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Y a-t-il un parti pris contre les femmes dans la Silicon Valley? Et dans la high-tech en général?

Pourquoi y a t-il aussi peu de femmes dans les start-up de la Silicon Valley ? Pourquoi si peu dans la technologie en général? Pourquoi si peu dans la science? Et même pourquoi si peu de cuisiniers célèbres ou de créateurs de mode quand elles font la plupart de ce travail quotidien à la maison? Je n’ai pas de réponses parfaites ou peut-être trop de réponses. Le débat a été relancé à nouveau il y a quelques jours quand Vivek Wadhwa a critiqué Twitter pour ne pas avoir de femems au sein de son conseil d’administration, d’abord dans un article du New York Times Curtain Is Rising on a Tech Premiere With (as Usual) a Mostly Male Cast suivi d’un article qu’il a écrit pour TechCrunch My Response To Dick Costolo: Twitter Must Lead Silicon Valley On Diversity.

Women in society

Avec des mots violents tels que « C’est l’arrogance de l’élite mafieuse de la Silicon Valley, la mafia Twitter », « C’est la même pensée machiste. Le fait qu’ils vont aller en bourse sans une seule femme sur leur board, comment osent-ils? » ou encore « La racine de ce problème est l’arrogance et une attitude je-m’en-foutiste », Wadhwa n’accepte pas le arguments que le PDG de Twitter et d’autres de utilisent : « il y a certainement un problème d’offre. » Dick Costolo, PDG de Twitter, s’est donné la priorité de trouver une femme pour siéger au conseil d’administration, mais il a eu du mal, selon deux personnes ayant connaissance de ses plans mais qui n’étaient pas autorisés à parler publiquement. « Tout le monde essaie la diversité, à la fois la diversité ethnique et de genre, pour des postes de directions et d’administrateur », a déclaré Rick Devine, directeur général de TalentSky, un cabinet de recrutement de la Silicon Valley. « Le problème n’est pas l’intention, la question est simplement le manque de candidats. » (Extrait du même article du NYT )

Encore une fois , vous devriez lire les articles en entier. Je n’ai pas de bonnes réponses, mais si il y a une pénurie de candidats, je peux mentionner ici que deux fois dans ma vie, d’abord dans le monde du VC, puis dans le monde académique, j’ai entendu des décideurs dire sérieusement que l’embauche d’une femme serait un risque en raison de la possibilité d’une grossesse. Comme si avoir des talents dans une équipe n’était pas toujours pas risqué, simplement parce qu’ils peuvent toujours démissionner à tout moment …

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Catarina Fake

Permettez-moi de conclure avec une autre citation de Catarina Fake dans Founders at Work, que j’ai déjà utilisé dans le passé : « Il y a beaucoup de sexisme institutionnalisé dans le monde des affaires et je crois qu’on ne se rend même pas compte de son ampleur. Un exemple qui est arrivé quand nous sommes descendus dans la Silicon Valley pour rencontrer une société de capital-risque. Après la réunion, le VC a parlé à quelqu’un de notre entreprise, et lui a dit : « Dis à Stewart de ne pas amener sa femme à des réunions de capital-risque. » Il faut beaucoup de courage aux femmes pour faire face à cette suspicion – et cette suspicion revient tout le temps, même dans certains lieux des plus surprenants – qu’elles ne sont pas à la hauteur, qu’elles ne sont pas assez fortes ou assez dures. On attend deux fois plus d’elles. J’ai entendu cela encore et encore de femmes dans le monde des affaires : elles doivent être deux fois aussi plus préparées que les hommes ».

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 2)

Comme je l’ai dit dans l’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1), Mariana Mazzucato a écrit un livre important même si je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments.

Nous sommes en accord sur la problématique du financement des technologies, des inventions et des innovations. Il est généralement convenu que la commercialisation des produits et leur développement préalable est de la responsabilité du secteur privé dans une économie capitaliste. Le financement de la recherche (au moins la recherche fondamentale) est généralement la mission de l’Etat, mais la recherche appliquée (même si je n’ai jamais vraiment compris de quoi il s’agit) peut être faite par l’État ainsi que par le secteur privé .

Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse ici: je ne suis pas un grand fan des concepts de recherche fondamentale et appliquée, mais je comprends mieux d’autres concepts d’amont en aval. Ici, ils s’agit de:
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La recherche n’a pas de résultat connu a priori, sauf de la connaissance, alors qu’à un stade ultérieur dans le développement, les objectifs sont un peu plus clairs. Ceci étant dit, je ne suis pas très à l’aise avec les arguments de Mazzucato quand elle dit l’État fait beaucoup pour l’innovation. Mais elle montre clairement il ya une zone grise entre les 3 étapes que j’ai simplement décrites ci-dessus. Je fais partie (au moins pour l’instant) du groupe de personnes qui croient que c’est la mission de l’Etat d’être actif aux deux premiers stades, et que le secteur privé est actif dans le troisième. Rien n’interdit le secteur privé à aller plus en amont et le secteur public plus en aval, mais c’est assez rarement le cas. Voici mes notes sur les chapitres 3 et suivants :

Chapitre 3 – La prise de risque de l’Etat : de « dé-risquer » à « lancer-le ! »

Lors d’une visite du président Mitterrand dans la Silicon Valley, Thomas Perkins qui dont le fonds avait financé Genentech vanta les vertus de la prise de risque de ces investisseurs qui financent les entrepreneurs. Perkins fut interrompu par Paul Berg, professeur à Stanford et lauréat du prix Nobel. Il demanda: « Où étiez-vous dans les années 50 et 60 pour le financement qui devait nécessaire à la science fondamentale ?  » [Page 57]

L’entrepreneuriat, comme la croissance, est un des sujets les moins bien compris en économie. Selon Schumpeter, l’entrepreneur est une personne prête à et capable de convertir une nouvelle idée ou une invention en une innovation réussie (tel que des produits, services ou processus). L’Entrepreneuriat emploie la « destruction créatrice » pour remplacer, en tout ou partie, les innovations inférieures, créant simultanément de nouveaux produits, y compris de nouveaux modèles d’affaires. Chaque nouvelle technologie majeure conduit à la destruction créatrice. [Page 58]

[Encore une fois je dois réagir ici: là où je suis entièrement d’accord avec l’esprit d’entreprise et les définitions de l’innovation, je suis sceptique quant à la remarque sur la technologie: certaines « grandes » nouvelles technologies ne détruisent rien, car elles ne devinrent pas un succès commercial (l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale par exemple mais il y en a bien d’autres). Je dirais plutôt que les grandes innovations couronnées de succès conduisent à la destruction créatrice. Ceci est important parce que, comme le dit justement Mazzucato, il n’y a pas de processus linéaire dans l’innovation mais par contre beaucoup d’incertitude.]

L’entrepreneuriat est une question de prise de risques et est très incertain. Les investissements en R&D qui contribuent aux changements technologiques non seulement prennent des années à se concrétiser en de nouveaux produits, mais la plupart des produits développés échouent. Le modèle de la Silicon Valley raconte une histoire « d’entrepreneurs en roue libre » et de capitaux-risqueurs visionnaires et pourtant cette histoire ignore le facteur crucial: le rôle de l’armée dans sa création et son succès. [Mazzucato montre les mêmes probématiques dans la l’industrie pharmaceutique où les grands acteurs développent des médicaments d’imitation et laisse l’État développer les innovations radicales dans les universités, comme le montre l’anecdote ci-dessus avec Mitterand, Perkins et Berg.]

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Encore une fois, j’ai quelques soucis avec cette description. Premièrement dans l’image ci-dessus, j’aurais aimé voir le R face au D et pas le R fondamental face à l’ensemble. Mazzucato a raison sur le financement de la recherche, aucun doute à ce sujet. Je l’illustre depuis de nombreuses années par des graphiques où le financement de la recherche dans les universités américaines par l’industrie est de 4-7 % alors que le financement fédéral est d’environ 60 % ! Vous pouvez consulter les Figures 1 et 2 ci-dessous. Mais, quand il s’agit d’innovation, je ne vois pas où l’Etat a produit la biotechnologie ou l’industrie IT. Il a rendu les inventions disponibles. Vous avez cependant besoin d’entrepreneurs et d’investisseurs visionnaires comme je l’ai dit sur mon blog dans le cas Genentech il y a quelques années [voir Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech]

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Figure 1: le financement public et privé de la recherche universitaire américaine.

