Magnifique hommage de France Culture ce matin en l’honneur de Stefan Kudelski, inventeur du Nagra. Vous pouvez retrouver l’interview sonore à la fin de l’émission des Matins. Elle avait été faite en 1987 par Yann Paranthoën et s’intitulait: « On Nagra : Il Enregistrera… »
J’étais étudiant à l’Ecole Polytechnique de Lausanne, c’était dans les années 49, par là, 50, et un jour en visitant une usine, j’ai découvert tout d’un coup le monde des machines outil. Et je me suis dit, mais, non d’une pipe, il faudrait électroniser cela. Et l’idée m’est venue en somme de construire des robots. Soit des robots anthropomorphiques, soit des machine-outil commandées électroniquement. Mais, il y avait le problème de la mémoire. Il fallait apprendre à la machine à faire des opérations. Il fallait que la machine soit capable de les répéter. Or j’avais vu les premiers magnétophones ; je me suis dit utilisons la première bande magnétique pour mémoriser les ordres. Alors j’ai commencé par construire quelques magnétophones pour me faire la main, pour me familiariser avec cette technique et alors après, on avait fait un appareil à peu près convenable, c’était le Nagra 1, en fait. Parce que je n’avais pas le sou, voyez-vous. C’était un camarade d’école qui a fait les pièces mécaniques. Moi j’ai bricolé les pièces électroniques. Alors il fallait faire quand même quelque chose qu’on puisse vendre, pour pouvoir construire le suivant, etc. Autofinancé ! … On est allé trouver des fabricants de machine-outil, pour les convaincre un peu d’aller dans cette voie. C’était le niet absolu. Tandis que j’avais un camarade dont le père travaillait à Radio Genève. Ils ont vu les appareils et ont dit : « tiens, ça nous intéresse. » Et voilà le début. J’ai continué à faire mes études à l’Ecole et j’ai commencé à fabriquer ces appareils. Il est né dans une cave ou dans ma chambre d’étudiant en fait. A Lausanne ? Oui, c’était à Pully, la banlieue Est de Lausanne tandis que les pièces mécaniques étaient faites au grenier, chez un de mes camarades. – Et d’où vient son nom, le Nagra ? – Ah, ça c’est venu un peu plus tard. Mais enfin, il a fallu donner un nom, et je n’ai pas voulu mettre mon nom là-dessus car je me suis dit c’est une petite aventure sans lendemain. Alors j’ai trouvé un nom synthétique, qui semble vaguement avoir une étymologie slave, venant d’enregistrement, ce qui veut dire « il enregistrera » en polonais. Tout simplement. « On Nagra – Il Enregistrera »
Hommage de la RTS, Radio Télévision Suisse
Je ne peux pas m’empêcher de mentionner également un article de Libération, fidèle à son jeu sur les mots, Le Nagra bande encore. Notes plus personnelles pour finir: un de mes grands amis de Lycée avait un magnétophone, je crois que c’était un Nagra, c’était la classe à la fin des années 70; puis le premier entretien que j’ai donné à la radio fut enregistré sur un Nagra numérique…
Voici probablement un des articles que j’ai eu le plus de mal à écrire pour ce blog tant le sujet est passionant mais dur à résumer. Désolé si l’article vous semble mauvais. Mais vous pouvez toujours aller directement à la source! Taleb donne dans cette suite au Black Swan une analyse très intéressante de la façon dont le monde peut être moins exposé aux cygnes noirs, et non pas en devenant plus robuste seulement, mais en devenant « antifragile », c’est-à-dire en tirant bénéfice d’événements aléatoires. Ses vues sont liées aux tensions entre l’individu et les groupes, et comment les systèmes distribués sont plus robustes que les systèmes centralisés, comment les petites unités sont moins fragiles que les grosses. Cela ne signifie pas que Taleb soit contre les organisation ou les lois; un gouvernement trop peu interventionniste induit aussi des situations totalement désordonnées. Il s’agit selon lui de mettre le curseur au bon niveau. La Suisse représente pour Taleb une bonne illustration de l’organisation étatique idéale avec peu de gouvernement central et beaucoup de responsabilité locale. Il présente des analogies similaires pour le lieu de travail, où il explique que le travailleur indépendant, qui connaît bien son marché, est moins fragile face aux crises que les grandes entreprises et leurs salariés. Une façon de rendre les systèmes moins fragiles est de mettre un peu de bruit, un peu de hasard qui les stabilisent. Ceci est bien connu dans la science et dans les sciences sociales. Rappelez-vous juste d’Athènes qui parfois tirait au sort des nomination de certains de ses dirigeants pour éviter les excès!
Vous pouvez écouter Taleb ici:
Maintenant, permettez-moi de citer l’auteur. Il s’agit ici de notes plutôt rapidement (donc mal) traduites et pour des critiques construites, allez voir le site de l’auteur, www.fooledbyrandomness.com Premièrement Taleb est injuste, comme d’habitude, mais moins peut-être que dans le Black Swan. Voici un exemple: « Les universitaires (en particulier dans les sciences sociales) semblent se méfier les uns les autres, […] pour ne pas mentionner un niveau d’envie que je n’ai presque jamais vu dans les affaires … Mon expérience est que l’argent et les transactions purifient les relations ; les idées et les questions abstraites telles que la « reconnaissance » et « crédit » les déforment, créant une atmosphère de rivalité perpétuelle. J’ai grandi en voyant des gens avides de pouvoirs nauséabonds, répugnants, et indignes de confiance. » [Page 17] Taleb est juste sur l’envie et la rivalité, mais a tort de dire que c’est pire dans les milieux universitaires. Je pense que c’est universel! Dans la politique par exemple. Mais quand l’argent est disponible, peut-être la rivalité compte-t-elle moins que là où il y en a peu.
Maintenant un sujet proche de mon activité: « Ce message des anciens est beaucoup plus profond qu’il n’y paraît. Il contredit les méthodes modernes et les idées relatives à l’innovation et au progrès à plusieurs niveaux, car nous avons tendance à penser que l’innovation provient de financements bureaucratiques, grâce à une planification centralisée, ou en plaçant les gens dans un cours de la Harvard Business School donné par un professeur célèbre en Innovation et Entrepreneuriat (qui n’a jamais innové en quoi que ce soit) ou par l’embauche d’un consultant (qui n’a jamais innové en quoi que ce soit). C’est une escroquerie – notez la contribution disproportionnée des techniciens sans formation et des entrepreneurs dans les différentes révolutions technologiques, depuis la révolution industrielle jusque l’émergence de la Silicon Valley, et vous verrez ce que je veux dire. » [Page 42] [Taleb est à nouveau extrême et injuste, même s’il n’a pas entièrement tort]
« L’antifragilité de certains vient nécessairement au détriment de la fragilité des autres. Dans un système, les sacrifices de certaines unités – les unités ou les personnes fragiles – sont souvent nécessaires pour le bien-être des autres unités ou de l’ensemble. La fragilité de toutes les start-up est nécessaire pour que l’économie soit antifragile, et c’est ce qui fait, entre autres choses, la réussite de l’esprit d’entreprise: la fragilité des entrepreneurs individuels et leur taux de défaillances nécessairement élevé « . [Page 65] Ce qui m’a surpris, c’est que Taleb montre plus loin que cela est vrai aussi pour les restaurants (pas beaucoup de succès) que pour les start-up en haute technologie. Ce n’est donc pas à proprement parler une question d’incertitude des nouveaux marchés, mais d’incertitude en général.
