. [Page 253]

[Un autre] doute vient du constat suivant: s’il était vrai que l’imitation et le «piratage» de nouveaux médicaments est si facile, en l’absence de protection des brevets, des entreprises locales seraient déjà en production et la commercialisation de ces médicaments aurait lieu dans le pays en question. [Page 254]

La pharma aujourd’hui
Quelques faits supplémentaires: le top 30 des entreprises dépensent environ deux fois plus dans la promotion et la publicité que dans la R&D, et le top 30 sont là où les dépenses privées de R&D sont réalisées, dans l’industrie. Ensuite, nous constatons que pas plus de 1/3 – plus probablement 1/4 – d’approbation des nouveaux médicaments sont considérés par la FDA pour avoir un avantage thérapeutique par rapport aux traitements existants, ce qui implique que, sous des hypothèses les plus généreuses, seulement 25-30% du dépenses totales de R&D va vers de nouveaux médicaments. [Page 255]

Pour résumer et aller plus loin, voici les symptômes du malaise que nous devrions étudier plus avant.
– Il y a de l’innovation, mais pas autant qu’on pourrait le penser, compte tenu de ce que nous dépensons.
– L’innovation pharmaceutique semble avoir des coûts gigantesques et la commercialisation de nouveaux médicaments encore plus, ce qui rend le prix final pour les consommateurs très élevé et croissant.
– Certains consommateurs sont pénalisés plus que d’autres, même après l’extension mondiale de la protection des brevets. [Page 256]

D’où les médicaments viennent-ils? [Pages 257-260]
Les nouveaux médicaments utiles semblent venir dans un pourcentage croissant de petites entreprises, les start-up et des laboratoires universitaires. […] Ensuite, il y a le pas ce détail, qui n’est pas sans importance, que la plupart des laboratoires universitaires sont en fait financés par l’argent public, l’argent principalement fédéral qui coule à travers le NIH. L’industrie pharmaceutique est beaucoup moins essentielle pour la recherche médicale que leurs lobbyistes pourraient vous le faire croire. En 1995, […] environ 11,5 milliards de dollars provenait du gouvernement, avec 3,6 milliards de dollars de plus de la recherche universitaire non financée par le gouvernement fédéral. L’industrie avait dépensé environ 10 milliards de dollars. Cependant, l’industrie a un crédit d’impôt d’environ 20%, de sorte que le gouvernement a également pris en charge environ 2 milliards de dollars du coût de la recherche «de l’industrie». […] En 2006, le total était de 57 milliards de dollars alors que le budget des NIH la même année (la NIH est la plus grande, mais en aucun cas la seule source de financement public pour la recherche biomédicale) a atteint 28,5 milliards de dollars. […] Il est bon aussi de rappeler que le «cocktail» moderne qui est utilisé pour traiter le HIV n’a pas été inventé par une grande société pharmaceutique. Il a été inventé par un chercheur universitaire: David Ho.

Il est vrai que, sans une forte incitation que la perspective de succès d’un brevet induit, les chercheurs ne feraient pas un travail aussi dur qu’ils le font. C’est un fait, alors considérons la question une fois de plus. Nous observons que, bien que l’incitation à breveter et à commercialiser les découvertes a dû être augmentée par le Bayh-Dole Act autorisant la brevetabilité de ces résultats de recherche, il n’y a aucune preuve que, depuis 1980, année où la loi a été adoptée, les grandes découvertes scientifiques médicales ont afflué en masse des laboratoires des universités américaines.

Il reste donc une question ouverte: est-ce que la brevetabilité des innovations biomédicales fondamentales a créé une incitation à s’engager dans des projets et de recherche socialement plus importants? Quelles découvertes médicales et pharmaceutiques ont été vraiment fondamentales et d’où viennent-elles?

Voici les quinze avancées les plus importantes de la médecine: la pénicilline, les rayons x, la culture de tissus, l’éther (anesthésique), la chlorpromazine, l’hygiène publique, la théorie des germes, la médicine basée sur les preuves, les vaccins, la pilule, les ordinateurs, la thérapie de réhydratation orale, la structure de l’ADN, la technologie des anticorps monoclonaux, les risques pour la santé du tabagisme. Combien de noms dans cette liste ont été brevetés, ou étaient dus à certains brevets précédents, ou ont été obtenus au cours d’un projet de recherche motivé par le désir d’obtenir un brevet? Deux: la chlorpromazine et la pilule. […] Maintenant, considérons la liste des produits pharmaceutiques actuels qui se vendent le plus dans le monde, et il y a en 46. Les brevets n’avaient à peu près rien à voir avec le
développement de 20 parmi les 46 médicaments les plus vendus. […] Notez cependant que dans ces 26, 4 ont été découverts complètement par hasard et 2 ont été découverts dans des laboratoires universitaires avant que la loi Bayh-Dole ait même été conçu. En outre, quelques-uns ont été simultanément découverts par plus d’une entreprise menant à des batailles juridiques longues et coûteuses, mais les détails ne sont pas pertinents pour notre propos. Plus de la moitié des médicaments les plus vendus dans le monde entier ne doivent pas leur existence aux brevets pharmaceutiques.

Recherche de rente et redondance. [Pages 260-263]
La prochaine question est donc, si ce n’est pas dans les nouvelles découvertes médicales fondamentales, où va tout l’argent de la R&D pharmaceutique? […] 54% des demandes de médicaments approuvées par la FDA impliquent des médicaments qui contenaient des substances actives déjà sur le marché. […] 35% étaient des produits contenant de nouveaux principes actifs, mais seulement une partie de ces médicaments ont été jugés avoir des améliorations cliniques suffisantes par rapport aux traitements existants pour obtenir le statut de priorité. En fait, seulement 238 des 1035 médicaments approuvés par la FDA contiennent de nouveaux ingrédients actifs et ont eu des évaluations prioritaires sur la base de leurs performances cliniques. En d’autres termes, environ 77% de ce que la FDA approuve est «redondant» du point de vue strictement médical. […] Triste mais vrai, ironiquement, les me-too ou copycat sont de loin le seul outil disponible capable d’induire une sorte de concurrence dans un marché par ailleurs monopolisé. ..] L’aspect ironique des me-too, de toute évidence, c’est qu’ils sont très coûteux en raison de la protection des brevets, et ce coût, nous le prenons en charge, nous-mêmes, sans raison valable. […] Dans la mesure où les nouveaux médicaments sont des remplacements pour les médicaments qui existent déjà, ils ont une valeur économique faible voire nulle dans un monde sans brevets – mais le coût de l’ordre de 800 millions de dollars pour les mettre sur le marché, parce que l’existence de brevets oblige les producteurs à « inventer quelque chose » de sorte que l’USPTO puisse prétendre être suffisamment qu’il est différent du médicament original breveté.

Des bibliothèques ont été remplies d’ouvrages sur le lien évident entre le marketing et l’absence de concurrence. L’industrie pharmaceutique ne fait pas exception à cette règle, et la preuve que le professeur Sager, et bien d’autres, indique a une explication simple et claire: en raison de la généralisation et de l’extension sans fin et des brevets, les grandes sociétés pharmaceutiques ont pris l’habitude de fonctionner comme des monopoles. Les monopoles innovent aussi peu que possible et seulement quand ils sont forcés à, le faire ; en général, ils préfèrent passer du temps à chercher des rentes via la protection politique, tout en essayant de vendre à un prix élevé leurs vieux produits reconditionnés aux consommateurs impuissants, via des doses massives de publicité.

Les auteurs terminent avec une analyse économique des coûts sociaux et des avantages des brevets et de l’absence de brevets, et proposent des solutions dans le dernier chapitre.