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Figure 2: le financement public et privé de la recherche à l’université de Stanford et au MIT.

Chapitre 4 – L’état entrepreneurial américain.

Dans ce court chapitre, Mazzucato montre à travers quatre exemples comment le gouvernement américain encouragée innovation. Il s’agit du DARPA (le financement de la recherche par l’armée américaine), des SBIR (Les « Small Business Innovation Research »), les médicaments orphelins et les nanotechnologies.

Sur le Darpa, « une série de petits équipes, composées d’éminents scientifiques, se sont vu données une autonomie de budget considérable, … finança un mélange de chercheurs universitaires, de start-up, d’entreprises établies et de consortiums … aidant ainsi les entreprises à emmener les produits au stade de la viabilité commerciale ». [Page 78] Encore une fois l’impact du DARPA dans le financement de la recherche est indiscutable. Et oui, il faut le dire, Mazzucato a raison sur ce quasi-assourdissant silence sur le rôle de l’Etat. Vous pourriez aussi le vérifer avec cette autre excellente référence qu’est l’ouvrage de Rebecca Lowen “Creating the Cold War University – the Transformation of Stanford”.

Je suis moins convaincu sur le SBIR. « Les agences gouvernementales allouent une fraction de leur budget de recherche pour soutenir les petites entreprises, indépendantes et à but lucratif. » Mazzucato affirme qu’Apple a été financé par un tel fonds, le Continental Illinois Venture Corp (CIVC), mais j’ai vérifié le document d’introduction en bourse d’Apple et le CIVC n’était pas à l’origine de l’entreprise. Arthur Rock and Don Valentine convainquirent Markkula d’aider les deux Steve et investirent en janvier 1979. Même si CIVC avait investi à cette même date (ce que j’ignore), c’était un actionnaire minoritaire et passif. En outre, le CIVC était la filiale VC d’une banque, donc pas un investissement purement public… Mazzucato cite également Lerner et Audretsch, éminents professeurs comme références . Dans un livre récent (Boulevard of Broken Dreams – Pages 125-126), le même Lerner explique que le manque de flexibilité du SBIR et de l’ATP fut préjudiciable (il devait être question de financement pré-commercial pour l’ATP ; les start-ups devaient être détenues à 51% au moins par des citoyens américains ou des résidents, au point que la présence de capital-risque pouvait exclure l’entreprise du financement SBIR !) J’ai lutté pendant des années pour trouver l’impact réel de SBIR et je n’ai jamais trouvé de données convaincantes. Il y a un débat récurrent sur le rôle direct de l’État dans le financement VC, avec des réponses assez peu claires depuis des années.

Je ne sais pas rien des médicaments orphelins, mais je suis sceptique sur les nanotechnologies. « Les nanotechnologies vont très probablement être la prochaine technologie d’application générale ». [Page 83] « Ce sera une révolution encore plus important que l’ordinateur. » « Aujourd’hui, elles ne créent pas encore un impact économique majeur en raison de l’absence de commercialisation de ces nouvelles technologies, ce qui s’explique par des investissements excessifs dans la recherche par rapport aux investissements dans la commercialisation. […] Cela soulève une question : si le gouvernement doit financer la recherche, financer de grands investissements d’infrastructure et aussi entreprendre les efforts de commercialisation, quel est exactement le rôle du secteur privé ? » [Page 86]

Et bien, encore une fois, je trouve l’argumentation un peu contradictoire. Si les nanotechnologies était juste un autre fruit mûr qu’il suffit de cueillir pour les commercialiser grâce à l’investissement de l’Etat, nous aurions déjà vu les premiers résultats. L’initiative américaine sur les nanotechnologies a été lancée en 2000. Il y a eu des start-up très visibles telles que A123 ou Nanosys. Dans le tableau de capitalisation datant de 2004 de Nanosys, peut voir le financement de la start-up provenant de sources privées .

Je lis en ce moment le chapitre 5 et je reviendrai sur le livre de Mazzucato dans une troisième partie !

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L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1)

L’État entrepreneurial (The Entrepreneurial State) de Mariana Mazzacuto est, je pense, un livre important. L’auteur affirme que nous avons été injustes avec le rôle dans l’innovation du gouvernement et du secteur public en général, qui a fourni des fonds pour la plupart pour ne pas dire toute la R&D (Pharma, IT, spatial). Je partage le blâme car je suis un fervent partisan des start-up, du capital-risque, et la Silicon Valley est le modèle ultime. Et l’idée que l’Etat doit juste fournir les bases (éducation, recherche, infrastructure) et laisser le secteur privé innover a peut-être été une grosse erreur (de moi y compris). Je ne prendrai pas le blâme sur le second argument que j’ai toujours partagé avec l’auteur : l’idée que les allégements fiscaux et l’évasion fiscale rend le jugement encore plus injuste. Enfin, le secteur privé est très frileux face aux risques si bien qu’il y a moins d’innovation (et pas seulement à cause du capital-risque, mais en raison de la R&D privée, par rapport au passé lorsque les laboratoires de R&D au sein d’IBM , Bell ou Xerox étaient grands ou quand les VCs contribuaient vraiment à l’innovation dans les semi-conducteurs, les ordinateurs et la biotechnologie dans les années 60 et 70 )

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Permettez-moi maintenant de citer Mariana Mazzacuto en suivant son livre linéairement . Vous pouvez également écouter une conférence qu’elle a donnée à TEDx.

Alors que l’innovation n’est pas le rôle principal de l’État, illustrer le potentiel d’innovation et de dynamisme de l’Etat – sa capacité historique, dans certains pays, à jouer un rôle d’entrepreneur dans la société est peut-être le moyen le plus efficace pour défendre son existence. (Page 1).

L’entrepreneuriat n’est pas (seulement) le sujet des start-ups, du capital-risque et des « bricoleurs de garage ». Il s’agit de la volonté et de la capacité des agents économiques à prendre des risques et affronter une incertitude réellement Knightienne*, ce qui est vraiment inconnu. (Page 2).
Note *: l’incertitude Knightienne concerne le risque « incommensurable », c’est à dire un risque qui ne peut être calculé.

Même pendant un boom économique, la plupart des entreprises et des banques préfèrent (ou préféreraient) financer des innovations incrémentales à faible risque, en attendant que l’État fasse sa marque dans les domaines les plus radicaux. (Page 7) Des exemples sont fournis par l’industrie pharmaceutique – où les nouveaux médicaments les plus révolutionnaires sont fabriqués principalement avec des fonds publics, et non privés. (Page 10.)

Apple doit payer des impôts, non seulement parce que c’est une bonne chose, mais parce qu’elle est l’épicentre d’une entreprise qui a besoin de fonds publics qui soient très grands et prêts à assumer une prise de risque suffisante pour continuer à faire les investissements sur lesquels les entrepreneurs tels que Steve Jobs pourront ensuite capitaliser. (Page 11) C’est précisément parce que les investissements de l’État sont incertains, qu’il y a un risque élevé qu’ils échouent. Mais quand ils réussissent, il est naïf et dangereux de permettre à toutes les récompenses d’être privatisées. (Page 12)

Chapitre 1 – (La crise de l’innovation)

L’accent mis sur l’État en tant qu’agent entrepreneurial n’a évidemment pas pour but de nier l’existence de l’activité et de l’esprit d’entreprise du secteur privé, depuis le rôle des jeunes et nouvelles entreprises qui dynamisent ou créent de nouveaux secteurs (comme par exemple Google) jusqu’à la source importante de financement du privé comme le capital-risque . Le principal problème est que c’est la seule histoire qui est généralement racontée. (Page 20)

Il est naïf d’attendre du capital-risque de mener à un stade précoce le développement risqué de tout nouveau secteur économique aujourd’hui ** (tels que les technologies propres par exemple). Dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’Internet, le capital-risque est arrivé 15 à 20 ans après les investissements les plus importants réalisés par des fonds publics. (Page 23) L’État a été à l’origine des révolutions les technologiques et des périodes de croissance à long terme. C’est pourquoi un état « entrepreneurial » est nécessaire pour s’engager dans la prise de risque et la création d’une nouvelle vision.
Note **: Peut-être pas dans les années 50 à 70 , certainement au cours des 10 dernières années.

