Archives de l’auteur : Herve Lebret

La Crise du Capital-Risque

Cette fois, le chose semble claire. Le capital-risque est en crise. L’association Capintech tire la sonnette d’alarme dans un récent communiqué de presse (pdf) relayé par le Journal de l’Innovation.

Quant au diagnostic, trois points sont relevés:

1- Quels que soient les pays observés, le financement en fonds propres des entreprises innovantes nécessite une forte implication des pouvoirs publics en amont.

2- Les mesures « prudentielles » vont freiner la participation des banques et des assurances qui apportent des fonds au capital-risque.

3- Comme dans les autres pays européens et aux USA, l’industrie du capital-risque français doit repenser son modèle économique.

L’association pense que la crise est durable mais que des mesures sont nécessaires à court terme:

– La mise en place du Fonds national d’amorçage – FNA.

– La réflexion globale engagée par l’AFIC peut conduire à une meilleure cohabitation des outils de financement en fonds propres.

Les données ci-dessous extraites d’un rapport de l’European Investment Fund intitulé Private Equity Market Outlook confirment les difficultés.

Je ne suis pas tout à fait sûr que ce diagnostic et les soins proposés soient adéquats. La crise est peut-être beaucoup plus profonde comme je le mentionnais à travers les réflexions d’Andy Grove dans mon post précédent. S’il n’y a sans doute pas  de crise de l’inventivité (il y a toujours de belles et nouvelles idées), il y a sans doute une crise de l’innovation, c’est à dire une difficulté à commercialiser ces nouvelles idées et cela ne vient pas seulement d’une crise du capital-risque. Il n’est d’ailleurs pas convaincant comme je l’ai écrit dans mon livre que le capital-risque européen ait jamais fonctionné…

Ainsi la globalisation des marchés, une certaine maturité de ceux-ci compliquent notre capacité à innover. Après les révolutions que le transistor, l’ordinateur, les télécom puis l’internet nous ont apporté, qui peut dire ce qu’est le prochain cycle? Nanotechnologies, greentech ou cleantech sont des buzzwords qui n’ont pas été (encore?) suivis des faits. La biotech reste un marché très peu prédictible et relativement « petit ». La crise du capital-risque est sans doute en partie le reflet de cette situation également et sans innovation de rupture, le capital-risque est sans doute à bout de souffle ou au mieux surdimensionné.

Création d’emplois: qui a raison? Grove ou Kauffman

Deux articles récents semblent tirer des conclusions différentes sur le rôle des start-up dans la création d’emplois. La fondation Kauffman vient de publier le rapport The Importance of Startups in Job Creation and Job Destruction

Andy Grove, l’ex-CEO d’Intel, connait si bien la Silicon Valley et le monde des start-up que sa contribution How to Make an American Job Before It’s Too Late est assez perturbante. Laissez-moi en traduire un passage:

C’est une foi mal-placée que de croire aux start-up pour créer des emplois aux USA. Les Américains adorent l’idée que des gars dans un garage inventent quelque chose qui va changer le monde. L’éditorialiste du New York Times, Thomas L. Friedman, a ainsi résumé ce point de vue dans « Des start-ups, pas des sauvetages de banques« . Voici son raisonnement: laissons mourir les vieilles entreprises fatiguées qui ne font que produire des produits à faible valeur, si elles doivent mourir. Si Washington veut créer des emplois, la capitale doit soutenir les start-up.

Moment mythique.

