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L’État entrepreneurial (partie 4) – la révolution verte – un déséquilibre entre risques et retours.

– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– La partie 3 se concentre sur le rôle de l’État dans les technologies de l’iPhone.
Voici donc la 4ème partie sur les chapitres 6 à 8.

Chapitre 6 – Pousser ou juste donner un coup de pouce à la révolution industrielle verte.

Les technologies vertes (ou propres) sont une autre situation très intéressante. « Jusqu’à ce que les éoliennes et les panneaux solaires photovoltaïques puissent produire de l’énergie à un coût égal ou inférieur à celui des combustibles fossiles, ils vont probablement continuer à être des technologies marginales qui ne pourront pas accélérer la transition si nécessaire à atténuer le changement climatique. » [Page 114] « Les politiques axées sur la demande (réglementation) sont essentiels, mais elles deviennent trop souvent des plaidoyers pour le changement. Des politiques d’offre (production d’énergie) sont aussi importantes car elles montrent que l’acte suit la parole. » [Page 155]

Encore une fois j’ai été un observateur (trop ?) prudent des technologies vertes quand l’Allemagne subventionnait de nombreuses entreprises qui ont fait faillite lorsque la Chine est arrivée avec des produits beaucoup moins chers ou quand la France et le Japon pariaient sur l’énergie nucléaire comme la plus propre … Mazzucato décrit à juste titre « les Etats-Unis avec une approche du tout financer en espérant qu’une innovation de rupture dans l’énergie émergera tôt ou tard. Cela n’a pas été le cas parce que beaucoup de technologies propres nécessitent un engagement financier à long terme, ce que les VCs ne sont pas disposés à ou capables d’entreprendre ». Dans mon analyse continue de récentes introductions en bourse, j’ai remarqué 11 entreprises dans les technologies vertes sur les 165 documents bâti que j’ai depuis 2002. Le plus ancien date de 2009. Ces sociétés ont levé plus de 2 milliards de dollars, soit environ 180 millions de dollars par entreprise. Elles avaient plus de 5’000 collaborateurs au total. Pour moi cela ressemble à une bulle spéculative ; de ce point de vue, Mazzucato a raison de dire que les investisseurs sont impatients. Je ne suis pas sûr qu’ils soient pour autant « timides » avec leur argent.

Les États-Unis ont continué à bâtir sur leur compréhension de ce qui a fonctionné dans les précédentes révolutions technologiques. (…) Mais si tout cela a été efficace pour mettre en relation et créer des effets de levier pour les universités, l’industrie et de l’entrepreneuriat dans dans les technologies propres, la performance a été inégale. (…) Une des principales raisons de cette performance inégale aux États-Unis a été sa forte dépendance envers le capital -risque pour « donner un coup de pouce » au développement des technologies vertes. (…) Comme certaines technologies propres en sont encore à leurs premières phases de développement, lorsque « l’incertitude de Knight » est le plus élevée, le financement VC se concentre sur quelques paris plus sûrs plutôt que sur l’innovation radicale qui est pourtant nécessaire pour permettre de transformer la société. (Pages 126-127) La conclusion qui pourrait suivre est que le gouvernement devrait se concentrer exclusivement sur le développement des technologies les plus risquées.

Des investissements impatients peuvent détruire les entreprises qui avaient promis de développer des produits basés des technologies financées par le gouvernement. Si les VCs ne sont pas intéressés par les industries à forte intensité capitalistique, ou à bâtir les capacités de production, des usines, qu’ont-ils exactement à offrir en termes de développement économique? Leur rôle devrait alors être considéré pour ce qu’elle est : limité. (Page 131)

On s’attend à ce que la possibilité d’effectuer des recherches à haut risque et d’avant-garde « va attirer plusieurs des meilleurs et des plus brillants cerveaux – ceux de scientifiques et d’ingénieurs expérimentés et particulièrement ceux des étudiants et des jeunes chercheurs, y compris dans le monde entrepreneurial. » (Page 134)

L’histoire de l’investissement du gouvernement américain en matière d’innovation, de l’Internet à la nanotechnologie montre qu’il a été crucial pour le gouvernement d’avoir sa part à la fois dans la recherche fondamentale et appliquée. La NIH est responsable de 75 pour cent des nouveaux médicaments les plus radicaux. Donc, l’hypothèse qu’on peut abandonner la recherche appliquée au secteur privé et que cela va stimuler l’innovation n’est pas démontrée (et peut même priver certains pays d’importantes percées.) (Page 136)

En réalité, les activités du gouvernement et des entreprises se recoupent souvent. Les capital-risqueurs et entrepreneurs répondent aux stimuli du gouvernement dans le choix des technologies dans lesquelles investir, mais ils sont rarement axés sur le long terme. En l’absence d’un modèle d’investissement approprié, le VC aura du mal à fournir le « capital patient » nécessaire au plein développement d’innovations radicales. Il est crucial que le financement soit patient. (Page 138)

Les finances publiques (telles que les banques de développement de l’Etat) sont donc supérieures aux banques commerciales ou au VC pour la promotion de l’innovation, car elles sont engagées et patientes.