Les mathématiques de la convexité
Je dois admettre Taleb n’est pas facile à lire. Non pas parce qu’il est complexe (parfois ses idées sont du pur bon sens), mais parce qu’il est dense, avec des idées très variées même si elles sont plutôt cohérentes. Le livre est divisé en 25 chapitres, mais aussi en 7 livres. En fait, Taleb insiste sur ce point, il aurait pu écrire 7 livres différents! Même ses mathématiques sont simples. Sa définition de la convexité est un peu étrange mais je l’ai trouvé intéressante (j’enseigne l’optimisation convexe, et vous l’ignorez sans doute, c’était le sujet de ma thèse de doctorat!). Un exemple de pensée abrupte mais finalement profonde: « La prise de décision est basée sur les gains, et non pas sur la connaissance. » [Page 337]
L’inégalité de Jensen est intéressante [Pages 342, 227 – Jensen était un mathématicien amateur !] – la transformation convexe d’une moyenne est inférieure ou égale à la moyenne après transformation convexe. Elle est majeure dans les raisonnements de Taleb. De même sa comparaison de l’individu (concave, nous mourons) et du collectif (convexe, antifragile, bénéficie des échecs individuels). Ainsi, la prise de risque est bonne pour la collectivité s’il y a des mécanismes d’assurance. La prise de risque + l’assurance face à la spéculation sans valeur ajoutée.
« Simplement, les faibles probabilités sont convexes aux erreurs de calcul. On a besoin d’un paramètre, appelé écart-type, mais l’incertitude sur l’écart-type a pour effet d’augmenter des faibles probabilités. Les probabilités de plus en plus petites nécessitent plus de précision dans les calculs. En fait, les faibles probabilités sont incalculables, même si nous avons le bon modèle – ce que bien sûr nous n’avons pas. » [Taleb oublie de mentionner Poincaré que pourtant il citait dans le Cygne Noir, mais peu importe. ]
Une tension visible entre les intérêts individuels et collectifs
Des citations à nouveau: « Ce que l’économie, en tant que collectif, veut [des diplômés d’école de commerce] faire est non pas de survivre, mais plutôt de prendre beaucoup, beaucoup de risques inconsidérés et être aveuglés par les chances. Les industries s’améliorent d’échec en échec. Les systèmes naturels et la nature ont besoin d’un excès de confiance de la part des agents économiques individuels, c’est à dire, une surestimation de leurs chances de succès et une sous-estimation des risques d’échec dans leurs entreprises, à condition que leurs défaillances n’aient pas d’impacts sur les autres. En d’autres termes, ils veulent l’excès de confiance local, mais pas global ». […] Autrement, une certaine prise de risque excessive, voire suicidaire, est bonne pour l’économie – à la condition que tous les gens ne prennent les mêmes risques et que ces risques restent faibles et localisés. Maintenant, en perturbant le modèle, comme nous le verrons, avec plans de sauvetage, les gouvernements favorisent généralement une certaine classe d’entreprises qui sont suffisamment grandes pour exiger d’être sauvegardées afin d’éviter la contagion à d’autres entreprises. Ceci est à l’opposé d’une bonne prise de risque, c’est le transfert de la fragilité du collectif à l’inapte. […] L’expression célèbre de Nietzsche « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » peut être facilement mise en œuvre dans le sens de la mithridatisation ou de l’Hormesis mais elle peut aussi signifier «ce qui ne me tue pas ne me rend plus fort, mais m’a épargné parce que je suis plus fort que d’autres, mais il en a tué d’autres et la moyenne de la population est maintenant plus forte, car les faibles ont disparu « . […] Cette tension visible entre les intérêts individuels et collectifs est nouvelle dans l’histoire. […] Certaines des idées sur la force et la sélection rendent mal à l’aise l’auteur que je suis, ce qui rend l’écriture de certaines parties plutôt douloureuse – je déteste la cruauté de la sélection, la déloyauté inexorable de Mère Nature. Je déteste la notion d’une amélioration qui nuit à d’autres. Comme humaniste, je suis contre l’antifragilité des systèmes au détriment des individus, car si vous suivez le raisonnement, cela fait de nous des êtres humains individuellement inutiles. » [Pages 75-77]
Une journée nationale de l’Entrepreneur
« Comparez les entrepreneurs aux gérants et aux comptables des sociétés qui grimpent les échelons de la hiérarchie avec presque jamais aucune prise de risque. Leur cohorte est rarement en danger. Mon rêve – la solution – est que nous aurions besoin d’une journée nationale de l’Entrepreneur, avec le message suivant: La plupart d’entre vous vont échouer, méprisés, appauvris, mais nous sommes reconnaissants pour les risques que vous prenez et les sacrifices que vous faites pour l’amour de la croissance économique de la planète et en tirant les autres hors de la pauvreté. Vous êtes la source de notre antifragilité. Notre nation vous remercie. » [Page 80]
Systèmes locaux distribués, hasard et modernité
« Vous n’avez jamais une crise des restaurants. Pourquoi? Parce que cette industrie est composée d’un grand nombre de concurrents indépendants et de petites unités qui ne sont pas individuellement une menace pour le système en le faisant sauter d’un état à un autre. L’aléatoire est distribué plutôt que concentré. » [Page 98]
« Ajouter un certain nombre de politiciens au hasard peut améliorer le fonctionnement du système parlementaire. » [Page 104]
« La modernité, c’est la domination à grande échelle de l’environnement par l’espère humaine, le lissage systématique des irrégularités du monde, et l’étouffement de la volatilité et les facteurs de stress. Nous entrons dans une phase de la modernité marquée par le lobbyiste, la société à responsabilité très, très limitée, le MBA, le profiteur, la sécularisation, le fisc, la peur du patron… » [Page 108]
« L’iatrogénèse signifie littéralement « provoqué par le guérisseur ». L’erreur médicale tue encore actuellement entre trois fois (comme acceptée par les médecins) et dix fois autant de personnes que les accidents de voiture aux États-Unis ; il est généralement admis que les dommages causés par les médecins – sans compter les risques des germes des hôpitaux – représentent plus de décès qu’aucun cancer. L’iatrogénèse est aggravée par le «problème de l’agent» qui apparaît lorsque l’une des parties (l’agent) a des intérêts personnels qui sont séparés de ceux qui reçoivent ses services (le mandant). Un problème d’agent est présent chez les l’agent de change et les médecins dont l’ultime intérêt est leur compte en banque, et non pas votre santé financière ou médicale. » [Pages 111-112]
Théories et intervention
« Les théories sont super fragiles en dehors de la physique. L’emploi même du mot «théorie» est troublant. En sciences sociales, nous devrions appeler ces constructions des «chimères» plutôt que des théories. [Vous comprenez maintenant pourquoi Taleb a beaucoup d’ennemis.] Une source principale de la crise économique a commencé en 2007 dans l’iatrogénèse des tentatives […] d’Alan Greenspan pour aplanir le cycle explosif qui a poussé à causé cacher des risques sous le tapis. La partie la plus déprimante de l’histoire ed Greenspan, c’est que l’homme était un libertaire et apparemment convaincu par l’idée de laisser les systèmes à eux-mêmes, les gens peuvent se leurrer eux-mêmes sans cesse. […] L’argument n’est pas encore une fois contre l’idée de l’intervention, en fait, je l’ai montré ci-dessus, je suis tout aussi préoccupé par la sous-intervention lorsque cela est vraiment nécessaire. […] Nous avons tendance à sous-estimer le rôle du hasard dans les affaires humaines. Nous devons éviter d’être aveugles à l’antifragilité naturelle des systèmes, leur capacité à prendre soin d’eux et combattre notre tendance à leur nuire et à les fragiliser en ne leur donnant une chance de le faire. […] Hélas, il a été difficile pour moi de développer ces idées au sujet de la fragilité dans le discours politique américain actuel. Le côté démocrate du spectre américain favorise l’hyper-intervention, la réglementation inconditionnelle et le grand gouvernement, tandis que le côté républicain aime les grandes sociétés, la déréglementation inconditionnelle et le militarisme, les deux sont la même chose pour moi. Permettez-moi de simplifier mon point de vue sur l’intervention. Pour moi, c’est surtout d’avoir un protocole systématique pour déterminer quand intervenir et quand laisser seuls les systèmes. Et nous pouvons avoir besoin d’intervenir pour contrôler l’iatrogénèse de la modernité – en particulier les dommages à grande échelle pour l’environnement et la concentration du potentiel de dommages (pas encore manifesté), le genre de chose que nous remarquons seulement quand il est trop tard. Les idées avancées ici ne sont pas politiques, mais fondées sur la gestion des risques. Je n’ai pas une affiliation politique ou d’appartenance à un parti en particulier, mais plutôt, je présente l’idée de dommage et de fragilité dans le vocabulaire pour que nous puissions formuler des politiques appropriées pour nous assurer de ne pas finir par faire exploser la planète et nous-mêmes. » [Pages 116-118]
« En conclusion, la meilleure façon d’atténuer l’interventionnisme est de rationner la quantité d’informations. Plus vous obtenez de données, moins vous en savez. » [Page 128]
« Les événements de « queue » politiques et économiques sont imprévisibles et leurs probabilités ne sont pas scientifiquement mesurables. » [Page 133]
La stratégie de l’haltère et l’optionalité
« La stratégie de l’haltère est un moyen de parvenir à l’anti-fragilité, en diminuant le risque de baisse plutôt que d’augmenter la probabilité de hausse, en réduisant l’exposition aux cygnes noirs négatifs. Ainsi, tout comme le stoïcisme est la domestication, et non pas l’élimination, d’émotions, de même que la barre de domestication, à l’éradication de l’incertitude. » [Page 159]. C’est une combinaison de deux extrêmes, l’un du type coffre-fort et l’autre du type spéculatif, combinaison jugée plus robuste qu’une stratégie monomodale. Dans les systèmes biologiques, l’équivalent est d’épouser un comptable en ayant une aventure occasionnelle avec une star du rock ; pour un écrivain, obtenir une sinécure stable et écrire sans les pressions du marché. Même les mécanismes d’essais et d’erreurs sont une forme de stratégie d’haltère. » [Glossaire page 428].