Friedman a tort. Les start-up sont une chose merveilleuse, mais elles ne peuvent pas seules augmenter le niveau d’emplois high-tech. Tout aussi important est ce qui suit ce moment mythique de la création dans le garage, lorsqu’il faut passer du prototype à la production de masse. C’est la phase de mise à l’échelle. Il faut finaliser la conception, trouver le moyen de produire économiquement, construire des usines, et recruter par milliers. Mettre à l’échelle est un travail difficile mais nécessaire pour que l’innovation joue pleinement son rôle. Ce processus-là n’a plus lieu aux USA. Et aussi longtemps qu’il ne se fera plus, injecter des capitaux dans de jeunes sociétés qui construisent leurs usines ailleurs continuera a être un mauvais investissement en termes de création d’emplois. La mise à l’échelle a bien fonctionné dans la Silicon Valley. Des entrepreneurs venaient avec leurs inventions. Des investisseurs leur donnaient l’argent pour bâtir leurs entreprises. Si les fondateurs et leurs investisseurs avaient de la chance, la start-up croissait et allait en bourse, ce qui finançait la suite de l’aventure.

Intel comme exemple de startup.

J’ai eu la chance de vivre une telle aventure. En 1968, deux technologistes bien connus et leurs amis investisseurs mirent $3 millions pour créer Intel, qui fabriqua des puces mémoires pour l’industrie des ordinateurs. Dès le début, il fallut penser production en masse. Nous eûmes à bâtir des usines; recruter, former et garder des employés. Et résoudre un million d’autres problèmes avant qu’Intel ne devienne une très grosse entreprise. Trois ans plus tard, nous étions cotés en bourse, et Intel est devenue une des plus grandes sociétés high-tech. En 1980, dix ans après l’IPO, nous avions environ 13 000 employés aux USA. Non loin de nos quartiers généraux de Santa Clara, d’autres en firent autant. Tandem Computers eut une histoire similaire, puis Sun Microsystems, Cisco Systems, Netscape Communications, etc. Certaines sociétés disparurent sur le chemin, d’autres furent achetées, mais chaque survivant ajoutait à cet écosystème technologique complexe qu’est devenue la Silicon Valley. Avec le temps, les salaires et les coûts de la santé ont augmenté et la Chine s’est ouverte, si bien que les sociétés américaines ont découvert qu’elles pouvaient produire et même concevoir de manière beaucoup plus économique outremer. Et ce faisant, les marges se sont améliorées, les équipes de direction étaient heureuses ainsi que les actionnaires. La croissance s’est poursuivie, de plus en plus profitable. Mais la machine à emplois s’est grippée.

USA contre Chine.

Aujourd’hui, les emplois dans la production d’ordinateurs aux USA sont de 166 000 — moins qu’à l’époque du premier ordinateur personnel, le MITS Altair 2800, en 1975. Entre temps, une industrie de la production de ces mêmes ordinateurs est née en Asie, avec un million et demi de travailleurs – ouvriers, ingénieurs et dirigeants. La plus grande de ces entreprises est Hon Hai Precision Industry Co., aussi connue sous le nom de Foxconn. La croissance de cette société fut à peine croyable, d’abord à Taiwan et ensuite en Chine. L’an dernier, son chiffre d’affaires à atteint 62 milliards de dollars, plus qu’Apple, Microsoft, Dell ou Intel. Foxconn emploie plus de 800 000 personnes, plus que la somme cumulée des emplois de Apple, Dell, Microsoft, Hewlett-Packard, Intel et Sony.

Rapport de 1 à 10

Jusqu’à la récente vague de suicides dans le complexe industriel géant de Foxconn à Shenzhen, peu d’Américains avait entendu parler de cette société. Pourtant tous connaissent les objets qu’elle produit : des ordinateurs pour Dell et HP, des téléphones portables pour Nokia, des consoles Xbox 360 pour Microsoft, des circuits pour Intel, et une quantité d’autres gadgets familiers. Quelques 250 000 employés de Foxconn dans le sud de la Chine fabriquent les produits d’Apple alors que la société à la pomme, n’a que 25 000 employés aux USA – ce qui veut dire que pour chaque employé Apple aux USA, il y en a 10 qui travaillent en Chine sur les iMacs, iPods et iPhones. Le même rapport de 1 à 10 tient pour for Dell, pour le fabriquant de disques durs Seagate Technology, et bien d’autres.