Les risques financiers et technologiques liés au développement des énergies renouvelables modernes ont été trop élevé pour le soutien VC. Un problème clé est que les VCs recherchent des rendements qui ne sont pas réalistes pour des technologies à forte intensité capitalistique. Les rendements spéculatifs des révolutions TIC ne peuvent pas être le « norme » pour être reproduits dans toutes les autres industries de haute technologie. (Page 140)

Mes commentaires : Je suis d’accord avec la critique sur le capital -risque. Maintenant, la solution proposée de banques de développement engagées et patientes est nouvelle pour moi. Je comprends « patient », je suis moins sûr pour « engagé ». Cela signifie-t-il actif et compétent?

Mais ma principale préoccupation est de nouveau la différence entre inventer et innover. Je dois revenir à Apple. Selon Wikipedia, une définition classique de l’entrepreneuriat est « la poursuite des d’opportunités, sans égard pour les ressources actuellement disponibles ». Le terme met l’accent sur les risques et les efforts engagés par des personnes qui créent puis gèrent une entreprise, et sur les innovations résultant de la poursuite de la réussite économique.

Quand Mazzucato décrit l’Etat entrepreneurial, elle décrit autant un État Inventer qu’un État Innovateur. Il n’y a pas de mal à cela. Apple a été une entreprise très forte pour utiliser des inventions et des innovations surtout pour les intégrer dans de nouveaux produits. C’est pourquoi Apple fait si peu de R & D. Une même entreprise peut-elle faire la recherche et explorer de nouveaux territoires pour développer de nouvelles technologies et les intégrer dans de nouveaux produits. Je ne suis pas sûr que cela ait été démontré par des preuves claires. Mais nous devrions probablement demander historiens de la technologie.

Il y a une invention qui montre la difficulté du transfert de l’invention à l’innovation : le transistor a été inventé au Bell Labs en 1947. Certains des éléments de l’invention seulement ont été brevetées (car il y avait eu des idées antérieures datant de 1925.) En 1951, Bell Labs avait octroyé des licences (sous la pression de l’Etat) de la technologie à plus de 40 entreprises et Texas Instruments et Sony (qui étaient alors de petites entreprises) sont connus comme le premiers producteurs de transistors commerciaux. Les inventeurs ont reçu le prix Nobel en 1957 et l’un s’est installé à Palo Alto, déménagement qui est probablement à l’origine de la Silicon Valley. En raison de la menace de l’URSS en tant que puissance technologique émergente, les États-Unis ont déversé beaucoup d’argent de l’armée et du spatial sur le potentiel de l’électronique du transistor.

La difficulté avec les nanotechnologies et les technologies vertes c’est que dans la situation de poule et l’œuf que sont les de tractions du marché (poule) et de poussée des technologies (œuf), les besoins du marché peuvent être clairs, mais la poussée de la technologie me le semble beaucoup moins. Je ne suis pas sûr de voir ce qu’est l’équivalent du transistor pour ces domaines «prometteur».

Chapitre 7 – Les énergies éolienne et solaire

Ce chapitre porte sur l’histoire et la situation actuelle de ces deux énergies. Les acteurs dans l’éolien sont GE et Vestra (Danemark). C’est une longue et intéressante histoire. Il y a une histoire similaire, longue et douloureuse, pour l’énergie solaire. First Solar, Solyndra , SunPower , Evergreen sont décrits en détail. Mazzacutto se concentre sur la stratégie à long terme de la Chine face au plus court terme américain, ainsi que sur l’approche innovante de l’Allemagne dans le marché. « L’échec de Solyndra souligne le système parasitique d’innovation que les Etats-Unis ont créé – où les intérêts financiers sont toujours le juge, jury et bourreau de tous les dilemmes d’investissement en innovations ». « Le cas de la technologie propre nous enseigne déjà que changer le monde exige coordination et investissement de plusieurs États, sinon la R&D, le soutien pour la fabrication et le soutien pour la création et le fonctionnement du marché resteront des impasses. »(Page 155)

Un cadre devrait inclure des politiques de la demande pour promouvoir la consommation accrue ainsi que des politiques de l’offre qui favorisent la fabrication des technologies avec du capital patient. (Page 159)

Mais les arguments de McKay sur l’énergie durable – ce n’est pas que du vent me rendent prudent …

Mazzacuto rappelle ici quelques éléments fondamentaux : elle revient sur le Mythe 2 (small is beautiful) « Nous ne devrions pas sous-estimer le rôle des petites entreprises si supposer que seules les grandes entreprises ont les ressources adéquates. (…) La volonté de modifier les modèles de marché actuels est nécessaire pour une véritable révolution industrielle verte. (… ) Ce devrait être un sujet de débat, de savoir si le soutien public devrait aller aux grandes entreprises qui pourraient faire leurs propres investissements et aussi de savoir si elles seraient prêtes à se passer des technologies qui offrent leurs principales sources de revenus.» comme mon ami Dominique ((-:) l’a mentionné à juste titre dans une réaction à un précédent post sur le sujet : « Le financement de la recherche et à quel niveau de précocité cette recherche est financée par une entreprise dépend bien sûr de ses attentes, mais aussi de ses marges. Dans les années 70, les grandes entreprises pouvaient se permettre de financer la recherche au début parce que 1) elles prévoyaient des marchés stables ou en croissance et 2) parce que leurs marges étaient constamment élevées, je crois. Aujourd’hui la vitesse @ les marchés évoluent est certainement dissuasive pour la recherche à un stade précoce dans les entreprises… »

Chapitre 8 – Risques et récompenses : abandonner les pommes pourries pour des écosystèmes symbiotiques.

