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Bricolage et Innovation (sans oublier Christensen)

Le bricolage n’est pas un mot, me semble-t-il, que l’on associe aisément au mot innovation. Et pourtant ! Il revient plusieurs fois sur ce blog comme l’indique le tag #bricolage. Et voici la référence à un joli article de Paul Millier intitulé L’ingénieur, le bricoleur et l’innovateur. Je ne suis pas sûr qu’il soit en accès libre alors en voici un bref extrait:

L’autre manière d’innover est celle du « Bricoleur » [1], qui lui, au contraire, rassemble des morceaux pour se faire une idée du tout. Il collecte de gauche et de droite des éléments disparates qu’il conserve « au cas où cela puisse servir ». Il les réunit, il les assemble, il les organise et les réorganise jusqu’à ce que tout à coup – de manière presque surprenante – cela prenne du sens et que l’innovateur puisse dire « eurêka ». Bon sang, mais c’est bien sûr ! Comment n’y avait-on pas pensé avant ? La valise et la roulette existaient indépendamment l’une de l’autre jusqu’au jour où quelqu’un les a rapprochées pour faire la valise à roulettes. Comment pourrions-nous imaginer aujourd’hui de voyager sans valise à roulettes ? C’est cela une innovation radicale.

[1] Le terme « Bricoleur » utilisé ici n’a aucun caractère péjoratif, bien au contraire. Il correspond à une profonde distinction proposée par Claude Lévi Strauss dans “La pensée sauvage” (1962) entre deux démarches (également valides) celle du “savant”, de “l’ingénieur” qui se définit par un projet, et celle du “bricoleur” qui s’arrange avec les “moyens du bord” (et donc avec le client dans le cas de l’innovation). Ce terme est tout à fait positif chez cet auteur comme d’ailleurs chez tous ceux qui, dans l’analyse stratégique la sémiotique ou la sociologie, ont repris cette notion.

Le mot bricolage en innovation, je l’avais découvert avec un magnifique texte de Tom Wolfe, The Tinkerings of Robert Noyce, que je vous encourage vivement à (re)lire!

PS: Ne pas mentionner dans un poste sur l’innovation le décès de Clayton Christensen le 23 janvier 2020 aurait été une erreur et le mentionner simplement comme post-scriptum ici en est probablement une autre, mais je ne pourrais rien faire de mieux que
1- l’article de The Economist – https://www.economist.com/business/2020/01/30/clayton-christensens-insights-will-outlive-him
2- l’article de Nicolas Colin – https://europeanstraits.substack.com/p/what-europe-could-learn-from-clay
Si vous ne connaissiez pas Clayton Christensen, vous êtes chanceux, vous allez pouvoir maintenant découvrir son travail!

Loonshots ou comment développer les idées folles selon Safi Bahcall

Voici l’un des meilleurs livres sur l’innovation que j’ai lu depuis des années. L’importance des idées folles, quelques ingrédients pour les faire murir, et surtout l’attitude à adopter pour les rendre moins folles. Plus important encore, les idées folles ont beaucoup plus d’impact sur nos vies que nous ne le pensons. À lire absolument. Voici quelques extraits pour vous convaincre …

Loonshot: un projet négligé, largement rejeté, son champion classé comme déséquilibré.

La thèse du Loonshot:
1. Les avancées les plus importantes proviennent des Loonshots, des idées largement rejetées et dont les champions sont souvent déclassés comme fous.
2. Des groupes importants de personnes sont nécessaires pour traduire ces avancées en technologies qui gagnent des guerres, en produits permettant de sauver des vies ou en stratégies qui changent les industries.
3. L’application de la science des transitions de phase au comportement des équipes, des entreprises ou de tout groupe ayant une mission fournit des règles pratiques pour améliorer et accélérer la lecture des échecs.
[Page 2]

Bush a changé la recherche publique de la même manière que Vail a changé la recherche des entreprises. Tous deux ont reconnu que les grandes idées – les avancées qui modifient le cours de la science, des affaires et de l’histoire – échouent plusieurs fois avant de réussir. Parfois, elles survivent par pure chance. En d’autres termes, les avancées qui changent notre monde sont nées du mariage du génie et de la sérendipité. [Page 37]

Mais ceux qui réussissent vraiment – les ingénieurs de la sérendipité – jouent un rôle plus humble. Plutôt que de défendre n’importe quel loonshot, ils créent une structure exceptionnelle pour nourrir de nombreux loonshots. Plutôt que des innovateurs visionnaires, ce sont des jardiniers prudents. Ils veillent à ce que à la fois les loonshots et les franchises soient bien entretenues, qu’aucune ne domine l’autre et que chaque camp entretienne et soutient l’autre. [Page 38]

Comme nous le verrons dans les chapitres suivants, gérer le toucher et l’équilibre est un art. La sur-gestion du transfert provoque un type de piège. La sous-gestion de ce transfert en cause un autre. [Page 42]

Un champion du projet

Du côté créatif, les inventeurs (les artistes) pensent souvent que leur travail doit parler pour lui-même. La plupart trouvent n’importe quel type de promotion désagréable. Du côté des entreprises, les cadres (les soldats) ne voient pas le besoin de quelqu’un qui ne fabrique pas ou ne vend pas de choses – de quelqu’un dont le travail consiste simplement à promouvoir une idée en interne. Mais les grands champions de projets sont bien plus que des promoteurs. Ce sont des spécialistes bilingues, qui parlent couramment le langage artiste et le langage soldat, qui peuvent rapprocher les deux côtés. [Page 63]

Les réponses contrariennes, vécues en toute confiance, créent des investissements très attractifs. [Page 63]

LSC: Listen to the Suck with Curiosity.
LSC, pour moi, est un signal. Lorsque quelqu’un conteste le projet dans lequel vous avez investi des années, le défendez-vous avec colère ou enquêtez-vous avec une véritable curiosité? [Page 64]


Quelques célèbres créateurs de Loonshots…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Akira_End%C5%8D
https://fr.wikipedia.org/wiki/Juan_Trippe
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edwin_H._Land

Des années plus tard, Land devint réputé pour son proverbe: «N’entreprenez de programme que si l’objectif est manifestement important et si sa réalisation est pratiquement impossible». [Page 96]

Ensuite, l’auteur a une thèse étonnante sur la taille de l’équipe. « Je montrerai que la taille de l’équipe joue le même rôle dans les organisations que la température pour les liquides et les solides. Lorsque la taille de l’équipe franchit un « nombre magique », l’équilibre des incitations se déplace d’une focalisation sur les loonshots vers une focalisation sur les carrières.
Ce nombre magique est

où G est le taux de croissance des salaires avec promotion (par exemple 12%); S décrit la structure hiérarchique – si elle est étroite, chaque responsable dispose d’un petit nombre de reports directs et il y a de nombreuses couches hiérarchiques, alors que si elle est large, il y aura plus de reports directs et moins de hiérarchie – E est le ratio equity qui lie votre paye à la qualité de votre travail. Le dernier paramètre F est le rendement de la politique par rapport à l’adéquation projet-compétence.
Dans de nombreux cas, le nombre magique M est égal à 150… [pages 195-200]
Safi Bahcall a de nombreuses autres descriptions étonnantes, notamment l’importance des lois statistiques de puissance (power law) dans l’innovation [Page 178] ou celle-ci [Page 240]

Pour qu’une pépinière autonome se développe – dans une entreprise ou un secteur – trois conditions doivent être remplies:
1- Séparation de phases: groupes de franchise et de franchise distincts
2- Equilibrage dynamique: échanges homogènes entre les deux groupes
3- Masse critique: groupe de lonnshot suffisamment puissant pour s’enflammer.

Appliquées aux entreprises, les deux premières sont les premières règles Bush-Vail discutées dans la première partie. La troisième masse critique concerne l’engagement. S’il n’y a pas d’argent à payer pour embaucher de bonnes personnes ou pour financer des idées et des projets en début de phase, un groupe non averti dépérira, quelle que soit sa qualité. Pour prospérer, un groupe indépendant doit avoir une réaction en chaîne. Un laboratoire de recherche qui produit un médicament performant, un produit à succès ou des conceptions primées attirera les meilleurs talents. Les inventeurs et les créatifs voudront apporter de nouvelles idées et surfer sur la vague d’une équipe gagnante. Le succès justifiera plus de financement. Plus de projets et plus de financement augmentent les chances de plus de succès – le saut positif d’une réaction en chaîne.

