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The Microchip Revolution (annexe) – Intersil

Comme je l’avais mentionné dans mon post précédent, je désespérais de trouver une information précise sur Intersil qui me permettrait d’illustrer son actionnariat lors de l’entrée en bourse.

Vous pouvez passer cette narration très anecdotique qui est sans doute avant tout une archive pour moi, mais qui montre aussi qu’il faut toujours persévérer. Sachez que chaque pays a un registre des entreprises, plus ou moins riche en information, parfois payante, parfois gratuite. Aux USA, la Security and Exchange Commission (SEC – www.sec.gov) donne accès à tous les documents sur les entreprises publiques (c’est-à-dire cotées en bourse). Par opposition, les entreprises privées (non cotées en bourse) ne sont pas obligées de publier la moindre information, notamment financière. (Et j’ajoute que le Private Equity – dont fait partie le capital risque – ne finance que des entreprises privées, i. e. non cotées).

La SEC fournit un service – EDGAR – gratuit pour tous les documents publiés jusqu’au milieu des années 90, 1996 pour être précis, je crois. La SEC vendait les documents antérieurs à 1996 pour environ $40-60 puis a confié quelques années plus tard le service à Thomson Reuters (puis Refinitiv) – privatisation des « services publics » et le prix est monté à $80 puis $120-140 par document…

Le 4 octobre j’ai contacté Thomson Reuters en leur demandant les prospectus d’IPO d’IDT, Lam Research et Intersil.

Si j’ai obtenu les informations sur les deux premiers quasi- immédiatement, je n’ai obtenu que le 7 octobre par contre pour Intersil une question pour réponse qui me demandait de choisir un document dans le tableau suivant :

La question était déstabilisante car Intersil n’est pas Harris et je voulais un document en date de 1972. Il ne devait pas exister de documents antérieurs. Intersil a été fondée en 1967, est entrée en bourse en 1972 puis a été rachetée selon certaines sources en 1981 par General Electric (GE) et en 1988 par Harris (voilà!) qui a combiné Intersil avec des unités de RCA et de GE. En 1999, Harris fit d’Intersil une spin-off qui fut à nouveau mise en bourse en 2000… En 2017, l’entreprise japonaise Renesas a racheté Intersil.

En expliquant à la SEC cette situation, une seconde recherche les a conduit à me proposer ces documents :

L’achat de 2 documents à ce prix m’a fait hésiter. J’avais donc besoin de plus d’informations. J’ai contacté des individus:
– Christophe Lecuyer, auteur de Making Silicon Valley, Innovation and the Growth of High Tech, 1930-1970
– David Fullagar, anciennement chez Intersil,
– Michelle Lowry de l’Université Drexel,
– Josh Lerner et Paul Gompers de l’Université Harvard,
– Jay Ritter de l’Université de Floride,
ainsi que les institutions:
– Le Computer History Museum de San Jose, Californie
– Les bibliothèques de l’Université de Stanford, de l’Université de Harvard
– Le service WRDS de Wharton (Wharton Research Data Services), l’école de commerce de l’université de Pennsylvanie.

La plupart ont répondu même s’ils n’avaient aucune information. C’est la culture américaine: les gens essaient d’aider, souvent en donnant de nouveaux noms ou pistes. Je dois en particulier remercier Jay Ritter qui a répondu immédiatement: « Mes archives indiquent que l’action d’Intersil a été cotée le 20 janvier 1972 à $14 l’action. La première clôture du marché semble avoir été de $12. Mais j’ai moins d’informations sur cette société que la plupart des introductions en bourse de 1972. » puis plus tard « Dans un autre fichier, j’ai découvert que le symbole ISIL, coté sur le Nasdaq, pouvait être une spin-off de General Electric, mais qu’elle était financé par du capital-risque avec Diebold Venture Capital Corp., RCA Corp., Sutter Hill Ventures, Bessemer Venture Partners, Mayfield II, Citicorp Venture Capital et Small Business Enterprises (Bank America) en tant qu’investisseurs, Bache était le principal souscripteur et a vendu 360 000 actions à 14 dollars par action (352 000 nouvellement émises, dont 8 000 par des actionnaires vendeurs). »

Fait intéressant, il existe des informations mélangeant 2 introductions en bourse différentes pour ne pas dire 2 entreprises différentes. Mais j’avais ma date ! Le 20 janvier 1972.