« La force de l’entrepreneur Steve Jobs était de se méfier des études de marché et des groupes de discussion – ceux qui demandent aux gens ce qu’ils veulent – et en suivant sa propre imagination, son fonctionnement était que les gens ne savent pas ce qu’ils veulent jusqu’à ce qu’on le leur fournisse. » [Page 171]
« L’atout de l’Amérique est tout simplement la prise de risque et l’utilisation de l’optionalité, la remarquable capacité à s’engager dans des formes rationnelles de tâtonnements, sans honte particulière de l’échec, en recommençant à nouveau et en répétant les mêmes erreurs. Dans le Japon moderne, en revanche, la honte vient, avec l’échec, ce qui pousse les gens à cacher les risques, financiers ou nucléaire, sous le tapis. »
« La nature fait de l’« échec précoce » à la manière californienne – elle a des options et les utilise. La nature comprend des effets d’optionalité mieux que les humains. […] L’idée est exprimée par Steve Jobs dans un discours célèbre: “Stay hungry, stay foolish.” Il voulait probablement dire « Soyez fou, mais conservez la rationalité du choix de la limite supérieure quand vous la verrez. » Tout essai et erreur peut être considéré comme l’expression d’une option, tant que l’on est capable d’identifier un résultat favorable et de l’exploiter. » [Page 181]
« L’option est un substitut à la connaissance en fait je ne comprends pas ce qu’est une connaissance stérile, car elle est nécessairement vague et stérile. Je fais donc l’hypothèse audacieuse que beaucoup de choses que nous pensons être dérivées par la connaissance ou le savoir viennent en grande partie d’options, d’options bien utilisées, tout comme la situation de Thales [qui avait pris une option sur pressoirs à olives – pages 173-174] plutôt que de ce que nous prétendons comprendre. » [Page 186]
Taleb est sceptique avec les experts, avec quiconque croyant en un modèle linéaire : université -> sciences appliquées -> pratique (ceux qui « apprennent aux oiseaux à voler »), il croit au bricolage, aux heuristiques, à l’apprentissage, et se fait encore beaucoup d’ennemis gratuitement! Il prétend que le moteur à réaction, les instruments financiers modernes, l’architecture, la médecine ont d’abord été mis au point par des praticiens puis théorisé par des scientifiques, pas inventés ou découverts par eux.
Bricolage et recherche
« Il doit y avoir une forme de financement qui fonctionne. Par un tour vicieux d’événements, les gouvernements ont eu d’énormes retombées de la recherche, mais pas comme prévu – regardez l’Internet. Cela vient juste de ce que les fonctionnaires sont trop finalistes dans la façon dont ils regardent les choses et tout comme les grandes entreprises. La plupart des grandes entreprises, dans l’industrie pharmaceutique par exemple, sont leurs propres ennemis. Pensez à la recherche fondamentale, où les subventions et le financement sont donnés aux personnes et non aux projets, réparties en petites quantités à de nombreux chercheurs. Il a été découvert qu’en Californie, les capital-risqueurs ont tendance à soutenir les entrepreneurs, pas des idées. Les décisions sont en grande partie une question d’opinion, renforcée « qui vous connaissez ». Pourquoi? Parce que les innovations dérivent, et on a besoin de talent de type flâneur apte à saisir les occasions qui se présentent. Les décisions importantes du capital-risque se font sans plan d’affaires réel. Donc, s’il y a une quelconque analyse, elle est de nature de sauvegarde et de confirmation. Clairement l’argent devrait aller aux bricoleurs, les bricoleurs agressifs en qui vous avez confiance pour faire fructifier les options. » [Page 229]
« Malgré le succès commercial de plusieurs sociétés et la croissance fulgurante du chiffre d’affaires pour l’industrie dans son ensemble, la plupart des entreprises de biotechnologie ne font aucun profit. » [Page 237] [Optionalité à nouveau]
« (i) Cherchez optionalité ; en fait, classez les choses selon l’optionalité, (ii) de préférence avec des gains ouverts, non bornés, (iii) n’investissez pas dans les plans d’affaires, mais dans les gens, donc cherchez quelqu’un capable de changer six ou sept fois au cours de sa carrière, ou plus (une idée qui fait partie du modus operandi du capital-risqueur Marc Andreessen); on obtient une immunité face aux récits illusoires du plan d’affaires en investissant dans les personnes . Assurez-vous que vous êtes « haltérifiés », quoi que cela signifie dans votre entreprise. » [Page 238]
« Je me suis contenté ici de réfuter l’épiphénomène de ceux qui « apprennent aux oiseaux à voler » et le « modèle linéaire », en suivant les propriétés mathématiques simples de l’optionalité. Il n’existe aucune preuve empirique pour soutenir l’affirmation selon laquelle la recherche organisée (au sens de son actuelle commercialisation) conduit aux grandes choses promises par les universités. [Voir aussi les lamentations de Thiel au sujet de la promesse de technologies – www.startup-book.com/fr/2010/10/12/la-technologie-notre-salut] L’éducation est une institution qui a connu une croissance sans facteurs de stress externes; la chose va nécessairement s’effondrer. » [En guise de conclusion du livre IV, page 261]
Pourquoi la fragilité est-elle non linéaire?
« Pour la fragilité, l’effet cumulatif de petits chocs est plus faible que l‘effet d’un choc équivalent de grande dimension. Pour l’antifragilité, les chocs apportent plus d’avantages (de façon équivalente, moins de mal) avec l’augmentation de leur intensité (jusqu’à un certain point). »
Via negativa
« Nous n’avons pas forcément besoin d’un nom ou même d’une capacité à exprimer quoi que ce soit. Nous pouvons juste dire quelque chose à propos de ce qu’il n’est pas. Michel-Ange avait été interrogé par le pape sur le secret de son génie, en particulier la façon dont il avait sculpté la statue de David. Sa réponse avait été: C’est simple, je supprime tout ce qui n’est pas David. » [Pages 302 à 304]
[…] « Les charlatans sont reconnaissables au fait qu’ils vont vous donner des conseils positifs. Pourtant, dans la pratique, c’est le négatif qui est utilisé par les pros. On ne peut pas vraiment dire si une personne qui a réussi a les compétences, ou si une personne ayant des compétences va réussir – mais on peut assez bien prédire la négative, une personne totalement dépourvue de compétences finira par échouer. »
[…] « La plus grand – la plus robuste – contribution à la connaissance consiste à enlever ce que nous pensons erroné. Nous en savons beaucoup plus sur ce que ce qui est faux que ce qui est juste. La connaissance négative est plus robuste aux erreurs que la connaissance positive. […] Ainsi une petite observation négative peut réfuter une affirmation, alors que des millions de positifs ne peuvent guère la prouver. [Les Black Swan!], L’infirmation est plus rigoureuse que la confirmation. […] Disons que, en général, les échecs (et l’infirmation) sont plus instructifs que le succès et la confirmation. »
[Curieusement, je me souviens des principales critiques contre mon livre étaient le manque de proposition [positive] en conclusion. J’aurais dû dire il y a beaucoup sur ce qu’il ne faut pas faire!]