Conclusions: Le mauvais, le bon et le truand

Edith Penrose, a conclu que «Si nous n’avions pas un système de brevet, il serait irresponsable, sur la base de notre connaissance actuelle de ses conséquences économiques, de recommander sa création. Mais puisque nous avons un système de brevet depuis longtemps, il serait irresponsable, sur la base de nos connaissances actuelles, de recommander son abolition

Mais les auteurs affirment: « Sur la base des connaissances actuelles » abolir progressivement mais efficacement la protection de la propriété intellectuelle est la seule chose socialement responsable à faire. […] Une vision réaliste du monopole intellectuel, c’est qu’il s’agit d’une maladie plutôt que d’un traitement. Il ne résulte pas d’un effort pour accroître l’innovation, mais d’une combinaison délétère d’institutions médiévales – les guildes, les licences royales, les restrictions commerciales, la censure religieuse et politique – et d’un comportement de recherche de rente de monopoles qui cherchent à augmenter leur richesse au détriment de la prospérité publique. [Pages 277-78]

Une myriade d’autres institutions juridiques et informelles, de pratiques commerciales et de compétences professionnelles ont grandi autour d’elle et en symbiose avec elle. Par conséquent, une élimination brutale des lois de propriété intellectuelle peut provoquer des dommages collatéraux d’une ampleur intolérable. Prenons par exemple le cas des produits pharmaceutiques. Les médicaments sont non seulement brevetés, ils sont également réglementés par le gouvernement d’une myriade de façons. Dans le système actuel, pour obtenir l’approbation de la FDA aux États-Unis, il faut des essais cliniques coûteux – et les résultats de ces essais doivent être librement accessibles aux concurrents. Certes, abolir les brevets et demander simultanément aux entreprises qui effectuent des essais cliniques coûteux de mettre leurs résultats gratuitement à la disposition des concurrents, ne peut pas être une bonne réforme. Les brevets ne peuvent être sensiblement éliminés qu’en changeant simultanément également le processus par lesquels les résultats des essais cliniques sont obtenus, d’abord, et, ensuite, mis à la disposition du public et des concurrents en particulier. [Page 278]

Les auteurs se penchent sur de nombreuses solutions intermédiaires y compris la déréglementation, les contrats privés, les subventions, les normes sociales, mais ils sont clairement convaincus (et convaincants) que l’évolution est nécessaire, même si ils sont pessimistes.

Où, aujourd’hui, est l’innovateur de logiciel qui peut trouver refuge contre les avocats de Microsoft? Où, demain, seront les compagnies pharmaceutiques qui mettront au défi les brevets des «big pharma» et produiront des médicaments et des vaccins pour les millions de victimes en Afrique et ailleurs? Où, aujourd’hui, sont les éditeurs courageux, déterminés à l’idée que la connaissance accumulée devrait être largement disponible, en défendant l’initiative de Google Book Search? Nulle part, autant que nous pouvons dire, et c’est un mauvais présage pour les temps à venir. La guerre juridique et politique entre les innovateurs et les monopoles est une vraie guerre, et les innovateurs ne peuvent pas gagner car les forces qui veulent «maintenir le cap» et «ne rien faire» sont puissants, et se développent. [Page 299]

Certes, la menace fondamentale à la prospérité et la liberté peut être rdéfaite par une réforme sensible. Mais la propriété intellectuelle est un cancer. L’objectif doit être non seulement de rendre le cancer plus bénin, mais finalement de s’en débarrasser complètement. Ainsi, alors que nous sommes sceptiques quant à l’idée d’éliminer immédiatement et en permanence les monopoles intellectuels – l’objectif à long terme ne devrait pas être inférieur à une élimination complète. Une réduction progressive de la durée des mandats des brevets et droits d’auteur serait le bon endroit pour commencer. En réduisant progressivement les termes, il devient possible de faire les ajustements nécessaires – par exemple la réglementation FDA, les techniques et pratiques d’édition, le développement logiciel et les méthodes de distribution – alors que dans le même temps il faute prendre un engagement à l’élimination finale. [Page 300]

Contre les monopoles intellectuels – acte 2

J’ai promis une suite à mon résumé de Contre le monopole intellectuel; la voici. Le livre est vraiment incontournable pour quiconque s’intéresse à l’innovation. Mais peut-être que vous voulez commencer avec une explication directe par les auteurs. Ecoutez l’interview audio ci-dessous.

Alors, comme prolongement, voici quelques questions très intéressantes:
– Est-ce que l’IP accroît l’innovation?
– Les clauses de non concurrence des contrats de travail freinent l’innovation .
Il s’agit de sujets auxquels je suis particulièrement sensible, comme vous le verrez ci-dessous grâce à des liens passés. Mais avant cela, nous suivons le livre depuis l’endroit où je m’étais arrêté.

Critique de la théorie schumpétérienne
« Bien qu’à l’origine ce n’était pas une opinion dominante dans l’économie, le point de vue de Schumpeter est maintenant en passe de devenir une orthodoxie dans la plupart des cercles. Schumpeter célèbre le monopole comme l’accomplissement ultime du capitalisme. Il fait valoir que, dans un monde dans lequel les détenteurs de propriété intellectuelle sont accapareurs, la concurrence est un processus dynamique qui est mise en œuvre via le processus de destruction créatrice. […] Combien d’industries peut-on mentionner où le mécanisme décrit dans le modèle de Schumpeter a été à l’œuvre, avec des innovateurs supplantent souvent le monopole en place, devenant ainsi un monopole à son tour aavnt d’être évincé peu après par un autre innovateur? » [Pages 189-190]

À propos de secret et de la divulgation par les brevets et droits d’auteur
« Un argument courant en faveur du droit des brevets est que, pour obtenir un brevet, vous devez révéler le secret de votre invention. […] Supposons que chaque innovation peut être gardé secrète pendant une certaine période de temps, avec une durée réelle qui varie d’une l’innovation à l’autre, et que la durée de la protection juridique des brevets est de 20 ans. Ensuite, l’innovateur choisira le secret dans les cas où il est possible de garder le secret pendant plus de 20 ans, et une protection par brevet dans les cas où le secret ne peut être tenu que pour moins de 20 ans. Dans ce cas, la protection par brevet a un effet dommageable socialement. Les secrets qui peuvent être gardés pendant plus de 20 ans sont encore conservés pour la durée maximale du temps, tandis que ceux qui sans brevet aurait été monopolisé pendant une période plus courte, sont désormais monopolisé pendant 20 ans. En effet, il est important de réaliser que, en dehors de l’industrie pharmaceutique, où le système de réglementation oblige effectivement la révélation, le secret est nettement plus important que le brevet. À plusieurs reprises, dans les enquêtes sur des laboratoires R&D ou des chefs d’entreprise, de 23% à 35% indiquent que les brevets sont un moyen efficace de retours sur l’affectation de crédits. En revanche, 51% affirment que le secret est efficace. » [Page 186]

«S’il y a une compétition pour un brevet, l’incitation est de garder secret des résultats intermédiaires de manière à empêcher les concurrents de gagner la course. En fait, il y a beaucoup de preuves que le secret et le monopole légal sont complémentaires plutôt que des solutions de rechange. Malgré le droit d’auteur, les producteurs de livres, musique et films ont agressivement tenté d’encrypter les œuvres avec les Digital Rights Management (DRM). » [Page 187]

Pire, [pour le brevet en 1 clic d’Amazon], « comme on peut le voir, le « secret » qui est révélé est à peine plus informatif que le simple constat que l’acheteur achète quelque chose au moyen d’un simple clic. » [Page 189]

