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Les start-up du semiconducteur en crise?

J’ai eu la chance d’être invité en tant que panéliste à la Global Semiconductor Conference à Genève le 8 et 9 mai. Le thème de la table ronde était «comment créer plus de start-up à succès ». Mais avant de concentrer sur cette discussion, je voudrais mentionner les participants du débat précédent, qui a rassemblé Stan Boland, ancien PDG et co-fondateur d’Icera Inc, Dennis Segers, PDG de Tabula et Remy de Tonnac, CEO de INSIDE Secure. Stan a vendu Icera à nVidia pour 367M $ après avoir levé 250 millions de dollars (un multiple de 1.3x). Dennis a levé environ 200 M $ pour Tabula et s’est excusé d’empêcher d’autres start-ups de trouver cet argent, alors que Rémy vient de coter INSIDE Secure à la Bourse de Paris, en levant 70 M € après que la société a levé plus de 100 M € en capital-risque depuis sa création .

J’ai été très impressionné par la longue histoire d’INSIDE Secure (fondée en 1994), y compris malheureusement des « washout rounds ». Ce qui était génial est le message de Tonnac, mentionnant que les start-up ne peuvent survivre que si elles gardent leur esprit d’entrepreneurial et l’ADN de l’innovation. Voici donc mon tableau habituel ce capitalisation [L’histoire, la liste des investisseurs et le nombres de tours de financements sont si longs que les chiffres pourrait être approximatifs …]


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Cela montre une fois de plus qu’il est possible d’essayer et de réussir en Europe, mais cela semble prendre beaucoup plus de temps qu’aux Etats-Unis. Maintenant, revenons à mon sujet. La motivation en était le nombre de plus en plus petit de start-up financées dans le domaine du semiconducteur, comme le montre la figure suivante.


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Et apparemment, la principale raison de cette « crise » vient de l’énorme besoin d’argent de ces start-up avant d’atteindre la rentabilité.

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Eh bien, s’il ne s’agissait que du financement nécessaire, la biotechnologie serait morte elle aussi, et les introductions en bourse dans le domaine (voir mon post Les IPOs biotech, pas si différentes, montre que la réponse n’est pas simple. Il pourrait y avoir au moins deux autres raisons qui expliquent la différence:
– On ne peut pas aller en bourse sans revenu dans le semiconducteur, comme c’est le cas avec la biotechnologie, et je ne sais pas pourquoi (est-ce parce que le cycle de vie des produits Semicon est beaucoup plus court?)
– Les ratios financiers des entreprises ne sont pas excellents (Intel, le leader du marché vaut à peine 2.5x ses ventes et 10x ses bénéfices).
Mais je ne suis pas entièrement convaincu par l’argument.

En fait, j’ai eu un autre argument qui pourrait être simplement dit un manque de créativité associée à une culture de collaboration qui a été perdue. En effet, la veille, un autre panéliste a déclaré: « pourquoi diable devrais-je la partager, si j’avais la killer app ». Eh bien, on pourrait ne pas partager une killer app, mais dans la Silicon Valley, il y a eu beaucoup de partage:

Même aujourd’hui, les gens chez LinkedIn et Facebook s’aident les uns les autres, même si ils sont en concurrence. Je suis moins sûr de ce qui se passe chez Google ou Apple ! Et voici ce que la l’émision de radio de NPR « Morning Edition » avait à dire sur les ingrédients de la Silicon Valley. Je crois fermement et suis d’accord avec de Tonnac que nous avons besoin d’un esprit entrepreneurial et de l’ADN de l’innovation.

Something Ventured : un film passionnant.

Je viens de regarder Something Ventured et je l’ai adoré. Tellement aimé que j’espère le montrer au plus grand nombre possible d’étudiants de l’EPFL ce printemps! Il s’agit d’un film sur la passion, l’enthousiasme, l’énergie, sur la volonté de changer le monde et … oui aussi sur l’argent. Questionnés sur leur ambition sur le film, les producteurs Molly Davis et Paul Holland ont dit: Notre grand espoir pour ce film est que chaque élève qui veut être un entrepreneur – à tous les niveaux, l’école secondaire, les écoles de commerce, et même dans l’entreprise – puisse le voir. Je veux voir plus de jeunes se passionner pour l’esprit d’entreprise … Et si j’ai un objectif moins passionné, plus sérieux, c’est que je veux que les décideurs examinent cette question et disent : « Que pouvons-nous faire pour qu’il soit plus facile, et non pas plus difficile, pour les personnes dans ce pays pour lancer ce genre d’entreprises?

Je dirais même que je rêve que tout étudiant – à quelque niveau que ce soit- le voit. Et les producteurs d’ajouter : Nous avons essayé d’expliquer notre vision pour le film : « Ce que nous envisageons est un film comme Reds [Le film de Warren Beatty en 1981 sur le communisme], où vous remontez dans le temps pour décrire un épisode passionnant de l’histoire – ici la Russie de 1917 – puis demander aux mêmes acteurs ce que c’était à l’époque. Dan a dit: « Ok, vous voulez faire Reds, mais sans les communistes. » C’est en définitive ce qui s’est passé : un très beau dialogue avec des hommes vraiment intéressants et les personnes qu’ils ont financées.

« Un film sur le capitalisme, et (surprise) c’est une histoire d’amour. »

C’est le titre d’un autre article sur le film, où le journaliste dit les cinéphiles peuvent voir ce qui pourrait être un des oiseaux les plus rares dans le monde du documentaire: une véritable histoire d’amour pour le capitalisme. Ailleurs, la cinéaste, Dayna Goldfine, explique: Je pense que ce qui nous a motivé, même si c’est en effet une description positive de l’entreprise, était, un, une occasion de donner un point de vue alternatif. Mais aussi, ce que ces gens faisaient-aussi bien les entrepreneurs que capital-risqueurs- était de créer de vrais produits. Il y tellement eu de nouvelles négatives à la suite de la tragédie financière de ces dernières années causée par les banques, et ces gens qui ont juste créé des instruments financiers, par opposition à changer le monde avec la technologie en créant ou en finançant les ordinateur d’Apple, les routeurs de Cisco Systems, ou les molécules de Genentech. Le co-cinéaste Dan Geller ajoute: Je ne dirais pas que l’argent était accessoire – l’argent était important -, mais l’enthousiasme débordait pour partir de ces idées brillantes et ces technologies assez frustres pour en faire quelque chose de révolutionnaire. C’est cette énergie, je pense, qui ressort à travers ces histoires.

