Lorsque j’ai publié le livre qui est la «raison d’être» de ce blog, j’avais brièvement analysé les corrélations entre le niveau du capital-risque aux USA, l’indice Nasdaq et leurs relations aux «crises». Chaque haut et bas des courbes pourraient être facilement expliqué. Je viens de mettre les courbes à jour aujourd’hui avec l’idée de les revoir quand nous serons sortis de la crise du Covid19. Commentaires bienvenus!
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La Technologie, notre salut
« Notre élite technocratique nous a dit de nous attendre à un avenir toujours plus riche et la science n’a pas tenu ses promesses. A l’exception des ordinateurs et de l’Internet, l’idée que nous vivions un progrès technique fulgurant est un mythe. »
Ainsi parle Peter Thiel dans une interview au Wall Street Journal que j’ai lu lors de mon voyage à la découverte de l’écosystème high-tech finlandais (j’y reviendrai à mon retour). J’ignorais que Peter Thiel était né en Allemagne, voici donc encore un de ses migrants européens de la Silicon Valley.
« Personne ne veut croire que la technologie a un problème… La pharma, la robotique, l’intelligence artificielle, les nanotechnologies – tous ces domaines où les progrès ont été moindres qu’imaginés. Et la question est pourquoi. » […] L’innovation dit-il vient d’une culture de la « frontière », une culture de « l’exceptionnalisme » où l’on s’attend à des choses exceptionnelles – dans notre monde, un attribut presque uniquement américain mais qui se perd. […] L’idée que la technologie a un problème est un tabou. Un vrai tabou.
Peter Thiel est un personnage intéressant, un caractère assez unique même pour l’Amérique. je ne suis pas sûr qu’il soit plutôt conservateur que libertarien comme T. J. Rodgers. Vous devriez lire l’interview dans son intégralité (et comme je ne suis pas sûr que le WSJ va l’offrir gratuitement pour encore un peu de temps, je l’ai copiée dans le post en anglais); lisez aussi les commentaires. La raison pour laquelle j’aime cet article est qu’il s’agit d’un sujet qui me préoccupe et que j’ai abordé dans mes posts sur la crise ainsi que sur un certain nombre de mes lectures sur la crise de la science comme celles de Smolin, ou encore Zuppiroli ou Ségalat.
A nouveau voici le lien pour l’article en anglais sur mon blog.
La Crise et le Modèle Américain
J’ai souvent des dialogues sur la crise. La crise. Mais crise de quoi? Cette crise financière, économique cache-t-elle autre chose? Une crise de civilisation? Mes collègues me reprochent souvent ma fascination pour le modèle américain qui est peut-être bien à l’origine de cette crise. Alors je vais essayer de contribuer très indirectement à la réflexion en commençant pas la crise de la Science. J’espère que vous allez me suivre!
En août 2008, j’écrivais un texte bref sur le sujet à travers le livre de Lee Smolin, Rien ne vas plus en physique. Je viens de lire récemment deux autres ouvrages dont les préoccupations sont proches. Laurent Ségalat a écrit La science à bout de souffle. Cliquez sur le lien qui précède et vous aurez un meilleur descriptif du livre que je ne pourrais le faire.
Libero Zuppiroli publie La bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain?. Il y montre un problème qui commence à se généraliser. Ces derniers jours l’intellectuel français Régis Debray sur France Inter ou le professeur de l’EPFL, Denis Duboule sur la RSR (il faut aller à 22mn15sec environ), se sont eux aussi exprimé l’un sur l’université de la performance et l’autre sur la fraude scientifique. Duboule comme Ségalat compare la pression sur les scientifiques à celle qui pousse les sportifs à se doper. Debray qualifie hier sur France Inter d’asphyxiante cette université de la performance devenue entreprise. Il y expliquait que copier l’Amérique protestante, mélange de temple et de supermarché où Dieu est sur les billets de banque dans une France catholique où l’argent est plus proche de l’enfer risque de faire disparaître le désintéressement, qualité par excellence du service public, de l’université et sans doute de notre culture. Il ajouta qu’une de ses amies, professeur de latin à la Sorbonne, est partie aux USA, faute de « clients en France », parce que « dans les universités américaines, on fait de plus en plus de latin et de grec ». Le constat est plus complexe car un de mes amis, spécialiste de Beaudelaire et professeur aux USA, ne serait pas convaincu que la nouvelle Athènes que serait le nouveau monde est aussi reluisante, quant à la culture classique. Comme quoi, l’enthousiasme réel que j’ai pour certains aspects des USA n’empêche pas (et ne doit pas empêcher) l’esprit critique.