Le 11 octobre, j’ai pu recontacter Refinitiv et mon contact a répondu « Veuillez prévoir au moins 2 à 3 heures pour le processus ». Le lendemain, « ils doivent scanner la microfiche pour le document d’Intersil. [Mais] il semble qu’ils ont du mal à le trouver. » Et le lendemain, je l’avais enfin, ce qui a rendu possible la table suivante:

Souvenez-vous que Bauer et Wilder ont dédié leur livre à Jean Hoerni: « Ce livre est dédié à Jean Hoerni, l’inventeur du processus planaire; sans lequel rien de tout cela n’aurait été possible. » Hoerni est devenu un entrepreneur et détenait environ un quart d’Intersil IPO . C’est rare et énorme pour un fondateur. Vous ne connaissez sans doute pas les investisseurs, c’était les années 60. Mais Arthur Rock est une légende (un investisseur dans Intel, Apple – voir mon prochain article!) Et Fred Adler est également célèbre, bien que dans une moindre mesure. C’était le début des startups et du capital-risque, mais fondamentalement, tout fut inventé à cette époque et les règles sont à peu près les mêmes aujourd’hui.

The Microchip Revolution (épisode 3) : la maturité

Vous trouverez l’épisode 1 ici et l’épisode 2 . Si les années 60 correspondent aux premiers jours des semiconducteurs qui se sont terminés avec la crise pétrolière en 73, la maturité est venue dans les années 80 avec une seconde crise venue de la concurrence japonaise.

Il y avait encore beaucoup d’incertitude comme le montrent les auteurs dans les chapitres consacrés à Cypress, IDT, Micron. Par exemple :

Un autre exemple de l’incertitude au sujet de quelle technologie était supérieure pour les produits de mémoire à l’époque est celui de 1986, lorsque j’étais fondateur d’une start-up de semi-conducteurs avec un plan d’affaires basé sur la fabrication de produits RAM bipolaires. C’était Synergy Semiconductor. Nous avons été financés par deux sociétés de capital-risque de premier plan de Sand Hill Road, Sequoia Capital et Mayfield Funds. Même ces partenaires VC prétendument intelligents ne pouvaient pas prédire la supériorité de la technologie MOS dans le secteur des puces mémoire. Rodgers et Cypress ont fait le bon pari sur CMOS. Il est également intéressant de noter que Sequoia Capital avait investi dans Synergy avec la technologie bipolaire et Cypress avec la technologie CMOS, couvrant ainsi leurs paris. (Synergy n’est jamais devenu public, a lutté pendant 10 ans et a finalement été racheté par Micrel.)

Intel ne pensait pas avoir besoin de CMOS pour ses produits de mémoire ou de processeur pendant des années. Ils savaient que CMOS était un processus plus complexe, et donc plus coûteux, et ils ne faisaient pas encore face aux limitations de haute puissance de leur processus. Intel n’est passé au CMOS pour les produits de mémoire qu’en 1986. [Page 260]

L’entrepreneuriat est la capacité de faire face à ces incertitudes et aussi d’agir en prenant des risques :

Je savais déjà que [Rodgers] était un gars spécial, très intelligent, en grande forme, qui courait tous les jours et probablement un preneur de risque, mais là c’était fou [plonger dans un endroit dangereux à Hawaï]. Et si le moment était mal choisi et qu’il était aspiré dans le tube ? Comment vais-je obtenir de l’aide, c’est une marche de 15 minutes sur la lave. Mais il l’a fait. Et puis il a sauté. Et il l’a fait deux fois ! Cet événement définit Rodgers. Il est sûr de lui, voire égoïste, mais capable de soutenir ses décisions par des actions et prêt à prendre des risques même si les paramètres ne sont pas totalement connus. Peu de temps après l’escapade de saut de lave, il a quitté AMD et a lancé Cypress Semiconductors. [Page 252]

Alors qu’il était encore chez AMD, [Rodgers] a reçu un appel d’un capital-risqueur qui vérifiait les références d’un dirigeant et d’un inventeur de Fairchild et qui essayait également de lever des fonds pour démarrer une nouvelle entreprise. Cela a fait réfléchir Rodgers : « Si ce type peut lever des fonds et lancer une nouvelle entreprise, pourquoi ne puis-je pas le faire? » Et il a commencé à explorer la possibilité de faire exactement cela. [Page 253]