« Enfin, pensez à cette version modernisée d’une parole de Steve Jobs: On croit que se focaliser c’est dire oui à ce que l’on choisit. Mais ce n’est pas ce du tout ce que cela signifie. Cela signifie dire non à la centaine d’autres bonnes idées qui se présentent. Vous devez choisir soigneusement. En fait je suis aussi fier des choses que nous n’avons pas faites que des choses que j’ai faites. L’innovation c’est dire non à 1000 choses. » [Page 305]
Less is more
« Il existe des méthodes beaucoup plus simples et efficaces pour la prévision et l’inférence que bien des méthodes complexes. Des heuristiques « rapides et frugales » permettent de prendre de bonnes décisions en dépit du temps limité. Premiers effets extrêmes: il y a des domaines dans lesquels les événements rares (bons ou mauvais) jouent une part disproportionnée et nous avons tendance à fermer les yeux sur eux. Juste s’inquiéter de l’exposition aux Black Swan et la vie devient facile. Ils peuvent ne pas avoir de cause facilement identifiable pour une grande part des problèmes, mais souvent il y a une solution facile pour les éviter, parfois visible à l’œil nu, plutôt que par l’utilisation d’analyses compliquées. Pourtant, les gens veulent plus de données pour résoudre des problèmes. » [Page 305-306]
« Le moyen de prédire est de rigoureusement « retirer de l’avenir », de le réduire des choses qui ne rentreront pas dans les temps à venir. Ce qui est fragile finira par se briser, et, heureusement, nous pouvons facilement dire ce qui est fragile. Les cygnes noirs positifs sont plus imprévisibles que leurs congénères négatifs. Maintenant, j’insiste sur la méthode de prophétie via negativa comme étant la seule valable. » [Page 310]
« Pour ce qui est périssable, chaque jour supplémentaire se traduit comme une diminution de l’espérance de vie supplémentaire. Pour ce qui est non-périssable, chaque jour supplémentaire peut impliquer une espérance de vie plus longue. En général, plus la technologie est ancienne, plus elle peut se pérenniser. Je ne dis pas que toutes les technologies ne vieillissent pas, mais seulement que les technologies sujettes au vieillissement sont déjà mortes. » [Page 319]
« Comment pouvons-nous savoir ce qu’il faut enseigner aux enfants pour le XXIe siècle, car nous ne savons pas ce que seront les compétences nécessaires? Effectivement ma réponse serait de leur faire lire les classiques. L’avenir est dans le passé. En fait, il y a un proverbe arabe à cet effet: celui qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir. » [Page 320]
[Comme on peut le lire plus tard dans le livre Taleb n’aime pas la culture de la Bay Area. Et ce n’est pas une coïncidence, c’est une région avec presque pas de passé, presque pas d’histoire, mais cela certainement a pu contribuer à la multitude d’innovations de la Silicon Valley…]
« Si vous avez un tableau ancien et une télévision à écran plat, vous ne vous gênerez pas pour changer télévision, mais vous réfléchirez avant de vous débarrasser du tableau. Même chose avec un stylo plume ancien et le dernier ordinateur Apple; [Taleb est vraiment méfiant de la modernité et l’innovation, même s’il en joue le jeu. Avec l’architecture, il a les mêmes préoccupations. Encore une fois, il préfère la tradition à la modernité agressive. Même chose avec le système métrique face aux métriques ancestrales] Le « top-down » est bien souvent irréversible, de sorte que des erreurs ont tendance à survivre, alors que le « bottom-up » est graduel et progressif, avec un processus de création et la destruction au fil de l’eau, qui a du coup un impact plus positif. » [Pages 323-24]
« Nous pouvons aussi appliquer des critères de fragilité et de robustesse à la manipulation de l’information – le fragile dans ce contexte est, comme la technologie, ce qui ne résiste pas à l’épreuve du temps. […] Les livres qui ont été disponibles pendant dix ans le seront encore de l’ordre de dix ans, des livres qui l’ont été depuis deux millénaires devrait être là encore pendant un bon bout de temps. […] Le problème de décider si un résultat scientifique ou une nouvelle « innovation » est une percée, c’est-à-dire le contraire du bruit, est que l’on a besoin de voir tous les aspects de l’idée – et il y a toujours une certaine opacité à ce moment-là, que seul le temps, peut dissiper. »
[Page 329]
« Maintenant, qu’est-ce qui est fragile? La trop grande confiance, optimisée, dépendante de la technologie, et la méthode dite scientifique au lieu des heuristiques qui ont survécu à l’usage. »
« En émettant des avertissements basés sur la vulnérabilité – c’est-à-dire des prophéties soustractives – nous sommes plus près du rôle original du prophète: pour avertir, pas nécessairement pour prédire et prévoir les catastrophes si les gens n’écoutent pas. »
Éthique
« En vertu de l’opacité et de la complexité, les gens peuvent cacher des risques et blesser les autres. Avoir du « skin in the game » est le seul vrai atténuateur de fragilité. Nous avons développé un penchant pour la complication néo-maniaque au détriment de la simplicité archaïque. […] Le plus gros problème de la modernité réside dans le transfert malin de la fragilité et de l’antifragilité d’un groupe à l’autre, l’un obtenant les avantages, l’autre (inconsciemment) les inconvénients. Ce transfert est facilité par la confusion croissante entre l’éthique et le légal. La modernité se cache particulièrement bien. C’est bien sûr un problème d’agent. » [Page 373]
[Jetez aussi un coup d’œil au tableau 7, page 377.]
« Dans les sociétés traditionnelles, une personne n’est respectable et digne qu’en regard des risques qu’il (ou beaucoup plus souvent qu’elle) est prêt(e) à affronter pour le bien des autres. » [Page 376]
« Je veux que les prophètes aient des cicatrices visibles sur leur corps conséquences de leurs erreurs de prédiction, et non pas qu’ils redistribuent ces erreurs à la société. » [Page 386]
[Don Quichotte marquait déjà la fin du héros, de l’éthique. Les modèles de Taleb sont Malraux et Ralph Nader – « l’homme est un saint laïque » [Page 394]. Ses ennemis sont Thomas Friedman, Rubin et Stieglitz]
[Le « skin in the game » est-il la seule solution ? Le seul moyen? Qu’en est-il de la transparence?]
À propos de la science
« La science ne doit pas être une compétition, il ne doit pas y avoir de classements – nous pouvons voir comment un tel système finira par exploser. La connaissance ne doit pas avoir un problème d’agent. Un candidat au doctorat est venu me dire un jour qu’il croyait en mes idées de « queues épaisses » (fat tails » et en mon scepticisme des méthodes actuelles sur la gestion des risques, mais que ça ne l’aiderait pas à obtenir un emploi universitaire. « C’est ce que tout le monde apprend et utilise dans les publications papiers » m’avait-il dit. Un autre étudiant m’expliqua qu’il voulait un emploi dans une bonne université, pour qu’il puisse faire de l’argent et témoigner comme expert – qu’ils n’achèteraient pas mes idées sur la gestion robuste des risques parce que tout le monde utilise ces autres manuels. » [Page 419] [Tellement vrai! Voyez Rien ne va plus.]