Zuppiroli termine son livre par une postface dont j’extrais un passage:
« La servitude volontaire des masses est encore aujourd’hui le plus grand danger qui guette nos sociétés et menace la paix du monde. C’est le sentiment profond que le plus fort a toujours raison : son succès est la preuve qu’il n’y a pas d’autre choix que de suivre son exemple, car c’est là que se trouve l’espoir. Si les plus forts sont ouvertement injustes, le soutien qu’il convient malgré tout de continuer à leur apporter est ressenti comme une fatalité à laquelle on ne peut échapper.
En principe c’est aux dangers de la servitude volontaire que la culture universitaire, que le travail de pensée devraient permettre de résister pour proposer des solutions nouvelles. »
Je vais sauter du coq à l’âne, ou plutôt au chat… allez voir Les chats persans de toute urgence. La servitude n’y est pas volontaire, dictature obligeant. Mais dans une interview à la revue Positif, le réalisateur Bahman Ghobadi explique que son film l’a libéré. Il n’a plus peur. Et d’ajouter qu’à sa connaissance la censure ne tue plus les cinéastes ou le cinéma aux USA. Modèle pour les uns, repoussoir pour les autres. Cliquez sur ce qui suit pour un intermède musical.
Je vais revenir au point de départ, le coq. Un peu d’égo donc! Je citais Wilhelm Reich en conclusion de mon livre. « Écoute, Petit Homme » est un magnifique essai, petit par la taille, grand par l’inspiration. « Je vais te dire quelque chose, petit homme : tu as perdu le sens de ce qu’il y a de meilleur en toi. Tu l’as étranglé. Tu l’assassines partout où tu le trouves dans les autres, dans tes enfants, dans ta femme, dans ton mari, dans ton père et dans ta mère. Tu es petit et tu veux rester petit. » Le petit homme, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Le petit homme a peur, il ne rêve que de normalité, il est en nous tous. Le refuge vers l’autorité nous rend aveugle à notre liberté. Rien ne s’obtient sans effort, sans risque, sans échec parfois. « Tu cherches le bonheur, mais tu préfères la sécurité, même au prix de ta colonne vertébrale, même au prix de ta vie. »
Il me semble que nous avons une crise profonde du collectif et de l’individuel. Comment laisser s’exprimer l’ambition individuelle s’exprimer en enrichissant le collectif. Paradoxalement, le collectif en croyant favoriser l’individuel l’a emprisonné, l’a censuré et le pousse à l’autocensure ou à la fraude. »
La réponse à la crise est difficile. On la trouve en partie chez Zuppiroli. Une utopie universitaire basée sur la créativité et sur l’enseignement, outil de transmission et d’échange. La créativité, l’inventivité et aussi (ou en conséquence?) l’innovation sont, je crois, en crise profonde. Elles sont étouffées par une culture du résultat et de la performance. J’écoutai ce matin un autre point de vue dans le Café philo de la RSR. Rétablir la confiance. La confiance en soi (l’individu) et la confiance réciproque en les autres (le collectif) qui permet respect, transmission et sans doute rapprochement de la tradition et de la nouveauté. « La confiance en soi individuelle peut faire tache d’huile sur le plan collectif ». Il y faudra aussi un esprit critique qui libère de notre servitude et une profonde discussion de nos modèles .
Si vous m’avez suivi jusque là, merci! J’y ai mis beaucoup de conviction. Réagissez, réagissez s’il vous plait.
Les Bons Vieux Jours
Deux articles on attiré mon attention ces derniers jours. L’un est intitulé Frank Quattrone, Star Banker of Technology Ventures, Talks Wistfully of the Good Old Days—Before Netscape’s IPO.
L’autre est moins nostalgique et je vous passe la traduction du titre du site, que je trouve amusante: You’re in Deep Chip Now.
En voici le contenu:
Je ne vais pas commenter cette info, mais je reviens brièvement sur Quattrone. Quattrone était une des stars du monde des IPOs comme vous pourrez le lire sur ce post de Xconomy. Ce qui est frappant est que depuis 8 ans, depuis l’éclatement de la bulle internet, il y a (beaucoup) moins de capital-risque et d’IPOs. Les causes en sont multiples. Mais la question principale est pour moi la suivante: faisons-nous face à une crise majeure de l’innovation? Les années 60 avaient donné le transistor et l’industrie du semiconducteur date de ces années-là, puis vint l’ordinateur dans les années 70, le PC dans les années 80, puis l’Internet et les communications mobiles dans les années 90. Mais que nous ont donné les années 2000? Sans parler de la décennie à venir… je n’ai pas de réponse. Et vous?
Entrepreneuriat en temps de crise et de récession.
