Archives mensuelles : août 2012

Le Cygne Noir, suite et fin?

Comme suite aux « posts » sur le Cygne Noir, le « Black Swan » de Nassim Nicholas Taleb, j’ai eu la chance d’expliquer comment je comprenais ce phénomène dans l’émission Babylone de la station Espace 2 sur la Radio Télévision Suisse Romande. Merci à Jean-Marc Falcombello pour ce long entretien. Cela dure 19 minutes entre les minutes 23:15 et 42:00.

je suis moins sûr que le lien suivant fonctionne: http://www.rts.ch/espace-2/programmes/babylone/4203353-moi-je-ne-bluffe-pas-l-insoutenable-legerete-de-l-incertitude-30-08-2012.html?f=player/popup

L’innovation en Suisse d’après Neil Rimer

«Il y a de l’innovation en Suisse, mais peu d’entrepreneurs prêts à conquérir le monde» Voici ce que déclare Neil Rimer aujourd’hui au Journal Le Temps. L’article est parfois payant, cliquer ici.


Neil Rimer, associé et fondateur d’Index Ventures. (Véronique Botteron)

Et d’ajouter: « Pour attirer […], il faut une masse critique de start-up afin qu’il y ait d’autres options envisageables en cas d’échec. […] La Suisse et ses cantons cherchent à attirer des entreprises traditionnelles ou les centres administratifs de grandes sociétés. […] Mon grand souhait serait que les autorités encouragent la création de postes d’ingénieurs, de designers, de marqueteurs et de managers. C’est ainsi que nous attirerons une masse critique de professionnels capables de créer et de faire grandir les start-up en Suisse. »

Le constat ne se limite pas à la Suisse, l’Europe souffre d’un certain soutien à ce qui est établi. Mais il faut croire que le problème est de mieux en mieux compris. Les nouveaux entrepreneurs et investisseurs semblent d’accord et les politiques les écoutent…

La propriété intellectuelle à bout de souffle ?

Voici ma deuxième contribution à Entreprise Romande après un article sur la difficulté à innover.

Droits d’auteurs, brevets, marques. Jamais la propriété intellectuelle («PI») n’a fait autant parler d’elle, mais serait-elle victime de son succès ? Elle devient en effet l’outil quasi-exclusif des puissants et pire, elle est peut-être un frein à l’innovation qu’elle est censée encourager.

En juillet 2011, un consortium réunissant Apple, Microsoft, Sony rachetait 6 000 brevets du défunt Nortel pour $4.5 milliards, En août 2011, Google répliquait en rachetant les brevets de Motorola Mobile pour $12,5 milliards. Enfin en septembre 2011, les Etats-Unis annonçaient une réforme majeure de leur loi sur les brevets, l’America Invents Act. Ces trois événements en un seul été viennent confirmer la place de plus en plus prépondérante de la PI dans le monde des affaires. Pourtant je crois qu’il s’agit plutôt de mauvaises nouvelles!

Nouveaux privilèges

Si un dépôt de brevet ne coûte que quelques centaines de dollars et quelques dizaines de milliers à maintenir sur 20 ans, en garantir la protection en cas de litige juridique se comptera en millions de dédommagements et frais d’avocats. Toute entreprise aux reins fragiles pourra être morte bien avant d’obtenir réparation ou de prouver son innocence. Malheur aux faibles ! Les grandes entreprises ne sont pas les seules à l’avoir compris, puisque sont apparues depuis quelques années des sociétés spécialisées dans la valorisation de portefeuilles de PI («patent trolls») sans la moindre ambition de vendre des produits ou services autour de celle-ci. Et les européens ne doivent pas croire que le problème n’est qu’américain comme l’illustre la récente bataille entre Nokia et l’Allemand IPCom.

On est loin de l’origine des brevets et du droit d’auteur consolidés par les révolutions de la fin du XVIIIème siècle. Il était question de mettre fin au monopole du corporatisme et de soutenir inventeurs et créateurs. Loin de moi l’idée de pousser à la disparition de la propriété intellectuelle. Je ne citerai que l’exemple du laser dont la saga des brevets a au moins permis un magnifique livre, plus proche du thriller que de la physique ardue d’où il est né, Laser: The Inventor, the Nobel Laureate, and the Thirty-year Patent War. Mais je ne suis plus du tout convaincu que la PI pourrait aujourd’hui permettre ce qui avait été possible il y a presque 50 ans avec le laser. Et déjà au XIXème siècle, des mouvements abolitionnistes étaient apparus, conscients des limites d’un système instaurant de nouveaux privilèges.