Conclusion
« Tout ce que je veux, c’est supprimer l’optionalité négative, réduire l’antifragilité qui blesse les uns en faveur des autres. Grâce à cette simple idée de la via negativa. […] La règle d’or est la suivante: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse ». […] La volatilité crée du gain ou de la perte. La fragilité est ce qui perd de la volatilité ou d’incertitude. […] Le temps est de la volatilité. L’éducation dans le sens de la formation du caractère, de la personnalité, et de l’acquisition de la vraie connaissance, aime le désordre et l’inconnu, l’éducation étiquetée et ses éducateurs détestent le désordre. L’innovation est justement quelque chose qui profite de l’incertitude. » [Pages 420-22]
« Tout ce qui est non-linéaire est convexe, concave ou une combinaison des deux. […] Nous pouvons construire des systèmes insensibles aux cygnes noirs en détectant la concavité, […] et avec un mécanisme appelé transformation convexe, l’autre nom de la stratégie de l’haltère. […] L’aléatoire distribué (par opposition au centralisé) est une nécessité. »
[Commentaires généraux]
Taleb donne parfois le sentiment de contradictions: le marketing est mauvais, mais Steve Jobs est grand, la stratégie de l’haltère et de l’optionalité est positive, mais n’est-il pas question de risques et d’inconvénients transférés à autrui ? pour les autres [Thales n’est-il pas un pur spéculateur qui profite des autres ?], les cigarettes sont mauvaises, mais les traditions sont bonnes.
Et aussi cet amour de la tradition rend les gens ayant un solide passé et des ressources plus à l’aise avec la prise de risques en utilisant la stratégie de l’haltère, mais qu’en est-il des pauvres n’ayant rien à perdre? Les gains pourraient aller statistiquement à ceux qui ont déjà … [Cela me rappelle l’histoire racontée par Doumeng : c’est un millionnaire qui raconte ses débuts difficiles : « j’ai acheté une pomme 50 centimes, je l’ai astiquée pour qu’elle brille et je l’ai vendue 1 Fr. Avec ce franc, j’ai acheté deux pommes à 50 cts, je les ai astiquées soigneusement et je les ai vendues 2 Fr. Au bout d’un moment, j’ai pu m’acheter une carriole pour vendre mes pommes et puis j’ai fait un gros héritage… »]
Vous savez maintenant pourquoi écrire ce « résumé » a été un défi. Un livre très étrange, dense, ascinant, mais si vous aimez ces concepts, vous devez lire Antifragile. En fait, vous devez lire le Black Swan d’abord, si vous ne l’avez pas déjà lu et si/qaund c’est fait, je suis sûr que vous allez lire Antifragile.
En voici l’introduction: « L’innovation ne se réduit jamais à une bonne idée. C’est un processus, qui se joue pour l’essentiel dans l’appropriation de la nouveauté par ceux qui auront à la mettre en œuvre. On a curieusement tendance à négliger cette démarche d’appropriation, ou à ne la considérer que sous l’angle des freins et des obstacles. Comment, au contraire, valoriser et mobiliser les ressources internes des organisations ? En développant une culture de coopération, qui autorise la transgression, et fasse une place à l’émotion. »
Et voici quelques autres points intéressants:
– Tout d’abord, nous avons tendance à confondre invention et innovation. L’invention, c’est la création de quelque chose de nouveau. Ce peut être le fait d’un seul homme. L’innovation concerne la diffusion de cette nouveauté. Cela renvoie à un processus beaucoup plus large, qui comporte des dimensions sociales, économiques et technologiques.
– Une jolie analogie: « J’ai horreur des GPS. Quand on circule avec un GPS, on ne regarde pas le paysage, on ne remarque pas la signalisation, et comme on ne se perd pas on ne demande jamais son chemin aux autres. »
– Les innovateurs sont toujours minoritaires, en tout cas ils commencent par l’être, et plus on trouve d’alliés dans un projet innovant, mieux on supporte d’être en minorité.
Il s’agit de ma troisième chronique dans la revue Entreprise Romande (et merci à eux pour le travail d’édition et l’occasion qui m’est donnée de m’exprimer sur des sujets qui me sont chers)
Tout entrepreneur sait que l’échec fait partie intégrante de son activité: un contrat manqué, un client perdu, un recrutement qui ne donne pas satisfaction … Alors pourquoi l’échec est-il à ce point stigmatisé dans la culture européenne, et notamment en Suisse? Freeman Dyson, physicien d’origine anglaise en parle avec lucidité: «Vous ne pouvez raisonnablement pas obtenir une bonne innovation sans passer par un nombre énorme d’échecs. Prenons l’exemple des bicyclettes: des milliers de modèles bizarres ont été construits et testés avant qu’on ne trouve celui qui marche vraiment. Vous ne pouvez jamais construire théoriquement une bicyclette. On en fabrique depuis une centaine d’années, et il est toujours compliqué de comprendre comment cela fonctionne. Il est même difficile de le formuler comme un problème mathématique. Ce sont les essais et les échecs qui ont permis de trouver comment le faire, et l’erreur était essentielle!» L’image du deux-roues est parfaite: reprocherait-on à un jeune enfant ses multiples chutes qu’occasionnera son apprentissage?
ECHEC ET CRÉATIVITÉ
La Silicon Valley est connue pour sa tolérance à l’échec, qui, loin d’être un stigmate, est même valorisé. «Dans la Silicon Valley, si nous n’avions pas toléré l’échec, nous n’aurions pas pu prendre des risques et nous aurions beaucoup moins d’entrepreneurs que nous n’en avons aujourd’hui. Si vous échouez pour les bonnes raisons, c’est-à-dire à peu près toutes, sauf être corrompu, stupide ou paresseux, alors vous avez appris quelque chose qui vous rendra plus utile», témoigne Randy Komisar, installé dans la Silicon Valley, comme le sont les autres personnes citées dans cet article. «Vous seriez surpris du nombre d’investisseurs qui préfèrent parier sur quelqu’un qui a goûté aux fruits amers de l’échec. En échouant, vous apprenez ce qu’il ne faut pas faire. Lancez-vous et vous découvrirez qu’il n’y a pas d’échec; vous aurez dégagé l’horizon et ouvert votre esprit et vous vous serez réinventé», témoigne à son tour Larry Marshall.
La peur de l’échec a des causes profondes. Le système scolaire encourage plutôt l’enfant à se taire s’il ne connaît pas la réponse qu’à tester des hypothèses, de peur de la réprimande. L’expérimentation, la créativité, les « processus d’essai et d’erreurs », ne sont jamais assez encouragés à la faveur de disciplines plus rationnelles. «En effet, nous avons des difficultés psychologiques et intellectuelles avec les essais, les erreurs et l’acceptation de cette série de petits échecs nécessaires dans la vie. Vous avez besoin d’aimer perdre. En fait, la raison pour laquelle je me suis immédiatement senti chez moi en Amérique, c’est précisément parce que la culture américaine encourage le processus d’apprentissage par l’échec, à la différence des cultures d’Europe et d’Asie, où l’échec est stigmatisé et gênant, nous dit Nicolas Taleb, l’essayiste d’origine libanaise et auteur du Cygne Noir.
Les start-up européennes n’échouent pas ! Leur taux de survie est de 90% après 5 ans d’existence. Mais est-ce une bonne nouvelle ? Dans les premiers mois de Google, son fondateur Larry Page considérait qu’un taux de succès de projets individuels de 70% était idéal. « Au dessus, nous n’aurions pas pris assez de risque. » Et l’échec est à ce point digéré que les Américains ont créé la FailCon (une conférence sur l’échec) en 2009. En échangeant sur leur expérience de l’échec, en public (parce que l’échec reste malgré tout un tabou même aux Etats-Unis), les participants apprennent de leurs pairs et en sortent renforcés. Le célèbre entrepreneur et investisseur Vinod Khosla y admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. «L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer ». Cela expliquerait-il pourquoi nous ne créons pas de Google en Suisse et en Europe?