« Dans le cas des créations protégeables, on peut affirmer que le changement technologique – ordinateurs et Internet – fait fortement abaisser le coût de la reproduction, et donc le modèle traditionnel selon lequel les prix descendent instantanément à zéro est pertinent. Cependant, c’est le coût relatif au montant de la rente qui compte. En effet, si l’Internet réduit la rente, il faut garder à l’esprit que la même technologie informatique réduit le coût de production des créations protégeables. Prenez la musique, par exemple. Les capacités d’édition et le matériel de studio nécessaires coûtaient des millions de dollars, il y a dix ans, il faut désormais un investissement dans du matériel informatique en milliers de dollars. Et bien avant que l’Internet commercialise la musique et les films, les auteurs pourront créer des œuvres sur leurs ordinateurs personnels sans plus de difficulté que d’écrire un livre – et en plus sans l’aide d’acteurs, de techniciens, et toutes les autres personnes qui contribuent au coût élevé de la réalisation de films. […] Que le prix tombant à zéro implique que les revenus tombent à zéro dépend de l’élasticité de la demande, la mathématique de l’infini fois zéro est compliquée par moments et c’est le cas ici. Si, en effet, la demande est élastique, alors le prix chute à zéro implique (parce que beaucoup plus d’unités sont vendues) une augmentation des recettes à l’infini. [Pages 193-194]

À propos de l’économie mondialisée
« On retrouve souvent l’argument selon lequel la libération du commerce, la croissance de nombreuses économies asiatiques, et l’abaissement des coûts de transport créent un mélange dangereux pour notre stabilité économique. En particulier, il est soutenu que nos idées et nos produits sont de plus en plus « injustement copiés », ce qui exige une certaine forme d’intervention sérieuse de nos gouvernements. En d’autres termes, la mondialisation est risquée pour nos innovateurs, et nous avons besoin de renforcer la protection de la propriété intellectuelle et de forcer les pays émergents à faire de même. » [Page 194]

« Il y a un […] argument peut-être plus subtil, mais certainement pas moins pertinent. Comme la taille du marché augmente, deux choses se produisent. D’abord plus de consommateurs sont ajoutés pour toutes ces idées que vous avez déjà produites ou que vous auriez produites de toute façon. Appelons ces idées « bonnes », car elles étaient assez bonnes pour être rentables, même quand le marché était limité. En outre, d’autres nouvelles idées, produites par de nouveaux innovateurs, vont entrer dans le jeu. Appelons ces idées «marginales», puisque si elles avaient été de bonnes idées, elles auraient été introduites, même quand le marché était limité. Maintenant, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, on diminue les distorsions de monopole pour tous les consommateurs des « bonnes » idées. Avec un marché plus vaste, beaucoup plus de consommateurs bénéficient de la plus grande utilité et la disponibilité de toutes ces « bonnes » idées. Deuxièmement, l’abaissement de la protection de la propriété intellectuelle rend plus difficile l’entrée des idées « marginales » dans le marché. Mais dans un marché plus vaste, plusieurs de ces idées « marginales » vont être produites de toute façon, comme il y a plus de consommateurs à payer pour le coût de les inventer. Ainsi, en conclusion l’augmentation de la taille du marché, en abaissant la protection de la propriété intellectuelle, permet de beaucoup plus utiliser de « bonnes » idées sans avoir autant d’idées « marginales ».

« Une règle simple serait que si la taille du marché augmente de 4%, la durée de protection doit être coupée de 1%. […] Malheureusement, dans le cas du droit d’auteur, les termes sont allés dans la mauvaise direction, ils ont augmentés d’un facteur 4 environ, tandis que le PIB mondial a augmenté de près de deux ordres de grandeur. Par conséquent, si la durée du copyright de 28 ans au début du 20ème siècle était socialement optimale, le terme courant devrait être d’environ un an, plutôt que le terme actuel d’environ 100 ans ! » [Page 196]

Et les auteurs ajoutent régulièrement que seules les idées déjà couronnées de succès sont copiées, donc oui il y a moins de revenus et de profits pour les succès. Encore une fois combien est assez …?

Est-ce que l’IP augmente l’innovation? [Chapitre 8]
« Un certain nombre d’historiens de l’économie, Douglass North et ses disciples avant tout, ont fait valoir que la grande accélération de l’innovation et de la productivité que nous associons avec la révolution industrielle a été causée par le développement des moyens de protéger le droit des inventeurs, en leur permettant de tirer profit de leurs innovations. Centrale parmi ces moyens était l’attribution de brevets aux inventeurs et leur respect soit par le Parlement ou par les tribunaux. Relativement aux droits contractuels très mal définis de l’Europe pré-dix-sept siècle, en proie aux violations royale et aristocratique de la propriété et des contrats, il ne fait aucun doute que de permettre aux individus un monopole temporaire mais bien défini sur les fruits de leur effort d’invention fut une étape majeure. Même la propriété monopolistique est bien meilleure qu’un système qui permet la saisie arbitraire par le riche et puissant. Cela ne signifie pas, cependant, que cela contredise notre affirmation selon laquelle les droits monopolistiques généralisés et sans cesse croissants ne sont pas aussi bénéfiques pour la société que les droits de propriété dans une concurrence bien définie. » [Page 209] « La question, alors, est celle que nous avons posée au début: Un monopole conduit-il vraiment à davantage d’innovation, en moyenne, que la concurrence? La théorie donne une réponse non-ambiguë, alors penchons-nous sur des évidences, soutenues par un peu de bon sens statistique ». [Page 210]

Après une analyse intéressante de la composition musicale avant et après les droits d’auteur [pages 211-213], les auteurs analysent les brevets. « Un certain nombre d’études scientifiques ont tenté de déterminer si l’introduction ou le renforcement de la protection des brevets conduit à une plus grande innovation en utilisant des données provenant des économies avancées d’après-guerre. Nous avons identifié vingt-trois études économiques qui ont examiné cette question de façon empirique. En résumé, ces études trouvent peu ou pas de preuve que le renforcement des régimes de brevets augmente l’innovation; ils trouvent des preuves que le renforcement du régime brevets augmente … les brevets! Ils trouvent également des preuves que, dans les pays ayant des régimes de propriété intellectuelle initialement faibles, le renforcement de la propriété intellectuelle augment le flux des investissements étrangers dans les secteurs où les brevets sont fréquemment utilisés. » [Page 216]

L’innovation peut conduire à plus de brevets, mais plus de brevets et la protection par les brevets ne conduisent pas à plus d’innovation. [Page 219]

À propos des clauses de contrat de travail [Pages 224-227]
(La Route 128, la Silicon Valley et les clauses restrictives de « non-concurrence » des contrats de travail)

« Empêcher légalement les travailleurs de propager les connaissances acquises dans les professions précédentes est un moyen inefficace pour internaliser les externalités de connaissances. »

« En 1965, la Silicon Valley et la Route 128 étaient des centres de l’emploi de la technologie d’égale importance, et avec des potentiels et des aspirations de croissance similaires. … En 1990, la Silicon Valley a exporté deux fois la quantité de produits électroniques de la Route 128, une comparaison qui exclut les domaines tels que les logiciels et le multimédia, où la croissance de la Silicon Valley a été la plus forte. »

« Qu’est-ce qui explique cette différence radicale de croissance de ces deux régions? … La seule différence significative entre les deux régions réside dans une petite mais importante différence de la législation du travail entre le Massachusetts et la Californie: Une règle de non-concurrence postérieure à l’emploi empêche les retombées de la connaissance et des savoir-faire exclusifs de l’employeur non pas, comme le fait la loi sur le secret commercial, en interdisant la divulgation ou l’usage, mais en bloquant le mécanisme par lequel le débordement se produit: les employés quittent leur emploi pour en prendre un avec un concurrent ou pour former une start-up. La loi du Massachusetts est représentative de l’approche de non-concurrence généralement adoptée à l’égard des engagements postérieurs à l’emploi par la grande majorité des Etats. La loi californienne régissant les clauses de non-concurrence est à la fois inhabituelle et radicalement différente de celle du Massachusetts. « Tout contrat par lequel quelqu’un est empêché de se livrer à une profession légale, le commerce ou les affaires de toute nature est nul. »

Le paradoxe de la Silicon Valley, c’est que la concurrence a exigé l’innovation continue, qui à son tour exige une coopération entre les entreprises. [Une citation de AnnaLee Saxenian. Il s’agit d’une de mes « obsessions » préférées comme en témoigne Le cercle vertueux des spin-off ou (en anglais) Silicon Valley – more of the same?