Combien faut-il de projets pour atteindre la masse critique? Supposons que les probabilités soient de 1 sur 10 que n’importe quel tireur d’élite réussisse. Une masse critique pour déclencher la réaction avec une grande confiance nécessite d’investir dans au moins deux douzaines de ces échecs (un portefeuille diversifié de dix de ces loonhsots a 65% de chances de produire au moins un gain; deux douzaines, une probabilité de 92%).

L’innovation de rupture à nouveau [Page 263]

Utilisez « l’innovation de rupture » pour analyser le passé. Encouragez les loonshots pour tester vos convictions.

Dans un article abordant la controverse récente concernant la notion d’innovation de rupture, Christensen explique pourquoi Uber n’est pas disruptif, selon sa définition, et pourquoi l’iPhone a également été conçu comme une innovation incrémentale. Au chapitre 3, nous avons vu qu’American Airlines – un grand acteur établi, et non pas un nouveau venu – a mené l’industrie du transport aérien après la déréglementation en proposant de nombreuses innovations « incrémentales », brillantes et destinées aux clients haut de gamme. Des centaines de jeunes compagnies aériennes à bas coûts, « innovateurs de rupture» , ont échoué.

Si le transistor, Google, l’iPhone, Uber, Walmart, IKEA et le Big Data d’American Airlines, ainsi que d’autres idées transformant le secteur, étaient tous au début des innovations viables et que des centaines d ‘« innovateurs de rupture » ont échoué, peut-être que la distinction entre incrémental et disruptif, bien qu’intéressante d’un point de vue académique ou rétrospectif, est moins essentielle que d’autres notions pour guider les entreprises en temps réel.

C’est au moins pourquoi je n’utilise pas cette distinction dans ce livre. J’utilise la distinction entre le type S et le type P parce que les équipes et les entreprises, ou toutes les grandes organisations, développent des croyances profondes, parfois consciemment, souvent pas, à la fois sur les stratégies et les produits. Peut-être que tout ce que vous êtes certain de savoir sur vos produits ou votre modèle d’entreprise est correct, et que les personnes qui vous racontent une idée folle qui remet en question vos convictions sont erronées. Mais que se passe-t-il si elles ne le sont pas? Ne préféreriez-vous pas découvrir cela dans votre propre laboratoire ou votre étude pilote plutôt que de le lire dans un communiqué de presse publié par l’un de vos concurrents? Combien de risques êtes-vous prêt à prendre en rejetant leur idée?

Nous voulons concevoir nos équipes, sociétés et nations afin de se nourrir des loonshots – de manière à maintenir l’équilibre délicat avec nos franchises – afin d’éviter de devenir comme l’empereur Qianlong. Celui qui a rejeté ces « objets étranges ou ingénieux », les mêmes objets étranges et ingénieux qui sont revenus entre les mains de ses adversaires, des années plus tard, et ont condamné son empire.

Obama et la Silicon Valley, une vision commune du futur?

Rarement ai-je lu deux articles donnant une vision en apparence aussi proche des défis et enjeux du futur de la planète que ceux que je vais mentionner dans un instant. Je dis bien en apparence, car derrière une certaine cohérence de la vision confiante de l’avenir, se cache des différences assez fondamentales sur les défis.

Mais je vais me permettre une digression avant d’entrer dans le vif du sujet. Un troisième article a été publié sur un sujet bien différent en apparence dans l’édition papier du New Yorker en date du 10 octobre 2016 – il y est question du passé et du présent! – et intitulé He’s Back. Cet article m’a rappelé que mes deux lectures les plus importantes de l’année 2016 (et peut-être du 21e siècle) sont celles que j’ai mentionnées dans le post Le monde est-il devenu fou? Peut-être bien…, à savoir le formidable Le capital au 21e siècle de Thomas Piketty et le non moins remarquable Dans la disruption – Comment ne pas devenir fou ? de Bernard Stiegler. En vous donnant le titre de l’édition numérique j’espère vous inciter à découvrir Karl Marx, Yesterday and Today – The nineteenth-century philosopher’s ideas may help us to understand the economic and political inequality of our time.

Revenons au sujet qui motive ce post. Barack Obama vient de publier dans The Economist un texte assez court où il décrit les enjeux à venir. C’est un article brillant d’une rare hauteur de vue. Il créée aussi un certain mystère autour du président américain. Est-il très bien entouré de conseillers informés et/ou s’est-il intéressé si profondèment à ces sujets au point de trouver le temps d’écrire (je devrais dire de décrire) lui-même la complexité du monde. Il faut absolument lire The Way Ahead.

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En comparaison, l’article Adding a Zero de la même édition du New Yorker du 10 octobre dernier, et intiutlé dans la version électronique Sam Altman’s Manifest Destiny avec un sous-titre toutefois identique Is the head of Y Combinator fixing the world, or trying to take over Silicon Valley? (le patron de Y combinator essaie-t-il de transformer le monde ou de conquérir la Silicon Valley?). Ce très long article décrit bien les raisons pour lesquelles on peut aussi bien adorer et détester la Silicon Valley. Elle est un Pharmakon (à la fois un remède et un poison selon les mots de Stiegler). Je vous encourage à le lire aussi, mais la priorité devrait aller à lire d’abord Barack Obama.

Je vais essayer de m’expliquer. Obama a beaucoup essayé et moins réussi, mais il y a une cohérence, je crois, de son action. Dans The Economist, il écrit (enfin je traduis): « [Pour] rétablir pleinement la foi dans une économie où les Américains qui travaillent dur peuvent se projeter vers l’avenir, il faut traiter quatre grands défis structurels: stimuler la croissance de la productivité, lutter contre la montée des inégalités, veiller à ce que tous ceux qui le souhaitent puissent avoir un emploi et contruire une économie résiliente qui prépare la croissance future. » Obama est un optimiste et un modéré. Tout sauf un révolutionnaire. Il y a une très belle phrase au milieu de l’article: La présidence est une course de relais, nécessitant de chacun de nous de faire sa part pour rapprocher le pays de ses aspirations les plus élevées (The presidency is a relay race, requiring each of us to do our part to bring the country closer to its highest aspirations). Les aspirations les plus élevées. Je pense sincièrement que c’est la raison pour laquelle Obama méritait le prix Nobel de la paix malgré toutes les difficultés de sa tâche.

La Silicon Valley a le même optimisme et la même croyance dans le progrès technologique et le bien être qu’il apporte (ou qu’il peut apporter). La croissance y est un mantra. Sam Altman ne déroge pas à la règle. En voici quelques exemples: « Nous avions limité notre chiffre d’affaires prévisionnel à trente Millions de dollars », a déclaré Chesky [le fondateur et CEO de Airbnb]. Sam réagit ainsi Prenez tous les « M » [de millions] et remplcez les par des « B » [de billions]. Et Altman se souvient d’ajouter : »Ou vous ne croyez pas à ce que vous avez écrit, ou vous avez honte, ou je ne sais pas compter ». [Page 71] puis un peu plus loin « C’est l’une des erreurs les plus rares à faire, essayer d’être trop frugal. » […] « Ne vous occupez pas des concurrents tant qu’ils vous battent pas, » […] « Pensez toujours à ajouter un zéro de plus à ce que vous faites, mais ne pensez jamais au-delà. » [Page 75]

161010_r28829-863x1200-1475089022 Illustration de R. Kikuo Johnson

Evidemment la prise de risque suit en conséquence: Dans une classe où Altman a enseigné à Stanford en 2014, il a fait remarquer que la formule pour estimer les chances de succès d’une start-up est « quelque chose comme le produit Idée fois Produit fois Temps d’exécution de l’équipe fois Chance, où la Chance est un nombre aléatoire entre zéro et dix mille. » [Page 70] La stratégie des accélérateurs comme Ycombinator semble assez simple: « Ce que nous demandons aux startups est très simple, mais très difficile à faire. Un, faire quelque chose que les gens veulent », – une phrase de Graham, qui est imprimée sur les T-shirts distribués aux fondateurs – « et, deux, passer tout votre temps à parler à vos clients et développer vso produits. » [Page 73] Le résultat de cette stratégie tient dans la performance des ces mécanismes d’accélération: « Une étude 2012 sur les accélérateurs nord-américains a révélé que près de la moitié d’entre eux avaient échoué à produire une seule start-up ayant levé des fonds de capital-risque. Mais alors que quelques accélérateurs, comme Tech Stars et 500 Startups, ont une poignée de sociétés valant des centaines de millions de dollars, Y Combinator a dans son portefeuille des start-up valant plus d’un milliard – et il en a onze. » [Page 71] mais Altman est insatisfait: « Les capital-risqueurs croient que leurs rendements suivent une « loi de puissance, » selon laquelle quatre-vingt dix pour cent de leurs bénéfices proviennent d’une ou deux entreprises. Cela signifie qu’ils espèrent secrètement que les autres start-up dans leur portefeuille vont échouer rapidement, plutôt que stagner tels des «zombies» consommant des ressources. Altman souligne que seul un cinquième des entreprises de YC ont échoué, et a ajoute: «Nous devrions prendre des risques plus fous, de sorte que notre taux d’échec serait lui aussi de quatre-vingt dix pour cent. » [Page 83]