Les grands laboratoires privés de R&D ont fermé et le R de la R&D a également diminué. Une étude du MIT récente [1] affirme que l’absence actuelle aux États-Unis des laboratoires d’entreprises comme le Xerox PARC (qui a produit la technologie d’interface utilisateur graphique qui a contribué à la fois aux systèmes d’exploitation de Apple et de Windows) et les Bell Labs – cofinancés par le budget des agences gouvernementales – est une des raisons pour lesquelles la machine d’innovation américain est menacée. (Page 24) Rodrik (2004) affirme que le problème n’est pas dans quels types de mécanismes (R&D, crédits d’impôt, subventions) ou quels types de secteurs choisir (acier vs. logiciel), mais comment la politique peut favoriser les processus de découverte qui favorisent la créativité et l’ innovation – la nécessité de favoriser l’ exploration par essai et erreur (ce qui est le principe de base de la « théorie évolutionniste du changement économique » au chapitre 2)
Références:
[1] MIT 2013. Rapport économique Innovation, web.mit.edu/press/images/ documents/pie-report.pdf
[2] Rodrik, 2004. Politique industrielle pour le 21e siècle. CEPR Discussion Paper 4767

Chapitre 2 – Technologie, innovation et croissance.

Les politiques de redistribution progressive sont fondamentales, mais elles ne causent pas la croissance. En réunissant les leçons de Keynes et de Schumpeter, on peut la rendre possible. (Page 31) Solow a découvert que 90 pour cent de la variation de la production économique n’a pas été expliqué par le capital et le travail, il a appelé le résidu le « changement technique ». (Page 33)

La « théorie de l’évolution économique » explique cela comme un processus constant de différenciation entre les entreprises, en fonction de leur capacité à innover. La sélection ne conduit pas toujours à la « survie du plus apte » à la fois en raison des effets de rendements croissants et aussi des effets des politiques. La dynamique de sélection des marchés des produits et des marchés financiers peuvent être en désaccord.

L’innovation est spécifique à l’entreprise et très incertaine. Ce n’est pas la quantité de R&D qui compte, mais la façon dont elle est distribuée dans toute l’économie. La vieille idée que la R&D peut être modélisée comme une loterie où une certaine quantité va créer une certaine probabilité de succès de l’innovation est critiquée car en fait l’innovation serait un exemple d’une véritable incertitude Knightienne, qui ne peut être modélisée avec une distribution normale (ou toute autre distribution de probabilité). (Page 35 – à nouveau le Black Swan !)

Les systèmes d’innovation sont définis comme le « réseau des institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies ». (La Théorie de l’Equilibre ne peut pas fonctionner, et plutôt que d’utiliser le calcul incrémental de la physique newtonienne, les mathématiques de la biologie sont utilisées, car elles peuvent explicitement prendre en compte l’hétérogénéité et la possibilité de dépendance de route et des équilibres multiples.) (Page 36) La perspective n’est ni micro ni macro, mais méso. Le lien de causalité entre la science fondamentale, en allant vers la R&D à grande échelle, puis les applications jusqu’à la diffusion des innovations n’est pas linéaire, mais plein de boucles de rétroaction. On doit être capable de reconnaître le hasard, la sérendipité, et l’incertitude qui caractérise le processus d’innovation. […] En utilisant l’exemple du Japon, « les contributions de l’Etat au développement au Japon ne peuvent être comprises en faisant abstraction de la croissance des entreprises comme Toyota, Sony ou Hitachi à côté du soutien public de l’Etat japonais pour l’industrie ». (Page 38)

Les systèmes régionaux d’innovation focalisent sur la proximité culturelle, géographique et institutionnelle qui crée et facilite les transactions entre les différents acteurs socio-économiques, y compris les administrations locales, les syndicats et les entreprises familiales … L’Etat agit en ralliant les réseaux d’innovation existants ou en facilitant le développement de nouveaux qui rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes. Mais un système riche d’innovation n’est pas suffisant. L’État doit élaborer des stratégies pour le développement technologique.

Mazzacuto termine le chapitre 2 avec 6 mythes sur l’innovation, et je suis totalement d’accord avec elle!

Mythe 1 : L’innovation c’est la R&D. « Il est fondamental d’identifier les conditions spécifiques aux entreprises pour permettre que les dépenses de R&D influent positivement sur la croissance.  »

Mythe 2 : Small is Beautiful. « Il y a confusion entre la taille et la croissance. » Ce qui est important est le « rôle des jeunes entreprises à forte croissance ». Beaucoup de petites entreprises ne sont pas en forte croissance. […] « L’essentiel de l’impact est lié à l’âge. Le ciblage de l’aide aux PMEs sous forme de subventions, de prêts bonifiés ou d’allégements fiscaux impliquera nécessairement un niveau élevé de déchets. Bien que ces déchets soient est un pari nécessaire dans le processus de l’innovation », elle doit être ciblée sur une croissance élevée et non sur les PMEs [en général], à savoir le soutien aux « jeunes entreprises qui ont déjà démontré de l’ambition ».

Mythe 3 : Le capital-risque aime le risque. « Le capital-risque est rare dans la phase d’amorçage. il est de plus concentré dans les domaines à fort potentiel de croissance, à faible complexité technologique et à faible intensité capitalistique. » […] «La polarisation sur le court terme est dommageable pour le processus d’exploration scientifique qui nécessite un plus long horizon et la tolérance à l’échec ». « Les récompenses pour le VC ont été disproportionnées par rapport aux risques pris », mais Mazzacuto reconnaît également que « le capital-risque a plus réussi aux États-Unis, quand il a fourni non seulement les financements, mais aussi l’expertise dans la gestion. » Enfin « la commercialisation progressive de la science semble être improductive ».

Mythe 4 : Les brevets. « La hausse du nombre des brevets ne reflète pas une augmentation de l’innovation ». [Je ne vais pas revenir ici sur le sujet, mais relisez Contre les monopoles intellectuels]

Mythe 5: Le problème de l’Europe est avant tout celui de la commercialisation. « Si les Etats-Unis sont meilleurs dans l’innovation, ce n’est pas parce que les liens université-industrie sont supérieurs (ils ne le sont pas) ou parce que les universités américaines produisent plus de spinouts (elles ne le font pas). Cela reflète tout simplement le fait que plus de recherche se fait dans plus d’institutions, qui génèrent de meilleures compétences techniques pour le monde du travail. Le financement américain est divisé entre la recherche dans le monde universitaire et le développement de la technologie à un stade précoce dans les entreprises. L’Europe a un système plus faible pour la recherche scientifique et les entreprises sont plus faibles et moins innovantes ».

Mythe 6 : Les entreprises doivent payer moins d’impôt. « Les systèmes de crédit d’impôt R&D ne demandent pas aux entreprises responsables de chercher de nouvelles innovations qui autrement n’auraient pas eu lieu, ou qu’elles ne se contentent pas simplement de formes de développement de produits routiniers. » « Comme Keynes l’a souligné, l’investissement des entreprises est une fonction de l’instinct des investisseurs quant aux perspectives de croissance future. » Ceci n’est pas affecté par les crédits d’impôt, mais par la qualité de la de la science, de l’éducation, du système de crédit et du capital humain au niveau national. « Il est important pour la politique d’innovation de résister à l’appel des mesures fiscales de toutes sortes ».

Plus suivra quand j’aurai lu les chapitres 3 et suivants. Mais, j’ai besoin de partager certaines de mes préoccupations, d’abord en citant Mazzacuto à nouveau :

« L’entrepreneuriat par l’État peut prendre de nombreuses formes. Quatre exemples : le DARPA, les SBIR, le Orphan Drug Act, les nanotechnologies. (…) Apple est loin d’être l’exemple libéral, que semble être la société. C’est une société qui a non seulement reçu des financements précoces du gouvernement (à travers le programme SBIC), mais elle a aussi « ingénieusement » fait usage de technologies financées par les fonds publics*** pour créer des produits « intelligents » . (Pages 10-11)
Note ***: par exemple l’Internet, le GPS, l’écran tactile et Siri.