La prise de risque a été un effort collectif alors que les rendements ont été distribués beaucoup moins collectivement. [Page 165] L’histoire que l’on raconte aux contribuables américains est que la croissance économique et l’innovation sont les résultats de différents « génies » de la Silicon Valley, les « entrepreneurs », les capital-risqueurs ou les « petites entreprises », aidés par règlementations laxistes (ou inexistantes) avec des impôts bas – en comparaison des états trop présents dans une grande partie de l’Europe. [Page 166]

L’incertitude de Knight dans l’innovation, avec les coûts irrécupérables et inévitables et l’intensité du capital dont elle a besoin, est en fait la raison pour laquelle le secteur privé, y compris le capital -risque, se dérobe. C’est aussi la raison pour laquelle l’État est l’acteur qui prend souvent la responsabilité, non seulement de fixer les erreurs des marchés, mais aussi de les créer. [Page 167]

Garder cette histoire inédite a permis à Apple d’éviter de « rembourser » une part de ses bénéfices à ce même Etat. Apple a progressivement incorporé à chaque nouvelle génération de produits des technologies que l’Etat a initiées, cultivées et affinées. [Page 168]

Mazzucato a ensuite une analyse très intéressante des modèle d’affaires de la vieille et de la nouvelle économie : dans le passé on pouvait compter sur la stabilité, la générosité, l’équité alors que dans la nouvelle, il est question de volatilité, de mobilité, et de faibles engagements. Les emplois ne sont pas égaux, même chez Apple selon que l’on soit dans la R&D, là où les produits sont conçus, ou en Chine, où a lieu la production ou enfin à nouveau aux Etats-Unis là où ils sont vendus dans les magasins d’Apple; mais pire, la mobilité et la mondialisation ont permis l’évasion et l’optimisation fiscales. Apple a une filiale dans le Nevada, Braeburn Capital pour éviter l’impôt sur le revenu ou sur le capital. Puis elle a des filiales au Luxembourg, en Irlande, aux Pays-Bas et aux Iles Vierges britanniques pour des avantages liés à la faible fiscalité. L’IP d’Apple est détenue par des filiales irlandaises, qui perçoivent des redevances sur les ventes d’Apple (!) Et dont la propriété est co-détenue par une autre filiale aux Iles Vierges, Baldwin Holdings… GE, Google, Oracle, Amazon et Intel sont également célèbres pour l’optimisation fiscale et la perte pourrait être de 60 à 80 milliards de dollars pour les États-Unis depuis une décenni . [Pages 168-175]

Le but ultime de mettre de l’argent des contribuables dans le développement de nouvelles technologies est de prendre le risque qui accompagne normalement la poursuite de produits complexes et de systèmes innovants nécessaires pour atteindre des objectifs collectifs. [Page 176]

Mazzucato termine ce nouveau chapitre avec « Où sont les Bell Labs d’aujourd’hui ? » « Une des raisons expliquées dans une étude [récente du MIT] est le fait que les grands centres de R&D – comme Bell Labs, Xerox PARC et Alcoa Research Lab – sont devenus une chose du passé dans les grandes entreprises. Les recherche fondamentale et appliquée sur long terme ne font plus partie de la stratégie des grandes entreprises. Ce qui n’est pas clair cependant, c’est pourquoi et comment cela a changé au fil du temps. L’écart entre les rendements privés et sociaux ( découlant des retombées de la R&D) est le même à l’ère des Bell Labs qu’aujourd’hui. Et ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est le volet privé de la R&D en partenariat avec la composante publique, créant ce que j’appelle plus tard, un écosystème moins symbiotique. Il est essentiel de comprendre non seulement la façon de construire un «écosystème» d’innovation efficace, mais aussi et peut-être surtout, comment transformer cet écosystème afin qu’il soit symbiotique plutôt que parasitaire. [Page 179]

D’un côté, je vois le succès des anciens pays émergents tels que Taiwan et la Corée, mais je suis aussi né dans le pays des Concorde, TGV, Rafale et des centrales nucléaires que la France a eu du mal à vendre à l’étranger.

De même pourquoi la fission nucléaire (militaire et civile) a-t-elle été un tel succès alors que la fusion nucléaire civile n’a donné aucun succès commercial 50 ans après son utilisation militaire? Je me souviens avoir lu Richard Feynman sur le Projet Manhattan et l’intensité folle (et entrepreneuriale) du projet. Serait-ce que l’entreprenariat manque au projet ITER? Innovation et esprit d’entreprise sont très liés et toujours en quelque sorte un mystère.

Et pourquoi le succès (certes encore initial) d’un Tesla et d’Elon Musk serait-il possible si l’argent n’était pas assez disponible pour les technologies de rupture propres…

L’innovation planifiée est un défi très difficile que Mazzucato comprend très bien d’ailleurs et l’incertitude demeure. Rappelez-vous comment l’intelligence artificielle a été une déception pendant des années pour ne pas dire jusqu’à présent. Je voudrais terminer ici avec un article intéressant du journal Le Monde :

Innover n’est pas planifier.
LE MONDE | 30.09.2013 | Par Armand Hatchuel.