« Sous la direction de Sam, le niveau de l’ambition de YC a été multiplié par 10 » Paul Graham m’a dit que Altman, précipite les progrès dans « la guérison du cancer, la fusion nucléaire, les avions supersoniques, l’intelligence artificielle » et essaye de revoir complètement notre mode de vie : « Je pense que son but est de créer l’avenir ». [Page 70] Récemment, YC a commencé à planifier un projet pilote visant à tester la faisabilité de construire sa propre ville expérimentale. Elle se situerait quelque part en Amérique, ou peut-être à l’étranger, et serait optimisée pour les solutions technologiques: elle pourrait, par exemple, autoriser uniquement les véhicules autonomes. « Cela pourrait être une ville universitaire l’université de l’avenir issue de YC », a déclaré Altman. « Cent mille acres, cinquante à cent mille habitants. Nous uiliserions le financement participatif pour l’infrastructure et établirions une nouvelle et abordable façon de vivre autour de concepts comme «Personne ne peut jamais faire de l’argent avec l’immobilier.» Il a souligné que c’était juste une idée, mais il était déjà à la recherche sur les sites potentiels. Vous pourriez imaginer cette métropole comme une cité-état post-humaine exemplaire, basée sur l’I.A.- une Athènes du vingt-et-unième siècle ou une communauté fermée pour l’élite, une forteresse contre le chaos à venir. [Page 83] L’optimisme de YC va très loin: « Nous sommes bons pour éliminer les trous du cul, » m’a dit Graham. « En fait, nous sommes meilleurs pour dépister les trous du cul que les perdants. […] Graham a écrit un essai, « les méchants échouent », dans lequel – ignorant de possibles contre-exemples comme Jeff Bezos et Larry Ellison – il a déclaré que « être méchant vous rend stupide » ce qui décourage les personnes bonens de travailler avec eux. Ainsi, dans les start-up, « les pesonnes ayant un désir d’améliorer le monde ont un avantage naturel. » Gagnant-gagnant. [Page 73]

Altman n’est pas dénué de conscience sociale, enfin pas tout à fait. « Si vous pensez que toutes les vies humaines sont également précieuses, et si vous croyez aussi que 99.5% de vie aura lieu dans le futur, alors nous devrions passer tout notre temps à penser à l’avenir. » [Il regarde] les conséquences de l’innovation comme une question de systèmes. Le défi immédiat est que les ordinateurs pourraient mettre la plupart d’entre nous au chomage. La solution de Altman est le projet de recherche de YC sur le « Revenu de Base Inconditionnel », une étude de cinq ans, qui doit débuter en 2017, sur une vieille idée qui est soudainement en vogue: donner à chacun assez d’argent pour vivre. […] YC donnera jusqu’à un millier de personnes à Oakland une somme annuelle, probablement entre douze mille et vingt-quatre mille dollars. » [Page 81] Mais la phrase de conclusion est peut-être la plus importante de l’article, ce qui nous ramène à la modération d’Obama. En se comparant à l’auteur d’un autre projet follement ambitieux, Altman déclare: « A la fin de sa vie, il a aussi dit que tout devrait être coulé au fond de l’océan. Il y a là quelque chose qui mérite réflexion ».

En définitive, Obama, Altman, Marx, Piketty, et Stiegler ont tous la même foi en l’avenir et le progrès et la même préoccupation face aux inégalités croissantes. Altman semble être le seul (et beaucoup de gens avec lui dans la Silicon Valley) à croire que les disruptions et les révolutions vont tout résoudre tout alors que les autres voient leurs aspects destructeurs et préféreraient une évolution modérée et progressive. Avec les années, j’ai tendance à favoriser la modération…

PS: au cas où vous n’auriez pas assez de lecture, continuez avec la série d’entretiens du président Obama à Wired: Now Is the Greatest Time to Be Alive.

Défis et opportunités de l’industrie 4.0

Je dois dire que la semaine dernière je ne comprenais pas très bien le terme « industrie 4.0 ». Et après un bref séjour à Munich cette semaine – où j’ai eu une explication du terme par E&Y – voir plus bas – mais surtout en lisant le texte d’un discours intitulé « Smart Industry 4.0 in Switzerland » (voir le pdf) donné par Matthias Kaiserswerth, au « Business and Innovation Forum Slovakia – Switzerland » à Bratislava le 20 juin dernier, j’ai pris la mesure du sujet. J’ai aussi découvert ce matin deux excellents rapports: « Industry 4.0 – The role of Switzerland within a European manufacturing revolution » (voir le pdf) de la société Roland Berger et le « Digital Vortex – How Digital Disruption Is Redefining Industries » (voir le pdf) publié par Cisco et l’IMD. J’ai obtenu l’autorisation de Matthias Kaiserswerth de traduire ici son discours (et je l’en remercie), discours qui est une excellente introduction au sujet ainsi qu’une piste de réflexion sur les défis à affronter…

L’Intelligente Industrie 4.0 en Suisse

Matthias Kaiserswerth, Forum Business et Innovation, Slovaquie – Suisse , 20/06/2016, Bratislava

Dans ce bref discours, je veux parler de certains des défis et des opportunités que la numérisation en cours crée pour l’économie suisse, notre force de travail et notre système d’éducation.

La situation actuelle et les défis

Malheureusement, la Suisse n’est pas encore un leader dans la numérisation. Lorsque nous nous comparons aux autres pays de l’OCDE, nous sommes au mieux dans la moyenne. D’un point de vue de politique publique, nous sommes derrière l’Union européenne. Ce mois-ci, le 7 Juin, notre Conseil des États, la chambre parlementaire représentant les cantons, a demandé à notre gouvernement d’analyser quel effet économique aura le marché unique numérique émergent de l’UE sur notre pays. Notre président actuel, le ministre de l’économie, de l’éducation et de la recherche dans sa réponse a admis que jusqu’au début de cette année, la Suisse avait sous-estimé la 4ème révolution industrielle* et que désormais elle essaie de réagir avec diverses mesures [1].

ICTSwitzerland, l’association de l’industrie suisse des TIC, a lancé plus tôt cette année un tableau de bord [2] digital.swiss dans lequel elle évalue l’état de la numérisation de la Suisse en 15 dimensions. Alors que nous avons une excellente infrastructure de base et un très bon classement dans les indices génériques de compétitivité internationale, nous ne tirons pas encore parti suffisamment des technologies numériques dans les différents secteurs de notre économie.

Le tableau de bord
SI4.0-SwissScorecard

Le tableau de bord reflète un paradoxe suisse classique. En raison de notre système démocratique très direct, construit sur la subsidiarité, nous fournissons une bonne infrastructure et un bon cadre économique général. Quand il s’agit de tirer parti de ces bases, nous laissons faire l’initiative privée parce que nous ne poursuivons pas une politique industrielle active – certainement pas au niveau fédéral. Jusqu’à présent, nos entreprises – surtout les PMEs, 99,96% de nos entreprises ont moins de 250 salariés – ont excellé dans l’innovation incrémentale. L’innovation incrémentale peut être parfaitement adéquate pendant très longtemps, mais elle empêche de traiter les grands changements technologiques qui peuvent perturber toute une industrie.

C’est ce qui est arrivé dans les années 70 et au début des années 80 quand la « Révolution du Quartz » a presque tué l’horlogerie suisse. Et maintenant, à nouveau, l’histoire pourrait se répéter puisque l’industrie horlogère a manqué ou a été trop lente à adopter le nouveau marché des montres connectées**. Apple, en un an seulement, a réussi à dépasser en termes de revenus liés à la montre connectée toutes les entreprises horlogères suisses, même Rolex [3].

Avec la révolution numérique, qui est partie de la Silicon Valley, nous sommes en concurrence avec un modèle d’innovation tout à fait différente, à savoir l’innovation de rupture.