Freins

L’autre débat autour de la PI est parfaitement résumé par un récent article de la ParisTech Review : « les brevets freinent-ils l’innovation ? » L’histoire est-elle aussi ancienne : Boldrin et ses co-auteurs [1] affirment que les développements de la machine à vapeur ont été freinés par des brevets déposés en 1769. Sait-on que le microprocesseur d’Intel ne fut jamais protégé, ni même bien sûr l’Internet ; et c’est plus ou moins contraint que Bell Labs accorda des licences sur le transistor, événement qui est peut-être à la naissance de culture de la Silicon Valley : « Dans les années 70 et 80, de nombreux ingénieurs de chez Fairchild, National et autres se rencontraient autour d’une bière pour parler des problèmes qu’ils rencontraient dans la production ou la vente de semi-conducteurs. Le Wagon Wheel Bar était un lieu de rencontres où même les concurrents les plus vifs échangeaient des idées. » Ayant récemment visité LinkedIn, j’y ai entendu des ingénieurs raconter comment ils résolvent certains problèmes avec leurs collègues chez Facebook. Discuter avec Apple ou Google semble beaucoup plus difficile.

La propriété intellectuelle n’est pas la réponse à tout et dans son évolution actuelle, elle pose plus de nouveaux problèmes qu’elle n’en résout. La réforme des brevets américains suscite déjà maintes critiques. Quant à l’Europe, elle semble bloquée dans ses égoïsmes nationaux puisqu’il n’existe pas de brevet européen et son refus des brevets sur le logiciel ou les modèles d’affaire ne lui donnent pas le moindre avantage. Dans un monde dématérialisé et globalisé, la PI doit protéger le créatif, pour mieux permettre la diffusion des idées et des techniques. Le mouvement « open source » dans le logiciel et les récentes expériences de diffusion d’œuvres artistiques exclusivement sur Internet montrent que de nouvelles approches sont possibles sans tuer ni les affaires, ni l’innovation. Mais il semble que les craintes des acteurs établis l’emportent sur la passion et la prise de risque des créateurs.

-[1] Do Patents Encourage or Hinder Innovation? The Case of the Steam Engine. Patent Law Is Highly Controversial. Michele Boldrin, David K. Levine, and Alessandro Nuvolari.
Laser: The Inventor, the Nobel Laureate, and the Thirty-year Patent War. Taylor, Nick (2000). New York: Simon & Schuster
Les brevets freinent-ils l’innovation ? Paristech Review, septembre 2011

PS: Au moment d’écrire ce texte, je n’avais pas encore pris la mesure de la guerre Apple-Samsung

Les bricolages de Robert Noyce

Je ne vais pas développer cet article mais vous renvoyer à la version anglaise. Un article passionnant écrit pat Tom Wolfe en 1983 sur Bob Noyce: The Tinkerings of Robert Noyce.
https://www.startup-book.com/2012/08/21/the-tinkerings-of-robert-noyce/

Parrot et Henri Seydoux, une success story française

C’est en découvrant l’investissement de Parrot dans deux start-up de l’EPFL, senseFly et Pix4D, que je me suis souvenu de cette start-up dont j’ignorais les succès récents. Je suis parfois bien déconnecté! J’avais en effet rencontré Henri Seydoux son fondateur à l’une de ses conférences de start-up en vogue à la fin des années 90. La start-up avait déjà reçu le soutien de Sofinnova, mais elle avait moins de 5 ans et était loin des €250 millions de chiffre d’affaires réalisés en 2011 et des quelques 700 employés qu’elle a recruté depuis!

Comme à mon habitude, je n’ai pu m’empêcher d’aller chercher son document d’entrée en bourse, et aussi quelques documents plus anciens sur le registe du commerce français, ce qui m’a permis de construire la table de capitalisation qui suit.


(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Pour en savoir plus sur Parrot, la video qui suit est assez amusante…

Enfin, j’ai aussi voulu essayer d’en savoir plus sur Henri Seydoux, intrigué par un nom de famille assez célèbre en France… sans doute ce travail est plus proche de la presse people que de ce blog mais bon, je trouve la généalogie intéressante!


(Cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le statut de l’innovation

A mon retour de congé d’été, j’ai lu quelques courriers d’amis ou collègues, ayant tous en commun un point de vue sur de nouvelles (en fait d’anciennes) tendances de l’innovation. Merci à Jean-Jacques, Andrea, Will et Martin :-). Voici les quatre articles en question:
Les Misérables – Europe not only has a Euro crisis, it also has a growth crisis. That is because of its chronic failure to encourage ambitious entrepreneurs publié par the Economist (Juillet 2012).
Small is not beautiful publié par the Economist également (Mars 2012).
In bid for start-ups, venture capitalists elbow their way into the spotlight from the International Herald tribune, (non disponible en ligne).
In Silicon Valley, Chieftains Hold Sway With Few Checks and Balances publié par the New York Times (Juillet 2012)

Le second est probablement le plus facile à résumer. Le message est si important qu’il est bon de le marteler à nouveau: l’innovation n’est pas un problème de grandes entreprises ou de petites (les PMEs), mais de croissance rapide (les gazelles, les start-up). Et laissez-moi ajouter: il s’agit aussi d’une culture de l’essai et de la prise de risque. « Plutôt que de se concentrer sur la taille, les décideurs devraient examiner la croissance. » […] « Dans une économie en bonne santé, les entrepreneurs peuvent facilement créer des entreprises, les meilleurs se développent rapidement et les moins bons sont rapidement balayés. La taille n’a pas d’importance. La croissance compte. »

Le premier article est plus complexe à décrire et je n’ai vraiment aimé que la première moitié. La seconde moitié explique que l’Europe se débat en raison de mauvaises lois sur les faillites, de l’accès difficile au financement et d’une mauvaise législation sur le travail. Je ne suis pas certain que ce soient les causes de notre crise de l’innovation. J’ai préféré la première partie, comme par exemple: « la culture de l’Europe est profondément hostile aux entrepreneurs; vouloir croître une start-up en un géant est tout aussi contre-culturel que les piercings ou les arts du spectacle. » […] « Ils auront du mal à embaucher des professionnels pour aider leurs entreprises à grandir, parce que les cadres européens sont extrêmement frileux. Les jeunes entrepreneurs découvrent rapidement que les entreprises établies en Europe ont tendance à ne pas aimer travailler avec des entreprises minuscules. » Et en conséquence, « les géants sont tous vieillissants ».

« L’Europe a donné naissance à seulement 12 nouvelles grandes entreprises entre 1950 et 2007. L’Amérique du Nord en a produit 52 dans la même période (voir tableau ci-dessus). » […] « Beaucoup d’entrepreneurs en herbe quittent l’Europe tout simplement. Il y a environ 50’000 Allemands dans la Silicon Valley, et on estime qu’il y a 500 start-up avec les fondateurs français dans la baie de San Francisco. Une des choses qu’ils y trouvent est une tolérance l’échec. » La solution n’est pas simple, mais il y a de l’espoir: « Il existe des programmes pour rendre les universitaires moins réfractaires à l’entrepreneuriat et exposer les étudiants aux notions entrepreneuriales. »

This leaves the wunderkinder of the Internet free to run their companies without interference. The question is whether this is merely a bubble in corporate governance or a trend that will spread to the rest of corporate America. »

Les deux derniers articles sont sans doute moins importants, mais donnent de nouvelles tendances intéressantes dans la Silicon Valley. L’article suivant montre que les capital-risqueurs sont de plus en plus visibles (pour séduire les entrepreneurs) et surtout grâce à ou à cause au nouveau fonds Andreessen Horowitz. Mais il y a là aussi débat (et je suis d’accord avec le commentaire qui suit):  »Je ne comprends pas très bien la célébrité des capital-risqueurs. Nous devrions soutenir les acteurs. Les entrepreneurs font le travail et méritent le crédit. » Mais Andreessen ajoute un commentaire intéressant sur la dynamique du capital-risque:. « Chaque année, 15 start-up représentent 97 pour cent de tous les bénéfices de capital-risque. Pour réussir, ils devront poursuivre ces 15 sociétés. Et ils doivent se marketer de façon agressive auprès des journalistes et des blogueurs qui suivent les start-up. » Le dernier article se plaint du trop de pouvoir des fondateurs et managers face au conseil d’administration ou aux actionnaires ». […] « Depuis que Google est devenue publique en 2004 d’une manière qui a donné le contrôle à ses fondateurs, les dirigeants de la Silicon Valley ont été avares quant les droits de vote des actionnaires. » […] « Les conseils d’administration sont destinés à agir comme un contrôle sur les cadres, ou du moins à proposer leur expertise et leurs conseils aux décideurs. Dans la Vallée, cependant, l’idée du CEO visionnaire domine, et il y a peu de place pour les administrateurs. » […] « Donc, la nouvelle tendance dans la Silicon Valley semble être de gérer les entreprises cotées comme des entreprises non cotées sans un apport important du board et des actionnaires. Cela laisse les petits génies de l’Internet libres de gérer leurs entreprises à leur guise, sans ingérence. La question est de savoir si il s’agit simplement d’une bulle spéculative dans la gouvernance d’entreprise ou d’une tendance qui se propagera au reste de l’Amérique des entreprises.  »