Oui c’est un film sur le capitalisme et les affaires. Mais c’est aussi un film sur l’enthousiasme, le bonheur, l’échec aussi. Il commence en 1957 avec Fairchild et Arthur Rock. Il aurait pu commencer avec le français expatrié Georges Doriot. Un professeur à Harvard qui soi-disant enseigné les techniques de production (en fait, il expliquait combien de verres boire lors d’un cocktail et comment lire les journaux – aller aux nécrologies), Doriot n’a pas créé le capital-risque avec ARD (même si il a financé Digital Equipment – DEC) – Rock a créé le terme plus tard, mais Doriot a inspiré la plupart des héros du film: Tom Perkins, Bill Draper, Pitch Johnson, Dick Kramlich. Et ces gens-là ont financé Intel, Atari, Apple, Tandem, Genentech, Cisco. (Le film raconte des histoires des années 60 aux années 80, mais Google, Yahoo, Amazon, Facebook auraient pu être ajoutés). En effet, avec le film, Le Réseau Social, c’est le meilleur film que j’ai vu sur les entreprises de haute technologie. J’avais presque oublié dans le Réseau Social à quel point la société Bostonienne est close (cf les efforts désespérés de Zuckerberg pour entrer dans l’élite des clubs sociaux). Ici aussi, le Wild West explique son succès par l’ouverture et la prise de risque.

Et les auteurs ne trichent pas. Il est aussi question de souvenirs douloureux, comme par exemple l’histoire de Powerpoint qui a terminé dans les mains de Microsoft, peut-être parce que l’entrepreneur avait trouvé trop dure son aventure ou comment l’un des rares femmes dans ce monde, Sandy Lerner, la co-fondatrice de Cisco, n’a peut-être toujours pas pardonné son licenciement par la compagnie qu’elle avait créée: vous devez comprendre dans quel jeu vous êtes […] Regardez, il n’y avait pas de case pour moi. Alors oui, il est également question d’échecs, de morts vivants, mais il y a un sentiment de joie, une feel good attitude, et des moments (très) drôles, comme lorsque Don Valentine visite l’usine d’Atari et ne reconnaît pas les marques de cigarettes qu’il fume! Ou quand Gordon Moore (la fameuse loi de Moore) se souvient qu’Intel est entrée en bourse le même jour que PlayBoy.

Donc, si vous ne connaissez pas (ou même si vous en savez beaucoup sur) Fairchild, Intel, Atari, Tandem, Genentech, Apple, Cisco, et même si vous ne se souciez pas de l’esprit d’entreprise, allez vite voir Something Ventured. Espérons que vous vous en soucierez ensuite!

Les brevets freinent l’innovation, supprimons-les !

Mon premier post pour 2012 une interview que j’ai donnée au magazine français La Recherche. Il a été publié en décembre dernier et vous pouvez avoir une version électronique ici ou un document pdf en cliquant sur la page de couverture ci-dessous. Le texte intégral suit. Maintenant, je dois dire que j’ai été un peu surpris par le titre que je n’avais pas prévu. J’avais plus pensé à quelque chose comme « Les start-up sont les parents pauvres de l’innovation ! » Le titre montre mes doutes sur la propriété intellectuelle et sur les brevets en particulier. Il est certainement trop fort, mais c’est ce pour quoi les titres sont faits…

Les brevets freinent l’innovation, supprimons-les !

L’innovation est affaire de culture. Admirateur de la Silicon Valley qu’il fréquente depuis vingt ans, Hervé Lebret invite l’Europe à s’inspirer du dynamisme et de la créativité de ses start-up. Mais tout est-il bon à prendre dans ce modèle ?