Si vous téléchargez le papier de la Kauffman, vous lirez que les start-up ont une création nette d’emplois alors que les sociétés établies ont une destruction nette d’emplois (elles en créent moins que n’en suppriment). Il n’y a pas vraiment de contradiction entre les deux articles, tous les deux montrent le rôle crucial de l’innovation, mais Andy Grove ajoute que cela ne suffit pas à long terme: il faut pérenniser la création de richesse initiale par des créations d’emplois stables dans la production. Le constat est d’autant plus intéressant qu’il vient de Mr. Grove dont la crédibilité n’est pas discutable…

Give back to the community

Sixième contribution au magazine Créateurs: Swissquote. Je quitte progressivement la Silicon Valley, après avoir abordé des histoires purement américaines (Adobe, Genentech) puis des Européens dans la Silicon Valley (Synopsys, VMware) pour aborder une pur succès Suisse.

Mark Bürki et Paulo Buzzi sont les fondateurs d’une des plus belles success stories suisse, voire européenne : Swissquote. Pas de lien avec la Silicon Valley, pas de capital-risque comme j’ai coutume de le signaler. Non, une banque en ligne bâtie en 1997 comme l’excroissance d’une société de services informatiques, Marvel, fondée, elle, en 1990. Bürki et Buzzi n’ont pas commencé dans un garage comme les Apple, HP et Google californiens ; pire, c’est d’une cave que la société a décollé ! Les débuts sont difficiles, les salaires pas toujours assurés.

Les Etats Unis auront tout de même joué un rôle. Lors d’une conférence à Boston, les fondateurs découvrent un domaine prometteur : l’Internet. A une petite table est assis le fondateur d’une startup alors inconnue, Amazon. Un peu plus tard, c’est un contrat de conception du site web du Comité International Olympique qui va garantir la pérennité de la société. Marvel s’est aussi spécialisée dans des applications financières et Bürki entrevoit le potentiel de cet internet pour le consommateur d’informations boursières.

Avec pour partenaire une banque zurichoise, Swissquote est lancée en 1997. Les débuts sont encourageants et les banquiers d’investissement à l’affut de start-up en croissance promettent monts et merveilles aux fondateurs. Swissquote entre en bourse, en 2001 avec moins de 20 millions de revenus et encore de lourdes pertes. Les lendemains seront moins brillants et l’explosion de la bulle internet menace l’existence même de la start-up. Mais Bürki et Buzzi ne font pas partie de la masse d’aventuriers qui disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus et ils veulent montrer que Swissquote n’est pas une étoile filante. Les décisions sont difficiles, les licenciements conséquents, et la société survit à la tempête. En 2009, Swissquote a un chiffre d’affaires de près de 100 millions pour un bénéfice net de 35 millions et une capitalisation de plus de 600 millions de francs.

En août, puis novembre 2006, j’avais invité les fondateurs à partager leur expérience entrepreneuriale lors de rencontres sur le campus de l’EPFL. Ils avaient expliqué l’importance d’un environnement qui vibre, comme ils l’avaient vécu à Lausanne lorsqu’ils étudiaient l’informatique. Bürki nota que la soixantaine d’étudiants de son département représentait une vingtaine de nationalités, variété que l’on retrouve dans nombre de clusters technologiques. Sans formation particulière, si ce n’est celle d’ingénieur informatique, ils ont appris à gérer une entreprise de deux cents personnes. Sur le tas ; car les deux fondateurs sont persuadés que l’expérience s’acquiert dans l’action. Deux fondateurs, autre sujet d’importance car le partenaire peut poser les bonnes questions qu’un fondateur solitaire n’abordera pas toujours aisément.