Que vaut une start-up? ou l’entrée en bourse ratée de Facebook

Nouvelle chronique de la série « la start-up du mois » que j’écris pour l’EPFL

Lors de l’annonce de son entrée en bourse, en février dernier, tout le monde s’accordait à valoriser Facebook à près de 100 milliards de dollars. Aujourd’hui, Facebook a perdu 40% de sa valeur… Comme cela est-il possible?


Facebook a perdu plus de 40% de sa valeur

Facebook n’est malheureusement pas une start-up EPFL, mais la controverse autour de son entrée en bourse surévaluée me donne l’occasion de parler de la valeur des start-up, et en particulier celle de nos spin-off.

La valeur d’une entreprise n’est pas une mesure parfaitement scientifique, même s’il existe des techniques liées aux revenus et profits générés par la société – Logitech ou Swissquote, qui ont des liens historiques avec l’EPFL, sont mesurées de la même manière. C’est la loi de l’offre et de la demande qui prédomine : la valeur d’une société est le produit de son nombre d’actions par le prix par action. Les sociétés côtées sont otages des marchés et de leur humeur!

Quand les sociétés ne sont pas cotées, comme c’est le cas avec la majorité des start-up, on peut tout de même les valoriser. Le lecteur pourra approfondir le sujet en parcourant l’article «Répartition des actions dans les start-up » Quand les start-up EPFL telles que Eelcee, Abionic, Aleva ou Kandou (voir nos précédentes chroniques) ont récemment annoncé des levées de fonds, elles ont été valorisées par leurs investisseurs, même s’il n’y a pas de marché où acheter leurs actions. La Suisse nous donne toutefois quelques informations grâce à son registre du commerce dans lequel chaque start-up indique l’évolution de son nombre d’actions. Du coup, si vous connaissez le montant de l’argent levé, vous pouvez déduire le prix par action et donc la valeur de la société. Mais je ne ferai pas l’exercice, par respect pour la discrétion souhaitée par les entrepreneurs et les investisseurs… Dommage!

Il ne s’agit à nouveau que d’une valeur subjective dépendant de la bonne volonté des investisseurs. Facebook, tout comme Google il y a presque 10 ans, n’a pas tout à fait accepté les règles de Wall Street selon lesquelles une société acceptait d’être sous-évaluée lors de son entrée en bourse pour que le cours suive ensuite une courbe à la hausse. Ceci n’est que simple spéculation, et il faudra attendre quelques années avant de dire si l’IPO de Facebook fut ratée ou non.

Nos start-up ont un problème similaire. J’ai connu bon nombre d’entrepreneurs qui préféraient obtenir la meilleure valorisation possible quand ils levaient de l’argent. Ils oubliaient que la seule valeur est celle qui est créée sur la durée par leurs produits ou leurs services, et que la valeur d’une société est très volatile, comme l’a montré Facebook. Les entrepreneurs gardent une plus grande part de leur société, même s’ils semblent aussi ignorer le conseil de Daniel Borel, fondateur de Logitech: «On préfère un petit gâteau que l’on contrôle complètement qu’un gros gâteau que l’on contrôle seulement à 10% ce qui peut être un facteur limitatif.»

J’ai la conviction (bien que je me trompe souvent) que Zuckerberg marquera son époque comme Brin et Page. En Suisse, j’espère que nous verrons également bientôt une création de valeur locale similaire à celles de Daniel Borel, Mark Bürki ou Paolo Buzzi.

Références

L’entrée en bourse de Facebook

Les chiffres de Facebook aujourd’hui

Logitech

Swissquote:

Partage d’actions

Eelcee et les composites

Abionic – Deux millions levés pour l’appareil à détecter les allergies

Le registre du commerce suisse