Il suffit de regarder les exemples de l’économie de collaborative*** tels que Airbnb et Uber.

Mais cela ne s’arrête pas là. Regardez les sociétés informatiques qui construisent maintenant la voiture électrique et autonome du futur – Google en est le parfait exemple. Alors que les équipementiers européens ont expérimenté depuis longtemps des voitures autonomes mettant toute l’intelligence dans la voiture, Google a pris une approche totalement différente. Grâce à leurs cartes, et leur développement de Streetview, ils ont déjà des informations très précises de l’endroit où va la voiture et ils peuvent donc tirer parti de la puissance de la connectivité et aussi du cloud.

Alors que nous nous efforcions de construire la batterie parfaite pour une voiture électrique, Tesla a opté pour ce que nous considérions des batteries d’ordinateurs portables de qualité inférieure et a su utilisé les TIC pour les rendre utiles dans leurs voitures.

Des opportunités

Avec une longue tradition suisse d’importation de talents étrangers dans le pays et en leur permettant de prospérer, nous avons une occasion exceptionnelle de ne pas manquer la révolution industrielle actuelle. Beaucoup de nos multinationales ont été lancées par des étrangers – il suffit de penser à Nestlé, ABB ou Swatch.

Les entreprises ont maintenant compris que répondre aux pressions du Franc fort en coupant les coûts est insuffisant.Elles cherchent des formes différentes d’innovation en tirant parti du numérique. Il y a un an, diverses associations de l’industrie suisse ont lancé une initiative «Industrie 2025» pour changer l’état d’esprit dans notre industrie des machines et sensibiliser aux nouvelles opportunités [4].

Certaines entreprises ont vu ses opportunités bien avant que notre banque nationale n’ait arrêté d’ancrer le franc suisse à l’euro.

Par exemple en 2012, Belimo, une entreprise produisant des solutions d’actionneurs pour contrôler le chauffage, la ventilation et les systèmes de conditionnement d’air, a lancé sa « Valve Energie ». Elle se compose d’une vanne de commande à deux voies étant caractérisé, d’un débitmètre volumétrique, de capteurs de température et d’un dispositif d’actionnement avec logique intégrée qui combine les cinq fonctions de mesure, de contrôle, d’équilibrage, de fermeture et de suivi de l’énergie dans un seul module avec son propre serveur web comme interface numérique. La valve intelligente peut être utilisée pour optimiser l’écoulement de l’eau dans les systèmes de chauffage et de refroidissement et produit des économies d’énergie importantes pour ses clients [5].

D’autres entreprises de l’industrie suisse des machines ont commencé à réfléchir à la façon dont elles peuvent tirer parti de l’Internet des Objets**** (IdO) pour créer de nouvelles activités basées sur les données que leurs machines génèrent. Un bon exemple est LCA Automation, une entreprise qui fournit des solutions d’automatisation d’usines. Ils veulent offrir de la maintenance prédictive basée sur la surveillance de la condition dynamique des usines déjà en fonction. Tirer parti des informations existantes comme le courant et la position des convertisseurs de fréquence dans leurs lecteurs aide à comprendre comment les machines sont utilisées. Dans certains cas, ils installent des capteurs supplémentaires pour mesurer les vibrations ou le bruit acoustique pour permettre à leurs clients de planifier la maintenance au lieu d’attendre que leurs installations connaissent des pannes [6].

À mon avis, les défis pour répondre à ces opportunités sont (1) d’ordre culturel, (2) un déficit de compétences informatiques, (3) la recherche et la réalisation de nouveaux modèles d’affaires qui exploitent au mieux l’opportunité numérique et enfin (4) la création d’un environnement où la collaboration avec des partenaires externes peut vous permettre d’innover avec diligence.

Contrairement aux logiciels, les produits industriels ne peuvent pas être facilement mis à jour sur le terrain, ils sont conçus pour durer 10 à 20 ans. L’état d’esprit de l’informaticien – « nous pouvons le corriger à distance avec une mise à jour, » – exige que les ingénieurs mécaniciens et électriciens repensent la façon dont ils construisent leurs systèmes. Lorsque Tesla eut des problèmes en 2013 avec une de leurs voitures qui avait pris feu parce que sa suspension à haute vitesse abaissait la voiture trop près de la route, ils n’eurent pas à faire un rappel massif de tous les véhicules mais du jour au lendemain ils n’eurent qu’à changer à distance le logiciel dans les voitures pour garantir une distance supérieure entre la voiture et la chaussée.

Faire que ces diverses cultures collaborent exige le respect entre les différentes disciplines professionnelles et requerrait occasionnellement la participation d’informaticiens au conseil d’administration des entreprises industrielles pour discuter leur façon de penser.

Le déficit de compétences, trouver assez d’ingénieurs en informatique intéressés à travailler dans des entreprises industrielles, est important. Les prévisions actuelles sont qu’en 2022 la Suisse manquera de 30’000 experts en informatique.
Considérant que les entreprises industrielles sont en concurrence avec le secteur financier qui rémunère mieux les mêmes talents, cela signifie que les entreprises industrielles ont besoin de devenir très créatives pour faire face à cette pénurie.

La mise en œuvre de nouveaux modèles commerciaux qui exploitent les opportunités numériques est un défi important pour les entreprises industrielles établies. Si une entreprise dont l’activité principale est la vente de machines industrielles, veut commencer à offrir des services d’abonnement à valeur ajoutée pour optimiser le processus industriel réalisé par leurs produits, elle devient une toute nouvelle entreprise. Elle devra décider si ces services ne sont disponibles que pour un processus réalisé par leurs machines ou si elle veut également l’offrir sur les installations des concurrents. Elle aura besoin de mettre au point un nouveau système d’incitation de vente basé sur un flux de revenus récurrents. Elle devra construire une infrastructure de soutien qui correspond au processus optimisé et ne consiste plus qu’en experts qui ne connaissent que leurs propres machines. En bref, elle aura besoin de construire une toute nouvelle entreprise. Faire cela à l’intérieur d’une grande entreprise établie est extrêmement difficile, peut-être plus encore que de le faire dans une start-up externe.

Enfin, la création d’un environnement de collaboration avec des partenaires extérieurs pour innover avec diligence n’est certes pas quelque chose d’unique à l’ère du numérique, mais il sera essentiel pour les entreprises industrielles de saisir l’opportunité. En dépit des bons pratiques de grandes entreprises industrielles comme Procter and Gamble dans « l’Open Innovation », un concept inventé il y a 13 ans, de nombreuses entreprises ont encore une forte tendance à tout faire elles-mêmes ou avec leurs sous-traitants habituels. Dans le cas de la numérisation, cependant, de nouveaux partenaires extérieurs à l’industrie traditionnelle doivent être impliqués et faire partie de la solution. « Plutôt que d’utiliser leur propre budget de R&D, les entreprises peuvent tirer parti des investissements des capitaux-risqueurs et intégrer une solution e technologique dans un délai accéléré» [7].

Éducation

Avant de terminer, permettez-moi de revenir à l’éducation, un sujet d’une importance particulière dans cette nouvelle ère. La Suisse dispose d’un excellent système d’éducation. Cependant, nous avons une importante pénurie d’étudiants qui poursuivent une carrière dans le domaine des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (en bref STEM*****) en plus d’un déficit de compétences en STEM pour tous les autres étudiants.

En 2014, les cantons de langue allemande ont lancé un nouveau programme axé sur la compétence commune « Lehrplan 21 » (LP21) pour combler le déficit de compétences en mettant davantage l’accent sur les sujets STEM. Par exemple, en introduisant un nouveau sujet appelé Médias et Informatique, les ministres cantonaux de l’éducation ont accepté l’idée que tous les élèves ont besoin de compétences de base en informatique pour réussir dans le système d’enseignement professionnel ou académique. Alors que nous parlons, ce LP21 est mis en œuvre dans la partie germanophone de la Suisse, mais pas assez vite à mon goût.

Pour réussir avec LP21 nous avons aussi besoin de qualifier les enseignants à enseigner avec compétence ces sujets d’une manière qui maintienne tous les élèves motivés. Plus spécifiquement les étudiantes ont une perception significativement plus négative de la façon dont elles maîtrisent la technologie et ce pour quoi elles peuvent utiliser la technologie [8]. La conséquence est que nous perdons le talent féminin aussi dans notre force de travail. Ainsi, par exemple, dans l’informatique il y a seulement 13% de femmes dans la population active suisse.