Le 12 septembre, le président République, François Hollande, et le ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, ont présenté trente-quatre « plans de reconquête » allant de « la rénovation thermique des bâtiments » à « l’usine du futur », en passant par les « dirigeables pour charges lourdes ». Cette annonce a été perçue comme le retour d’une politique industrielle planificatrice, et a suscité les habituelles critiques à l’encontre du volontarisme public.
Critiques contestables car, en l’occurrence, il ne s’agit pas vraiment de planification. Les thèmes retenus visent d’abord à stimuler l’innovation et de nouvelles activités industrielles. Or, de nombreux travaux ont montré qu’une politique d’innovation – qu’elle soit publique ou privée – ne peut réussir que si sa conception, son pilotage et son évaluation s’éloignent clairement d’une logique planificatrice (Philippe Lefebvre, chercheur enseignant à l’Ecole nationale supérieure des mines de Paris : « Organizing deliberate innovation in knowledge clusters : from accidental brokering to purposeful brokering processes » [Organiser l’innovation dans les écosystèmes : au-delà de l’émergence accidentelle, un pilotage des interactions créatrices], International Journal of Technology Management, vol. 63, n° 3/4, 2013).

LARGE PART D’INCONNU
Car, qu’est-ce qu’un « plan » ? Pour guider l’action future, chacun construit des représentations. On « planifie » nos vacances, la route à prendre ou la perte de quelques kilos. Reste que, tout en concédant des incertitudes, un plan suppose que le but, les moyens et les partenaires soient suffisamment connus. On peut, à la limite, penser que moyens et partenaires seront choisis « chemin faisant ». Mais il faut au moins préciser le but à atteindre. La politique agricole, la politique de télécommunications ou la politique du logement se construisent comme des plans dont l’objectif est clairement affiché : par exemple, un niveau chiffré de production ou d’équipement du pays.
Il n’en va plus ainsi pour un authentique programme d’innovation. On doit admettre que le but qu’il poursuit présente nécessairement une large part d’inconnu. Il n’est plus possible de spécifier par avance les trajectoires et les résultats les plus intéressants du projet.
Paradoxalement, cet inconnu ne retire rien à la valeur mobilisatrice d’un concept innovant. Qui ne souhaiterait une « voiture pour tous consommant moins de 2 litres aux 100 km » ? Mais force est de reconnaître que l’on ne sait pas comment cette valeur sera concrétisée en techniques et produits efficaces : s’agit-il de petites voitures urbaines ? De systèmes intelligents de conduite ? De nouveaux types de véhicules ou de carburants ? De même ignore-t-on si de nouvelles entreprises ou de nouveaux marchés naîtront dans l’aventure.
L’histoire confirme abondamment la rationalité surprenante des grands programmes d’innovation. En 1854, l’Autriche lance le concours du col du Semmering pour la conception de la première locomotive destinée à un chemin de fer de montagne. De nombreuses solutions furent proposées, mais aucune ne put aboutir. En revanche, les grands bénéficiaires des innovations du Semmering furent… les nouvelles locomotives de plaine !

OUVRIR DES PISTES
Plus près de nous, ni Toyota ni Apple n’ont jamais lancé de projets visant à aboutir à la Prius ou à l’iPhone. Leur succès vint de leur capacité à bien piloter des programmes d’innovation ouverts (« véhicule vert », interfaces homme-machine « magiques ») et à tirer parti, avant leurs concurrents, des déconvenues ou des découvertes rencontrées. Il importe donc d’ouvrir des pistes très contrastées et de prêter attention à leurs croisements et aux apprentissages que chacune provoque.
Car l’inconnu ne paralyse pas l’action : il interdit de la gérer selon les codes rigides d’une planification. Depuis peu d’années, la recherche a éclairci les mécanismes cognitifs et collectifs qui limitent ou favorisent l’exploration de l’inconnu. On connaît mieux les règles de pilotage adaptées à l’innovation, qu’il s’agisse des démarches de conception innovante (expansion des alternatives, hybridations conceptuelles, prototypages d’exploration…) ou de la gestion des différentes valeurs qui émergent (compétences nouvelles, marchés inédits, nouveaux usages…). A cet égard, la rationalité classique est souvent trompeuse.
Dans la logique du plan, on distingue le projet de ses « retombées ». On vise le succès du premier, les secondes étant constatées après coup. Cette distinction ne vaut plus dans un programme d’innovation. Une « retombée » peut s’avérer plus importante que le projet lui-même. Piloter l’innovation, c’est se préparer à l’identité changeante du projet et à provoquer activement des « retombées » inattendues. L’indétermination entre « projet » et « retombées » multiplie les sources de valeur et permet de minimiser les risques financiers.
Au-delà de la rationalité économique qui vise l’optimisation dans un monde connu, la rationalité de l’innovation s’exprime dans la capacité des responsables de projets à régénérer les solutions, les marchés et les partenariats.
Face au défi du renouveau industriel, la question n’est pas de savoir si l’Etat doit recourir à la planification. Il faut surtout s’assurer que les grands chantiers lancés seront conduits par l’Etat et ses partenaires industriels selon les démarches les plus rigoureuses et les plus cohérentes avec l’intensité d’innovation espérée.

Harmand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech

L’État entrepreneurial (partie 3) – son rôle dans l’iPhone

Le livre de Mariana Mazzucato est si important et intéressant qu’il me faudra plusieurs articles pour le couvrir d’une manière satisfaisante (du moins pour moi).
– La Partie 1 couvrait les dilemmes de l’innovation et ses crises. Les « 6 mythes » qu’elle présente sont très convaincants.
– La Partie 2 traité du rôle (oublié ou non-dit) de l’État dans la stimulation de l’innovation par la recherche. J’avais plus de désaccords avec elle sur le rôle de l’État dans l’écosystème de l’innovation.
– Dans cette partie 3, je vais me concentrer sur le chapitre 5, sur le rôle de l’Etat dans les technologies de l’iPhone.
– La Partie 4 portera sur les chapitres sur les technologies vertes
– et j’aurai besoin d’une Partie 5 pour conclure et ajouter quelques commentaires.