Bürki y ajouta aussi l’importance du rêve en citant paradoxalement Che Guevara : « Soyez réaliste. Exigez l’impossible. » En souvenir de ces belles années et pour montrer l’importance croissante de son activité, Marc Bürki et Paolo Buzzi ont pris une décision typiquement américaine en remerciant leur école par la création d’une chaire en mathématique financière en 2008.

Comment négocier avec les VCs

Une présentation intéressante, tout autant par la forme que par le fond, sur la manière de négocier avec les capitaux-risqueurs, faite par Fred Destin (Atlas Venture) à la conférence LIFT. J’ai rencontré Fred il y a quelques mois et c’est une personne dont j’ai apprécié le style. Vous pouvez aller sur son blog directement ou regarder les documents qui suivent.

Quant au format, j’ai été séduit par l’outil de Prezi.

Pourquoi la Silicon Valley nous botte le c..

Un post de Loic Lemeur sur la Silicon Valley ne dit rien d’autre que ce que je dis ici régulièrement. Mais il a la visibilité, la crédibilité et l’expérience des deux continents, ce qui rend son message convaincant.

Et voici donc ce qu’il dit:
– la raison principale est le temps que nous passons à déjeuner (c.a.d. sentiment d’urgence)
– tout le monde dans une seule région (c.a.d. la masse critique)
– qui ressemble à un campus (c.a.d. connections, jeunesse, soleil, dynamisme)
– le business a lieu 24/7 même quand on ne s’y attend pas (c.a.d. obsession)
– seed funding et VCs (c.a.d. l’argent qui finance)
– flexible (c.a.d. tout change vite)
– l’esprit « qu’est-ce que je peux faire pour aider » (c.a.d. ouvert et concret)
– facile d’obtenir un rdv (c.a.d. ouvert à nouveau)
– on vous fait confiance a priori (c.a.d. toujours la même attitude ouverte)
– diversité (c.a.d. que oui la diversité peut fonctionner )
– presse et bloggers (c.a.d. une culture favorable à la technologie)
– les Européens commencent local (c.a.d. pas global)
– trop de copy / paste en Europe (c.a.d. pas de vraies innovations ?)
– les Européens recrutent local (c.a.d. un défi de recruter global)
– Think in English (c.a.d. une difficulté assez subtile de communication)
– vous pouvez y arriver (c.a.d. confiance en soi et en les autres – « empowerment », souvenez-vous de recruter toujours meilleur que vous-même)
– vouloir devenir numero 1 (c.a.d. ambition)
– focalisation sur l’implémentation, les idées comptent moins (c.a.d. orienté action)
– réunir une communauté d’utilisateurs et itérer (c.a.d. appendre en faisant, par essais et erreurs)
– croire en vous (c.a.d. …)

Tout cela pourra sembler évident à nombre d’entre vous, et j’ai pourtant l’impression de me battre trop souvent sur le sujet (voyez par exemple mon post précédent!)

Vous pouvez donc comparer tout cela à la synthèse que je fais lors de mes interventions sur la Silicon Valley. Pas de frustration, si ce ce n’est qu’il faut répéter tout cela inlassablement, et parfois trop souvent!

Croissance et profits

Je vais faire comme je fais parfois, juste mentionner ici un post en Anglais: High Growth and Profits, que je n’ai pas le courage de traduire entièrement. J’y parle de croissance, de profits comme deux domaines qui seraient contradictoires au début des start-ups, j’y parle de mon retour à la recherche académique à travers la conférence Babson où Ernesto Bertarelli et Nicolas Hayek ont été deux intervenants passionnants.

Bertarelli a parlé de
passion, fire and love,
team,
vision,
taking chances,
risk of failing is OK
donc de valeurs!

Quant à Hayek, il a parlé de l’importance des créateurs plus que des managers.