PRÉPARATION AU SUCCÈS
Malgré tout, l’échec restera toujours imprévisible. «Bien sûr le business, tout comme la vie, n’est jamais un long fleuve tranquille. L’échec peut survenir à tout moment et de manière inattendue, comme le succès, d’ailleurs. Mais le vrai succès consiste à gérer les échecs. A chaque revers de fortune, il faut être capable de retourner la situation. Il faut réunir des gens qui savent qu’il y aura des problèmes, qui aiment les résoudre et qui peuvent travailler en équipe. Cela me rappelle qu’il faut être humble. Je célèbre donc l’échec, cela tempère le caractère et prépare au succès », remarque Kamran Elahian.
Alors, faut-il n’avoir pas peur d’échouer? La réponse la plus émouvante vient sans aucun doute de Steve Jobs qui, ne l’oublions pas, échoua à faire grandir Apple dans les années 1980: « Je ne l’avais pas ressenti au début, mais être viré de chez Apple était la meilleure mais être viré de chez Apple était la meilleure chose qui pouvait m’être jamais arrivée. Le fardeau du succès céda la place à la légèreté d’être à nouveau un débutant, moins pétri de certitudes. Cette liberté me permit d’entrer dans une des périodes les plus créatives de ma vie ». Et mieux encore : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. Vous êtes déjà à nu. Il n’y a aucune raison de ne pas suivre les aspirations de son cœur. »
A quand une FailCon en Suisse?
Un étudiant chinois me fit découvrir il y a quelques années le proverbe suivant: Shi Bai Nai Cheng Gong Zhi Mu, qui signifie «l’échec est la mère du succès ». L’Asie intègre peut-être plus vite que l’Europe cette importante notion.
Autant pour mes archives personnelles (un blog est un second cerveau!), que pour vous, lecteur, une émision de la télévision suisse-alémanique, «ECO», (le magazine économique hebdomadaire de la SF1) parle des start-up EPFL.
Multitude de nouveaux rapports sur la situation de l’innovation en France. Avant de les citer, et parce que je n’ai malheureusement pas le temps d’en faire une analyse personnelle, je vous envoie à deux articles sur l’excellent blog d’Olivier Erzatty, Opinions Libres. Olivier décrypte:
– le rapport de l’IGF que je mentionne plus bas, Le monument de l’IGF sur l’économie numérique
– la situation de la fiscalité de l’innovation dans Déboguer le logiciel économique français
– Le soutien à l’économie numérique et à l’innovation rédigé par l’Inspection générale des finances (IGF) en janvier 2012, mais publié en octobre 2012! Il s’agit d’un travail remarquable qui va bien plus loin que la seule économie numérique.
De cette première semaine, j’ai noté les points suivants:
1- La app-économie (la combinaison du smart-phone et des réseaux sociaux) draine financements et talents (des salaires avec 2ans d’expérience de $110-120k). Une vraie ruée vers l’or. avec des perdants (Nokia-Sony-Ericsson voire Motorola), et un monde devenu américano-centrique (Apple-Android-Facebook)
2- Alain Chuard, un suisse alémanique qui a vendu sa start-up californienne à Google avec 400 employés. Créée en 2008, avec $14M de VC et apparemment rachetée $250M. Google est mûre, Facebook arrive à maturité donc fin d’un cycle. Quelle suite? D’où le point suivant!
3- La prédiction de fin de la SIlicon Valley (SV). Vieux serpent de mer discuté à nouveau. L’un des interviewés pense en effet qu^à un horizon de 15 ans, la SV aura perdu de son importance. Jean Louis Gassée éatit lui moins convaincu, il décrit la région comme un système très propice à la destruction et à la reconstruction, avec des cycles qui entremêlent, avec un progrès continu depuis HP en passant Intel, Apple, Cisco, Google, jsuque Facebook Le PC n’est plus le centre des activités, mais ceci ne veut pas dire la fin de la vallée. J’aime rappeler la citation de AnnaLee Saxenian, experte de l’innovation et des clusters technologiques: “In 1979, I was a graduate student at Berkeley and I was one of the first scholars to study Silicon Valley. I culminated my master’s program by writing a thesis in which I confidently predicted that Silicon Valley would stop growing.” Elle reconnut plus tard son erreur.
4- La culture de la SV: il est facile de rencontrer des gens, même pour un adolescent. Une question de mentalité. Un VC préfère quelqu’un qui a échoué. La prise de risque est encouragée dès le plus jeune âge. « Il faut essayer d’importer cela en Europe, quitter les schémas classiques de carrière, l’innovation est freinée sans cela. »
Je note le dernier article qui quitte l’IT pour la Biotech, ce qui pourrait laisser croire que Boston est la capitale du secteur. Partiellement vrai de mon point de vue, je crois que San Francisco a concentré tous les dommaines de l’innovation américaine…
Je suis attaché à la France pour des raisons évidentes et récemment encore, j’ai lu plus encore que d’habitude sur l’innovation de mon pays. Elle n’est pas aussi mauvaise qu’on pourrait le croire, mais elle n’est pas aussi efficace que je le souhaiterais. Il y a pourtant de l’espoir comme le montre deux travaux récents:
– un article du journal Le Monde, intitulé Heureux comme un patron de start-up en France
– un rapport d’OSEO (l’Agence Française d’Innovation ) que j’avais déjà mentionné dans Il faut viser global tout de suite, mais que j’avais lu trop rapidement alors!
L’article du Monde traite de l’accélérateur Le Camping. L’article est optimiste (peut-être un peu trop), mais il mérite la lecture. J’y ai noté:
– « L’hexagone peut d’ailleurs compter sur des fonds expérimentés, comme Partech (mais aussi Idinvest, Apax) qui ont continué à irriguer le secteur après l’éclatement de la bulle Internet, en 2000. Une quinzaine de fonds de capital-risque financent environ un millier de start-up et injectent 200 à 300 millions d’euros par an dans le numérique, selon Philippe Collombel. L’industrie française est l’une des meilleures au monde, juge Christophe Bavière, le président d’Idinvest. Et de citer tous les domaines où un petit Frenchy est parvenu à se faire un nom aux côtés du leader anglo-saxon : Dailymotion face à YouTube, Viadeo derrière LinkedIn, Deezer sur les talons de Spotify… » A mon avis, la partie trop optimiste et ne somme nous là que pour faire des copies conformes des Etats-Unis?
– « Autre atout de l’Hexagone : ses serial entrepreneurs. La première génération a commencé avec le Minitel, s’est lancée dans le numérique à la fin des années 1990, et a surmonté la bulle. C’est celle des Marc Simoncini (iFrance, Meetic), Jacques-Antoine Granjon (Vente-privée), Patrick Robin (Imaginet, 24h00), Xavier Niel … Vingt ans plus tard, ils jouent les business angels auprès des plus jeunes : PriceMinister, Dailymotion, Criteo, ou Deezer… » Bien mieux et raison d’espérer en effet.
– « Certes, il y a des trous dans le canevas. Les business angels n’accompagnent pas encore assez les chefs d’entreprise, […] A l’autre bout de la chaîne, il manque des fonds pour passer du stade de start-up à celui d’entreprise de taille moyenne. » Trop vrai malheureusement.
Vous pouvez également être intéressé par une analyse de l’évolution des accélérateurs dans un article du Financial Times, Les Start-up mettent le pied sur l’accélérateur. « Dans le passé, ils auraient pu être étiqueté comme incubateur, ce qui est apparemment différent d’un accélérateur. » […] « Probablement le premier accélérateur est Y Combinator de Paul Graham dans la Silicon Valley. Depuis 2005, il a soutenu près de 500 start-up, y compris de grands succès tels que AirBnB et Dropbox. » […] « Cette méthode de construction de nouvelles entreprises à toute vitesse est fascinant. La philosophie est de soutenir beaucoup d’idées différentes, avec des échecs rapides, et de pivoter si quelque chose ne fonctionne pas. J’aime le sentiment d’urgence, l’éthique du travail, l’environnement à forte pression qui contribue aux développements rapides, et les incroyables possibilités de réseauter et de cross-fertiliser. » […] « Cependant, en général, je pense que les start-up prennent un certain temps pour devenir viables – des années et non pas des mois. Essayer d’obtenir autant dans une si courte période de temps ne me semble pas pas réaliste. » …] « Il y a maintenant quelques 123 programmes d’accélération dans le monde entier. » […] « Certains anciens pensent que beaucoup vont fermer, tout comme bon nombre des projets qu’ils incubent vont échouer. Mais toute cette activité frénétique va sûrement stimuler l’esprit d’entreprise, stimuler l’emploi et – dans le long terme – créer de la richesse, de sorte qu’elle mérite les applaudissements. »
Vous pouvez trouver le rapport OSEO en cliquant sur l’image. J’avais tort en écrivant mon post précédent, car j’ai découvert pas mal de choses en le relisant! Il ajoute en profondeur à l’excellent article du Monde. Par exemple sur les peurs et défis des entrepreneurs.