La Recherche : Un rapport de la Commission européenne souligne que l’Union est de plus en plus distancée par les États-Unis en termes d’innovation avec un niveau de recherche comparable [1]. Comment l’expliquez-vous ?
Hervé Lebret : La principale raison de ce retard de l’innovation en Europe est culturelle. J’ai toujours été frappé de voir à quel point les étudiants aux États-Unis s’intéressent aux applications de leurs recherches, alors que l’on pense plus en Europe en termes de connaissances. Et puis il y a les figures de jeunes créateurs d’entreprise ayant connu le succès. C’est frappant dans la Silicon Valley : Bill Gates a 20 ans quand il fonde Microsoft ; Steve Jobs 21 quand il crée Apple ; Larry Page et Sergey Brin, 25 quand ils créent Google. Ce sont de puissants modèles auxquels un jeune peut s’identifier.
Ce même rapport soutient qu’une des raisons du retard européen est en partie liée aux différences du système des brevets, plus complexe et plus onéreux en Europe. Qu’en pensez-vous ?
H.L. Je suis sceptique quant au rôle des différences législatives. C’est dans la tête des gens que cela se passe : aux États-Unis, ils ont envie d’essayer, n’ont pas peur de l’échec. Je ne suis pas convaincu que l’on soit plus innovant parce que l’on a plus de brevets. Voyez la Suisse, qui possède le plus grand nombre de brevets par habitant : ce pays ne crée pas beaucoup de start-up. Les politiques incitatives ne marchent que s’il existe un terrain culturel favorable.
Mais les brevets ne sont-ils pas un élément clé pour une entreprise innovante, dont la valeur repose souvent sur sa propriété intellectuelle ?
H.L. Les logiciels ne sont pas brevetables, mais cela n’a pas empêché Microsoft de connaître le succès que l’on sait. Quitte à être iconoclaste, je pense que les brevets sont un frein à l’innovation. Je me demande s’il ne faudrait pas les supprimer, sauf peut-être dans des domaines particuliers, telles les biotechnologies, où un brevet correspond grosso modo au procédé de fabrication d’une molécule. Mais dans la plupart des domaines industriels, il faut des milliers de brevets pour protéger une innovation commercialisée. L’entretien très onéreux de ce portefeuille de brevets mobilise de l’argent qui pourrait être mieux utilisé dans la recherche et l’innovation. Là où le brevet favorisait l’inventeur, il est devenu une arme défensive pour préserver des positions dominantes. Regardez la guerre entre Apple et Google : le premier reproche au second d’avoir développé son système d’exploitation des téléphones mobiles Android en violant certains de ses brevets. Cela va à l’encontre de la théorie classique selon laquelle le brevet est la protection du faible, qui peut développer une idée durant des années sans craindre de se la faire prendre.
La faiblesse du capital-risque, qui priverait les jeunes entreprises innovantes des capitaux nécessaires à leur développement, explique-t-elle en partie les carences de l’innovation en Europe ?
H.L. Contrairement à une idée reçue, il y a toujours eu du capital-risque en Europe, et en particulier en France. Ce n’est pas un problème quantitatif, mais qualitatif : le capital-risque, en Europe, est géré par des gens qui viennent de la finance ou de la consultance, pas de l’entrepreneuriat. Là encore, c’est une différence culturelle. C’est en train de changer. D’anciens entrepreneurs se mettent à créer des fonds de capital-risque ou à devenir business angels. En France, je pense à Bernard Liautaud, fondateur de l’éditeur de logiciel Business Objects, ou à Xavier Niel, fondateur de l’opérateur de téléphonie Free, qui ont tous deux rejoint des fonds de capital-risque. Les fondateurs de Skype, eux, ont créé Atomico, leur propre fonds.
Vous ne cachez pas votre admiration pour la Silicon Valley. Si le secret de son dynamisme est, comme vous le soutenez, d’ordre culturel, comment peut-on s’en inspirer en Europe ?
H.L. On peut s’inspirer d’usages, de pratiques, notamment la coopération. Dans la Silicon Valley, la curiosité est partagée. Les gens savent que l’échange d’idées est fructueux, et ne craignent pas de se faire voler leurs idées. Les deux fondateurs de Google étaient doctorants dans deux laboratoires rivaux de l’université Stanford, mais ils se sont parlé ! Il n’est pas rare que l’on s’adresse à son compétiteur pour résoudre ses problèmes : dans les années 1960, les principaux acteurs de l’industrie californienne des semi-conducteurs se retrouvaient au Wagon Wheel Bar, à Mountain View, pour discuter de leur travail. En Europe, beaucoup de laboratoires, académiques et plus encore privés, ont une culture du secret, ils craignent l’échange.
Que mettez-vous en œuvre à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où vous enseignez, pour développer ce goût de l’innovation et de l’entrepreneuriat chez les étudiants ?
H.L. Je crois beaucoup au rôle des modèles exemplaires. J’organise donc des conférences avec des entrepreneurs qui ont réussi pour qu’ils fassent partager leur expérience. Cela montre aux étudiants que ce sont des passionnés qui n’ont pas eu peur d’essayer, même si à peine un sur mille rencontre le succès. Ils donnent envie. Mais l’envie n’est rien sans les moyens. D’où le programme « Innogrants » que je gère : un salaire de un an pour un jeune chercheur qui est libéré de ses activités de recherche et d’enseignement pour pouvoir se consacrer à son projet d’innovation. Si cela marche, on espère que le privé prenne la suite. Cinquante Innogrants ont été attribués en cinq ans. La moitié d’entre eux ont débouché sur la création de sociétés en sciences de la vie, en micro- ou nanoélectronique ou en technologies de l’information. Et cinq d’entre elles ont trouvé des investisseurs privés.
Cela reste tout de même modeste…
H.L. Oui, il faut rester humble : tout ce que nous pouvons faire est de créer un terrain favorable à la création d’entreprises innovantes, comme nous le faisons avec les Innogrants. Au total, depuis quinze ans, il se crée environ une dizaine de start-up par an à l’EPFL. Une quinzaine ont levé du capital risque, 300 millions d’euros en tout. Quatre ou cinq ont été vendues à des groupes industriels, parfois très cher. Endoart, une société fondée en 1998 à l’EPFL spécialisée dans la fabrication d’implants médicaux contrôlables à distance, a ainsi été revendue neuf ans plus tard 100 millions de dollars à l’américain Allergan ! Mais on sent bien qu’il y a une sorte de modestie, d’auto-limitation des entrepreneurs européens par rapport à leurs homologues américains.
Un ancien chercheur de l’EPFL reprochait à la direction de cette université de « recopier aussi scrupuleusement que possible le modèle de l’université étatsunienne » [2]. Tout vous paraît-il bon dans le modèle américain ?
H.L. Ces critiques portent sur la science, pas sur l’innovation. La mise en compétition permanente des chercheurs, l’instabilité des statuts n’est pas une bonne idée dans la recherche. Il est très important de laisser des imaginations s’exprimer. Il y a un grand danger à maintenir les gens sous pression permanente. Mais en matière d’innovation, le modèle américain fonctionne.
Vous estimez qu’au plus une start-up sur mille rencontre le succès. Cela ne constitue-t-il pas quand même un énorme gaspillage ?
H.L. Il ne faut pas tout mesurer en termes d’argent ou de rendement. Ce qui compte, c’est la créativité. Pour moi, la Silicon Valley c’est la nouvelle Athènes. Comme la Grèce, c’est une culture : tout ce qui est sorti de cette région en cinquante ans est fabuleux. Les technologies du numérique qui y ont été inventées ont changé pour toujours notre manière de nous informer, de nous cultiver et de nous divertir. C’est sans doute pour cela que la mort de Steve Jobs, qui en était un personnage emblématique, a eu tant de retentissement en octobre dernier. Par ailleurs, si l’on raisonne en termes macroéconomiques, je ne pense pas que le modèle américain repose sur un gaspillage. Aux États-Unis, le capital-risque pèse une vingtaine de milliards de dollars par an. Depuis vingt ans, 400 milliards ont donc été investis. Et une seule entreprise, Google, en vaut aujourd’hui 200. Au final, la création de valeur économique est à la hauteur de l’argent qui a été investi. C’est un succès collectif, même s’il est fondé sur des milliers d’échecs individuels, qui sont souvent très durs humainement.