Enfin, j’y parle de mon débat avec d’autres chercheurs qui privilégient les profits sur la croissance, chose qui est peut-être valable pour les PMEs, mais peut-être pas pour les start-ups high-tech, du moins à leurs débuts…

Plus ici

Licences et start-up universitaires – la suite

Comme suite à mon post en date du 4 mai 2010, voici un second document pdf sur equity et royalty, cette fois sous forme visuelle. Si vous n’avez pas le précédent pdf, revoyez mon précédent post.

Ma présentation n’est sans doute pas valable pour tous les cas, mais il me semble qu’il y a un équilibre quasi-linéaire entre equity et royalty, comme des vases communicants. Il faut aussi tenir compte de mécanismes d’anti-dilution:
– de nombreuses universités fixent le montant d’equity par rapport à un montant investi ou par rapport au 1er tour de financement. Comme les investisseurs prennent souvent entre 30% et 50% de la société au premier tour (ou avec le montant investi ci-dessus), on peut calculer combien l’université aurait possédé de la société à la création. Le lien avec ou sans anti-dilution est donc assez direct.
– l’université de Caroline du Nord (et je l’avais commenté dans mon premier post) demande 0.75% d’equity avec anti-dilution jusqu’à une sortie. Intéressant!

Ce qui est aussi intéressant est qu’en fait Stanford, Caltech, Carnegie Mellon et UNC ont des modèles finalement assez proches alors que le MIT est assez similaire sur l’equity mais prend par contre un peu plus de royalty. Tout cela doit être considéré avec une certaine prudence, mais la réalité ne doit pas en être trop éloignée!

Mon document est très imparfait, peut-être un peu difficile à lire, tout comme mes commentaires, alors si je n’ai pas été clair du tout, contactez-moi! Vous pouvez télécharger le pdf ou cliquer sur l’image qui suit.

Europe et Etats-Unis: la croissance en IT et biotech

Voici un exercice que j’aime faire lorsque je commence à parler d’entrepreneuriat high-tech. Donnez moi dix noms de grands succès, par exemple dix sociétés cotées en bourse et fondées il y a moins de 40 ans. Il est assez facile de trouver des sociétés américaines, plus difficiles de trouver des européennes. Voici donc deux tableaux, l’un pour l’IT (technologies de l’information), l’autre pour la biotech.

J’avais fait l’exercice en 2007 mais depuis Sun Microsystems et Business Objects ont disparu. J’ajoute ici les revenus et les bénéfices des sociétés en plus des capitalisations boursières et des emplois.

Ce qui est frappant, je crois, au delà des ordres de grandeurs, est la durée entre année de création et entrée en bourse. La biotech est légèrement différente, mais je ne suis pas sûr que cela soit fondamentalement différent… Ainsi, on notera que la durée création-IPO est bien plus similaire entre les deux continents que pour l’IT.

Qu’est-ce qui fait d’une entreprise de technologie un succès? Un mélange de peur et d’envie

Je viens de lire un article qui correspond assez bien à un aspect de l’entrepreneuriat high-tech qui est assez rarement discuté. Je le traduis directement de l’anglais et c’est son sous-titre qui m’a frappé: « qu’est-ce qui fait d’une entreprise de technologie un succès? Un mélange de peur et d’envie ».

Vous trouverez l’article en anglais sur Is Elon Musk the Bill Gates of Green? Pour ceux qui l’ignorent, Elon Musk est le patron de Tesla Motors, société dont j’ai parlé dans un post récent (en anglais seulement, mea culpa!). En effet, l’histoire d’amour entre fondateurs s’est mal terminée… Voici donc l’article de Michael Kanellos publié le 28 mai 2010 traduit de l’anglais.

Elon Musk est-il le Bill Gates du vert?
Qu’est-ce qui fait d’une entreprise de technologie un succès? Un mélange de peur et d’envie.

Tesla Motors aurait pu être un de ces deux types de société, Microsoft ou MicroUnity. Vous connaissez bien sûr l’histoire de Microsoft. Bill Gates et Paul Allen ont créé la société pour vendre des applications logicielles. Quand IBM décida de faire le PC, Microsoft gagna le contrat de fourniture d’un système d’exploitation qu’elle ne possédait pas alors. Les copieurs du PC comme Compaq – et la célébrité mondiale – suivirent.