Chapitre 5 – l’Etat derrière l’iPhone

Mazzucato montre ici comment « Apple concentre son ingéniosité non pas sur le développement de nouvelles technologies et des composants, mais en les intégrant dans une architecture innovante. […] Les capacités d’Apple sont principalement (a) de reconnaître les technologies émergentes à fort potentiel, (b) d’appliquer des compétences d’ingénierie complexes qui intègrent avec succès les nouvelles technologies identifiées, et (c) maintenir une vision d’entreprise claire donnant la priorité au développement de produits orientés vers le design. » [Page 93]

C’est pourquoi « Apple a reçu un énorme soutien étatique et / ou indirect provenant de trois grands domaines: (1) une participation directe au capital , (2) l’accès aux technologies, et (3) la création de politiques technologiques ou fiscales. » J’ai déjà discuté du premier domaine et exprimé mes doutes. Aucune objection et aucune discussion su troisième point. Je ne suis que partiellement d’accord avec la deuxième point : j’ai l’impression que l’accès aux technologies s’est par l’intermédiaire d’autres entreprises, qui elles-mêmes ont pu avoir recevoir le soutien du gouvernement ou de la recherche universitaire. Xerox PARC est un exemple des plus célèbres, mais Apple a également acquis des start-up peu connues qui avaient développé des produits à partir de ces recherches. Mazzucato construit un graphique intitulé « les origines des produits Apple. »

Iphone Technologies origin

C’est un graphique très intéressant, mais j’aurais aimé voir les «entités» qui avaient développé les produits mentionnés. Dans certains cas, il s’agit d’organismes publics, comme pour l’Internet par exemple (http://en.wikipedia.org/wiki/History_of_the_Internet) et dans d’autres cas, il s’agit d’un organisme privé financé initialement avec de l’argent public.

Siri est un exemple intéressant, car il a des racines ici à l’EPFL. Le programme CALO avait été financé par le DARPA, mais une start-up a été lancé avec du capital-risque en 2008, start-up ensuite été rachetée par Apple.

Sur le sujet des écrans, Mazzucato cite Florida et Browdy et « The invention that got away » (1991) quant à l’incapacité des acteurs privés à bâtir des capacités de production. « La perte de cette technologie d’affichage [TFT- LCD] révèle des faiblesses fondamentales du système de la haute technologie américaine. Non seulement nos grandes entreprises n’ont pas la vision et la persistance de transformer l’invention en un produit commercialisable, mais les bailleurs de fonds du capital-risque qui ont rendu possibles des industries de haute technologie comme les semi-conducteurs et les ordinateurs ont également échoué ». Le document montre les efforts supérieurs l’industrie japonaise qui a investi des centaines de millions de dollars dans le développement de la technologie. Dans mon analyse d’entreprises high-tech liées à Stanford , je me souviens avoir été frappé par le montant du financement de Candescent. Sur l’Internet Archive en date de 1998, j’ai pu trouver ce qui suit:
« Candescent Technologies Corporation est une société vieille de sept ans qui développe un nouvel écran plat révolutionnaire [qui est] une amélioration spectaculaire par rapport aux écrans à cristaux liquides. En 1991 Candescent a formé une alliance stratégique avec Hewlett- Packard. A la date du 1 er mai 1998, Candescent avait reçu plus de 337 millions de dollars de financement de partenaires stratégiques, d’entreprises de capital-risque, d’investisseurs institutionnels, et d’organisations publiques américaines ». En 2001, elle avait recueilli plus de 600 millions de dollars avec Compaq, Hewlett-Packard, Citicorp, JP Morgan, NEA, Sevin Rosen, Sierra ventures, et autres. En Juin 2004, Candescent déposa un dossier de réorganisation volontaire en vertu du chapitre 11 du Bankruptcy Code devant le tribunal des faillite San Jose. En août 2004, Candescent vendit la quasi- totalité de ses actifs, y compris la propriété intellectuelle sur la technologie d’écrans à Canon. »

Encore une fois, je n’ai pas de désaccords majeurs avec Mazzacuto mais mon expérience avec l’innovation montre que c’est une activité très incertaine et je ne suis pas sûr que cela est dû uniquement à l’absence de soutien du secteur privé. En fin de compte, ni le Japon ni les États-Unis n’ont gagné, mais la Corée avec Samsung et LG.

Je connaissais moins la situation des écrans multi-touch et l’histoire intéressante de FingerWorks, dont Apple a acheté les actifs lorsque la société a fait faillite.
« Les produits de la Société restèrent dans un créneau haut de gamme et un objet de curiosité, malgré une bonne presse et des récompenses de l’industrie. Au début 2005, FingerWorks traversa une période délicate et arrêta de livrer de nouveaux produits. Des rumeurs indiquèrent qu’ils avaient été acquis par une société de technologie connue. Cette société s’est avéré être Apple. En Juin 2005, FingerWorks a officiellement annoncé qu’ils n’étaient plus en activité. Les fondateurs ont continué à produire et traiter des brevets pour leur travail jusqu’à la fin 2007. Et en Août 2008, ils ont encore déposé des brevets pour Apple ». (http://en.wikipedia.org/wiki/FingerWorks)

Apple a également travaillé avec Corning pour développer des écrans ultra- robustes appelé le verre Gorilla (http://en.wikipedia.org/wiki/Gorilla_Glass).