L’entrepreneur doit être placé au centre de la politique de l’innovation

Les 200 milliards de dollars de capitalisation boursière de Google ne sont-ils pas exagérés par rapport à la valeur réelle de l’entreprise ?
H.L. Le monde du capital-risque est hélas devenu un actif financier comme un autre. Ce n’est plus un monde d’anciens entrepreneurs qui poursuivent leurs affaires tout en investissant dans celles d’autres. Il y a trop d’argent, trop de spéculation dans le capital-risque américain. Mais je rappelle que les start-up sont apparues bien avant le Nasdaq, la Bourse où s’échangent les actions d’entreprises de haute technologie. La Silicon Valley a commencé dans les années 1960 et 1970, dans le contexte de la contre-culture californienne. Steve Jobs n’hésitait pas à dire qu’une partie de sa créativité venait de la consommation de drogue lorsqu’il était jeune. La financiarisation de l’économie n’a débuté que dans les années 1980. À l’origine, les financiers n’étaient que les mécènes de grands créateurs. Cela dit, je pense que la tendance actuelle des grands groupes à restreindre leurs dépenses de recherche et développement est catastrophique. Les actionnaires veulent 15 % de rentabilité et poussent à couper dans les dépenses de recherche. De bonnes start-up ne peuvent naître que s’il y a aussi de la bonne recherche privée.
Allons-nous de ce fait vers un essoufflement du dynamisme de l’innovation technologique ?
H.L. Je suis en effet préoccupé par la panne actuelle que semble connaître l’innovation : les années 1970 ont été marquées par le transistor ; les années 1980 par l’ordinateur personnel ; les années 1990 par les réseaux. Mais dans les années 2000, je ne vois rien de bien nouveau. Le web 2.0 n’est pas une révolution technologique, c’est une consolidation. C’est plus général : la biotechnologie a été plutôt décevante, il n’y a pas non plus de révolution en matière d’énergie, de chimie. Il n’est pas clair que les nanotechnologies soient porteuses de vraies ruptures technologiques. Je crains que les années 2000 n’aient pas vu naître de start-up qui soient équivalentes d’Intel dans les années 1960, d’Apple, de Microsoft ou de Genentech dans les années 1970, de Cisco dans les années 1980, ou de Google dans les années 1990. Il y a certes Facebook mais cette société ne repose pas sur une grande innovation technologique. Cela dit, il y a toujours eu un pessimisme sur l’avenir de l’innovation, j’espère donc avoir tort !
Vous citez des entreprises de technologie de l’information ou de biotechnologie. Ce modèle de la start-up est-il transposable à des domaines gourmands en capitaux, et où existent déjà des acteurs importants, comme l’aéronautique, l’automobile, la chimie ?
H.L. Les acteurs établis ne sont pas forcément les plus innovants. Clayton Christensen, de la Harvard Business School, l’a bien montré en 1997 : dans une entreprise établie, on améliore des produits existants [3]. On y fait de l’innovation par évolution, pas par révolution. Renault peut inventer la voiture
électrique, mais pas un nouveau mode de transport. D’ailleurs l’idée du monospace, qui a ensuite été copiée, n’est pas venue des bureaux d’études de Renault, mais de la société Matra, qui n’avait pas la même expérience en automobile, ce qui la rendait plus créative. C’est aussi pour cette raison que les grosses entreprises, en particulier pharmaceutiques, sous-traitent leur politique de l’innovation : elles préfèrent laisser les start-up prendre des risques, et les acheter ensuite. Même une ancienne startup comme Cisco, en informatique, remplace le terme de recherche et développement par celui d’acquisition et développement.
Pourquoi insistez-vous tant sur les start-up ? Un institut académique peut aussi bien accorder des licences de ses brevets à des industriels, ou former des laboratoires mixtes privé/public…
H.L. Le problème de fond est de savoir vers qui est dirigée la politique de l’innovation. Ma conviction est que l’entrepreneur doit être au centre. Ce n’est pas ce que l’on fait en France : les pôles de compétitivité sont des clusters de sociétés établies, et non des dispositifs favorisant la créativité par l’entrepreneuriat. J’insiste sur le modèle start-up parce que c’est le parent pauvre des politiques de l’innovation. Bien sûr qu’il y a de l’innovation dans les grands groupes. Je me demande cependant s’ils sont capables de vraies ruptures novatrices. Ils peuvent se donner un objectif – l’écran plat, le téléphone intelligent, ou, aujourd’hui, la voiture électrique – et le sortir dans vingt ans. Mais peuvent-ils faire des choses entièrement nouvelles, comme l’a fait Google ? Ou Genentech, qui a révolutionné la fabrication de médicaments en utilisant les techniques du génie génétique ? Je crois que seules les start-up en sont capables. Christensen disait : si vous voulez faire une innovation majeure, créez une filiale et placez-la le plus loin possible de votre centre de recherche car le pire ennemi de l’innovation dans une entreprise est le conservatisme. L’innovation est la plus forte dans de petites équipes : c’est ce qui se passe dans les start-up.

■■ Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis


Hervé Lebret, polytechnicien, docteur en électronique et diplômé de l’université Stanford, a travaillé, après un passage dans la recherche, comme capital-risqueur, à Genève de 1997 à 2004. Depuis, il enseigne le management de la technologie et gère un fonds de préamorçage à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

>>Hervé Lebret, Start-up. Ce que nous pouvons encore apprendre de la Silicon Valley, Create Space, 2007. www.startup-book.com
>>L’étude de l’Organisation et de développement économiques sur les brevets. www.oecd.org/sti/scoreboard
>>Le site des Innogrants de l’EPFL. http://vpiv.epfl.ch/innogrants

[1] Commission européenne, Innovation Union Competitiveness Report 2011, http://ec.europa.eu/research/innovation-union.
[2] Libero Zuppiroli, La Bulle universitaire. Faut-il poursuivre le rêve américain ? Éditions d’en bas, 2010.
[3] Clayton Christensen, The Innovator’s Dilemma, Harper’s, 1997.

Innovation darwinienne et lamarckienne

J’ai beaucoup aimé Un paléoanthropologue dans l’entreprise, le dernier livre de Pascal Picq, un paléoanthropologue qui explore le monde de l’innovation. Il applique ses connaissances de l’évolution pour comparer deux types d’innovations: en simplifiant, l’Europe continentale, plutôt lamarckienne et le monde anglo-saxon et surtout les Etats Unis, de type darwinien.

Je mets en garde le lecteur français en citant Picq dans sa conclusion (page 236): « l’entreprise darwinienne n’a rien à voir avec tous les clichés aussi stupides qu’erronés sur l’évolution. C’est une entreprise qui s’adapte aux changements en mobilisant les mécanismes de l’innovation, qui s’articulent sur le couple variation/sélection »

Dès son introduction, nous plongeons dans le vif du sujet: « Les responsables publics qui oeuvrent à décloisonner notre société française verticale verront, dans l’opposition de Lamarck et de Darwin, l’inefficacité des organisations compétentes face au bricolage fructueux des réseaux qui ouvrent de nouvelles sources d’innovation et de développement. » et d’ajouter: « La diversité est un pré-requis à l’innovation. » (page 12)

Picq explique (page 44): « La sélection naturelle fonctionne en deux temps, la production de variations – c’est la variabilité – et, second temps, la sélection. C’est l’algorithme darwinien. » Il n’y a ni hasard, ni nécessité. A chaque étape de l’évolution, apparaissent des innovations dont les variations aléatoires sont contraintes par l’histoire. C’est ce que signifie le jeu des possibles.