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La peur de l’échec avec ses stigmates reste la plus importante. Trouver des clients est le défi le plus grand, plus difficile que de trouver du financement. Enfin, il y a de jolies données sur l’âge des fondateurs, que l’on peut comparer un travail que j’ai fait sur 165 entreprises cotées en bourse.
Cliquer sur l’image pour l’agrandir. Source: données personnelles
C’est un sujet à la mode, qui fait parler et sur lequel je reste persuadé qu’un jeune âge compte. Vous pouvez lire par exemple les travaux de Vivek Wadhwa, son article du Washington Post ou encore L’âge des fondateurs. Je ne suis pas sûr des conclusions à tirer de tout cela, mais il semble y avoir un vieillissement des entrepreneurs… L’âge moyen des entrepreneurs français est 41 ans alors que celui des fondateurs de sociétés cotées en bourse que j’ai compilé est 36.5 (et même 34 ans pour celles fondées avant 1995).
Enfin il y a une intéressante analyse des « modèles de développement des start-up ».
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Les auteurs analysent en particulier 2 classes of start-up (sur 5 au total), les deux classes les plus fréquentes à savoir les classes 3 et 5 du graphique). [La classe 4 ressemble à un statut intermédiaire en route vers la 3 ou la 5.]
« Dans la classe 3, soit 41 % de la population totale, les entreprises ont un niveau de développement plus faible parce qu’autocentré :
• Elle regroupe au moins la moitié des CEI (créations d’entreprises innovantes) sans partenariat, sans filiale ou sans internationalisation (implantation à l’étranger ou exportation).
• Le porteur de projet y a encore une position capitalistique dominante : 68 % des porteurs de projet avec une part du capital supérieure à 75 % sont dans cette classe ; 1 sur 2 pour ceux qui ont encore 50 % à 75 % du capital. »
« A l’opposé, les entreprises de la classe 5, presque aussi nombreuses, ont un comportement d’ouverture avéré :
• Elles ont ouvert leur capital pour avoir les ressources financières suffisantes pour faire avancer leur projet d’innovation. 60 % des porteurs de projet avec une part au capital aujourd’hui inférieure à 25 % sont dans cette classe, de même que la moitié de ceux qui possèdent entre 25 % et 50 % du capital. Par ailleurs, la quasi-totalité des entreprises cotées est dans cette classe.
• 80 % de ces entreprises sont internationalisées (export ou implantation).
• Ce sont des entreprises qui ont eu le temps de se développer : près de la moitié est âgée d’au moins 8 ans et près de 40 % ont entre 5 et 8 ans aujourd’hui.
• Cette maturité n’explique, cependant, qu’en partie leur dynamique. En effet, elles ont été confrontées, elles aussi, à des problématiques de redéfinition de business plan de même nature que la classe 3, mais un peu plus fréquemment. Or, elles se positionnent comme moins contraintes que ces dernières. »
« Par ailleurs, la classe 3 concentre plus de CEI pour lesquelles l’accès aux financements publics et privés est considéré comme un levier principal de croissance. La jeunesse de cette population et sa faible ouverture du capital permet d’émettre l’hypothèse selon laquelle l’aide publique est, en pré-amorçage et amorçage, un substitut essentiel des capitaux privés. »
« Enfin, 4 porteurs de projet sur 10 qui n’ont aucune expérience de création d’entreprise sont dans la classe 3, contre seulement 3 sur 10 dans la classe 5. »
« La comparaison chiffrée des classes 3 à 5 sur ces mêmes variables révèle que :
• la CEI médiane de la classe 5 a un effectif supérieur à celle de la classe 4, qui emploie elle-même, plus de personnes que celle de la classe 3 (respectivement 10, 6 et 4 salariés) ;
• les classes 4 et 5 réalisent un chiffre d’affaires médian identique (environ 580 k€) bien plus élevé que celui de la CEI médiane de la classe 3 (390 k€) ;
• l’ordre logique est aussi respecté pour l’export : 44 % des CEI de la classe 5 sont exportatrices, 37 % pour la classe 4 et 25 % pour la classe 3. Le taux d’ouverture médian (CA/CA export) est de 37 % pour la classe 5, mais seulement de 25 % pour les classes 4 et 3 ;
• quant au niveau médian de fonds propres, il est encore nettement plus élevé pour la classe 5 (409 k€ contre 284 k€ pour la classe 4 et 149 k€ pour la classe 3 ; plus de 1 M€ pour le quartile supérieur de la classe 5, seulement 389 k€ pour celui de la classe 3) ;
Bien sûr la conclusion de ce rapport tend à encourager la sélection et le développement vers la classe 5. Ma conclusion un peu moins optimiste reste les chiffres relativement modestes de cette classe et un manque de succès de grande taille.
[Page 1] Il n’existe aucune preuve empirique que les brevets améliorent l’innovation et la productivité […] il y a des preuves solides, au contraire, que les brevets ont de nombreuses conséquences négatives.
[Page 2] Il ne fait aucun doute que l’obtention d’un monopole comme une récompense pour l’innovateur augmente l’incitation à innover. Il ne fait non plus aucun doute que l’octroi d’un monopole pour une raison quelconque, a de nombreuses conséquences néfastes que nous associons au pouvoir d’un monopole – l’élément e plus important (et négligé) est l’incitation à s’engager dans une action politique pour préserver des rentes et étendre son monopole ou, pour ceux qui ne l’ont pas encore, pour essayer de l’obtenir.
À propos de la diffusion de l’innovation [pages 2-3]
Un deuxième avantage souvent cité des systèmes de brevets – mais pas tellement dans la littérature économique – serait la notion que les brevets sont un substitut au secret commercial (qui est lui socialement coûteux) et les brevets amélioreraient donc la communication des idées. […] Mais bien au contraire, les entreprises donnent en général des instructions à leurs ingénieurs d’éviter d’étudier des brevets existants afin d’être épargnées de demandes ultérieures de violation intentionnelle.
Ce que je peux confirmer avec la réponse suivante que j’ai eue il y a quelques années, lorsque j’explorais une possibilité licence de propriété intellectuelle à l’entreprise XXX: «Les avocats de XXX informent les employés de XXX de ne pas lire des demandes de brevet car cela pourrait empêcher ces employés d’explorer des idées dans des domaines proches. Si vous êtes intéressé par la vente de propriété intellectuelle, la seule fois où XXX a acheté de la propriété intellectuelle, c’est en acquérant une start-up développant cette propriété intellectuelle. »
À propos de la pharma [pages 4-5]
En général, le coût fixe de production d’un logiciel est faible – même si on estime que Apple a dépensé 150 millions de dollars pour le développement de l’iPhone. Ceci, cependant, n’est rien en comparaison du coût de développement de nouveaux médicaments – qui est estimé à près de 1 milliard de dollars – somme similaire à l’élaboration d’un nouveau modèle de voiture. Fait intéressant, il est vrai aussi que – à la fois selon des enquête et des preuves anecdotiques – les brevets jouent un rôle important dans la promotion de l’innovation dans l’industrie pharmaceutique tout en jouant un rôle mineur dans l’industrie automobile – dans la mesure où de nouveaux composants et même les usines sont souvent développés par des consortiums ou joint-ventures de producteurs, pourtant souvent concurrents forcenés, lorsqu’ils commercialisent différentes marques automobiles. La pertinence des brevets dans l’industrie pharmaceutique n’est probablement pas due aux coûts fixes élevés mais plutôt au fait que la divulgation dans le cas de médicaments est plus significative que dans celui des voitures et pour la plupart des autres produits [Le semiconducteur est un autre bon exemple]. La formule chimique et l’efficacité de la cure établie par des essais cliniques sont accessibles aux concurrents pour l’essentiel, quasi-gratuitement et c’est le second point qui représente environ 80% du coût fixe initial (de plus ces essais cliniques sont un bien public produit par le secteur privé en raison d’un choix politique.) […] Divers économistes, ayant des opinions différentes sur la propriété intellectuelle, ont cependant fait valoir que si l’intervention du gouvernement est en effet nécessaire dans ce marché, un système de prix serait de loin supérieur à l’actuel système de monopoles.