La promotion des femmes dans la technologie en tant que modèles et l’élargissement de programmes spécifiques pour augmenter l’intérêt des filles pour la technologie à l’âge de l’école primaire, contribuera, nous l’espérons, à combler le fossé entre les sexes dans le long terme.

Conclusion

Quand on regarde le système des écoles polytechniques fédérales (ETH de Zurich et EPF de Lausanne), les universités cantonales et en particulier aussi les universités de sciences appliquées, ainsi que le financement public de la recherche, nous constatons que nous avons une base exceptionnelle sur laquelle nous pouvons construire pour concourir efficacement dans cette 4ème révolution industrielle. Il faut maintenant un nouvel état d’esprit pour nos entreprises industrielles afin qu’elles embrassent l’IdO émergent, les Big Data, et les promesses de l’intelligence artificielle et qu’elles aient le courage d’expérimenter avec les nouveaux modèles d’affaires qu’ils permettent.

Vous n’êtes pas « disruptés » parce que vous ne voyez pas le changement et les possibilités technologiques, Vous êtes disruptés parce que vous avez choisi de les ignorer.


1: http://www.inside-it.ch/articles/44100
2: http://digital.ictswitzerland.ch/en/
3: http://www.wsj.com/articles/apple-watch-with-sizable-sales-cant-shake-its-critics-1461524901
4: http://www.industrie2025.ch/industrie-2025/charta.html
5: http://energyvalve.com
6: http://www.industrie2025.ch/fileadmin/user_upload/casestudies/industrie2025_fallbeispiel_lca_automation_2.pdf
7: https://www.accenture.com/ch-en/insight-enterprise-disruption-open-innovation
8: http://www.satw.ch/mint-nachwuchsbarometer/MINT-Nachwuchsbarometer_Schweiz_DE.pdf

Mes notes:
*: https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrie_4.0
**: https://fr.wikipedia.org/wiki/Smartwatch
***:https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_collaborative
****: https://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_des_objets
*****: https://fr.wikipedia.org/wiki/STEM_(disciplines)

Post-Scriptum: j’ai mentionné plus haut la présentation de E&Y, voici la slide qui m’a frappé…

Grandeur et décadence de Blackberry

Article très intéressant dans l’excellente ParisTech Review: Grandeur et décadence de BlackBerry. L’article montre comment la « disruption » est de plus en plus menaçante non seulement pour les entreprises établies, mais aussi pour les start-up à croissance rapide .

Blackberry a été fondée en 1984 comme Research in Motion par deux jeunes étudiants ingénieurs de l’Université de Waterloo – Mike Lazaridis – et de l’Université de Windsor – Douglas Fregin. Ils avaient environ 23 ans. Huit ans plus tard, un homme d’affaires expérimenté, James Balsillie, les rejoindra, investira une partie de son argent ($250k) et deviendra le « co-PDG » avec Lazaridis. RIM a financé une grande partie de son activité initiale avec ses partenaires (Ontario New Ventures – $15k; General Motors – $600k; Ericsson – $300k; l’Université de Waterloo – $100k; le développement local de l’Ontario – $300k) de sorte qu’elle n’a levé des fonds auprès des investisseurs qu’1995 seulement, y compris Intel en 1997. La société est entrée en bourse à Toronto en octobre 1997, puis sur le Nasdaq en 1999.

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Comme les auteurs le remarquent, « si BlackBerry représente à peine 1% des parts de marché du smartphone aujourd’hui, l’entreprise canadienne en contrôlait la moitié il y a quelques années. […] Or, dans cet âge de la rupture, l’histoire du BlackBerry est la mère de toutes les histoires. L’entreprise qui l’a lancé en 1998 pèse 20 milliards de dollars une décennie plus tard. Puis, quatre ou cinq ans après, cette même société, à bout de souffle, ne vaut plus que 3 milliards. Ce n’est pas seulement une histoire de rupture ; c’est une histoire qui résume la vitesse de la course technologique actuelle. »

Ils expliquent comment Lazaridis était un visionnaire lorsque les téléphones mobiles devaient être des dispositifs simples et comment il a échoué quelques années plus tard: « Le moment crucial, c’est janvier 2007, quand Steve Jobs se promène sur scène, à San Francisco, en tenant cet objet brillant que nous tous connaissons et adorons tous, et qu’il dit: « C’est un iPhone ». […] La partie vraiment fascinante de l’histoire de BlackBerry, c’est leur réaction ce jour-là. À Mountain View, chez Google, il y avait deux projets secrets : l’un pour un nouveau téléphone à clavier, l’autre pour un téléphone à écran tactile exploité sous Android. À la minute où ils ont vu Jobs présenter l’iPhone, ils ont réalisé que leur projet avec clavier était mort, et ils ont tout basculé vers le téléphone à écran tactile. Mike Lazaridis, lui, a regardé cette annonce, considéré ce qu’offrait Steve Jobs, et il a dit : « C’est impossible. » Une fois encore, l’ingénieur conservateur disait non, les réseaux ne pourront jamais transmettre toutes ces données. C’est une impossibilité. Ce n’est même pas logique que quelqu’un le propose. Il a eu raison les deux premières années. N’oubliez pas tous les appels interrompus, toutes les frustrations, toutes les poursuites contre Apple et les opérateurs. Cela ne fonctionnait pas… Mais ensuite cela a fonctionné, et RIM a eu tout faux. Deux ans, dans la technologie, c’est une vie complète ; au moment où ils ont enfin réalisé la gravité de la menace, ils en étaient à suivre la meute. »

Blackberry était (est encore) la réussite la plus connue de l’Université de Waterloo et Wikipedia mentionne à quel point Lazaridis a remercié son alma mater: En 2000, Lazaridis a fondé l’Institut Perimeter pour la physique théorique. Il a fait un don de plus de 170 millions de dollars à l’institut. En 2002, Mike Lazaridis a fondé l’Institute for Quantum Computing (IQC) de l’Université de Waterloo. Avec sa femme Ophelia, il a fait don de plus de 100 millions de dollars à l’IQC depuis 2002. Cela me rappelle ce que Logitech et Daniel Borel sont à l’EPFL (où je travaille). Vous devriez lire l’article complet et je conclus ici avec ma table de capitalisation habituelle…

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La complexité et la beauté de l’innovation selon Walter Isaacson

Les Innovateurs de Walter Isaacson est un grand livre en raison de sa description équilibrée du rôle des génies ou des innovateurs de rupture autant que du travail d’équipe dans l’innovation incrémentale. « La prise en compte de leur travail d’équipe est importante parce que nous ne nous focalisons pas souvent sur le rôle central de leur compétence dans l’innovation. […] Mais nous avons beaucoup moins d’histoires de créativité collaborative, qui est en fait plus importante à comprendre pour l’évolution de la technologie aujourd’hui. » [Page 1] Il va aussi plus loin: « J’explore aussi les forces sociales et culturelles qui fournissent l’atmosphère favorable à l’innovation. Lors de la naissance de l’ère numérique, cela a inclus un écosystème de recherche qui a été nourri par les dépenses du gouvernement et géré par une collaboration militaro-industrielle. Et ceci fut combiné avec une alliance informelle de coordinateurs de communautés, de hippies avec un esprit de commune, de bricoleurs amateurs, et de pirates anarchisants, dont la plupart se méfiaient de l’autorité centrale. » [Page 2] « Enfin, je fus frappé par la façon dont la créativité la plus authentique de l’ère numérique est venue de ceux qui étaient en mesure de relier les arts et les sciences. » [Page 5]

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L’ordinateur

J’ai été un peu moins convaincu par le chapitre 2 car j’ai le sentiment que l’histoire de Ada Lovelace et Charles Babbage est bien connue. Je peux me tromper. Mais j’ai trouvé le chapitre 3 sur les premiers jours de l’ordinateur plus original. Qui a inventé l’ordinateur? Probablement beaucoup de personnes différentes dans des endroits différents aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, autour de la Seconde Guerre mondiale. « Comment ont-ils développé cette idée au même moment alors que la guerre maintenait leurs deux équipes isolées ? La réponse tient en partie au fait que les progrès de la technologie et de la théorie ont lieu quand le moment est mûr. En parallèle à de autres nombreux innovateurs, Zuse et Stibitz étaient familiers avec l’utilisation de relais dans les circuits téléphoniques, et il était logique de les relier à des opérations binaires en mathématiques et en logique. De même, Shannon, qui était aussi très familier avec les circuits téléphoniques, serait en mesure d’effectuer les tâches logiques de l’algèbre booléenne. L’idée que les circuits numériques seraient la clé de l’informatique devenait rapidement évidente pour les chercheurs un peu partout, même dans des endroits isolés comme le centre de l’Iowa ». [Page 54]