Le (pas si) célèbre Wagon Wheel Bar, incarnation des transferts de connaissance informels.

Nous savons qu’il y a de bonnes raisons économiques pour lesquelles il doit en être ainsi: la concurrence est le mécanisme qui engendre l’innovation, et une innovation concurrentielle durable, aussi paradoxal que cela puisse paraître à ceux qui ne le comprennent pas, est souvent mieux mise en œuvre par la coopération entre des entreprises concurrentes.

Alors que les entreprises de la Route 128 ont dépensé des ressources pour garder la connaissance secrète – inhibant et empêchant la croissance de l’industrie de la haute technologie – en Californie ce n’était pas possible. Et donc, la Silicon Valley – libérée du jalon de la monopolisation – a progressé à pas de géant quand les employés démarraient de nouvelles entreprises, rejoignaient d’autres entreprises et généralement diffusaient des connaissances utiles socialement.

A propos des inventions simultanées [Pages 229-235]
Les auteurs ajoutent des exemples intéressants où des découvertes simultanées ont été faites, y compris la triste histoire de Tesla contre Marconi. « Alors, pourquoi la N. Tesla Broadcasting Co. détint pas un monopole complet sur les communications radio aux États-Unis jusqu’à la fin des années 1920? Pourquoi Nikola Tesla est-il mort pauvre alors que Marconi s’est enrichi, sur son chemin vers un prix Nobel? Parce que alors, comme maintenant, le jeu des brevets et du monopole intellectual n’est pas du tout démocratique et ouvert aux petits gars comme le livre récent et tout à fait intéressant de Mme Khan voudrait nous le faire croire. Donc, il est vrai que Marconi, soutenu par des gens comme Edison et Carnegie, a martelé le Bureau américain des brevets jusqu’à ce que, en 1904, ils changèrent de direction et donnèrent à Marconi un brevet pour l’invention de la radio. Nous lisons: «Les raisons n’ont jamais été bien expliquées, mais le soutien financier puissant pour Marconi aux États-Unis suggère une explication possible. » […] L’histoire de l’injustice contre Nikola Tesla a une fin tragi-comique: en 1943, la Cour suprême des Etats-Unis a confirmé le brevet radio de Tesla infirmant la décision antérieure de l’office américain des brevets. Bien sûr, Tesla était mort à cette époque – et en fait, c’est pourquoi il a reçu le brevet. Le Gouvernement des États-Unis avait été poursuivi par la société Marconi pour l’utilisation de ses brevets au cours de la Première Guerre mondiale. En décernant le brevet à Tesla, ils ont éliminé la réclamation de Marconi – et ne faisant face à aucune demande similaire de Tesla, qui, étant mort, a était incapable de poursuivre. » [Pages 232-33]

Pour référence: Khan, Z. [2005], The Democratization of Invention. Patents and Copyrights in American Development, 1790-1920. Cambridge University Press.

Plus dans le 3ème et dernier acte.

Le Cygne Noir et les Start-up

Je ne sais plus combien j’ai fait de posts sur le Cygne Noir de Taleb. Toujours est-il qu’il m’a été demandé d’ajouter une contribution pour l’EPFL sur son lien avec les start-up. Il s’agit de ma 8ème contribution sur les start-up pour l’EPFL. Voici donc:

08.05.13 – Qu’y a-t-il d’analogue entre une grande catastrophe et un succès industriel hors du commun dans le domaine high-tech? Ils échappent aux statistiques, mais leur impact n’en est pas moins gigantesque. Tel est le concept fécond du «Cygne noir».

EPFL-BlackSwan

Le concept de Cygne Noir a été créé Nassim Nicholas Taleb dans ses travaux sur le hasard, et popularisé par un best seller vendu à plus de 3 millions d’exemplaires. Taleb l’introduit comme suit : «Il y a deux classes de statistiques très distinctes. La première définit le Mediocristan, la seconde définit l’Extremistan. Sans entrer dans les détails, au Mediocristan, des exceptions se produisent, mais ne elles portent pas à de grandes conséquences. Ajoutez la personne la plus lourde de la planète à un échantillon de 1’000 personnes, le poids total sera à peine changé. En Extremistan, des exceptions peuvent avoir un tout autre impact (et avec le temps, leur impact sera nécessairement gigantesque). Ajoutez Bill Gates à votre échantillon: la richesse totale peut augmenter d’un facteur 10’000. Dans le premier type, il s’agit de familles de «Gauss-Poisson», à longue traîne; dans le second de familles non linéaires, fractales ou mandelbrotiennes, à traîne épaisse. Mais il faut ajouter ici un problème épistémologique: il y a une catégorie « je ne connais pas », tout simplement parce que je ne connais pas grand chose de sa structure probabiliste ou du rôle de certains grands événements.»

Les Cygnes Noirs sont les événements inconnus, en Extremistan. Ils sont rares, très rares même, et imprévisibles. Mais à leur impact est énorme. Paradoxalement, nous avons tendance à les rationaliser après coup. La chute du mur de Berlin, les événements du 11 septembre, l’accident de Fukushima sont des exemples de Cygnes Noirs.

Le monde de l’entrepreneuriat high-tech est particulièrement bien décrit pas le concept de Taleb. Nous avons des centaines de start-up en Suisse, et il s’en créée des milliers dans le monde chaque année. Mais un faible nombre croît et survit. Un plus petit nombre va connaître un grand succès. En Suisse, citons Logitech, Swissquote ou Actelion. Mais s’il ne s’agissait que de cela, l’emploi du concept de Cygne Noir serait galvaudé.

Par contre, Google ou Apple sont deux cygnes noirs. L’ampleur du succès et de l’impact de ces deux ex-start-up était tout simplement imprévisible. De multiples ouvrages ont tenté de l’expliquer a posteriori. En vain, je crois. Apple pèse presque deux fois plus en bourse qu’aucune autre société. Steve Jobs, entrepreneur improbable, la créa en 1976 à l’âge de 21 ans et, plus incroyable encore, la sauva de la catastrophe par son retour en 1997. Quant à Google, lisez le récent ouvrage I’m Feeling Lucky, et vous comprendrez l’extraordinaire exceptionnalité des fondateurs Brin et Page. Google a moins de 15 ans, plus de 50’000 employés et près de $40B de chiffre d’affaires.

Taleb est très controversé et provocateur. Il dénonce les excès de la discipline statistique, qui nous fait parfois croire à l’élimination des risques. Il déteste la «sagesse» des savants au point de s’attaquer à eux personnellement. Je me souviens d’une conférence où le président de la session me «reprocha» mon extrême passion pour les start-up high-tech, qui selon lui ne représentent qu’une fraction des entreprises. Je ne cherchai pas à dissimuler mon biais. Mais j’expliquais que leur impact est par contre loin d’être marginal, et tout aussi fascinant par la difficulté à l’anticiper. La passion l’emporte parfois sur la raison…

Taleb enfonce le clou avec la publication en novembre dernier d’Antifragile, qui a pour sous-titre «des choses qui tirent profit du désordre». C’est un livre multiforme, parfois bordélique, éloge de l’artisan, du souk, et de l’expérimentateur face à l’expert trop rationnel. Là encore, les idées de Taleb s’adaptent parfaitement à l’innovation. «La fragilité de toutes les start-up est nécessaire pour que l’économie soit antifragile, et c’est ce qui fait, entre autres choses, la réussite de l’esprit d’entreprise: la fragilité des entrepreneurs individuels et leur taux de défaillances nécessairement élevé.»