Sur les innovations matures et la PI [page 5]
Alors que l’industrie se développe, la demande se stabilise et devient beaucoup moins élastique; la possibilité de réduction des coûts des innovations diminue, les avantages d’un monopole croissent et le potentiel d’innovation est également réduit. Généralement, il y a un « shake-out » dans lequel de nombreuses entreprises quittent l’industrie ou sont rachetées. L’industrie automobile est un exemple classique de ce mouvement, mais plus récemment l’éclatement de la « bulle Internet » en est une meilleure illustration. A ce stade, la recherche de rente devient importante et les brevets sont largement utilisés pour inhiber l’innovation, empêcher les entrées et encourager les sorties. [Page 11] De même, apparemment, les chercheurs en organisation de la plupart des pays industrialisés, essaient de comprendre pourquoi les brevets sont ignorés ou à peine utilisés dans les industries nouvelles et compétitives tout en étant très appréciés et sur-utilisés dans les domaines mûrs et très concentrés. [Page 20] Dans les nouvelles industries comme la biotechnologie et les logiciels où l’innovation était en plein essor en l’absence de brevets, des brevets ont été mis en place. Compte tenu de cette extension continue, y a t-il eu une augmentation substantielle de l’innovation ces dernières années? Au contraire, il est évident que la récente explosion des brevets aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Japon, n’a pas apporté quelque chose de comparable en termes d’innovations utiles et de productivité globale.
Ici aussi je note que ni le microprocesseur, ni l’internet ne furent brevetés; de plus quand l’internet fut ouvert à des applications commerciales ou quand le brevet du transistor fut licencié à de multiples acteurs (ce qui revenait presque à le mettre dans le domaine public), alors les innovations connexes se multiplièrent.
À propos des patent trolls et des NPE (entités non pratiquantes) [page 8]
Malgré le fait que les brevets sont principalement utilisés pour la course aux armements et que ceux-ci, à leur tour, sont développés par des patent trolls, il n’y a pas de modèles formels décrivant la manière dont cela peut inhiber une entrée inefficace. Dans la théorie de la course aux armements, si toutes les entreprises contrebalancent leurs portefeuilles de brevets et si toutes innovent, alors elles auraient innové aussi en l’absence de brevets – donc les brevets ne servent pas à encourager l’innovation. D’autre part, si (comme Microsoft ou d’autres patent trolls) vous n’avez pas un produit, vous ne pouvez pas être contre-attaqué, et donc vous pouvez utiliser les brevets pour partager les bénéfices sans faire le travail – en conséquence les brevets découragent l’innovation et sont un gaspillage pur et simple d’un point de vue social.
Le système des brevets est cassé, mais peut-il être réparé? [Pages 9-10]
Il y a peu de doute que pour les économistes un système de brevets bien conçu permettrait d’encourager l’innovation. Il est généralement admis que le système des brevets tel qu’il existe sert à encourager l’innovation, mais que le système des brevets tel qu’il existe est cassé […] Si un système de brevets bien conçu peut servir, pourquoi recommandons-nous de le supprimer? Pourquoi ne pas, au contraire, le réformer? Pour répondre à la question, nous devons étudier l’économie politique des brevets: pourquoi le système politique a-t-il conduit au système des brevets que nous avons? Notre argument est qu’il ne peut pas en être autrement. […] D’un côté, nous comprenons la défense traditionnelle de brevets idéaux comme prévue par un planificateur bienveillant mais, de l’autre, nous voyons que le droit des brevets est essentiellement conçu par des groupes d’intérêt désireux d’augmenter leurs rentes de monopole, et non pas le bien commun global.
Aucune incitation aux réformes [page 12]
Il y a beaucoup d’acteurs dans l’industrie des brevets, mais « les consommateurs » n’en font pas partie. Du côté des déposants potentiels, il y a les inventeurs individuels, les entreprises qui inventent et les patent trolls, qui n’inventent jamais rien mais n’en déposent pas moins. De l’autre côté se trouve les offices des brevets, les avocats qui déposent des brevets et plaident et enfin les tribunaux où les litiges sont réglés. Les règles du jeu sont établies – mais seulement en partie – par la puissance publique, et dans la mesure où les intérêts de la population en général sont concernés, ce sont ces acteurs qui les représentent. Comme le dépôt de brevet est un sujet technique dont peu d’électeurs-citoyens ont la moindre connaissance – et peu sont susceptibles d’avoir une connaissance détaillée des conséquences des systèmes de brevets – les intérêts des électeurs ne sont pas bien représentés du tout, au contraire des intérêts concurrents des autres acteurs. […] Il doit être clair, alors, que compte tenu de l’ensemble de ces acteurs et de leurs motivations, le marché des brevets ne peut avoir qu’un seul équilibre au fil du temps, qui est celui que nous avons observé. […] A chaque étape de ce processus d’élargissement, la principale force motrice a été les efforts de recherche de rente des grandes entreprises riches en liquidités mais incapables de faire face à de nouveaux concurrents créatifs. Avocats de brevets, employés des offices de brevets et patent trolls ne sont en fait que la chair à canon des grands groupes.
Abolition des brevets [page 20]
L’abolition des brevets ne peut sembler que « vœu pieux » et il y a certainement beaucoup de mesures provisoires qui peuvent être prises pour atténuer les dommages: interpréter correctement la non-évidence d’inventivité, exiger une véritable divulgation des méthodes et défendre l’invention indépendante contre la contrefaçon sont utiles et – parmi les économistes – considérées comme acceptées. Mais pourquoi utiliser un cautère sur une jambe de bois? Les économistes se sont battus pendant des décennies – et, finalement, avec beaucoup de succès – pour abolir les restrictions commerciales. Il n’échappera pas au lecteur attentif que les brevets sont très semblables aux restrictions commerciales, car elles empêchent la libre entrée des concurrents sur les marchés nationaux, ce qui réduit la croissance des capacités de production et ralentit la croissance économique. De la même manière que les restrictions commerciales ont été progressivement réduites jusqu’à atteindre une (presque complète) abolition, une approche semblable (quoique, je l’espère moins lente) devrait être adoptée pour «se débarrasser» des brevets. De plus, en raison de la nature des brevets limitée dans le temps, il est relativement facile de les éliminer par une mise en place progressive de durées de brevets de plus en plus courts. Cette approche prudente a aussi l’avantage que si la réduction de la durée des brevets a en effet un effet catastrophique sur le processus d’innovation, elle peut être facilement inversée.
[…]
Les brevets ne devraient être autorisés que lorsque le pouvoir de monopole est justifié par des preuves au sujet des coûts fixes et de l’absence réelle d’appropriabilité.
[…]
Les résultats de la recherche subventionnés par la puissance publique ne doit pas conduire à la création de nouveaux monopoles privés, mais devrait être disponible pour tous les participants du marché. Cette réforme serait particulièrement utile pour l’industrie pharmaceutique.
je n’ai pas (encore) lu leur Against Intellectual Monopoly mais je vais sans doute le lire étant donné la profondeur de leur analyse. Comme ils le disent eux-mêmes, tout ceci n’est peut-être que « vœu pieux », irréaliste et donc inutile, et je devine aussi une approche libertarienne derrière tout cela. Mais une fois encore, je crois que leurs arguments méritent que l’on s’y arrête plus longuement que la simple lecture de ce long résumé.