Il a bien conscience que l’utilisation de la biologie pour faire des analogies avec l’économie est dangereuse (page 51): « les concepts d’entreprises et d’espèces ne se définissent pas facilement ». Et l’analogie de l’évolution a donc sans doute ses limites. « Mais il y a un message important : la variabilité » (page 52) « Si l’environnement est favorable, il n’y a pas de sélection. S’il y a compétition pour les ressources, alors elle se manifeste en jouant sur les variations. L’adaptation résulte de ce mécanisme ». Il n’y a pas d’adaptation parfaite, mais (page 55) « l’isolationnisme est l’avant-dernière étape avant l’extinction. » Je ne peux pas m’empêcher de repenser au travail de Saxenian qui a montré que la culture plus fermée de la région de Boston explique en partie le retard pris sur la Silicon Valley et la disparition de Digital Equipement (DEC).

« Il n’existe pas d’adaptation parfaite et même si l’on crée le meilleur des produits, le succès ou l’échec dépendent de nombreux autres facteurs contextuels et contingents. Les voies de l’adaptation ne sont pas impénétrables, mais prennent des cheminements et, parfois, des détours difficiles à prévoir : bricolages, innovations de rupture, et aussi le retour de produits que l’on croyait dépassés et qui trouvent de nouvelles niches. Il y aurait bien une solution, celle d’un modèle planifié des besoins et des usages. Seulement entre Thomas Edison et Steve Jobs, aucune innovation majeure n’est sortie des systèmes économiques dirigistes. D’autre part, s’adapte-t-on à un marché déjà existant ou crée-t-on de nouveaux marchés? Pour des raisons structurelles et historiques – donc culturelles – les entreprises européennes excellent sur des marchés déjà structurés mais arrivent difficilement à inventer de nouveaux marchés comme les entreprises américaines. » (page 84). Un peu plus tôt, il écrit: « L’idée dominante d’une évolution des techniques qui serait linéaire et accumulatrice occulte ce champ d’innovations trop négligé : l’histoire. » (page 63)

« Si un nouveau marché s’ouvre, tout le monde a sa chance. L’absence de pression de compétition et de sélection admet toutes les possibilités, ce qui donne l’impression fallacieuse que l’on est formidable. Mais lorsque le marché se sature ou se rétrécit, c’est là qu’intervient la sélection. Il en a été ainsi avec la téléphonie mobile au milieu des années 1990. Une entreprise comme Nokia, éloignée du domaine de l’électronique, a pu trouver sa place ; aujourd’hui, dans un marché très concurrentiel, ce serait tout simplement impossible. » (page 87)

Je laisse le lecteur découvrir les concepts de préadaptation, transaptation, exaptation. Il décrit aussi les stratégie K et stratégie r. J’extrais d’un autre article de wikipedia sur la comparaison K et r la différence entre les deux:
« – La stratégie r est basée sur la production d’un grand nombre de jeunes, le plus tôt possible, avec une mortalité très élevée. C’est une adaptation aux milieux instables et imprévisibles. C’est le cas des micro-organismes qui sont soumis à ce genre de conditions à cause de leur taille.
– la stratégie K est basée sur une durée de vie très longue, et une reproduction rare et tardive. »

Nous voila dans le coeur du sujet:
L’innovation lamarckienne (page 158) est active. Elle répond à une sollicitation de l’environnement et tend au perfectionnement. « La fonction créée l’organe. » … « Les inventions sont les filles de la nécessité. » Elle consiste à améliorer des produits dans des filières bien établies : automobile, aéronautique, train, spatial, téléphonie, eau, BTP ; pétrochimie…
L’innovation darwinienne (page 160), produit d’abord de la diversité sans augurer des avantages ou désavantages de ce qui émerge, puis dans un second temps il y a action de la sélection. Dans une tel cadre, il faut savoir perdre du temps, installer les conditions de la production d’idées. On y permet la sérendipité.

Ce sont les 20% de temps libre chez Google. Ainsi (page 98), il explique les dangers de la rationalisation des dépenses (cf mon post sur le gaspillage). Puis (page 103) « Steve Jobs s’occupe de Next, sans grand succès, dans une culture de l’essai erreur, cela lui permet de proposer et de tester des idées nouvelles ce qui le conduit à revenir chez Apple – parcours inconcevable en Europe. »

Et voici sa synthèse (page 139):

Culture Lamarckienne Culture Darwinienne
Europe continentale Etats Unis
Hiérarchie des Ecoles Diversité des excellences
« J’ai fait Polytechnique » « J’ai créé une entreprise »
Uniformité des élites Diversité des élites
Grandes entreprises « Small Business Act »
Culture d’ingénieur Culture de chercheur
Agrégés Docteurs (PhD)
Culture de la conformité Culture essai/erreur
Innovation dirigée Algorithme darwinien
Sélection sur le QI Sélection sur la créativité
R&D d’application R&D d’émergence
Colbertisme Liberté des territoires
Carrière Entrepreneuriat
CAC40 Top25

J’aurais pu ajouter sa distinction (page 222) entre Chef d’entreprise et Entrepreneur. Une autre anecdote intéressante : « Si l’on regarde le CAC 40 français, presque toutes existent depuis un demi-siècle. Seule Bertlesmann a moins de 40 ans dans le TOP25 européen alors qu’il y en a 1/3 aux USA. » J’avais mentionné cet aspect dans Start-Up en citant les travaux de Junfu Zhang. « Zhang montre très bien cette dynamique étonnante en comparant la liste des quarante plus grandes sociétés high-tech de la Silicon Valley en 1982 et en 2002 telle que fournie par la société Dun & Bradstreet. Vingt des sociétés de la liste de 1982 n’existaient plus en 2002. Vingt et une des sociétés de la liste de 2002 n’avaient pas encore été créées en 1982. » La voici dans son intégralité:

Les quarante plus grandes entreprises de la Silicon Valley
1982 2002
1. Hewlett-Packard 1. Hewlett-Packard
2. National Semiconductor 2. Intel
3. Intel 3. Cisco b
4. Memorex 4. Sun b
5. Varian 5. Solectron
6. Environtech a 6. Oracle
7. Ampex 7. Agilent b
8. Raychem a 8. Applied Materials
9. Amdahl a 9. Apple
10. Tymshare a 10. Seagate Technology
11. AMD 11. AMD
12. Rolm a 12. Sanmina-SCI
13. Four-Phase Systems a 13. JDS Uniphase
14. Cooper Lab a 14. 3Com
15. Intersil 15. LSI Logic
16. SRI International 16. Maxtor b
17. Spectra-Physics 17. National Semiconductor
18. American Microsystems a 18. KLA Tencor
19. Watkins-Johnson a 19. Atmel b
20. Qume a 20. SGI
21. Measurex a 21. Bell Microproducts b
22. Tandem a 22. Siebel b
23. Plantronic a 23. Xilinx b
24. Monolithic 24. Maxim Integrated b
25. URS 25. Palm b
26. Tab Products 26. Lam Research
27. Siliconix 27. Quantum
28. Dysan a 28. Altera b
29. Racal-Vadic a 29. Electronic Arts b
30. Triad Systems a 30. Cypress Semiconductor b
31. Xidex a 31. Cadence Design b
32. Avantek a 32. Adobe Systems b
33. Siltec a 33. Intuit b
34. Quadrex a 34. Veritas Software b
35. Coherent 35. Novellus Systems b
36. Verbatim 36. Yahoo b
37. Anderson-Jacobson a 37. Network Appliance b
38. Stanford Applied Engineering 38. Integrated Device
39. Acurex a 39. Linear Technology
40. Finnigan 40. Symantec b

NOTES: Ce tableau est une compilation établie à partir des données de Dun & Bradstreet (D&B) Business Rankings data. Les entreprises sont classées selon leur chiffre d’affaires.
a – N’existait plus en 2002.
b – N’existait pas en 1982.

En conclusion, l’Europe se distingue par une culture entrepreneuriale très lamarckienne, favorisant et soutenant les grandes filières, avec une organisation par secteurs juxtaposés pour les entreprises, les écoles, les syndicats, les administrations, les banques, etc. Elle excelle dans l’innovation active de type ingénieur, dans des domaines très techniques avec une vraie réussite sur des marchés structurés. Evidemment, (page 164) « il y a là une vraie difficulté, qui est le passage de l’innovation à la phase entrepreneuriale. » Il faut (page 168) « prendre des risques, susciter une culture de l’essai/erreur », ne pas pénaliser l’échec. « Il y a une nécessité impérieuse de développer la culture entrepreneuriale à tous les niveaux de nos sociétés : école, lycées et universités, bien sûr, mais aussi dans les entreprises et la société en général. »

Il ne s’agit pas d’être lamarckien ou darwinien. « Et de rappeler que R&D c’est recherche et développement, R pour Darwin et D pour Lamarck, les deux temps de l’algorithme darwinien. » Tout le talent est dans l’équilibre entre les deux temps. (page 170)

C’est peut-être ici que j’ai senti un certain désaccord avec Picq. Darwin et Lamarck s’appliquent tous les deux au D et c’est peut-être notre échec en Europe. Nous avons oublié que Darwin doit aussi agir dans la phase de développement.

Picq développe sa conception du bricolage (page 174): « Nous avons trop longtemps cru que la complexité des organismes dépendait du nombre de gènes. » « En fait, les structures se simplifient par intégration successive au cours de l’évolution (optimisation) mais permettent une diversité de fonctions (plasticité). » (page 175) « Les animaux et les enfants ne sont pas des machines cartésiennes, nous apprenons à marcher, à manger, surtout chez les espèces de type K. » (page 179) « De plus la machine Hydra jamais battue par les meilleurs champions [d’échec] a été battue en 2005 par des joueurs de très bon niveau – mais pas des grands maîtres – ayant utilisé des ordinateurs standards et connectés à des sites et d’autres joueurs . C’est du bricolage ! » … « Une association d’entités intelligentes, mais plus simples et nourries d’informations externes se montre plus efficace que la plus belle et la plus sophistiquée des machines avec ses programmes, ses routines, ses logiciels et ses banques de données internes. »

J’aurai pu reprendre ici sa mise en garde sur la mauvaise compréhension de la théorie darwinienne que j’ai mise au début. Il ajoute: « Il y a une conception caricaturale de la guerre de tous contre tous [en écologie comme en innovation] » (page 185). « Il faut penser compétition non pas pour éliminer mais dans une stratégie de coopétition. » … « Cela exige une culture ouverte, avec des collaborations intriquées ». … « La Silicon Valley reste le modèle le plus paradigmatique » alors que Sophia Antipolis reste une juxtaposition d’entreprises. « Les territoires et plus généralement les populations périphériques fixent les innovations plus facilement et partant évoluent plus rapidement. » Puis encore (page 236) « Etre darwinien, ce n’est pas éliminer les autres, mais écarter des pratiques et des modèles aux effets délétères pour l’économie et l’ensemble de la société. La théorie darwinienne n’a jamais été la loi du plus fort, ni de l’individualisme égoïste, ni de la guerre de tous contre tous. La vie ce n’est pas un monde à la Rousseau, mais nous vivons encore moins dans un monde à la Hobbes. »

Une dernière anecdote: « Au début des années 1980, IBM a hésité à se lancer sur le marché du micro-ordinateur. Big Blue a suivi une stratégie K avec une grande expertise sur les gros systèmes informatiques. Puis le management a décidé d’ « isoler » un petit groupe d’ingénieurs très créatifs et non contraints par les procédures habituelles. De là est né l’IBM-PC, un parfait exemple d’innovation rapide par dérive génétique dans une population de faible effectif et placée en périphérie. » Nous sommes en plein dans la théorie du dilemme de l’innovateur de Clayton Christensen.

Je vous laisse lire sa conclusion sur la raison pour laquelle l’homme est allé en Australie. Et je n’ai pas pris le temps de parler de sa description des gazelles, antilopes, buffles et autres éléphants, ni de sa défense d’un Small Business Act à la française (ou l’Européenne). On pourra peut-être reprocher à Picq des imprécisions, des inexactitudes, une vulgarisation un peu rapide, mais on aurait tort de s’arrêter à cela, car il s’agit là d’un livre extrêmement stimulant pour ne pas dire passionnant.