Le cygne noir a peut-être une explication assez simple. Il a souvent son origine dans les faiblesses (pour les catastrophes) et le génie (pour les merveilles) de l’espèce humaine. Albert Einstein, Léonard de Vinci, Lionel Messi et Steve Jobs sont des créateurs de génie. Il est possible de quantifier grâce à la science et à la technique de nombreux phénomènes, mais il reste toujours difficile de mesurer les capacités humaines.

Contre les monopoles intellectuels

En octobre dernier, j’ai publié un post sur l’article Un argumentaire contre les brevets de Michele Boldrin et David K. Levine. J’avais mentionné à la fin qu’il y avait aussi un livre intitulé Contre les monopoles intellectuels. Je ne l’ai pas encore fini, mais il est si étrange, puissant et complexe que je vais en parler en deux parties. Plus de détails dans quelques jours …

C’est un livre très étrange (et les auteurs sont connus pour leurs arguments depuis quelques années), car il donne des arguments contre la propriété intellectuelle (« PI »). Ils ne sont pas toujours faciles à suivre. Il s’agit d’un livre d’économie qui, parfois, souvent (mais pas toujours) confirme l’intuition qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec la PI. Oui les inventeurs, les innovateurs, les créateurs doivent être en mesure de protéger leur création contre les voleurs. Est-ce que cela signifie qu’ils doivent avoir un monopole (brevets) ou le droit d’empêcher la copie de leur travail (droit d’auteur)? C’est ce à quoi les auteurs tentent de répondre. Vous pouvez maintenant lire mes commentaires, mais je vous conseille vivement de lire le livre et ses arguments complexes et fascinants, même si à la fin, vous n’êtes pas d’accord avec eux! En guise de provocation, ils terminent leur 1er chapitre avec: « Cela nous amène à notre conclusion finale: la propriété intellectuelle est un mal non nécessaire ». [Page 12]

Un de leurs arguments les plus forts est le suivant: « On entend souvent dire, surtout dans les industries de la biotechnologie et des logiciels, que les brevets sont une bonne chose pour les petites entreprises. Sans les brevets, les petites entreprises n’auraient pas de pouvoir de négociation et ne pourraient pas défier les grandes entreprises. Cet argument est fallacieux pour au moins deux raisons. D’abord, il n’a même pas été envisagé l’hypothèse la plus évidente: combien de nouvelles entreprises seraient créées si les brevets n’existaient pas, c’est à dire si les entreprises dominantes n’empêchaient pas leur entrée en détenant des brevets sur à peu près tout ce qui est raisonnablement faisable? Pour une petite entreprise trouvant une niche dans la forêt des brevets, combien ont été tenues à l’écart par le fait que tout ce qu’elles voulaient utiliser ou produire avait déjà été breveté mais pas sous licence? Deuxièmement, les gens en faisant valoir que les brevets sont bons pour les petites entreprises ne se rendent pas compte que, en raison du système des brevets, la plupart des petites entreprises de ces secteurs sont obligées de se constituer en sociétés d’une seule idée, visant seulement à être achetée par le gros acteur. En d’autres termes, la présence d’un maquis de brevets crée une incitation à ne pas concurrencer le monopole, mais simplement à trouver quelque chose de précieux pour l’alimenter, via un nouveau brevet, au prix le plus élevé possible, et puis sortir du chemin. » [Page 82]

Ce qui suit n’est pas loin d’être aussi fort: « L’incitation à partager de l’information est particulièrement forte dans les premiers stades d’une industrie, où l’innovation est rapide et furieuse. Dans ces premières phases, les contraintes de capacité de production sont si contraignantes que les réductions de coûts des concurrents ne font pas pour autant baisser les prix, parce que ce dernier est complètement déterminé par la volonté des consommateurs à payer pour un bien nouveau et rare. L’innovateur analyse correctement le fait qu’en partageant son innovation, il ne perd rien, et même qu’il peut bénéficier des améliorations de ses concurrents. Les gains économiques liés à l’abaissement de ses coûts ou à l’amélioration de ses propres produits, lorsque les contraintes de capacité sont fortes, sont si grands qu’ils éclipsent facilement les gains liés au monopole. C’est seulement quand une industrie est mature, quand la réduction des coûts ou l’amélioration des innovations de qualité sont plus difficiles à mettre en œuvre ou que les capacités de production ne sont plus une contrainte sur la demande que les bénéfices du monopole deviennent pertinents. En résumé, les entreprises dans les industries jeunes, créatives et dynamiques s’appuient rarement sur les brevets et droits d’auteur, tandis que celles appartenant à des industries stagnantes, inefficaces et obsolètes font un lobbying désespéré pour toutes sortes de protections de la propriété intellectuelle. » [Page 153]

Vous pouvez vous arrêter là! Ou lire des extraits supplémentaires ci-dessous, ou comme je l’ai conseillé aller lire leur livre …

« Un fait essentiel, cependant, est que la séquence causale suivante n’a jamais eu lieu, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs dans le monde: L’organe législatif aurait adopté une loi disant que « la protection par brevet est étendue aux inventions réalisées dans le domaine X », où X serait un domaine encore non développé de l’activité économique. Quelques mois, années, voire décennies après que la loi a été adoptée, les inventions ont cru dans le domaine X, qui s’est rapidement transformé en une nouvelle industrie, innovatrice et florissante. En effet, la brevetabilité est toujours venue après que l’industrie avait déjà émergé et évolué selon ses propres termes. Un test un peu plus fort, que nous devons à un lecteur doutant de notre travail, est le suivant: peut-on parler d’un seul cas d’une nouvelle industrie ayant émergé grâce à la protection des lois sur les brevets. Nous pourrions exister? Nous n’avons pas trouvé de tels exemples, et notre lecteur sceptique non plus. Étrange coïncidence, n’est-ce pas? » [Page 51]

« En Italie, les produits et procédés pharmaceutiques n’étaient pas couverts par des brevets jusqu’en 1978, de même en Suisse pour les processus jusqu’en 1954, et pour les produits jusqu’en 1977 ». [Page 52]

« Les entreprises devaient indiquer si des méthodes particulières avaient été efficaces dans l’appropriation des bénéfices d’une innovation. Le tableau ci-dessous montre le pourcentage d’entreprises indiquant quelle technique particulière avait été efficace. Les chiffres entre parenthèses sont les chiffres correspondants aux industries du matériel médical et pharmaceutique respectivement (ce sont les deux secteurs dans lesquels le plus fort pourcentage des répondants ont indiqué que les brevets sont efficaces). [Page 68]

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« Alors que les portefeuilles de brevets ont l’avantage d’éliminer les effets néfastes des brevets au sein d’une communauté – ils laissent les externes, eh bien, à l’extérieur. » [Page 70]