Sur le microprocesseur, j’ai deux remarques similaires:
– Bien qu’il existe de nombreuses sources sur l’origine du microprocesseur, il est souvent mentionné qu’Intel lança véritablement la technologie comme un produit et cela est venu d’une commande d’une société japonaise, pas de commandes publiques.
– Beaucoup plus tard, Apple a acheté P.A. Semi. qui développait des microprocesseurs spécialisés. Notez que P.A. Semi. avait eu des liens étroits avec le DoD donc Mazzucato a des arguments solides quant aux soutiens au moins indirects.

La MIT Technology Review a publié un article intéressant sur l’Apple I, l’iPhone et l’iPad qui montre la qualité de l’intégration. Il y eu de nombreux modèles d’ordinateurs et de téléphones intelligents, mais chez Apple, il y avait le génie de Wozniak et d’autres quand Jobs fut de retour – http://www.technologyreview.com/view/425238/classic-hacks-the-apple-i-computer-the-iphone-and-the-ipad-3g/

Iphone Technologies sketch

Ma réaction est que, oui, beaucoup pour ne pas dire la plupart des technologies ont leurs racines dans des laboratoires publics, au moins au stade de la recherche, mais le développement est souvent concrétisé dans des start-up, avec ou sans capital-risque. Apple achète moins d’entreprises financées par le capital-risque que par exemple Cisco avec sa stratégie A&D (Acquisition et développement) et clairement la plupart des grandes entreprises ne font pas beaucoup de recherche. Le défi se trouve dans la capacité à traduire les résultats de la recherche en développement, ce qui est la raison d’être des start-up. C’est le modèle de la Silicon Valley.

Je vais terminer ces notes sur le chapitre 5 avec Mazzacuto : « Il est incontestable que la plupart des meilleures technologies d’Apple existent en raison des efforts collectifs et cumulés de la puissance publique ». [Page 112]

Y a-t-il un parti pris contre les femmes dans la Silicon Valley? Et dans la high-tech en général?

Pourquoi y a t-il aussi peu de femmes dans les start-up de la Silicon Valley ? Pourquoi si peu dans la technologie en général? Pourquoi si peu dans la science? Et même pourquoi si peu de cuisiniers célèbres ou de créateurs de mode quand elles font la plupart de ce travail quotidien à la maison? Je n’ai pas de réponses parfaites ou peut-être trop de réponses. Le débat a été relancé à nouveau il y a quelques jours quand Vivek Wadhwa a critiqué Twitter pour ne pas avoir de femems au sein de son conseil d’administration, d’abord dans un article du New York Times Curtain Is Rising on a Tech Premiere With (as Usual) a Mostly Male Cast suivi d’un article qu’il a écrit pour TechCrunch My Response To Dick Costolo: Twitter Must Lead Silicon Valley On Diversity.

Women in society

Avec des mots violents tels que « C’est l’arrogance de l’élite mafieuse de la Silicon Valley, la mafia Twitter », « C’est la même pensée machiste. Le fait qu’ils vont aller en bourse sans une seule femme sur leur board, comment osent-ils? » ou encore « La racine de ce problème est l’arrogance et une attitude je-m’en-foutiste », Wadhwa n’accepte pas le arguments que le PDG de Twitter et d’autres de utilisent : « il y a certainement un problème d’offre. » Dick Costolo, PDG de Twitter, s’est donné la priorité de trouver une femme pour siéger au conseil d’administration, mais il a eu du mal, selon deux personnes ayant connaissance de ses plans mais qui n’étaient pas autorisés à parler publiquement. « Tout le monde essaie la diversité, à la fois la diversité ethnique et de genre, pour des postes de directions et d’administrateur », a déclaré Rick Devine, directeur général de TalentSky, un cabinet de recrutement de la Silicon Valley. « Le problème n’est pas l’intention, la question est simplement le manque de candidats. » (Extrait du même article du NYT )

Encore une fois , vous devriez lire les articles en entier. Je n’ai pas de bonnes réponses, mais si il y a une pénurie de candidats, je peux mentionner ici que deux fois dans ma vie, d’abord dans le monde du VC, puis dans le monde académique, j’ai entendu des décideurs dire sérieusement que l’embauche d’une femme serait un risque en raison de la possibilité d’une grossesse. Comme si avoir des talents dans une équipe n’était pas toujours pas risqué, simplement parce qu’ils peuvent toujours démissionner à tout moment …

Women -Caterina_Fake
Catarina Fake

Permettez-moi de conclure avec une autre citation de Catarina Fake dans Founders at Work, que j’ai déjà utilisé dans le passé : « Il y a beaucoup de sexisme institutionnalisé dans le monde des affaires et je crois qu’on ne se rend même pas compte de son ampleur. Un exemple qui est arrivé quand nous sommes descendus dans la Silicon Valley pour rencontrer une société de capital-risque. Après la réunion, le VC a parlé à quelqu’un de notre entreprise, et lui a dit : « Dis à Stewart de ne pas amener sa femme à des réunions de capital-risque. » Il faut beaucoup de courage aux femmes pour faire face à cette suspicion – et cette suspicion revient tout le temps, même dans certains lieux des plus surprenants – qu’elles ne sont pas à la hauteur, qu’elles ne sont pas assez fortes ou assez dures. On attend deux fois plus d’elles. J’ai entendu cela encore et encore de femmes dans le monde des affaires : elles doivent être deux fois aussi plus préparées que les hommes ».