Il y aurait une bataille légale autour de brevets que je ne connaissais pas. Lisez les pages 82-84. Vous pouvez également lire ce qui suit sur Wikipedia : « Le 26 Juin 1947, J. Presper Eckert et John Mauchly ont été les premiers à déposer un brevet sur un dispositif de calcul numérique (ENIAC), à la grande surprise de Atanasoff. L’ABC [Atanasoff-Berry Computer] avait été examiné par John Mauchly en Juin 1941, et Isaac Auerbach, ancien élève de Mauchly, prétendit que cela avait influencé son travail plus tard sur l’ENIAC, bien que Mauchly ait nié ceci. Le brevet ENIAC ne fut pas accordé avant 1964, et en 1967, Honeywell poursuivit Sperry Rand dans une tentative de casser les brevets ENIAC, en faisant valoir l’ABC comme art antérieur. La Cour de district des États-Unis pour le district du Minnesota rendit son jugement le 19 Octobre 1973, indiquant dans « Honeywell v. Sperry Rand » que le brevet ENIAC était un dérivé de l’invention de John Atanasoff. » [Le procès avait commencé en Juin 1971 et le brevet sur l’ENIAC a donc été invalidé]

J’ai aussi aimé son bref commentaire sur les compétences complémentaires. « Eckert et Mauchly ont servi de contrepoids l’un pour l’autre, ce qui les rend typique de tant de duos de leaders de l’ère numérique. Eckert motivait les personnes ayant une passion pour la précision; Mauchly tendait à les calmer et à se sentir aimés. » [Pages 74-75]

Les Femmes dans la Science et la Technologie

C’est dans le chapitre 4 sur la programmation que Isaacson se consacre au rôle des femmes: « L’éducation [de Grace Hopper] n’était pas aussi rare qu’on pourrait le penser. Elle était la onzième femme à obtenir un doctorat en mathématiques de l’Université de Yale, la première l’ayant obtenu en 1895. Ce n’était pas du tout rare pour une femme, en particulier si elle était issue d’une famille ayant réussi, d’obtenir un doctorat en mathématiques dans les années 1930. En fait, c’était plus courant que ce ne le serait une génération plus tard. Le nombre de femmes américaines qui ont obtenu des doctorats en mathématiques pendant les années 1930 était de 133, soit 15 pour cent du nombre total de doctorats en mathématiques américains. Au cours de la décennie 1950, seulement 106 femmes américaines ont obtenu des doctorats en mathématiques, ce qui était un petit 4 pour cent du total. (Pour la première décennie des années 2000, les choses avaient plus que rebondi et il y avait 1600 femmes qui ont obtenu un doctorat en mathématiques, soit 30 pour cent du total.) » [Page 88]

Sans surprise, dans les premiers jours du développement informatique, les hommes travaillaient plus dans le matériel alors que les femmes seraient dans le logiciel. «Tous les ingénieurs qui ont construit le matériel de l’ENIAC étaient des hommes. Moins relatée par l’histoire était un groupe de femmes, six en particulier, qui se révéla être presque aussi important dans le développement de l’informatique moderne. » [Page 95] « Peu de temps avant sa mort en 2011, Jean Jennings Bartik relate fièrement le fait que tous les programmeurs qui ont créé le premier ordinateur à usage général étaient des femmes. «Malgré notre venue à une époque où les possibilités de carrière des femmes ont été généralement assez limitées, nous avons contribué à initier l’ère de l’ordinateur. » Cela est arrivé parce que beaucoup de femmes à cette époque avaient étudié les mathématiques et leurs compétences étaient recherchées. Il y avait aussi une ironie implicite: les garçons avec leurs jouets pensaient que l’assemblage matériel était la tâche la plus importante, et donc le travail d’un homme. «La science et l’ingénierie américaine était encore plus sexiste qu’elle ne l’est aujourd’hui,» a dit Jennings. «Si l’administration de l’ENIAC avait su que la programmation serait essentielle au fonctionnement de l’ordinateur électronique et à quel point elle se révélerait complexe, ils auraient pu être plus hésitants à donner un rôle important aux femmes. » [Pages 99-100]

Les sources de l’innovation

« Les chapitres historiques de Hopper étaient concentrés sur les personnalités. Ce faisant, son livre soulignait le rôle des individus. En revanche, peu de temps après que le livre de Hopper fut achevé, les dirigeants d’IBM commandèrent leur propre histoire du Mark I qui donnait le crédit principal aux équipes d’IBM à Endicott, New York, équipes qui avaient construit la machine. » Les intérêts d’IBM seraient mieux servis en remplaçant l’histoire individuelle par l’histoire de l’organisation», a écrit l’historien Kurt Beyer dans une étude de Hopper. « Le lieu de l’innovation technologique, selon IBM était l’entreprise. Le mythe de l’inventeur solitaire radical travaillant dans un laboratoire ou un sous-sol a été remplacé par la réalité d’équipes d’ingénieurs dans une organisation sans visage contribuant à des progrès incrémentaux. »Dans la version d’IBM de l’histoire, le Mark I contenait une longue liste de petites innovations, comme le compteur de type cliquet et l’alimentation redondante des cartes, que le livre d’IBM attribuait à une foule d’ingénieurs peu connus qui travaillaient de manière collaborative à Endicott.
La différence entre la version de l’histoire de Hopper et d’IBM est plus profonde qu’un différend sur qui devrait recevoir le plus de crédit. Elle montre des perspectives fondamentalement contrastées sur l’histoire des innovations. Certaines études technologiques et scientifiques soulignent, comme Hopper l’a fait, le rôle des inventeurs créatifs qui font des sauts innovants. D’autres études soulignent le rôle des équipes et des institutions, telles que le travail de collaboration fait à Bell Labs et sur le site d’IBM à Endicott. Cette dernière approche tente de montrer que ce qui peut ressembler à des sauts créatifs – le moment de type Eureka – sont en fait le résultat d’un processus évolutif qui se produit lorsque les idées, les concepts, les technologies et les méthodes d’ingénierie mûrissent ensemble. Aucune des deux façons de regarder l’avancement technologique n’est, prise seule, complètement satisfaisante. La plupart des grandes innovations de l’ère numérique est née de l’interaction de personnes créatives (Mauchly, Turing, Von Neumann, Aiken) avec des équipes qui ont su mettre en œuvre leurs idées. »
[Pages 91-92]

L’innovation de rupture et l’innovation incrémenatle d’après Google

Cela me semble très proche de ce que j’ai lu apropos de Google et mentionné dans l’article L’importance et la difficulté de la culture dans les start-up : Google à nouveau… : « Pour nous, l’innovation implique à la fois la production et la mise en œuvre d’idées nouvelles et utiles. Comme « nouveau » est souvent juste un synonyme fantaisiste pour inventif, il faut aussi préciser que pour quelque chose fasse preuve d’innovation, il doit offrir des fonctionnalités inventives, et il doit aussi être surprenant. Si vos clients vous demandent quelque chose, vous n’êtes pas innovant quand vous leur donnez ce qu’ils veulent; vous êtes juste à l’écoute. Voilà une bonne chose de dite, mais ce n’est pas être novateur. Enfin «utile» est un adjectif plutôt décevant pour décrire cette innovation « chaude », nous allons donc ajouter un adverbe et dire radicalement utile. Voilà: pour qu’une chose fasse preuve d’innovation, elle doit être nouvelle, surprenante, et radicalement utile. » […] « Mais Google ajoute également plus de cinq cents améliorations à son moteur recherche chaque année. Est-ce innovant? Ou incrémental? Elles sont nouvelles et surprenantes, bien sûr, mais si chacune d’eux par elle-même est utile, il est peut-être exagéré de dire radicalement utile. Mettez-les toutes ensemble, cependant, et elles le sont. […] Cette définition plus inclusive – l’innovation ne concerne pas seulement les choses vraiment nouvelles, les très grandes choses – est importante car elle offre à chacun la possibilité d’innover, plutôt que de la réserver au domaine exclusif de ces quelques personnes dans ce bâtiment hors campus [Google[x]] dont le travail est d’innover. » [How Google Works – Page 206]

Christensen a-t-il eu tort et et l’innovation de rupture est-elle une théorie erronée?