« Plus tard dans le livre nous parlons du modèle d’«efficacité dynamique» de Schumpeter via la «destruction créatrice». Ce dernier rêve d’un flux continu d’innovations grâce à de nouveaux entrants doublant les acteurs établis, atteignant un nouveau stade de monopole, jusqu’à ce que de nouveaux innovateurs prennent rapidement leur place. Dans cette théorie, les nouveaux arrivants travaillent comme des fous pour innover, attirés par les énormes profits qu’ils feront en situation de monopole. Notre simple observation est que, du même coup, les monopole vont également travailler comme des fous pour conserver leurs énormes profits de monopole. Il y a une petite différence entre acteurs établis et nouveaux entrants: Les premiers sont plus gros, plus riches, plus forts et beaucoup mieux connectés. David a peut-être gagné une fois dans le passé lointain, mais Goliath a tendance à gagner beaucoup plus souvent ces derniers temps. D’où l’inefficacité de la PI ». [Page 76]

« Nous comprenons que le lecteur attentif réagisse à cet argument en pensant « Eh bien, les médicaments contre le sida ne sont peut-être pas chers à produire, maintenant qu’ils ont été inventés, mais leur invention coûte un montant substantiel d’argent que les compagnies pharmaceutiques doivent récupérer. Si elle ne peuvent pas les vendre à un prix assez élevé, elles font des pertes, et cesseront de faire des recherches pour lutter contre le sida. » Cet argument est correct, en théorie, mais pas si clair et évident dans les faits. Pour éviter de s’écarter de la ligne principale de l’argumentation dans ce chapitre, nous reconnaissons simplement la pertinence théorique de ce contre-argument, et nous reportons le débat jusqu’à notre avant-dernier chapitre, qui porte sur la recherche pharmaceutique. Pour l’heure, deux mises en garde devraient suffire. Le mot clé dans la déclaration qui précède est « assez »: à combien doivent s’élever les profits pour être considérés comme suffisants. La seconde faiblesse est un peu plus subtile car il est question de la discrimination du prix, et nous l’examinons plus loin. » [Page 77] Il y a un chapitre entier sur la pharma, que je n’ai pas encore lu et je vais probablement le couvrir dans la partie 2 de cet article.

Jerry Baker, vice-président d’Oracle Corporation: « Nos ingénieurs et avocats de brevet m’ont informé qu’il peut être pratiquement impossible de développer un produit logiciel complexe aujourd’hui sans porter atteinte à de nombreux brevets existants… Comme stratégie défensive, Oracle a dépensé de l’argent et des efforts pour se protéger en déposant sélectivement des brevets qui présenteront les meilleures possibilités de licences croisées entre Oracle et d’autres sociétés qui pourraient prétendre de manière substantielle à contrefaçon de brevet. Si un tel demandeur est également un développeur de logiciels et de commercialisation, nous pouvons espérer être en mesure d’utiliser nos demandes de brevet comme monnaie d’échange de licences croisées et laisser notre business inchangé. » [Page 80]

Roger Smith d’IBM: « Le portefeuille de brevets d’IBM nous donne la liberté de faire ce que nous souhaitons faire par le biais de licences croisées, il nous donne accès à des inventions des autres qui sont essentielles à des innovations rapides. L’accès est bien plus précieux pour IBM que les redevances qu’elle reçoit de ses 9’000 brevets actifs. Il n’y a pas de calcul direct de cette valeur, mais elle beaucoup plus grande que le revenu tiré des droits, peut-être d’un ordre de grandeur. » [Page 84]

« Remarquez, en particulier, que le dépôt de brevets se trouve être un substitut à la R&D, ce qui conduit à une réduction de l’innovation. Selon le calcul des auteurs [Bessen et Hunt], l’activité d’innovation dans l’industrie du logiciel aurait été environ 15% plus élevée en l’absence de protection par brevet pour un logiciel ». [Page 92]

Un exemple extrême d’aberrations dans le brevet US 6025810: « La présente invention traite de transmission d’énergie, et au lieu de l’envoyer dans le temps et dans l’espace normal, elle crée un petit trou dans une autre dimension, et ainsi, envoie de l’énergie par un endroit qui permet à la transmission d’énergie de dépasser la vitesse de la lumière. » [Page 101]

Les arguments en faveur de la propriété intellectuelle sont connus et cités à nouveau par Levine et Boldrin … « Afin de motiver la recherche, des innovateurs doivent être compensés d’une certaine manière. Le problème fondamental est que la création d’une nouvelle idée ou design … est coûteux … Il serait efficace ex post de rendre les inventions existantes librement accessibles à tous les producteurs, mais cette pratique ne parvient pas à fournir ex ante les incitations pour d’autres inventions à venir. Un compromis émerge … entre les restrictions sur l’utilisation des idées existantes et les récompenses à l’activité inventive. » [Page 176]

Plus de détails dans la partie 2 ….

Pour une Silicon Valley européenne?

Un bref passage au journal du soir de la Radio Suisse Romande, Forum, m’a donné l’occasion de revenir sur un sujet qui m’est cher, la Silicon Valley. Vous pouvez écouter cet extrait de 5 minutes eviron ici.

Forum-SiliconValleyEuropeenne

Leo Apotheker, ancien patron de HP et de SAP a publié une chronique intitulée, Pour une Silicon Valley européenne. Le texte est assez court, le voici en intégralité, mais j’ai mis en gras ce qui me semble important. Ensuite je reprends mon point de vue donné à la radio.

« Il est temps d’en prendre vraiment conscience. L’Europe ne peut se permettre de rester à la traîne. Il est urgent qu’elle s’unisse autour d’une volonté et d’actions communes pour concentrer les efforts et les ressources. Faute de quoi, l’Union européenne manquera le train de l’avenir. Aujourd’hui, seule une poignée d’acteurs européens figure parmi le «top 10» des géants du high-tech. Parmi eux, des SSII qui emploient un nombre important d’Européens. Le classement est donc un peu faussé, car ces SSII sont plus orientées vers le déploiement de technologies –activité à moindre valeur ajoutée– que vers la création et la commercialisation de technologies, où se trouve l’enjeu essentiel. Les exemples de Microsoft, Google ou SAP montrent, en effet, que si l’on veut devenir un leader dans le domaine du numérique, il est indispensable de créer une plate-forme utilisée par beaucoup d’autres. Cet enjeu dépasse la seule filière des TIC. Si ces dernières sont économiquement et socialement essentielles en tant que telles, c’est surtout leur capacité à s’intégrer horizontalement dans d’autres industries qui importe. Exemple, dans l’automobile où l’informatique représente aujourd’hui 70% de la valeur du véhicule…

« En outre, face à des concurrents comme les Etats-Unis et la Chine qui, rien que sur leur marché domestique, opèrent à l’échelle d’un continent, l’Europe a, elle aussi, tout intérêt à se mettre en ordre de bataille. Aborder le sujet en ordre dispersé, chaque pays, chaque région, chaque ville initiant ses propres démarches locales, aurait des effets regrettables. Au bout du compte, la démarche ne pèse pas grand-chose au niveau mondial. Une étude du cabinet AT Kearney a d’ailleurs clairement identifié les problèmes qui empêchent l’Europe d’être vraiment compétitive au niveau mondial. Contrairement aux Etats-Unis ou à la Chine, elle est éclatée en 27 marchés différents et ne bénéficie pas d’une langue commune. Les industries TIC y ont plus difficilement accès à des crédits de financement. Elles se concentrent trop sur l’accumulation de brevets, et sont insuffisamment performantes en termes d’innovation. Elles manquent d’ingénieurs, mais elles manquent encore plus cruellement de capacités commerciales et de marketing. C’est donc bien à l’échelle de notre continent que de tels déséquilibres seront dépassés et qu’est susceptible de se créer un environnement propice à la constitution de futurs leaders européens fournisseurs de plates-formes.