Une histoire du capital-risque

Je suis surpris de n’avoir pas encore mis en ligne ce document. J’y avais travaillé bien avant d’écrire mon livre et le résultat en est devenu son chapitre 4. Le capital-risque a environ 50 ans et a beaucoup évolué avec l’innovation et la high-tech. J’espère que vous apprécierez ces slides très visuelles (que je n’ai pas eu le courage de traduire en français). Je viens de les mettre à jour.

Qu’est-ce qu’un entrepreneur en France?

J’ai eu un choc, ou plutôt, j’ai été amusé par le résultat de Google Translate pour obtenir une traduction de « l’entrepreneur doit être au centre des écosystèmes innovants »; j’ai obtenu « the contractor must be the focus of innovative ecosystems. » Ce n’est sans doute pas un hasard.

Laissez moi vous rappeler une de mes citations favorites, celle de Paul Graham « Je lis de temps en temps des analyses sur les parcs scientifiques comme si le composant actif de la Silicon Valley était le béton. Un article en particulier sur Sophia Antipolis insistait sur la venue d’entreprises comme Cisco, Compaq, IBM ou Nortel. Est-ce que les Français ont oublié qu’elles ne sont pas des start-up? »

Contractor, béton… Quand j’étais enfant, un entrepreneur construisait des bâtiments. Google n’a fait que reprendre cette tradition. Révélateur? Je vais revenir prochainement sur le sujet en commentant le livre que je lis en ce moment: « le paléoanthropologue dans l’entreprise ; s’adapter et innover pour survivre » de Pascal Picq. Ce qui me frappe d’entrée est le descriptif Lamarckien des entreprises françaises face à la tradition Darwinienne des anglo-saxonnes… Il se pourrait bien que l’auteur explique nombre des différences culturelles de ces deux mondes.

Quand l’Amérique s’inquiète pour son entrepreneuriat

Trois après mon post inhabituel sur Obama, voici un sujet qui lui est lié. Mais avant d’aborder le sujet, je dois exprimer mon admiration pour le président américain. Même après voir vu The Ides of March de George Clooney et malgré les déceptions nombreuses qu’il suscite chez beaucoup de gens, je reste fasciné par le parcours. J’ajoute pour l’anecdote que j’étais à Washington en octobre 2009 quand il a reçu Prix Nobel de la Paix puis dans la Silicon Valley en septembre 2011 quand il a prononcé son récent discours au Congrès. J’avais aussi apprécié le Diner des Titans.

La Maison Blanche vient de publier TAKING ACTION, BUILDING CONFIDENCE et la deuxième initiative concerne l’entrepreneuriat. Ces six pages, denses, méritent une lecture attentive et j’ai, entre autres, été frappé par le fait que les USA, « la nation la plus entrepreneuriale de la planète » [page 17] s’inquiète « d’un environnement de plus en plus défavorable » et « d’un optimisme en chute libre ». Pour ces raisons, le rapport propose douze initiatives pour « aider à relancer l’esprit entrepreneurial ». (Elles sont listées en anglais à la fin de ce post)

En voici une analyse simplifiée:
– quelques propositions consistent à diminuer les contraintes, i.e. « changer les règles », que j’ai marquées d’un « R » ci-dessous.
– quelques autres sont liées à l’argent et à l’investissement, marquées du « M » de Money.
Il s’agit de mesures classiques, importantes et nécessaires, mais sans surprise.

Ce sont celles qui restent qui m’ont intéressé:
– trois concernent la Propriété Intellectuelle et le Transfert de Technologie , une indication que le système des brevets a peut-être des problèmes;
– plus intéressant encore, les trois dernières sont relatives aux Personnes, aux Talents. Il y est question d’Immigrants et de Mentors.

Je crois qu’il y a là belle matière à réflexion en particulier pour nous, en Europe!


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Win the Global Battle for Talent
Some of the most iconic American companies were started by immigrant entrepreneurs or the children of immigrant entrepreneurs. Today, however, many of the foreign students completing a STEM degree at a U.S. graduate school return to their home countries and begin competing against American workers. A significant majority of the Jobs Council calls upon Congress to pass reforms aimed directly at allowing the most promising foreign-born entrepreneurs to remain in or relocate to the U.S.

Reduce Regulatory Barriers and Provide Financial Incentives for Firms to Go Public
Lowering the barriers to and cost of IPOs is critical to accessing financing at the later stages of a high growth firms’ expansion. A significant majority of the Jobs Council recommends amending Sarbanes-Oxley and “rightsizing” the effects of the Spitzer Decree and the Fair Disclosure Act to lessen the burdens on high growth entrepreneurial companies.

Enhance Access to Capital for Early Stage Startups as well as Later Stage Growth Companies
The challenging economic environment and skittish investment climate has resulted in investors generally becoming more risk-adverse, and this in turn has deprived many high-growth entrepreneurial companies of the capital they need to expand. The Jobs Council recommends enhancing the economic incentives for investors, so they are more willing to risk their capital in entrepreneurial companies.

Make it Easier for Entrepreneurs to Get Patent-Related Answers Faster
There are concerns among many entrepreneurs that, as written, the recently passed Patent Reform Act advantages large companies, and disadvantages young entrepreneurial companies. The Jobs Council recommends taking specific steps to ensure the ideas from young companies are handled appropriately.

Streamline SBA Financing Access, so More High -Growth Companies Get the Capital they Need to Grow
The SBA has provided early funding for a range of iconic American companies. The Jobs Council recommends that the Administration streamline and shorten application processing with published turnaround times, increase the number of full time employees who perform a training or compliance function, expand the overall list of lending partners, and push Congress to fully authorize SBIR and STTR funding for the long term, rather than for short term re-authorizations.

Expand Seed/Angel Capital
The Jobs Council recommends that the Administration clarify that experienced and active seed and angel investors should not be subject to the regulations that were designed to protect inexperienced investors. We also propose that smaller investors be allowed to use “crowd funding” platforms to invest small amounts in early stage companies.

Make Small Business Administration Funding Easier to Access
The SBA has provided early funding for a range of iconic American companies, including Apple, Costco, and Staples. The Jobs Council recommends that the Administration streamline and shorten application processing with published turnaround times, increase the number of full time employees who perform a training or compliance function, expand the overall list of lending partners, and push Congress to fully authorize SBIR and STTR funding for the long term, rather than for short term re-authorizations.