« Beaucoup de jeunes entreprises les plus innovantes aux Etats-Unis ont été financées non par du capital-risque privé, mais par le capital-risque public, tel que celui fourni par le programme SBIR (Small Business Innovation Research). » (Page 20)

Mes préoccupations sont que
– La recherche n’est pas l’innovation et le transfert est là où l’esprit d’entreprise se produit et donc l’investissement dans la recherche n’est pas l’innovation ou même être entrepreneurial. C’est du moins mon expérience dans le domaine .
– L’impact réel du SBIR est incertain
– les technologies vertes et nano ont également un impact incertain
Mais je n’ai pas encore fini de lire cet excellent travail…

Y a-t-il un âge idéal pour créer ?

Voici ma dernière contribution en date à Entreprise Romande, que le magazine a intitulé « Laisser les énergies s’exprimer dès le plus jeune âge ».

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Depuis quelques années un débat fait rage: y a-t-il un âge idéal pour créer ? Je ne parle pas de créativité artistique ou scientifique, même si la question mériterait une étude à elle-seule. Quel artiste a en effet produit une œuvre majeure après 40 ans? On attribue le prix Nobel bien souvent pour le couronnement d’une carrière mais les travaux du lauréat avait été produits des décennies plus tôt. Enfin la médaille Fields, prix suprême des mathématiques, n’est accordée qu’à des chercheurs de moins de 40 ans. En est-il de même pour la création d’entreprise ? En quelques mois, Scott Shane [1], puis Vivek Wadhwa [2] ont récemment dénoncé le mythe du jeune entrepreneur de moins de 30 ans que la Silicon Valley aurait abusivement célébré. Shane constate une activité entrepreneuriale deux fois supérieure chez les quinquas, y compris dans la haute technologie, que chez les entrepreneurs deux fois plus jeunes. Wadhwa arrive à une moyenne de 40 ans pour ceux qui réussissent.

Je ne vais pas cacher ma surprise relative à ces nouvelles analyses car mon intuition et mon expérience me faisaient tendre vers un certain jeunisme. Dans une analyse, peut-être un peu rapide, j’étais arrivé à une moyenne de 27 ans pour les célèbres entrepreneurs de la Silicon Valley (ceux qui ont créé Intel, Apple, Oracle et autres stars de l’Internet tels qu’eBay, Google ou Facebook) et même de 33 pour leurs célèbres homologues européens (SAP, Logitech, etc). L’explication me semblait simple : si l’expérience est un critère de succès important pour la gestion d’une entreprise, l’enthousiasme et l’énergie viennent compenser son absence lorsqu’il est question d’innovation de rupture, dans des marchés où l’incertitude est plus grande. De plus, l’expérience se trouve en s’entourant de professionnels confirmés. Enfin on n’a rien à perdre à 20 ans, et les charges de famille sont rarement lourdes à porter. Vive la prise de risque quand on est jeune !

Age of founders

J’ai voulu refaire ma propre analyse en étudiant les quelques 500 fondateurs de 200 sociétés, essentiellement dans le domaine de la haute technologie, aux USA mais aussi en Europe. Je suis arrivé à une moyenne de 38 ans, proche de celle évoquée par Shane et Wadhwa. Mais ne concluez pas trop vite que le débat est clos ! Le diable est dans les détails… En ne tenant compte que de la première expérience entrepreneuriale, en ne comptant que des entrepreneurs qui s’engagent corps et âme dans l’aventure (et pas de ceux qui ne sont que conseillers ou premiers investisseurs), on tombe à 34 ans. Il y a tout de même un point d’accord entre toutes ces analyses : la moyenne augmente régulièrement depuis quelques années.

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Je reste personnellement persuadé que la jeunesse est un atout, simplement parce que l’entrepreneuriat est affaire d’enthousiasme et d’énergie, parfois même d’inconscience. Ce n’est pas d’être jeune qui pousse à être entrepreneur, c’est d’avoir certaines qualités qui, globalement, sont plus souvent présentes chez les jeunes. Y aurait-il alors une explication qui réunisse ces messages quelque peu discordants ? Une piste qui m’est chère consiste à observer que l’expérience est utile à l’innovation incrémentale, là où l’on améliore l’existant. La créativité et l’aventure sont plus le fait de l’innovation de rupture qui a créé de nouvelles industries depuis 50 ans (l’ordinateur, le logiciel et les biotechnologies par exemple.) Autre remarque : il me semble que l’innovation est moins révolutionnaire depuis 10 ans, depuis la maturation des technologies internet. Les grandes entreprises semblent avoir repris la main comme l’ont constaté certains experts [3].

Dernier constat : l’âge moyen de ceux qui ont créé des entreprises d’exception (que je mesure par une capitalisation supérieure à $100 milliards) est de 27 ans. Même le fondateur de Genentech qui a lancé les biotechnologies avait 29 ans. Toutes ces entreprises avaient toujours un de leurs fondateurs comme CEO au moment de leur entrée en bourse. Le ralentissement de ces innovations majeures corrélé à l’augmentation de l’âge des entrepreneurs pourrait malheureusement être le signe que notre monde est moins créatif, voire vieillissant. Il n’y a sans doute pas d’âge idéal pour créer, mais il faut sans aucun doute laisser s’exprimer les énergies dès le plus jeune âge en encourageant une créativité détachée des contraintes de l’expérience et du savoir.

Références:
[1] Entrepreneurship Is a Midlife Game http://www.entrepreneur.com/article/225843
[2] The Truth About Entrepreneurs: Twice As Many Are Over 50 As Are Under 25 http://www.pbs.org/newshour/rundown/2013/04/the-truth-about-entrepreneurs-twice-as-many-are-over-50-than-under-25.html
[3] The Empire Strikes Back. http://www.technologyreview.com/news/426238/the-empire-strikes-back/

Sur un sujet connexe, j’ai été intrigué par un article du magazine suisse Bilan: L’avenir, affaire de jeunes, de Stéphane Benoit-Godet. Le voici:

L’avenir, affaire de jeunes
Google veut prolonger la vie des gens et battre la mort. Un événement qui n’a pas fait tant de vagues. Pourtant, ce n’est pas seulement un effet d’annonce. La potentialité de pouvoir télécharger sa propre mémoire d’ici à trente ans pour qu’une partie de nous puisse survivre représente un formidable défi à l’humanité et à la création.
Foutaises? Il existe beaucoup de «négationnistes du progrès», ceux qui combattent en vain leur époque car ils ne comprennent pas ses enjeux. Il y a pourtant un courant passionnant dans la science qui voit l’ingénierie, les sciences de l’information et la neurologie se retrouver.
Patrick Aebischer en est un précurseur en Europe avec sa vision qu’il a imposée à l’EPFL. D’autres travaillent d’arrache-pied à la convergence de ces différentes techniques pour arriver à la mère de toutes les épopées scientifiques, la compréhension du cerveau.
Quand Google tente cette avancée, il faut s’y intéresser car les moyens mis en œuvre dans le cadre de la division des projets spéciaux de la firme de la Silicon Valley s’avèrent colossaux. Et quand il s’agit de traiter des données à une échelle gigantesque, ses fondateurs sont des experts.
Henry Markram qui a levé 100 millions de l’UE pour son projet Human Brain à l’EPFL s’inscrit aussi parfaitement dans cette révolution. Ce qui a été possible ici grâce à la volonté d’un homme – Patrick Aebischer avait une bonne partie de l’establishment contre lui en arrivant à l’EPFL – doit se propager plus loin.
Si Larry Page et Sergey Brin, de Google, osent s’engager dans cette aventure, c’est qu’ils baignent dans ce bain d’innovation qu’est la Silicon Valley. L’endroit où se créent des start-up qui bouleversent les interactions sociales (Facebook), la technologie (Apple), la manière de s’informer (Twitter), de se déplacer (Tesla et SpaceX) ou celle de consommer (PayPal).
Ironie de l’histoire, le patron de cette dernière entreprise, David Marcus, un serial entrepreneur genevois parti en Californie, invente le futur de l’argent quand les banquiers suisses n’ont jamais été aussi mal en point.
Ce bain manque toujours ici. Le déclic consiste peut-être à encourager des gens de 20 ans et moins à créer leur entreprise. Comme les fous de la Silicon Valley qui se donnent comme mission d’améliorer la vie des gens, leur envie d’entreprendre et leur enthousiasme pourraient donner lieu à des succès immenses.