Cela me rappelle l’une de mes citations préférées sur l’entrepreneuriat, de Tom Perkins, le célèbre P du KPCB (Kleiner, Perkins, Caufield & Byers) : La différence est une question de psychologie: tout le monde dans la Silicon Valley connaît quelqu’un qui réussit très bien dans les petites entreprises de haute technologie, les start-ups; alors ils se disent: « Je suis plus intelligent que Joe. S’il a pu gagner des millions, je peux gagner un milliard ». Alors ils le font et ils pensent qu’ils réussiront et en pensant qu’ils peuvent réussir, ils ont une bonne chance de réussir. Cette psychologie n’existe pas tellement ailleurs.

The Microchip Revolution par Bauer et Wilder (épisode 1)

J’ai ressenti un peu de nostalgie lorsque j’ai reçu l’e-mail suivant: “L’idée de faire un livre sur le démarrage des semi-conducteurs me taquinait depuis un moment, j’ai finalement trouvé un copain de longue date qui a été d’accord de faire ce livre avec mois ces 2 dernières années. On a été beaucoup aidé dans cette mission par le Computer History Museum (CHM) de Mountain View, CA. Le livre se concentre sur la période entre la fin des années 50 jusqu’à la fin des années 90, sur l’histoire du développement des processus industriels MOS et CMOS principalement mais pas seulement du point de vue des chefs, mais aussi des travailleurs des fab et des managers de fab que nous étions à ce moment. On décrit le développement de 9 compagnies que nous connaissions bien et qui avaient développé des technologies originales: Fairchild, Hughes, Intersil, Eurosil, Intel, AMD, IDT, Cypress, et Micron. Le titre est The Microchip Revolution – A Brief History.”

J’ai rencontré Luc Bauer au début des années 2000 lors d’un investissement dans une startup dans laquelle il était un business angel et un mentor. Je me souviens comment il m’a fait la leçon en disant que Kleiner Perkins était beaucoup plus professionnel que nous ! Luc est un gentleman, ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut pas être dur quand il est frustré ; quand les gens ont travaillé dur dans la Silicon Valley comme lui, ils peuvent être vraiment durs ! Mais nous sommes restés en contact et j’étais si heureux de commencer à lire son livre il y a quelques jours.

SiliconValleyGenealogy-All

Ceci est un poster de la « Silicon Valley Genealogy » des startups dans le semi-conducteur du milieu des années 50 au milieu des années 80. C’est ce que Luc décrit à travers 9 entreprises dont je suis sûr qu’elles figurent sur cette affiche. Au fait, Luc est là aussi.

Son livre commence par Fairchild et les huit traîtres et cela se comprend aisément car Fairchild est à l’origine de la généalogie. D’ailleurs, le livre est dédié à l’un des huit traîtres, Jean Hoerni, un ressortissant suisse et l’une des rares personnes dont j’ai entendu parler avec 2 doctorats. Luc a la même double culture et double formation (Diplômé de l’EPFL Lausanne et puis de Caltech)

Voici donc quelques extraits: « Une bonne partie de notre motivation [pour écrire le livre] était de revivre l’intensité de nos vies lorsque nous avons débuté dans cette industrie : les heures interminables et stressantes à la recherche des facteurs de diminution des rendements, la grande excitation et des cris de joie lorsque vous voyez un tout nouveau produit de circuit intégré prendre vie et fonctionner parfaitement lorsque la tranche traitée « à chaud hors du four » est placée pour la première fois sur la sonde de test électrique. Un autre grand facteur de motivation pour nous était de propager une histoire importante aux jeunes générations, à savoir que travailler dans les domaines de la haute technologie est difficile et épuisant, mais aussi une source de joie et de fierté car il est facile de voir l’impact de votre travail acharné sur l’entreprise pour laquelle vous travaillez et éventuellement sur le monde dans lequel vous vivez. »

Permettez-moi de redire ceci, en gras cette fois: Un autre grand facteur de motivation pour nous était de propager une histoire importante aux jeunes générations, à savoir que travailler dans les domaines de la haute technologie est difficile et épuisant, mais aussi une source de joie et de fierté car il est facile de voir l’impact de votre travail acharné sur l’entreprise pour laquelle vous travaillez pour et éventuellement sur le monde dans lequel vous vivez.

Plus à venir j’en suis sûr!