« Une telle politique européenne volontariste commune de l’Union européenne pourra jouer sur de multiples leviers : un environnement financier et fiscal de nature à attirer les capitaux indispensables; la concentration sur le haut de gamme des produits et services; des investissements dans la formation et les entreprises bien choisis pour faciliter l’émergence de «champions » européens; l’appui à la création d’une culture de «gagnants » en aidant le développement des start up…dans le but de créer les géants de l’industrie de demain! Il s’agit en somme de réunir, de concentrer ses forces et de faciliter les éclosions de toute nature. La recette, en son temps, a montré son efficacité à quelques encablures de San Francisco. Cela s’appelle la Silicon Valley. Le nom avait été inventé en 1971, c’était il y a déjà quarante-deux ans… Il est peut-être temps que le «Vieux » Continent se libère de ce qualificatif et se décide enfin, dans les têtes et dans les faits, à créer sa propre Silicon Valley.

Leo Apotheker, Dirigeant d’entreprise allemand, Léo Apotheker a été PDG de SAP (d’avril 2008 à février 2010) et d’Hewlett-Packard (de septembre 2010 à septembre 2011)

Le sujet est un vrai complément au rapport Tambourin que j’ai mentionné plusieurs fois récemment. Ma réaction est la suivante: Ce n’est pas tellement le fait de créer une Silicon Valley le problème mais de savoir pourquoi nous n’en avons pas! (Et de plus, il n’y aura jamais de nouvelle Silicon Valley.) L’Europe est clairement passée à côté des technologies de l’information (ordinateurs, téléphones portables, internet). Les USA ont créé environ une centaine de grandes entreprises depuis 1970, dans ces domaines, les européens sans doute un vingtaine seulement. L’Europe et les USA ont la même taille.

En grande partie parce que l’Europe soutient plus les entreprises établies (PMEs et grands groupes) et ce que j’appelle l’innovation incrémentale (l’amélioration des produits existants). Les américains ont su faire des révolutions technologiques et créer de nouvelles grands entreprises et des nouveaux produits (Apple, Google, Facebook, mais aussi Genentech en biotech) tout en protégeant leur industrie. Or les entreprises ne sont pas éternelles, elles vivent entre 50 et 100 ans, et comme les humains, c’est triste, mais il faut que les jeunes remplacent les vieux… Si nous ne créons pas de jeunes grandes entreprises qu’arrivera t il quand nos vieilles entreprises mourront?

Culturellement, politiquement, économiquement, nous ne sommes pas sensibles à ce problème et comme l’Europe est en crise, avec 27 pays qui rament en effet dans des directions différentes, il n’y a pas accord sur le diagnostic. Un jeune pense rarement start-up et plus à travailler dans une grande entreprise par exemple. L’investissement dans les start-up est bien plus élevé aux USA. J’aimerais fournir la part de ces domaines dans l’économie des USA, de l’Europe et la Suisse (surtout en termes de produits, c’est ce qui compte ici, plus que des services.) Ce n’est tant un problème de coordination, qui serait tout de même idéale, on ne va pas avoir 27 MIT en Europe par exemple, qu’un problème d’accord sur le diagnostic et donc d’investir largement dans la créativité et l’avenir (que nous ne connaissons pas) et pas seulement dans ce qui va bien ou existe déjà…

Steve Jobs par Walter Isaacson

J’ai enfin lu la biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson. J’ai longtemps hésité (l’édition originale date de 2011) car je redoutai un peu se lecture. de plus j’avais lu l’excellent The Apple Revolution ainsi que Return to the Little Kingdom. Je l’ai finalement lu en français et c’est aussi excellent. A lire si vous avez un intérêt pour le sujet. Je ne vais pas en faire l’analyse mais faire comme à mon habitude quelques extraits subjectifs ou frappants. Les citations font référence à la version livre de poche datant de octobre 2012.

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La Silicon Valley

« Divers séismes culturels bouleversèrent San Francisco et la Silicon Valley vers la fin des années 1960. Il y avait la révolution technologique, initiée par l’augmentation des contrats militaires, qui avait attiré des sociétés d’électronique, des fabricants de puces, des concepteurs de jeux vidéo et des fabricants d’ordinateurs. Il y avait une sous-culture, celle des pirates – des inventeurs de génie, des cyberpunks, des dilettantes comme des purs geeks ; on comptait également dans leurs rangs des électroniciens qui refusaient d’entrer dans le moule de HP et leurs enfants impétueux qui voulaient faire tomber toutes les barrières. Il y avait des groupes de recherche quasi-universitaires, qui menaient des expériences in vivo sur les effets du LSD, tels que Doug Engelbart à l’Augmentation Research Center, qui participera plus tard au développement de la souris et des interfaces graphiques, ou Ken Kesey, qui faisait l’éloge de la drogue dans des spectacles psychédéliques, mêlant musique et lumière, animés par un groupe de musiciens qui deviendra le mythique Grateful dead. Il y avait également le mouvement hippie, issu de la beat génération de Kerouac, originaire de la baie de San Francisco, et les activistes politiques, nés du Mouvement pour la liberté d’expression de Berkeley. Et, englobant tout ça, il y avait divers courants spirituels cherchant l’illumination intérieure – zen, hindouisme, méditation, yoga, cri primal, privation sensorielle et massage Esalen.
Steve Jobs était l’incarnation de cette fusion du Flower Power et des puces électroniques, de la quête de la révélation personnelle et de la haute technologie : il méditait le matin, suivait l’après-midi des cours de physique à Stanford, travaillant la nuit chez Atari en rêvant de lancer sa propre entreprise. » [Page 114]

La passion pour l’entrepreneuriat

Bushnell [fondateur de Atari] est de cet avis: « Pour être un bon chef d’entreprise, il faut avoir quelque chose de particulier, et j’ai vu cette chose chez Steve. Il n’était pas seulement intéressé par l’électronique, mais aussi par les affaires. Je lui ai montré qu’il fallait se comporter comme si on allait réussir ce qu’on voulait entreprendre et qu’alors ça se faisait tout seul. C’est ce que je dis tout le temps : si l’on feint de savoir ce que l’on fait, les gens vous suivent. » [Page 111]

Ses amis les plus proches pensent qu’avoir appris, si jeune, qu’il avait été abandonné à la naissance avait laissé des cicatrices indélébiles. « Son besoin d’avoir la maîtrise totale dans tout ce qu’il entreprend vient de cette blessure » [Page 34] … « Le plus étonnant chez Steve, c’est qu’il ne peut s’empêcher d’être cruel envers certaines personnes – une sorte de réflexe pavlovien. La clé du mystère, c’est le fait d’avoir été abandonné à la naissance. » [Page 35]

Il retourna donc vers Nolan Bushnell : « Steve m’a demandé de mettre cinquante mille dollars sur la table et qu’en échange il me donnait le tiers des parts d’Apple. Je me suis cru finaud et j’ai dit non. Quand j’y repense, j’en ris encore. Pour ne pas en pleurer ! » [Page 142]

Le champ de distorsion de la réalité

– « C’est de la folie. C’est impossible. »
On lui répliqua que Jobs ne voulait rien savoir.
– La meilleure définition de cette bizarrerie, tu l’as dans Star Trek. Steve crée un champ de distorsion de la réalité. En sa présence, la réalité devient malléable. Il peut faire croire à n’importe qui à peu près n’importe quoi. L’effet, certes, se dissipe, quand il n’est pas là, mais cela t’empêche sérieusement d’avoir des prévisions réalistes pour quoi que ce soit.
Le CDR était un mélange troublant de charisme et de force mentale ; c’est la volonté de plier les faits pour qu’ils entrent dans le moule. [Page 207]
Quand Jobs décréta que les sodas dans le réfrigérateur seraient remplacés par des jus bio d’oranges et de carottes, quelqu’un de l’équipe fit imprimer des tee-shirts avec écrit devant : « Attention au Champ de Distorsion de la Réalité ! » et derrière : « Il vient des jus de fruits ! »

Il y a un petit bug page 225 : Pour tracer des cercles, Atkinson trouva une astuce fondée sur le fait que les sommes des nombres impairs donnaient une succession de carrés parfaits (par exemple, 1 + 3 = 4, 1 + 3 + 5 = 8, etc.) [L’affirmation est correcte car la dernière somme vaut 9 et pas 8 !]