MicroUnity vous est sans doute moins familière. Créée en 1988 par Rhodes Scholar et le génie des puces, John Moussouris, la société développa des circuits intégrés multimédia pour la télévision, le téléphone, et un jour, même pour le PC. Des millions de capital risque vinrent de Microsoft, Hewlett-Packard, TCI (aujourd’hui AT&T Broadband), Time Warner, Cox Communications, Motorola et Comcast, entre autres. Au début des années 2000, MicroUnity n’avait plus que 8 employés environ. MicroUnity gagna toutefois un procès en contrefaçon contre Intel en 2005.

Où est la différence? MicroUnity croyait pouvoir gagner avec sa technologie. En fabriquant le meilleur produit possible, les dirigeants de la société pensaient que le monde se rallierait à son point de vue. D’une certaine manière d’autres échecs tels que Segway, General Magic, Transmeta ou Be ont toutes souffert du même syndrome.

En comparaison, Microsoft n’a jamais été une société de technologie. Elle a plutôt émergé en utilisant la théorie des jeux, c’est à dire en négociant des accords et des situations dans lesquels des tiers ont trouvé plus bénéfique de coopérer avec le leader de l’informatique mondial plutôt que de le défier. Je vous l’accorde, on ne reçoit pas le prix Nobel en manipulant, mais cela peut marcher à merveille. Demandez à Otto von Bismarck.

Un des plus grands distributeurs des produit Microsoft qualifia les contrats de la société « d’usines à gaz de génie ». Vous signiez un contrat, expliquait-il, pour vous rendre compte trois semaines plus tard que toutes les contingences croisées et les programmes de bonus créaient une situation telle que vous n’aviez plus qu’à allouer toutes vos ressources à la vente des produits Microsoft au détriment des autres produits. Vous deviendrez riche en nous enrichissant, telle était l’offre de Microsoft. Et le monde de l’informatique approuva.

Tesla a toujours vanté sa technologie en ajoutant que sa mission était de sevrer l’industrie automobile de carburants fossiles, mais en réalité, elle a avancé en exploitant les leviers émotionnels des fabricants et des consommateurs automobiles à son avantage, tout comme Microsoft. Les contrats et les perceptions, plus que la gestion des batteries, ont été la clé du succès. Quand elle a levé le voile sur son prototype en 2006, Tesla invita la crème de la crème d’Hollywood à un événement à Santa Monica pour créer la sensation. Mike Eisner, ressemblant à Andre the Giant en pull-over, était présent au milieu d’un vrai parterre de célébrités.

De plus, les fondateurs ne sont pas des défenseurs conventionnels de la voiture électrique. Ils ne brandissaient pas de théories de la conspiration des constructeurs automobiles ni de discours enflammés contre les producteurs de pétrole. Le typique « vous pouvez transformer votre tondeuse à gazon en hydrofoil’ qui a longtemps entouré le monde du tout électrique a disparu. Au contraire, Tesla a promis que leurs clients feraient l’envie de leurs voisins.

Avec un sentiment de jalousie devant les succès de Tesla, General Motors a lancé l’initiative Volt. Daimler, très en retard sur le sujet du véhicule électrique, a investi dans Tesla en 2008. Aux salons automobiles, la start-up est constamment prise d’assaut. Plus tôt ce mois-ci [mai 2010], le dernier succès en date de Tesla fut l’annonce par Toyota d’un accord pour investir $50M dans la société et la société japonaise annonça que Tesla fournirait la technologie pour ses propres véhicules électriques. Les documents de la SEC [l’autorité de régulation de la bourse aux Etats Unis – Tesla envisage prochainement une IPO] montrent que Tesla a payé $42M pour l’usine NUMMI. Autrement dit, Tesla a été payée $8M pour prendre le contrôle d’un centre de production apprécié. L’accord a été rendu possible par le fait que Musk contacta Akio Toyoda, le président du conseil d’administration de Toyota, et lui fit tester un roadster Tesla, tout électrique. « J’ai senti le souffle — le souffle du futur » a déclaré Toyoda en descendant du véhicule.