Clayton Christensen a été l’un de mes héros. Vais-je devoir tuer cette figure du père? Le souvent excellent magazine New Yorker a publié récemment The Disruption Machine avec pour sous-titre Ce que l’évangile de l’innovation a de faux. L’auteur Jill Lepore coonait bien les gourous de l’innovation, de Schumpeter à Porter et Christensen, et ce qu’elle a à dire est au moins très inquiétant.

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« La rupture est une théorie du changement
fondée sur la panique, l’anxiété,
et des démonstrations fragiles. »

Vous devez lire le article: Lepore semble avoir de solides arguments sur les faiblesses de Christensen. Dans l’industrie du disque dur, selon elle, Seagate Technology n’a pas été abattu par la l’innovation de rupture. Même chose avec Bucyrus et Caterpillar pour l’industrie des pelles mécaniques – ou encore: « Aujourd’hui, le plus grand producteur américain d’acier est – US Steel ». Difficile pour moi d’évaluer les affirmations. Je dois admettre que j’avais lu des livres plus récents de Christensen qui étaient vraiment décevants, mais je pensais que sa première ppublication était solide.

Plus drôle: « La théorie de la rupture est censée être prédictive. Le 10 Mars 2000, Christensen a lancé un Fonds de Croissance Disruptive de 3,8 millions de dollars. Moins d’un an plus tard, le fonds a été discrètement liquidé. En 2007, Christensen avait déclaré à Business Week que «la théorie prédit que Apple ne réussira pas avec l’iPhone», ajoutant: « L’histoire parle très fort là-dessus. » Au cours des cinq premières années, l’iPhone a généré cent cinquante milliards de dollars de chiffre d’affaires ».

Il y a eu un débat à la suite des allégations de Lepore que je vous laisse découvrir:

– Business Week: Clayton Christensen répond à la critique du New-Yorker Takedown de «l’innovation de rupture»: ici.

– Forbes: En quoi Jill Lepore se trompe sur Clayton Christensen et l’innovation de rupture: ici.

– Slate: Même le père de la rupture pense que la « rupture » est devenue un cliché: ici.

PS: un grand merci à Martin pour m’avoir mentionné cet article fascinant.

Quelques caractéristiques des innovations / innovateurs de rupture

Mon ami Jean-Jacques (merci :-)) m’a envoyé un lien sur le CNBC Disruptor 50, une liste de 50 « entreprises privées dans 27 industries – de l’aérospatiale aux logiciels d’entreprise ou à la vente au détail – dont les innovations sont en train de révolutionner le monde des affaires ». On pourrait critiquer la méthode, les industries, ce qui du domaine de la rupture et ce qui ne l’est pas, mais la liste est en soi intéressante. Et j’ai fait quelques analyses rapides. (Je veux dire par rapide une analyse discutable de l’âge de fondateurs sur la base des données disponibles – leur âge ou l’année de leur bachelor – mon analyse complète est disponible à la fin du post)

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J’ai trouvé ce qui suit:
– les innovateurs dans la rupture sont jeunes (33 ans),
– ils lèvent beaucoup d’argent: plus de 200 millions de dollars!
– Et oui, ils sont pour la plupart basés dans la Silicon Valley

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Les innovateurs dans la rupture sont jeunes

L’âge moyen des fondateurs est 33 ans (alors que l’âge de fondateurs de start-up est plus proche de 39 – voir mon post récent Age and Experience of High-tech Entrepreneurs). Comme dans cette analyse plus générale, des fondateurs dans la biotechnologie et dans l’énergie. sont beaucoup plus âgés que dans le logiciel ou l’internet. C’était quelque chose que j’avais déjà abordé dans ce document: la rupture pourrait être la chasse gardée des jeunes créateurs.

Ils lèvent beaucoup d’argent

Un point vraiment frappant est le montant d’argent recueilli par ces entreprises. Avec une moyenne d’âge de 6 ans, ces entreprises ont levé en moyenne 200 millions de dollars … Dans l’énergie, c’est plus que 400 millions de dollars et même plus de 250 millions de dollars pour l’Internet.

La Silicon Valley en tête

Il n’est pas surprenant que la Silicon Valley semble être l’endroit où être. 27 entreprises y sont basées (un peu plus de 50%). C’est là aussi que les entreprises ont accès à plus de capitaux ($280M en moyenne). Puis sur la Côte Est (25%). Étonnamment, ils sont basés à New York, plus à Boston quand la côte Est est concernée. Seulement 3 sont des Européens… (Spotify, Transferwise et Fon), même si quelques Européens ont également opté pour la SV …

Voici mon analyse complète qui, comme je l’ai dit peut contenir des erreurs (notamment sur l’âge des fondateurs …). Vous pouvez également êrte en désaccord avec mon classement des indjustries…

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cliquez sur l’image pour l’agrandir

Quand Peter Thiel parle des start-up – Humain après tout

Comme vous l’avez remarqué si vous avez lu mes posts précédents, j’ai été très impressionné par les notes de Peter Thiel sur les start-up. J’ai écrit 7 longs articles. J’avais été impressionné de la même manière par Mariana Mazzucato et son État entrepreneurial, même si avec 5 posts seulement!

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Je l’ai dit déjà, j’aurais aimé assister à leur débat dans quelques jours à la conférence Humain après tout, Toronto 2014. Mais apparemment, ils ne participent plus à la même table ronde… (Après avoir lu ce qui suit, je vois que Taleb aurait été un excellent ajout).

– Il discutera du thème « L’économie de l’ incertitude radicale ».
Comment les êtres humains réagissent vraiment face à des conditions de véritables « inconnus non-connus »? Selon Frank Knight, « l’incertitude doit être prise dans un sens radicalement distinct de la notion familière de risque, dont elle n’a jamais été correctement séparée… Le problème essentiel est que « le risque », dans certains cas, est une quantité mesurable, tandis qu’à d’autres moments, il est d’une nature tout à fait différente, et ces différences peuvent être extrêmes et cruciales pour certains phénomènes… il semble que l’incertitude mesurable, ce qui est le risque, tel que nous allons utiliser le terme, est bien différente d’une incertitude incommensurable qui n’est du coup pas du tout une incertitude. « La littérature économique depuis Knight a très bien explicité la facilité avec laquelle les marchés ont tendance à sous-estimer et sur-estimer ces points fondamentaux. Cependant, l’économie ne répond pas adéquatement aux conséquences de l’incertitude « Knightienne », parce que la discipline a du mal à modéliser ce phénomène. Pour obtenir une pleine mesure de cela, il faut entrer dans le domaine de la psychologie et des neurosciences. C’est là que se trouve la définition. L’incertitude radicale, comme beaucoup d’autres concepts, est trop importante pour être laissée à la seule sphère économique.

– Elle fera partie de la table ronde « Innovation : les retours privés produisent-ils les retours sociaux dont nous avons besoin ? »
Les premières machines ont remplacé et multiplié le travail physique des humains et des animaux. Les machines qui suivront remplaceront et multiplieront notre intelligence. La force motrice de cette révolution, soutiennent les « techno-positivistes », accroîtra la puissance de l’informatique (ou réduira son coût) de manière exponentielle. L’exemple célèbre est la loi de Moore, du nom de Gordon Moore, fondateur d’Intel. Depuis un demi-siècle, le nombre de transistors sur une puce semi-conductrice a doublé au moins tous les deux ans. Mais l’âge de l’information a coïncidé avec – et doit, dans une certaine mesure, avoir causé – des tendances économiques défavorables: stagnation des revenus médians réels; inégalité croissante des revenus du travail et de la répartition des revenus entre le travail et le capital, et chômage de plus en plus long. Les gains importants en richesse et la prospérité matérielle créée par nos entrepreneurs est-elle suffisante pour produire les rendements sociaux souhaités demandés dans le monde d’aujourd’hui ?

Les start-up sont un domaine idéal pour étudier la tension entre les individus et la société. Une sorte de nouvelle manière d’aborder le problème de la poule et l’oeuf… En effet, elles pourrait expliquer l’écart croissant entre les Etats-Unis et l’Europe dans de nombreuses dimensions. Mazzucato serait sur ​​du côté du collectif, Thiel plus proche de l’individuel. Mais il n’y a pas de provocation ou de caricature dans cette classification. Les pensées de Thiel et Mazzucato sont profondes. Je suis d’accord avec la plupart de ce qu’ils disent, en désaccord sur des sujets mineurs, bien que la plupart des gens pourraient penser que leur pensée ne peut être conciliée. Je pense vraiment que la combinaison de leur point de vue est une approche intéressante pour comprendre que sont l’innovation et ses enjeux …

PS (8 mai 2014): Je viens de trouver cette vidéo de Thiel à SXSW.