Être un pirate

« Mieux vaut être un pirate que de rejoindre la marine » [Page 248] Et le Jolly Roger décoré du logo Apple flotta pendant quelques semaines sur le toit du Bandley 3.

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Les chapitres sur la vie privée de Jobs et sur Pixar sont assez passionnants. A propos de l’IPO de Pixar : « Plutôt cette année-là, Jobs avait tenté de trouver un repreneur pour Pixar, pour cinquante millions de dollars, histoire de récupérer ses fonds. A la fin de cette journée historique, les actions qu’il avait gardées – soit 80% de la société – valaient plus de 20 fois cette somme : un milliard deux cents millions de dollars ! C’était près de 5 fois plus que ce qu’il avait gagné avec l’introduction en bourse d’Apple en 1980. Mais Jobs de fichait de faire fortune, comme il le confia à John Markoff du new York Times : « Je ne compte pas acheter de yacht. Je n’ai jamais fait ça pour l’argent. » [Page 471]. Il est à ce titre très différent de Larry Ellison, fondateur et CEO d’Oracle dont il devint l’ami et qui l’aida à revenir aux commandes d’Apple.

Le retour

A ce sujet, il y a une anecdote amusante page 482 : « Deux ans plus tôt, Guy Kawasaki, le chroniqueur du magazine Macworld (et ancien évangéliste de la Pomme) avait publié dans le magazine une parodie racontant qu’Apple rachetait NeXT et élisait Jobs comme PDG. L’article mettant en scène Mike Markkula s’adressant à Jobs : « Tu veux passer le reste de ta vie à vendre Unix avec un joli enrobage, ou changer le monde ? » Et Jobs répondait : « Désormais, je suis père de famille et je ne veux plus jouer les aventuriers. » L’article faisait cette supputation : « Suite à ses déboires avec NeXT, il est possible que Jobs, pour son retour dans le giron de la maison mère, apportera à la direction d’Apple une dose d’humilité. Bill Gates était aussi cité ; il disait que si Jobs revenait en piste, Microsoft aurait à nouveau des innovations à copier ! Tout était inventé et purement humoristique. Mais la réalité a cette fâcheuse habitude de rattraper toutes les satires. » [Page 482]

Et sur son retour: « Son credo était la perfection. Il n’était pas très doué pour les compromis, ou pour s’arranger avec la réalité. Il n’aimait pas la complexité. C’était le cas pour le design des ses produits ou le mobilier des ses maisons ; il en était de même pour ses engagements personnels. S’il était sûr de son fait, alors rien ne pouvait l’arrêter- Mais s’il avait des doutes, il préférait parfois jeter l’éponge, plutôt que de se retrouver dans une situation qui ne le satisfaisait pas complètement. [Page 509]

La mort

[Avec Markkula] Ils passèrent le reste du temps à parle de l’avenir d’Apple. Jobs voulait édifier une société qui lui survive et il lui demanda conseil. Markkula lui répondit que les sociétés qui perdurent sont celles qui savaient se renouveler. C’est ce qu’avait fait sans cesse Hewlett-Packard; elle avait commence par construire des instruments de mesure, puis des calculettes, puis des ordinateurs. « Apple a été évincé par Microsoft sur le marché des micro-ordinateurs, lui expliqua Markkula. Tu dois changer de cap, orienter Apple vers un autre produit. Tu dois être comme un papillon et accomplir ta métamorphose. » Jobs ne fut guère loquace, mais il retint la leçon. [page 515]

La musique fut évidemment un art essentiel dans la vie de Jobs. On sait sa passion pour Bob Dylan, pour Joan Baez, pour les Beatles. Mais voici un extrait plus étonnant : Bach, déclara-t-il, était son compositeur classique préféré. Il appréciait particulièrement le contraste entre les deux versions des Variations Goldberg enregistrées par Glenn Gould – la première en 1995 par le pianiste peu connu de vingt-deux ans qu’il était, la seconde en 1981, un an avant sa mort. « Elles sont comme le jour et la nuit, me dit un jour Steve après les avoir passées l’une après l’autre. La première est une œuvre exubérante, jeune, brillante, jouée si vite que c’en est une révélation. La seconde est plus économe, plus austère. On décèle âme profonde, au vécu douloureux. » Jobs en était à son troisième arrêt maladie quand il écouta les deux versions. Je lui demandai quelle était sa version préférée. « Gould préférait la dernière version. Autrefois, je préférais la première, l’exubérante. Mains maintenant, je comprends mieux ce qu’il voulait dire. »

Isaacson termine son livre par une brillante pirouette de Jobs sur le sujet de la vie et la mort. « Mais d’un autre côté, peut-être que c’est comme un interrupteur on/off. Clic et plus rien! » Il marqua une nouvelle pause et esquissa un sourire. « C’est sûrement pour cela  que jee n’ai jamais aimé les interrupteurs on/off sur les produits Apple. »

L’héritage

J’aurais aussi pu placer ces dernières remarques plus haut dans la section la passion pour l’entrepreneuriat. « Ma passion a été de bâtir une entreprise pérenne, où les gens étaient motivés pour fabriquer de formidables produits. Tout le reste était secondaire. Bien sûr , c’était génial de réaliser des profits, parce que cela nous permettait de créer de bons produits. Mais la motivation est le produit, non le profit. […] La différence est subtile, mais au final elle est cruciale, car elle définit tout: les gens qu’on embauche, ceux qu’on promeut, les sujets abordés en réunion. […] Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’ils ne l’ont pas sous les yeux, Voilà pourquoi je ne m’appuie jamais sur les études de marché. […] L’intersection entre les arts et les sciences. J’aime ce point de jonction, il a une aura magique. […] Notre innovation recèle une grande part d’humanité. Je pense que les grands artistes et les grands ingénieurs se ressemblent.. Tous deux ont le désir de s’exprimer. […] J’ai ma propre théorie pour expliquer le déclin de sociétés telles qu’IBM ou Microsoft. L’entreprise fait du bon boulot, innove et arrive au monopole ou presque dans certains domaines. C’est alors que la qualité du produit perd de son importance. La société encense les bons commerciaux […] qui finissent par prendre le contrôle de la boite. […] Je déteste les gens qui se disent entrepreneurs quand leur unique objectif est de monter une start-up pour la revendre ou la passer en Bourse. Il n’ont pas la volonté de bâtir une véritable société. […] Il ne faut jamais cesser d’innover. […] Je pense que la plupart des gens créatifs veulent remercier leurs prédécesseurs de l’héritage qui leur ont laissé. » [pages 889-892]

 

Une vie incroyable. Jobs ne peut que rester une des plus importantes célébrités du XXe siècle. Je me suis demandé ce que je garde en mémoire de Apple et Jobs et voici le résultat.

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Le capital risque en Europe et aux USA

Une très brève note sur une excellente présentation de Jean-David Chamboredon, partenaire du fonds ISAI intitulée Funding Innovation in Europe. J’en retiens deux slides qui montrent l’une le taux de succès de l’investissement dans une start-up, l’autre abordant un sujet qui m’est cher, la comparaison du VC en Europe et aux USA. Merci à ma collègue Marie-Laure de m’avoir mentionné cette étude 🙂

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