Qu’est-ce qu’une start-up? (partie 3)

Mon collègue Jean-Philippe Solvay m’a récemment demandé de réagir à un message Facebook demandant ce qu’est exactement une start-up. Et comme vous pouvez le lire dans ce message facebook, ce n’est pas si facile de répondre. Une des meilleures références données dans le post est l’analyse assez exhaustive de swombat.com.

Dans le passé, j’ai écrit deux messages sur le sujet: dans la Partie 1 en 2011, j’avais donné ma définition: « Une start-up est une entreprise qui est née d’une idée et a le potentiel pour devenir une grande entreprise » ainsi que la très bonne définition de Steve Blank: « les start-up sont des entités temporaires destinées à la recherche d’un modèle d’affaires extensible et reproductible. » (Il y a toutefois quelque chose avec quoi je ne suis pas à l’aise chez Steve Blank de: je voudrais supprimer le mot « modèle », et le remplacer par « business » car une start- peut savoir ce qu’elle veut faire, mais ne l’a pas encore validé. Les start-up copiant des modèles d’affaires existants n’en seraient pas…)

Puis, dans la « partie 2 » en janvier 2013, j’ai ajouté ce qui suit: « Une start-up est une société qui explore, qui est à la recherche d’un modèle d’entreprise, d’un marché, de clients et tente d’innover. Elle cherche généralement un grand marché (« scalable/extensible ») et donc les entreprises de services ne sont pas des start-up (sauf sur le web). Il est donc aussi question de croissance forte et rapide car pour ces marchés émergents, la concurrence est rude et les gagnants peu nombreux. Il faut souvent aller vite. C’est aussi pourquoi c’est un état d’esprit: vous êtes curieux, dans un monde incertain, en essayant d’apporter de nouvelles choses au monde, voire de le changer. Parce que vous êtes à la recherche d’un modèle d’affaires, vous n’avez pas assez de clients payants, et vous aurez probablement besoin de capitaux externes (business angels, capital-risque), sauf si vos futurs clients acceptent de payer en ‘avance. C’est pourquoi il existe une forte corrélation entre le statut de start-up et avoir des investisseurs. »

Je suis d’accord avec la plupart des caractéristiques indiquées dans les contributions Facebook ou swombat: « les start-up sont de nouvelles entreprises focalisées sur l’innovation et la croissance dans des situations de grande incertitude (ou de risque) ». Elles n’ont pas à être dans la technologie et si c’est le cas, ielles sont appelées start-up high-tech. Peut-être que l’innovation n’est pas si importante, comme beaucoup d’entre elles copient les autres, mais la croissance (la scalability) est critique. Les entreprises de services ou de consulting ne sont généralement pas des start-up parce que la croissance est linéaire, et non exponentielle (avec le nombre d’emplois).

Permettez-moi d’ajouter un autre point: si le mot a été créé, il doit y avoir une bonne raison! Quand est-il apparu? Wikipedia affirme qu’il est devenu populaire avec la bulle dot.com des années 90. Cependant, j’ai trouvé le terme dans Regional Advantage de Saxenian (1994) et même dans Silicon Valley Fever (1984). Il ne fait aucun doute que le terme a émergé avec les clusters technologiquse tels que la Route 128 et la Silicon Valley, raison pour laquelle il est associé à la haute technologie ainsi qu’au capital-risque. Mais toutes les start-up ne font pas partie de ces entités géographiques. Microsoft et Amazon sont basées à Seattle, qui n’est pas vraiment un cluster. Quand ils n’appartiennent pas à un cluster géographique, ils appartiennent à une grappe technologique, principalement IT (électronique, logiciel, internet) ou biotech / medtech. Tesla Motors est considéré comme une start-up, car elle appartient à l’écosystème de la Silicon Valley même si elle est dans un secteur où il existe très peu de start-up. Je ne pense pas que EasyJet ait jamais été appelée une start-up, car elle n’appartient à aucun cluster (technologique ou géographique). Donc, j’aurais tendance à définir une start-up comme « une nouvelle entreprise focalisée sur la croissance dans des situations de grande incertitude, et appartenant à un cluster technologique ou géographique ».

PS: en regardant le sujet à nouveau, j’ai découvert un débat sur ​​la façon d’épeler le mot … En 2007, j’avais décidé pour « start-up », mais « start up » et « startup » étaient employés également. Il semble « startup » soit maintenant de plus en plus populaire. Je m’en tiens à « start-up » pour le moment, pour être cohérent avec ce que j’ai toujours fait. De même je ne mets pas de « s » au pluriel…

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

Voici ma quatrème contribution à Entreprise Romande. Je me rends compte qu’il y ait souvent question d’échec et d’innovation. Ce nouvel article maintient la tradition. Et comme il s’agissait d’un numéro spécial sur l’échec, je me permets de vous fournir l’éditorial de la rédactrice en chef.

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Voici donc l’Editorial d’Entreprise romande – 5 juillet 2013 Par Véronique Kämpfen, rédactrice en chef:

La tolérance à l’échec favorise la croissance

Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de l’échec. Un constat confirmé par une étude fouillée de Barclays parue fin 2012. Tout d’abord, les Européens ont plus de mal à voir l’échec de manière positive (69%) que les Américains (71%), les Asiatiques (80%) et les Moyens-Orientaux (91%). Ensuite, les entrepreneurs ont une attitude moins négative face à l’échec que le reste de la population. Ils sont nombreux à penser que les échecs ont forgé leur caractère, que cette épreuve leur a appris beaucoup et qu’ils ont su rebondir rapidement. Les entrepreneurs sont en outre largement plus optimistes que le reste de leurs concitoyens. Ce phénomène est décrit dans la littérature médicale: il semblerait qu’un nombre élevé d’entrepreneurs à succès seraient caractérisés par une forme génétique de biais psychiatrique, qui les prédisposerait à être créatifs, enthousiastes et peu craintifs vis-à-vis de la prise de risques. John Gartner, le psychiatre à l’origine de cette étude, souligne les traits de ces caractères particuliers: « Avoir ce genre de confiance en soi peut entraîner un aveuglement face aux risques, parce que ces personnalités ne pensent pas pouvoir échouer. (…) Si elles échouent néanmoins, elles ne resteront pas longtemps abattues et seront rapidement énergisées par une idée complètement nouvelle ».

De manière plus générale, l’étude Barclays montre que la tolérance à l’échec est essentielle à la croissance. Le processus de «destruction créative», qui veut que des idées, des modèles technologiques et d’affaires obsolètes laissent la place à de nouvelles impulsions, est essentiel pour le progrès économique et la création d’emplois. Pour que ce processus soit efficace, il faut des entrepreneurs ayant envie de prendre des risques, ainsi qu’un environnement qui accompagne leurs efforts. Jusqu’à présent, la Suisse semble tirer son épingle du jeu, comme l’attestent sa bonne santé économique et son excellent classement en termes d’innovation et de compétitivité. Les Suisses n’étant pas les champions de la tolérance vis-à-vis de l’échec, il faut qu’ils soient soutenus par des conditions-cadre adaptées et entourés au mieux pour que celles et ceux qui ont la fibre entrepreneuriale puissent se lancer… sans trop prendre de risques! Ces thèmes sont traités de manière très détaillée dans Le Magazine d’Entreprise romande, encarté dans ce journal. Le tabou de l’échec et de la faillite y est analysé sous toutes ses formes et mis en perspective grâce à des conseils pratiques et à des témoignages d’entrepreneurs. Bonne lecture et… bel été!

et voici ma contribution:

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

« La société nous donne tellement de baffes à travers l’éducation qu’on a peur d’être créatif, car on montre ses faiblesses. En exprimant ses rêves, on fait un strip-tease intellectuel, on craint que les autres les considèrent comme mauvais, pas bien, pas bons et pas justes. » C’est ce qu’affirme d’Elmar Mock, inventeur de la Swatch et fondateur de Créaholic. Le système scolaire suisse n’est en effet pas connu pour sa créativité. Le célèbre « faut se gaffer » romand pourrait faire sourire ; quant à nos enseignants, ils semblent accorder plus d’importance à la rigueur qu’à la créativité de nos chères têtes blondes. Le droit à l’erreur est inconsciemment refoulé. Si l’on accepte l’idée qu’innover c’est avant tout créer dans des situations d’incertitude, l’affirmation a de quoi inquiéter. Pourtant la Suisse est championne du monde de l’innovation dans la quasi-totalité des rapports mondiaux. Contradiction ?