Enhance Commercialization of Federally Funded Research
The government continues to play a crucial role in investing in the basic research that enables America to be the launchpad for new industries. The Jobs Council recommends that the Administration do more to build bridges between researchers and entrepreneurs, so more breakthrough ideas can move out of the labs and into the commercialization phase.

Address Talent Needs by Reducing Student Loan Burden and Accelerating Immigration Reforms
A large number of recent graduates who aspire to work for a start-up or form a new company decide against it because of the pressing burden to repay their student loans. The Jobs Council recommends that the Administration promote Income-Based Repayment Student Loan Programs for the owners or employees of new, entrepreneurial companies. Additionally, we recommend that the Administration speed up the process for making visa decisions so that talented, foreign-born entrepreneurs can form or join startups in the United States.

Foster Regional Ecosystems of Innovation and Support Growth of Startup Accelerators
There is a significant opportunity to build stronger entrepreneurial ecosystems in regions across the country – and customize each to capitalize on their unique advantages. To that end, the Jobs Council recommends that the private sector support the growth of startup accelerators in at least 30 cities. Private entities should also invest in at least 50 new incubators nationwide, and big corporations should link with startups to advise entrepreneurial companies during their nascent stages.

Expand Programs to Mentor Entrepreneurs
Research consistently shows that a key element of successful enterprises is active mentorship relationships. Yet, if young companies do not have the benefit of being part of an accelerator, they often struggle to find effective mentors to coach them through the challenging, early stages of starting a company. Therefore, the Jobs Council recommends leveraging existing private sector networks to create, expand and strengthen mentorship programs at all levels.

Allow University Faculty to Shop Discoveries to Any Technology Transfer Office
America’s universities have produced many of the great breakthroughs that have led to new industries and jobs. But too often, research that could find market success lingers in university labs. The Jobs Council recommends allowing research that is funded with federal dollars to be presented to any university technology transfer office (not just the one where the research has taken place).

Les start-up sont les nouvelles stars!

L’Amérique aime ces héros. Deux événements récents semblent montrer qu’après le Walk of Fame d’Hollywood et les célèbres Hall of Fames du sport entre autres, voici venu le temps de la starification des entrepreneurs et innovateurs high-tech.

– Boston a commencé avec son Kendall Square. Voir par exemple l’article de Xconomy: Entrepreneur Walk of Fame Opens in Kendall Square: Gates, Jobs, Kapor, Hewlett, Packard, Swanson, and Edison are Inaugural Inductees.
– Stanford a suivi avec son projet de « Engineering Heroes ».Il ne s’agit que d’un projet avec uen longue liste de plus de 60 nominés.

A vous de faire votre propre liste. La mienne est implicitement dans mon livre! Je crois que Boston a oublié Robert Noyce. Stanford décidera bientôt de ses vainqueurs. L’intérêt de cette liste est bien sûr les « role models » qu’elles induisent.

Steve Blank et le développement des start-up

Bien que je l’ai mentionné dans des articles passés tels que L’art de la Vente et ses vues sur l’entrepreneuriat, je n’avais jamais lu Steve Blank jusqu’à présent. Je viens de lire The Four Steps to the Epiphany et je dois dire que c’est un superbe travail. Le livre existe aussi en français, Les quatre étapes vers l’épiphanie, mais je préfère toujours l’original aux traductions; à vous de choisir.

Je vais expliquer avec plus de détails sa théorie mais la raison principale pour laquelle j’aime ce livre est qu’il explique pourquoi les fondateurs sont essentiels aux premières phases de développement d’une start-up. Ce n’est pas le discours habituel de « mettre en place les compétences commerciales et cacher les fondateurs » mais plutôt d’ « apprendre et devenir des experts jusqu’au point d’atteindre vos limites ». Je dois tout de suite ajouter que ce n’est pas un livre facile à lire et qu’il est surtout utile à ceux qui se lancent dans l’aventure entrepreneuriale mais aussi dans le développement de produits. Son site web steveblank.com est bourré d’informations, vous trouverez des tonnes de documents sur ses enseignements sur internet et je recommande en particulier sa liste de conseils de lecture Books for Startups.

Steve Blank est célèbre dans le monde entier (mea culpa pour n’avoir pas écrit tout cela plus tôt) pour sa théorie du « Customer Developement ». Alors que nous savons tous que le monde de la high-tech ne parle pas de technologie (non!, les idées et la technologie ne suffisent pas à décrire ce monde), nous avons par contre tendance à penser produits (ce qui est bien plus que la technologie) ou marchés (le business face à la technologie). Mais Steve Blank explique très bien que les produits peuvent être une illusion (ne jamais se vendre) et les marchés extrêmement dangereux si mal compris alors que ce qui compte ce sont les utilisateurs des produits, les personnes qui font les marchés, à savoir les clients. Il explique l’importance d’interagir et avec des clients potentiels avant même la conception et la réalisation des produits (« bottom-up ») puis d’itérer avec eux pendant les développements et d’être attentif à ne pas analyser les marchés que de manière macro-économique ou « top-down ».

Un de ses messages les plus connus dit que le « Product Development » isolé peut être mortel et doit être fait en parallèle avec le « Customer Developement » only. Les start-up n’ont pas au début besoin d’équipe de marketing, de ventes ou de « Business Development », mais de deux équipes seulement, en « Product Development » et en « Customer Development », chacune dirigée par un des fondateur(s)/CEO. Voici une description plus détaillée de ce processus (qui se trouve aussi sur internet) . Puis, quand elles deviennent de grandes entreprises, les start-up peuvent se tourner vers les modèles traditionnels d’organisation.

Voici un ouvrage à lire absolument si vous êtes en mode start-up. Cela vous évitera quelques erreurs (dont certaines peuvent être mortelles).

La gestion et les défis de la croissance

Pas toujours facile de systématiquement maintenir un blog en français et en anglais. J’essaie de le faire aussi souvent que possible mais je n’en ai pas eu le courage pour les trois posts que je viens de faire sur « les défis de la croissance ». Je vous renvoie donc aux trois liens en anglais, qui sont consacrés respectivement à:

– une vieil article de Greiner, toujours d’actualité: Evolution and Revolution as Organizations Grow

– quelques notes sur la gestion de la croissance chez Google

– un rapport très complet du WEF dont j’extrais des citations que je trouve très instructives.