La crise a-t-elle a un effet sur l’entrepreneuriat. C’est la question que m’a posée Manuela Salvi lors du journal de la Radio Suisse Romande (RSR) aujourd’hui. Vous pouvez retrouver ma réponse sur le document
audio en cliquant ici.
Voici ma réponse développée plus en détail: la réalité est complexe et il ne semble pas y avoir tant d’études que cela sur le sujet. La fondation Kauffman a cependant publié en décembre dernier une étude fort intéressante sur le sujet: Entrepreneurs and Recessions: Do Downturns Matter?
L’analyse couvre 8464 entrées en bourse entre 1975 et 2006, de sociétés créées entre 1831 et 2006. Les auteurs recensent 9 crises sur cette période: 1907–1908, 1918–1921, 1929–1939, 1953–1954, 1957–1958, 1973–1975, 1980–1982, 1990–1991, et 2001–2003. Le graphe suivant ne semble pas montrer de différences notables. La second guerre mondiale a un impact. Plus inquiétante est sans aucun doute la chute récente. Mais il peut tout simplement être trop tôt pour juger.
Dans une autre étude intitulée Economic Crisis Survey, la fondation Kauffman indique que 71% des Américains pensent « que la crise rend plus difficile la création d’entreprises ». Pourtant les anecdotes qui indiquent le contraire sont nombreuses: Texas Instruments, Revlon pendant la Grande Dépression, Microsoft, Apple pendant la crise du pétrole furent de tels succès. Sans parler de création d’entreprises, le lancement des Pampers en 1961 et de l’iPod en 2001 sont une autre illustration que les périodes de crise n’empêchent pas l’innovation.
Sans traduire, je vous fournis un extrait de la première étude:
« At a high level we essentially are concerned with the relationship between the supply of companies (“births”) by founding period, and the outcome achieved by those date-based founding cohorts over time. To deal with this supply aspect, a few broad points can be made. The first is what we might call the scarcity argument. It says that fewer companies are founded during difficult economic times, so we can expect disproportionately fewer successful companies to emerge from that economically constrained population. Why might we expect fewer companies founded during recessions, for example?
There are several reasons. First, entrepreneurs might decide to delay creating companies until the economy into which they anticipate selling products or services is more robust. This argument applies most strongly to entrepreneurs in service industries where there is little lag time from company founding until first product/service sale. If there is a longer lag between company founding and product launch, we might not expect entrepreneurs, all else being equal, to hesitate as much in starting their new ventures. Why? Because first revenues might be anticipated to more likely coincide with a resurgent economy.
There are other reasons to expect fewer companies to be founded during economic downturns. One has to do with entrepreneurs’ unwillingness to leave their current places of employment during a weak economy. Another, and perhaps more compelling, obstacle to company founding in weak economic periods might be the limited availability of risk capital during such periods. To the extent that it is difficult to raise money for a new entrepreneurial venture, we might expect fewer companies founded during such periods.
The preceding touches mostly on supply issues—why we might (or might not) expect more companies to be founded during weaker economic periods. There also is a demand issue. Even if similar numbers of companies are founded, it is plausible that more of these companies do not achieve material financial success due to the poor economy at founding, thus leading to poorer longer-term outcomes for cohorts of companies founded during weak economic periods.
In summary, we can plausibly make three broad points. First, it is reasonable to expect that fewer companies will be founded during weak economic periods. Second, companies founded during those periods might be expected to fail at higher rates than companies founded during more economically receptive periods. Third, the combination of lower birth rates and higher failure rates would conspire to deplete company cohorts founded during recessionary periods. »
Il y a donc bien un paradoxe, puisque les succès semblent équivalents. Voici donc pour terminer sans concuure, quelques arguments tirés du blog envie d’entreprendre qui expliquent pourquoi un entrepreneur aurait plus de chances de succès en temps de crise:
« Puisque les financements sont plus difficiles à obtenir, ceux qui savent opérer de façon très low cost, frugales, ont un edge évident. Et comme beaucoup de gens sont attentistes, voire carrément « frozen », prenant la crise comme excuse pour ne rien faire, ou ne peuvent pas démarrer faute de financement, il y a objectivement moins de concurrence sur la place. Effet d’une concurrence moindre également, le marché de l’emploi est bien moins tendu [et donc plus de talents sont disponibles]. A ce sujet, le fait de se retrouver parfois « out » pour une raison ou une autre, peut justement donner le coup de pouce pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale. »
J’aime bien ces éléments,
– moins de concurrence
– plus de talents disponibles
– une meilleure efficacité due à plus de frugalité.
Les périodes de crise semblent donc créer des opportunités, mais il n’en reste pas moins vrais que les entrepreneurs essaieront toujours, quelque soit la dureté des temps.