L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 2)

Comme je l’ai dit dans l’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1), Mariana Mazzucato a écrit un livre important même si je ne suis pas d’accord avec tous ses arguments.

Nous sommes en accord sur la problématique du financement des technologies, des inventions et des innovations. Il est généralement convenu que la commercialisation des produits et leur développement préalable est de la responsabilité du secteur privé dans une économie capitaliste. Le financement de la recherche (au moins la recherche fondamentale) est généralement la mission de l’Etat, mais la recherche appliquée (même si je n’ai jamais vraiment compris de quoi il s’agit) peut être faite par l’État ainsi que par le secteur privé .

Permettez-moi d’ouvrir une petite parenthèse ici: je ne suis pas un grand fan des concepts de recherche fondamentale et appliquée, mais je comprends mieux d’autres concepts d’amont en aval. Ici, ils s’agit de:
Public-and-private-sector

La recherche n’a pas de résultat connu a priori, sauf de la connaissance, alors qu’à un stade ultérieur dans le développement, les objectifs sont un peu plus clairs. Ceci étant dit, je ne suis pas très à l’aise avec les arguments de Mazzucato quand elle dit l’État fait beaucoup pour l’innovation. Mais elle montre clairement il ya une zone grise entre les 3 étapes que j’ai simplement décrites ci-dessus. Je fais partie (au moins pour l’instant) du groupe de personnes qui croient que c’est la mission de l’Etat d’être actif aux deux premiers stades, et que le secteur privé est actif dans le troisième. Rien n’interdit le secteur privé à aller plus en amont et le secteur public plus en aval, mais c’est assez rarement le cas. Voici mes notes sur les chapitres 3 et suivants :

Chapitre 3 – La prise de risque de l’Etat : de « dé-risquer » à « lancer-le ! »

Lors d’une visite du président Mitterrand dans la Silicon Valley, Thomas Perkins qui dont le fonds avait financé Genentech vanta les vertus de la prise de risque de ces investisseurs qui financent les entrepreneurs. Perkins fut interrompu par Paul Berg, professeur à Stanford et lauréat du prix Nobel. Il demanda: « Où étiez-vous dans les années 50 et 60 pour le financement qui devait nécessaire à la science fondamentale ?  » [Page 57]

L’entrepreneuriat, comme la croissance, est un des sujets les moins bien compris en économie. Selon Schumpeter, l’entrepreneur est une personne prête à et capable de convertir une nouvelle idée ou une invention en une innovation réussie (tel que des produits, services ou processus). L’Entrepreneuriat emploie la « destruction créatrice » pour remplacer, en tout ou partie, les innovations inférieures, créant simultanément de nouveaux produits, y compris de nouveaux modèles d’affaires. Chaque nouvelle technologie majeure conduit à la destruction créatrice. [Page 58]

[Encore une fois je dois réagir ici: là où je suis entièrement d’accord avec l’esprit d’entreprise et les définitions de l’innovation, je suis sceptique quant à la remarque sur la technologie: certaines « grandes » nouvelles technologies ne détruisent rien, car elles ne devinrent pas un succès commercial (l’intelligence artificielle, la reconnaissance vocale par exemple mais il y en a bien d’autres). Je dirais plutôt que les grandes innovations couronnées de succès conduisent à la destruction créatrice. Ceci est important parce que, comme le dit justement Mazzucato, il n’y a pas de processus linéaire dans l’innovation mais par contre beaucoup d’incertitude.]

L’entrepreneuriat est une question de prise de risques et est très incertain. Les investissements en R&D qui contribuent aux changements technologiques non seulement prennent des années à se concrétiser en de nouveaux produits, mais la plupart des produits développés échouent. Le modèle de la Silicon Valley raconte une histoire « d’entrepreneurs en roue libre » et de capitaux-risqueurs visionnaires et pourtant cette histoire ignore le facteur crucial: le rôle de l’armée dans sa création et son succès. [Mazzucato montre les mêmes probématiques dans la l’industrie pharmaceutique où les grands acteurs développent des médicaments d’imitation et laisse l’État développer les innovations radicales dans les universités, comme le montre l’anecdote ci-dessus avec Mitterand, Perkins et Berg.]

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Encore une fois, j’ai quelques soucis avec cette description. Premièrement dans l’image ci-dessus, j’aurais aimé voir le R face au D et pas le R fondamental face à l’ensemble. Mazzucato a raison sur le financement de la recherche, aucun doute à ce sujet. Je l’illustre depuis de nombreuses années par des graphiques où le financement de la recherche dans les universités américaines par l’industrie est de 4-7 % alors que le financement fédéral est d’environ 60 % ! Vous pouvez consulter les Figures 1 et 2 ci-dessous. Mais, quand il s’agit d’innovation, je ne vois pas où l’Etat a produit la biotechnologie ou l’industrie IT. Il a rendu les inventions disponibles. Vous avez cependant besoin d’entrepreneurs et d’investisseurs visionnaires comme je l’ai dit sur mon blog dans le cas Genentech il y a quelques années [voir Bob Swanson et Herbert Boyer: Genentech]

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Figure 1: le financement public et privé de la recherche universitaire américaine.