Quand Peter Thiel parle des start-up – partie 7: la chance et l’indertitude.

Voici mon dernier post sur ​​les notes de cours de Thiel à Stanford et il s’agit de sa classe 13 – la chance. Maintenant je dois attendre son livre soit publié…

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J’aime les accidents. Je l’ai mentionné dans un post qui n’a rien à voir avec les start-up (lié au Street Art). L’accident ici est amusant: j’avais totalement oublié de copier – coller la classe 13 de Thiel et c’est seulement quand j’ai commencé à lire la classe 14 que j’ai remarqué mon erreur. Maintenant, permettez- moi de citer Thiel: « Notez que c’est la classe 13 . nous n’allons pas faire comme les gens qui construisent des bâtiments sans 13ème étage et sautent par superstition de la classe 12 à 14. La chance n’est pas quelque chose à contourner ou à craindre. Nous avons donc la classe 13. Nous dominons la chance. » Étrange, non? Je me devais d’appeler cette dernière partie, la partie 7 …

Alors qu’est-ce Thiel dit de la chance ? Eh bien, c’est un sujet très débattu, comme je l’ai vécu dans mon activité à l’EPFL. Thiel ressent la même chose. Il commence par: « La grande question philosophique sous-jacente est de savoir si les start-up ont beaucoup de chance quand elles réussissent. Si importante que soit la question de la chance face à la compétence, cependant, il est très difficile d’obtenir une réponse. Les outils statistiques ne veulent rien dire si vous avez une taille d’un échantillon. Ce serait génial si vous pouviez faire des expériences. Lancer Facebook mille fois dans des conditions identiques. Si cela fonctionne 1000 fois sur 1000, vous pourriez conclure qu’il n’était question que de compétences. Si cela fonctionnait juste une fois, vous concluriez que c’était un coup de chance. Mais, évidemment, ces expériences sont impossibles » et d’ajouter la célèbre phrase de Thomas Jefferson: « Je suis un grand croyant en la chance, et je trouve que plus je travaille, plus elle me sourit ».

Thiel n’est pas tellement intéressé par la chance autant que par le déterminisme contre l’indéterminisme. « Si vous croyez que l’avenir est fondamentalement indéterminé, vous irez vers la diversification. […]. Si l’avenir est déterminé, il fait beaucoup plus de sens d’avoir des convictions fermes. […] Superposez cette dynamique diversification / convictions avec la question optimisme / pessimisme et vous obtenez plus de raffinement. Que vous regardiez vers l’avenir ou en ayez peur fait une grande différence. Et voici sa vision du monde:

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Avec une illustration encore plus surprenante (et tout à fait convaincante si vous lisez Thiel)

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« Mais l’avenir indéterminé est en quelque sorte celui dans lequel probabilités et statistiques sont la modalité dominante pour donner un sens au monde. Les courbes en cloches et les marches aléatoires définissent ce à quoi l’avenir va ressembler. Un argument pédagogique est que les écoles secondaires devraient se débarrasser du calcul classique et le remplacer par les statistiques, qui sont vraiment importantes et réellement utiles. Il y a un courant de pensée important selon lequel les statistiques vont influencer l’avenir ».

Mais ici, je serais ravi de demander à Peter Thiel ce qu’il fait des cygnes noirs s’il croit au « 0 à 1 » plus qu’au « 1 à n ». Le « 1 à n » appartient aux statistiques, pas le « 0 à 1″… (relisez ma partie 1 si je suis incompréhensible!)

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Thiel aime les idées folles, comme le projet de Reber pour la région de San Francisco dans les années 1940 (voir ci-dessus). Il croit aussi encore dans la finance, malgré ses excès: « Dans un avenir à l’optimisme déterminé, vous créez des villes sous-marines et des villes dans l’espace. Dans un monde à l’optimisme indéterminé, vous obtenez la finance. Le contraste ne pourrait pas être plus prononcé. La grande idée de la finance est que le marché boursier est fondamentalement aléatoire. Ce n’est que mouvement brownien. Tout ce que vous pouvez savoir, c’est que vous ne pouvez rien savoir quoi que ce soit. C’est alors une question de diversification. Il existe des moyens astucieux pour combiner divers investissements pour obtenir des rendements plus élevés et à faible risque, mais vous ne pouvez repousser la frontière. Vous ne pouvez pas savoir quelque chose de substantiel sur aucune entreprise spécifique. Mais le monde doit rester optimiste, la finance ne fonctionne pas si vous êtes pessimiste. Vous devez supposer que vous allez faire de l’argent. […] L’indétermination a réorienté les idées des investisseurs. Alors qu’auparavant les investisseurs avaient des convictions, aujourd’hui, ils se concentrent sur la gestion des risques. Le capital-risque a été la victime de ce même phénomène. Au lieu d’avoir des idées bien formées sur l’avenir, la grande question aujourd’hui est de savoir comment avoir accès à de bons tuyaux. En théorie du moins, le VC devrait avoir très peu en commun avec une telle approche statistique de l’avenir. »

Et il sera peut-être d’accord avec Mariana Mazzucato lors de son débat à venir avec elle (lors de la conférence Human After All, Toronto 2014 – programme en pdf): « La taille du gouvernement n’a pas changé tant que ça dans les 40-50 dernières années. Mais ce que fait le gouvernement a radicalement changé. Dans le passé, le gouvernement prenait position sur des idées spécifiques et les implémentait. Pensez au programme spatial. Aujourd’hui, le gouvernement ne fait plus autant de choses spécifiques. Principalement il déplace seulement de l’argent de certaines personnes vers d’autres personnes. Que faites-vous à propos de la pauvreté ? Eh bien, nous ne savons pas. Donc, nous allons donner tout l’argent aux gens, en espérant que cela aide, et laissons-les découvrir ».

Darwinisme et design.

Et tout à coup, dans le fil de la lecture sur la chance, Thiel me surprend encore! De toute évidence, l’optimisme indéterminé peut être facilement lié à la théorie de l’évolution de Darwin. Les accidents arrivent, mais il y a une évolution positive générale. « Appliquée aux start-up, l’obsession de l’indétermination conduit aux phénomènes suivants:
• des tests darwinistes A/B
• des processus itératifs
• l’apprentissage automatique
• pas de réflexion sur l’avenir
• des horizons de temps court. »

Il s’agit là de messages typiques d’un Steve Blank ! Mais Thiel envisage une autre possibilité: « Apple est l’antithèse absolue de la finance. Apple fait du design délibéré à tous les niveaux. Il y a bien sûr sa manière de concevoir les produits. La stratégie de l’entreprise est bien définie. Il existe des plans précis, pluriannuels. Les choses sont méthodiquement déployées. » (Je ne pense pas que Thiel face allusion aux théories du design intelligent qui s’opposent au Darwinisme, mais la coïncidence est un peu déroutante !)

« Dans la foulée d’Apple, a émergé l’idée que les produits bien conçus étaient très importants. Airbnb, Pinterest, Dropbox et Path ont tous ont tous un côté anti-statistique. […] Ce point commun – la conception de qualité – semble fonctionner mieux et plus vite que les tests darwinistes A/B ou la recherche itérative dans un très grand espace de possibilités. Le retour de la conception contribue pour une grande part au courant allant à l’encontre de la philosophie dominante de l’indétermination. S’ajoute à cela l’observation que les entreprises avec de très bons plans, généralement, ne se vendent pas. Si votre start-up obtient de la traction, les gens feront des offres d’achat. Dans un monde indéterminé, vous vous vendez et vous prenez l’argent, parce que l’argent est ce que vous voulez. […] Mais lorsque les entreprises ont des plans précis, ces plans encouragent à ne pas vendre. […] Dans un monde indéfini, les investisseurs donnent aux plans secrets une valeur nulle. Mais dans un monde déterminé, la robustesse du plan secret est l’un des paramètres les plus importants. […] Il est important de noter que vous pouvez toujours bâtir un plan précis, même dans le plus indéfini des mondes. […] La tendance est que nous tombons plutôt vers le pessimisme. Mais alors pouvons-nous encore revenir à l’optimisme déterminé? »

Ceci conclut mes notes sur la vision assez extraordinaire de Thiel sur les start-up.