Aucun doute que Nissan, le lointain numéro trois du cercle fermé des constructeurs japonais, qui était devenue la société dont l’on parle avec la Nissan Leaf a aussi traversé l’esprit de Toyoda! Est-ce que l’image et le buzz autour de la Prius seraient déjà dépassés? Avec un petit coup de pouce, Toyota va-t-elle entrer dans une deuxième décennie de leadership?

Souvenez-vous. Il n’y a pas si longtemps, Toyota avait exprimé un certain scepticisme avec les batteries au lithium et le véhicule électrique. Regardez cette photo d’une présentation de Toyota. La technologie sur la partie gauche du graphique montre celle à faible densité énergétique, les batteries lithium-ion. « Les batteries lithium-ion seront probablement utilisées dans les véhicules, mais nous avons toujours des problèmes, » déclarait Masatami Takimoto, qui coordonne la technologie chez Toyota, en montrant cette image. « Nous devons considérer que l’électricité et les pile à combustible seront nécessaires. »

Il y a cinq ans, les biocarburants semblaient représenter une alternative plus réaliste. Les journaux faisaient leur une de ces gens qui remplissaient leur réservoir d’huile de friture. Aujourd’hui, le consommateur est tombé sous le charme de l’électrique et les fabricants de biocarburant parlent plus de fournir aviation et poids lourds. Le vent a tourné, pour autant les batteries n’ont pas fait de progrès étourdissants en si peu de temps. Il faut à peu près dix ans pour doubler les performances des batteries. Cette image de Toyota semblait donner l’avantage aux piles à combustible. Elle date de l’automne 2008, il y a environ un an et demi.

Tesla va-t-elle réussir? peut-être pas. Mais la start-up a déjà eu un impact historique et a convaincu une industrie toute entière de changer de vitesse. Et elle l’a fait en jouant des égos, de la peur et de l’intérêt.

L’innovation en Suisse

Le 26 mai dernier aura été une journée consacrée à l’innovation par la radio-télévision suisse romande. Vous pourrez en visualiser le contenu. Entre autres, l’émission de débat infrarouge aura donné lieu à un échange intéressant pour ceux qui veulent découvrir le sujet.

Pour ajouter à tout cela, voici une magnifique citation de Daniel Borel, fondateur de logitech, qui participait à cette discussion, et qui, je crois, confirme toute les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

« La seule réponse que je puisse avancer c’est la différence culturelle entre les Etats-Unis et la Suisse. Lorsque nous avons créé Logitech, en tant qu’entrepreneurs suisses, nous avons dû jouer très tôt la carte de l’internationalisation. La technologie était suisse, mais les Etats-Unis, et plus tard le monde, ont défini notre marché, alors que la production est vite devenue asiatique. Je m’en voudrais de faire un schéma définitif parce que je pense que beaucoup de choses évoluent et que beaucoup de choses bien se font en Suisse. Mais il me semble qu’aux Etats-Unis, les gens sont davantage ouverts. Lorsque vous obtenez les fonds de Venture capitalists, automatiquement vous acceptez un actionnaire extérieur qui va vous aider à diriger votre société, et peut-être vous mettre à la porte. En Suisse, cette vision est assez peu acceptée: on préfère un petit gâteau que l’on contrôle complètement qu’un gros gâteau que l’on contrôle seulement à 10% ce qui peut être un facteur limitatif. »

(Extrait d’une interview donnée au magazine Trajectoire et publiée le 16 novembre 2009)