L’innovation est une chose subtile. L’innovation ne se réduit pas à l’invention et l’innovation n’est pas seulement technologique ; elle est le résultat qu’un processus, au bout duquel sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands). Le processus conduisant à l’innovation est long, imprévisible et peu contrôlable ; l’innovation ne se planifie donc pas et il faut accepter l’échec.

Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, a bâti une théorie autour de l’innovation de rupture, celle qui permet l’émergence de nouveaux produits révolutionnaires comme l’Internet, le téléphone portable mais aussi les compagnies aériennes à bas coût, celle qui permet aussi à de nouveaux acteurs d’émerger et de remplacer leurs concurrents vieillissants. Selon Christensen, l’innovation de rupture ne peut se produire au sein des institutions établies. Les meilleures entreprises sont à l’écoute de clients qui ne souhaitent que l’amélioration des produits existants et ne souhaitent que rarement de nouveaux produits. Les Etats Unis ont vu plus de 80 nouvelles entreprises majeures émerger depuis 1970 ; la France, seulement 4. Et la Suisse?

La Suisse est championne du monde de l’innovation tout d’abord parce que les conditions cadre sont excellentes. Tout est fait pour que les entreprises réussissent, en minimisant barrières et contraintes. Ensuite, parce qu’il existe une culture du travail bien fait. L’apprentissage contribue dès les premières années de formation à maintenir cette tradition et les entreprises suisses sont connues pour être à l’écoute de leurs clients pour faire évoluer les produits existants dans la bonne direction. Mais de quelle innovation parle-t-on ? Celle qui donne naissance à des ruptures technologiques? Non, plutôt un autre type d’innovation, l’innovation incrémentale, faite de « graduelles, continuelles améliorations de techniques ou de produits existants ; l’innovation incrémentale ne change généralement pas fondamentalement la dynamique d’une industrie, ni ne requiert un changement de comportement » d’après wikipedia. La Suisse est championne de l’innovation incrémentale, à travers un tissu dense de PMEs performantes. L’échec est donc relativement peu absent, quand l’attention à tous les détails est permanente. Mais cela est-il suffisant ?

Non seulement le système scolaire suisse n’est pas connu pour sa créativité, mais de plus les spin-off académiques ne créent que peu d’emplois. Si l’on accepte le corolaire que l’innovation est source de croissance et de nouveaux emplois, nous ne sommes peut-être pas aussi innovants qu’il serait souhaitable. Nous sommes évidemment performants pour l’innovation incrémentale, mais certainement pas aussi bons dès qu’il s’agit de rupture. A part un exemple qui me vient naturellement en tête, la Swatch. Mais Nicholas Hayek n’était pas le produit de la culture suisse ! On pourrait ajouter Nespresso, mais Eric Favre inventeur du produit aura souffert des réticences initiales chez Nestlé au point de dire : « L’économie suisse manque de vrais entrepreneurs ! » La difficulté à intégrer le risque, la nouveauté radicale peut rendre myope face aux changements en cours et engendrer d’autres échecs, comme le témoigne le grounding de Swissair, qui a été vécue comme un traumatisme national. Les Etats-Unis ont perdu TWA et Panam, mais ils ont su inventer le concept de low cost avec Southwest ou JetBlue, qui les a allègrement remplacés. L’Europe, avec easyJet et d’autres compagnies, n’a fait que suivre le modèle américain.

Les start-up suisses ne meurent jamais. Elles ont un taux de survie de 90% après 5 ans. Alors qu’outre-Atlantique et même en Suisse pour les entreprises traditionnelles, le taux est inférieur à 50%… Cela peut vouloir dire, en citant Xavier Comtesse, que « les start-up sont protégées par le système académique ou le financement fédéral. » Parce qu’échouer serait un stigmate inacceptable ? Ou parce que prendre des risques, cause inévitable d’un taux d’échecs plus important, serait trop dangereux ? Sans être aussi pessimiste, j’ajouterai que nos start-up restent souvent d’excellents bureaux d’ingénieurs, au savoir-faire reconnu, mais la composante service finissant par l’emporter sur les produits, la société survit sans importante création d ‘emplois et sans forte croissance. J’ai souvent demandé à des entrepreneurs qui avaient échoué de partager leur expérience. En vain ! Nos experts et mentors ne poussent pas nos jeunes entrepreneurs dans cette direction; je l’ai si souvent entendu, que j’ai presque fini par m’habituer. Nos business angels ont une grande méfiance d’investisseurs à risque plus agressifs dont ils redoutent l’approche plus binaire du « ça passe ou ça casse. »

Daniel Borel, entrepreneur emblématique : «Dans notre secteur, si on n’innove pas constamment, si on n’a pas le courage de prendre des risques, on disparaît. Raison pour laquelle je préférerais me lancer dans sept projets quitte à en rater trois, que de ne rien louper, par chance, en ayant misé sur un seul projet. » […] « On n’apprend que de ses échecs, rarement de ses succès. Le succès peut être votre pire ennemi: il vous fait croire que vous êtes fort, très fort, que vous pourriez même marcher sur les eaux. Et c’est à ce moment-là que vous vous noyez. »

La culture suisse n’est certainement pas très tolérante avec l’échec. Elle favorise un type d’innovation (incrémentale) qui peut expliquer les forces du pays. Son tissu de PMEs performantes est sans doute le résultat de cette culture prudente, exigeante. Il y a raison d’en être fier. Mais j’aime la citation de l’ancienne star du Hockey, Wayne Gretzky : « Je patine à l’endroit où le palet va être, et non là où il a été. » Toute la question est de savoir si la Suisse sera demain à la bonne place pour récupérer le palet…

Michel Rocard et le gâchis des talents

A voix nue est une excellente émission de France Culture. Chaque invité y raconte sa vie pendant les 5 jours de la semaine. Michel Rocard était l’invité du 17 au 21 juin. C’est passionnant, mais j’ai retenu une anecdote amusante, choquante, tout à fait en liaison avec mon précédent blog sur l’élite technique française et ses gâchis.

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Laissez moi d’abord vous rappeler ce que je disais des migrations et des élites dans l’article AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat: «L’élite technique de pays comme la France ou le Japon allait automatiquement vers des postes à statut élevé au sommet des grandes entreprises ou de la fonction publique. Ils sont peu incités à étudier ou travailler à l’étranger, et souvent cette élite doit faire face à des coûts d’opportunité importants s’ils le font. Par conséquent, relativement peu suivent une formation universitaire aux États-Unis, et ceux-ci reviennent souvent dans leur pays directement après l’obtention du diplôme. Ceux qui restent dans la Silicon Valley pour une plus longue période ne sont pas susceptibles d’avoir accès au capital, aux opportunités professionnelles, ou même au respect quand ils rentrent.»

Quand Michel Rocard parle de l’ambition qu’avait son père pour lui, il est question de l’Ecole Normale Supérieure, voire de l’Ecole Polytechnique. Yves Rocard « a failli être prix Nobel de physique ». Il avait aussi plus de respect pour la science que pour la politique. Dans l’épisode 1 (à la minute 19 environ), Michel Rocard explique que son père rêvait de Polytechnique pour son fils, l’ENS semblant inaccessible. « Mon père rappelait beaucoup un mot terrible de Georges Clémenceau en 1919 : vous voulez empêcher l’Allemagne de se relever, créez-y une Ecole Polytechnique. C’était une allusion terrible que mon père partageait à la moisson de belles cervelles que fut le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique pour en faire des administrateurs et pas beaucoup de chercheurs ».

Je n’ai pas pu trouvé la citation ailleurs, mais même si elle était incorrecte, le message reste tristement valide. Comme AnnaLee Saxenian l’a écrit plus haut les sociétés française et japonaise gâchent une partie de leurs talents en ne les laissant pas exprimer leur créativité, en les décourageant parfois sans en avoir conscience…

L’innovation en Suisse: tout changer ou continuer?

Joli débat hier sur l’innovation en Suisse dans l’émission Forum de la RTS dont voici l’avant propos: La Suisse a-t-elle oui ou non une bonne politique d’innovation et de soutien aux start-ups? A cette question, difficile d’obtenir deux réponses aussi discordantes que celle de Fathi Derder et de Xavier Comtesse. L’un estime que tout va plus ou moins bien, l’autre que tout est à faire ou à refaire. Doit-on y voir un conflit de générations? La Suisse a-t-elle une vue d’ensemble suffisante de sa politique d’innovation? Le débat entre Fathi Derder, conseiller national PLR vaudois et président du Réseau, un organe de promotion de l’innovation, et Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse, avec la réaction de Pascal Jaussi, fondateur et directeur de Swiss Space Systems.

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L’EPFL est au coeur de l’innovation suisse. [Laurent Gillieron – Keystone]

Le débat fut intéressant à plus d’un titre et j’en ai retenu quelques points clés:
– Roche et Novartis [sans oublier Nestlé] cachent la réalité car les startup ne créent pas d’emplois, moins que Macdo en suisse…
– Nous sommes peut-être les numéro 1 mais l’avenir n’est pas garanti, loin de là. Nous naviguons trop à vue.
– Il serait utile avoir un tableau de bord qui donne les métriques… et pas seulement sur la science et l’éducation, mais sur l’innovation.
– Un problème spécifique à la Suisse est qu’il n’y a pas beaucoup d’aide quand le projet est ambitieux! On préfère beaucoup de petits projets.
– Il y a donc un risque de voir partir les meilleurs projets…
– Enfin on ne doit pas « cocooner » les entrepreneurs, même s’ils ont besoin d’aide.

Tout cela n’est pas s’en me rappeler le débat récent que j’ai lu dans le Monde et dont j’ai fait hier un post ici: Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme! entre Philippe Aghion et Phillip Blond. La Suisse a de vrais problèmes, l’Europe aussi.

Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme!

Un long article dans Le Monde du 13 juin sur le rôle de l’Etat dans l’innovation « Ni austérité, ni keynésianisme! ». Intéressantes réflexions que je me permets de commenter à ma manière, en y ajoutant références et commentaires en caractères gras, entre parenthèses ou par liens web…

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Voilà deux penseurs qui veulent réformer l’Etat pour le rendre plus juste et plus efficace. Mais l’un, Philippe Aghion, proche des socialistes, veut le rendre intelligent, l’autre, Phillip Blond, inspirateur du concept de « Big Society » des conservateurs britanniques, veut le réduire à sa portion congrue. Confrontation.

Pensez-vous que les Etats sont responsables de la crise ? Ou est-ce que ce sont les entreprises qui sont condamnables?

Phillip Blond (P.B.) – Dans tout système complexe, c’est le système dans son ensemble qui est responsable. Les sphères publiques et privées s’interpénètrent beaucoup plus qu’on ne le pense. Le système s’est effondré, et tout le monde est coupable. Il est indéniable que l’on a socialisé les pertes et privatisé les gains. Et que ceux qui en ont profité représentent une toute petite partie de la population.

Philippe Aghion (P.A.) – La réponse dépend de ce que l’on considère être à la source de la croissance. Durant les « trente glorieuses », la France et ses voisins européens étaient des économies en rattrapage. L’Etat-providence traditionnel était alors bien adapté. La politique industrielle reposait sur les grandes entreprises publiques et les subventions aux champions nationaux. La politique sociale consistait essentiellement à compléter les petits salaires car il n’y avait pas de chômage. Mais à partir des années 1980, l’économie s’est mondialisée, de sorte que l’innovation est devenue notre principal moteur de croissance. Or l’innovation implique la création et destruction permanente d’entreprises et d’emplois. Il faut alors réinventer la politique industrielle pour la rendre plus ascendante (« bottom-up ») et plus « pro-concurrence ». La politique sociale doit également changer pour mettre davantage l’accent sur la sécurisation des parcours professionnels pour aider les travailleurs à rebondir d’un emploi à un autre. Autrement dit, il faut remplacer l’Etat-providence par l’Etat stratège qui investit dans le capital humain, l’innovation et la sécurisation des parcours professionnels. Un Etat qui gère le cycle par l’offre plutôt que par la demande, en aidant les entreprises et les individus à maintenir leurs investissements innovants en période de récession : de keynésien, il faut devenir « schumpetérien ».

[HL: vaste sujet que l’approche Schumpeterienne de création destructrice. Voir mon long post sur Schumpeter].

P.B.- Je suis d’accord. Le keynésianisme récompense les entreprises en place et leur manque d’innovation. Il ne fait qu’accroître le fossé entre la situation actuelle et celle qu’il faudrait atteindre pour avoir une économie compétitive. Et donc le système s’effondre. Ni l’austérité ni le keynésianisme ne fonctionnent. Mais les responsables politiques ne comprennent rien à l’innovation. Il faut de nouveaux acteurs, visionnaires, pour mener des innovations de rupture. Et que les pays se mettent ensemble pour mener à bien un projet courageux.

M. Blond, votre projet de « Big Society », qui transfère des prérogatives de l’Etat vers les citoyens et les associations locales, était justement un projet innovant, adoubé par le premier ministre britannique, David Cameron. Mais est-il un succès?

P.B.- Oui! Ce projet trouve de plus en plus d’adeptes. Certes, les conservateurs l’ont gâché. Ils ont adopté les idées sociales du projet ; mais pas les mesures économiques. Ce qui a étranglé l’ensemble, car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Mais les travaillistes l’adoptent ! Ce projet part du constat que l’Etat échoue avec son principe de bénéfice universel. Il dépense des milliards sans rien résoudre. Il ne pallie pas le manque de gens compétents ; ni les ravages de l’alcoolisme. Car il faut davantage individualiser les aides. Etre plus près des gens. Que les services soient rendus localement. Que les gens prennent en charge ce dont ils ont besoin. Le retour sur investissement est alors bien supérieur parce que ce système élimine la bureaucratie. Un exemple : si vous confiez un délinquant à un groupe social, une association, plutôt que de le mettre en liberté surveillée, sous le contrôle de l’Etat, le taux de récidive baisse de 66 % à 15 %.

P.A.- Certes, la décentralisation permet de réduire les déficits structurels : je pense notamment au mille-feuille administratif et à l’assurance-maladie. Mais il ne faut pas qu’elle crée plus d’inégalités.
En Finlande, les instances locales définissent une partie des programmes éducatifs, mais l’Etat central définit le cursus de base, contrôle la qualité des professeurs sur l’ensemble des territoires et veille à ce que tout élève bénéficie du tutorat nécessaire pour ne pas perdre pied. De même pour la santé. En Suède, la santé a été décentralisée. Mais les grosses interventions demeurent centralisées.

[HL: Autre difficulté, un certain mélange des genres entre système social (protection, éducation, santé) d’un côté et innovation, créativité de l’autre. J’ai de plus en plus l’intuition que les deux peuvent être assez déconnectés, même s’il y a des enchevêtrements certains. La Finlande est un cas typique que j’ai souvent abordé ici.]

P.B.- Ce n’est pas le process qu’il faut évaluer. Mais les résultats. Par exemple, financer des associations de recherche d’emploi en fonction du nombre de gens qui trouvent du travail grâce à elles.

P.A.- J’adhère à la culture de l’évaluation et du résultat. Cela devient d’autant plus important pour un Etat stratège qui est obligé de cibler ses investissements et de donner la priorité aux secteurs et activités les plus porteurs de croissance.

M. Aghion, votre idée d’un Etat stratège confirme au contraire le rôle essentiel de l’Etat, mais à condition qu’il mette en oeuvre de nouveaux principes très éloignés de l’Etat-providence. Pouvez-vous préciser votre pensée?

P.A.- L’enjeu auquel sont confrontés les pays de la zone euro, et en particulier du sud de l’Europe, est celui de réduire les déficits publics tout en investissant dans la croissance de long terme et sans porter atteinte à la cohésion sociale.

Il faut donc un « Etat intelligent » qui investit de façon ciblée dans l’éducation, la recherche, l’aide aux PME innovantes, et dans la dynamisation du marché du travail. Et également un Etat dont les investissements transforment la gouvernance : par exemple, les universités d’excellence, aux normes de gouvernance internationale qui ont vu le jour grâce au grand emprunt.

[HL: on voit ici les grands enjeux habituels. Difficile d’être en désaccord.]

P.B.- Avoir des Etats stratèges ne suffit pas. Il faut des actions qui partent de la base (« bottom-up ») pour sortir de cette récession sociale. Notre modèle économique crée des travailleurs qui bénéficient de moins en moins du gâteau qu’est le PIB, même s’il double de taille, comme c’est le cas depuis les années 1960. Il ne s’agit plus d’avoir un Etat-providence, mais un Etat qui distribue l’éducation, la culture, l’excellence, le caractère. J’entends par « caractère » la discipline, la résilience, l’aptitude à se relever. Des études sociologiques ont prouvé que plus vous êtes pauvre, plus vous manquez de la discipline nécessaire pour avoir ce caractère.

[HL: De nouveau on voit ici de grands enjeux. Un peu moins évidents, car d’ordres plus culturels]

M. Blond, vous être pour le développement des PME, les commerces de proximité ; et contre les supermarchés ! Ne pensez-vous pas que les grandes entreprises ont un rôle essentiel à jouer?

P.B.- Ce qui me pose problème n’est pas que les grands groupes soient grands, mais qu’ils empêchent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché. Ils ont des rentes monopolistiques, non innovantes. Ce système fonctionne avec quelques leaders et beaucoup de gens à la traîne. Le coût nécessaire pour innover est trop élevé pour ceux qui sont loin derrière.

P.A.-> Il est de fait que les grandes entreprises n’innovent pas autant que les PME car elles ont davantage peur de voir des produits de remplacement Ce n’est pas pour rien que les grandes innovations se font souvent en dehors des grandes entreprises, bien que souvent impulsées par d’anciens salariés de ces entreprises qui justement les quittent pour innover. Cela dit, des sociétés de grande taille ont un avantage, y compris pour innover, dans des secteurs à forts coûts fixes, comme les industries de réseau et l’industrie aéronautique.

[HL: A nouveau un débat que Joseph Schumpeter puis Clayton Christensen ont formidablement étudié. (Sans oublier Doriot!)]

Mais elles ne doivent pas empêcher les petites entreprises de se développer. Or, en Europe, beaucoup de barrières entravent la croissance des PME. Comparé aux Etats-Unis, le marché du travail est trop rigide ; le marché du crédit est insuffisant, il n’y a pas assez de capital-risque. En outre, en France, les grands groupes n’aident pas assez les PME, ce qui inhibe l’innovation

Que faut-il faire pour favoriser la création et le développement d’entreprises?

P.A.- Supprimer les barrières administratives, rendre la fiscalité plus simple, plus incitative, et moins incertaine. En outre, il faut libéraliser le marché du travail, mettre de l’ordre dans le système bancaire, créer un Small Business Act, comme aux Etats-Unis.

[HL: Vaste sujet qui me rend infiniment sceptique. Aussi bien le sujet de la diminution des barrières que d’un SBA ne m’ont jamais semblé être les éléments critiques d’une innovation dynamique (par rapport aux autres arguments exposés plus haut)]

P.B.- Si j’étais le patron d’un grand groupe, j’investirais dans des PME pour innover. Sinon, les grands groupes ne survivront pas à la globalisation. Et si j’étais patron de PME, j’essaierais de créer une chaîne de petites entreprises qui concurrenceraient les grandes. En Italie, les PME se prêtent entre elles. C’est un système très résilient. Il faut aussi un système bancaire décentralisé. A défaut, les banques ne prêtent pas aux PME, car elles ne savent pas distinguer les bonnes des mauvaises. Elles n’ont pas les informations nécessaires. Elles ne font qu’agréger des données d’un groupe d’entreprises, font des moyennes et concluent que ça ne vaut pas le coup d’investir dans ce groupe. Elles ne prêtent à aucune ; et aucune ne peut donc se développer.

[HL: une idée originale et stimulante… optimiser la puissance des clusters…]

P.A.- C’est pourquoi, il faut un Etat qui privilégie le ciblage dit horizontal de ses investissements : recherche, création d’incubateur pour faciliter le passage des idées à leur concrétisation, subvention des équipements de laboratoire et autres moyens d’innovation, subvention du capital-risque.

[HL: par contre ces idées là peuvent rester lettre morte dans forte volontés individuelles et/ou locales]

Et lorsque l’Etat fait du ciblage vertical, il doit privilégier les secteurs porteurs de croissance et veiller à préserver la concurrence et l’entrée de nouvelles entreprises dans ces secteurs afin de stimuler encore plus l’innovation, car on innove précisément pour échapper à la concurrence. Il faut aussi casser le système d’achat public. Prendre en compte la valeur ajoutée sociale des fournisseurs, estimer ce qu’ils apportent à l’économie et à l’emploi local.

Retrouvez le programme du sommet international des think tanks économiques sur www.isbtt.com

Annie Kahn et Philippe Escande

Sommet mondial des « think tanks »
A moins d’une semaine du Sommet mondial des « think tanks » économiques, co-organisé les 17 et 18 juin par l’Institut de l’entreprise et Le Monde, nous croisons les regards de dirigeants et d’économistes sur l’avenir de l’entreprise en quatre volets. Nous poursuivons cette série avec Philippe Aghion et Phillip Blond, qui succèdent à Antoine Frérot et Mo Ibrahim (Le Monde daté 13 juin), Jean-Marc Daniel et Xavier Huillard (Le Monde daté 11 juin). Programme: www.isbtt.com/fr/programme

Philippe Aghion et Philippe Blond

Philippe Aghion est économiste, professeur à l’université Harvard et à l’Ecole d’économie de Paris. Il est membre du conseil d’analyse économique. Il a publié en 2011 Repenser l’Etat (Seuil). En 2012, il a signé l’appel des économistes en faveur de François Hollande.

Phillip Blond est philosophe, théologien et politologue ; directeur du groupe de réflexion ResPublica. Son ouvrage Red Tory (Faber and Faber, 2010) a inspiré le concept de « Big Society » défendu par l’actuel premier ministre britannique, David Cameron.

Lorsque l’âge n’empêche pas la créativité: un rare exemple en mathématiques

Je parle rarement ici (mais parfois) de Science ou de Mathématique. Seulement quand cela m’aide à illustrer ce que l’innovation ou la créativité ont en commun, et parfois quand je vois des crises analogues dans ces domaines (voir par exemple mes articles sur Dyson, Thiel, Ségalat ou Smolin). Et il y a un autre point connexe: il est souvent affirmé que les grandes découvertes scientifiques et les projets d’entreprise sont réalisés à un jeune âge.

YitangZhang
Yitang Zhang

Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Yitang Zhang qui a stupéfié le monde des mathématiques le mois dernier en ayant résolu un problème vieux de plusieurs siècles. C’est un mathématicien totalement inconnu et plus surprenant, il a (plus de) 50 ans. Pour ceux qui s’intéressent au problème, vous pouvez lire d’abord l’article de Nature First proof that infinitely many prime numbers come in pairs. Fondamentalement, Zhang a prouvé qu’il existe une infinité de paires de nombres premiers dont la distance est inférieur à un nombre N donné. Les mathématiciens rêvent encore de prouver que N est égal à 2 – la conjecture des nombres premiers jumeaux -, mais Zhang est le premier à prouver que N existe … même si N vaut 70 millions!