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Figure 2: le financement public et privé de la recherche à l’université de Stanford et au MIT.

Chapitre 4 – L’état entrepreneurial américain.

Dans ce court chapitre, Mazzucato montre à travers quatre exemples comment le gouvernement américain encouragée innovation. Il s’agit du DARPA (le financement de la recherche par l’armée américaine), des SBIR (Les « Small Business Innovation Research »), les médicaments orphelins et les nanotechnologies.

Sur le Darpa, « une série de petits équipes, composées d’éminents scientifiques, se sont vu données une autonomie de budget considérable, … finança un mélange de chercheurs universitaires, de start-up, d’entreprises établies et de consortiums … aidant ainsi les entreprises à emmener les produits au stade de la viabilité commerciale ». [Page 78] Encore une fois l’impact du DARPA dans le financement de la recherche est indiscutable. Et oui, il faut le dire, Mazzucato a raison sur ce quasi-assourdissant silence sur le rôle de l’Etat. Vous pourriez aussi le vérifer avec cette autre excellente référence qu’est l’ouvrage de Rebecca Lowen “Creating the Cold War University – the Transformation of Stanford”.

Je suis moins convaincu sur le SBIR. « Les agences gouvernementales allouent une fraction de leur budget de recherche pour soutenir les petites entreprises, indépendantes et à but lucratif. » Mazzucato affirme qu’Apple a été financé par un tel fonds, le Continental Illinois Venture Corp (CIVC), mais j’ai vérifié le document d’introduction en bourse d’Apple et le CIVC n’était pas à l’origine de l’entreprise. Arthur Rock and Don Valentine convainquirent Markkula d’aider les deux Steve et investirent en janvier 1979. Même si CIVC avait investi à cette même date (ce que j’ignore), c’était un actionnaire minoritaire et passif. En outre, le CIVC était la filiale VC d’une banque, donc pas un investissement purement public… Mazzucato cite également Lerner et Audretsch, éminents professeurs comme références . Dans un livre récent (Boulevard of Broken Dreams – Pages 125-126), le même Lerner explique que le manque de flexibilité du SBIR et de l’ATP fut préjudiciable (il devait être question de financement pré-commercial pour l’ATP ; les start-ups devaient être détenues à 51% au moins par des citoyens américains ou des résidents, au point que la présence de capital-risque pouvait exclure l’entreprise du financement SBIR !) J’ai lutté pendant des années pour trouver l’impact réel de SBIR et je n’ai jamais trouvé de données convaincantes. Il y a un débat récurrent sur le rôle direct de l’État dans le financement VC, avec des réponses assez peu claires depuis des années.

Je ne sais pas rien des médicaments orphelins, mais je suis sceptique sur les nanotechnologies. « Les nanotechnologies vont très probablement être la prochaine technologie d’application générale ». [Page 83] « Ce sera une révolution encore plus important que l’ordinateur. » « Aujourd’hui, elles ne créent pas encore un impact économique majeur en raison de l’absence de commercialisation de ces nouvelles technologies, ce qui s’explique par des investissements excessifs dans la recherche par rapport aux investissements dans la commercialisation. […] Cela soulève une question : si le gouvernement doit financer la recherche, financer de grands investissements d’infrastructure et aussi entreprendre les efforts de commercialisation, quel est exactement le rôle du secteur privé ? » [Page 86]

Et bien, encore une fois, je trouve l’argumentation un peu contradictoire. Si les nanotechnologies était juste un autre fruit mûr qu’il suffit de cueillir pour les commercialiser grâce à l’investissement de l’Etat, nous aurions déjà vu les premiers résultats. L’initiative américaine sur les nanotechnologies a été lancée en 2000. Il y a eu des start-up très visibles telles que A123 ou Nanosys. Dans le tableau de capitalisation datant de 2004 de Nanosys, peut voir le financement de la start-up provenant de sources privées .

Je lis en ce moment le chapitre 5 et je reviendrai sur le livre de Mazzucato dans une troisième partie !

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L’État entrepreneurial: le rôle de la puissance publique en matière d’innovation (partie 1)

L’État entrepreneurial (The Entrepreneurial State) de Mariana Mazzacuto est, je pense, un livre important. L’auteur affirme que nous avons été injustes avec le rôle dans l’innovation du gouvernement et du secteur public en général, qui a fourni des fonds pour la plupart pour ne pas dire toute la R&D (Pharma, IT, spatial). Je partage le blâme car je suis un fervent partisan des start-up, du capital-risque, et la Silicon Valley est le modèle ultime. Et l’idée que l’Etat doit juste fournir les bases (éducation, recherche, infrastructure) et laisser le secteur privé innover a peut-être été une grosse erreur (de moi y compris). Je ne prendrai pas le blâme sur le second argument que j’ai toujours partagé avec l’auteur : l’idée que les allégements fiscaux et l’évasion fiscale rend le jugement encore plus injuste. Enfin, le secteur privé est très frileux face aux risques si bien qu’il y a moins d’innovation (et pas seulement à cause du capital-risque, mais en raison de la R&D privée, par rapport au passé lorsque les laboratoires de R&D au sein d’IBM , Bell ou Xerox étaient grands ou quand les VCs contribuaient vraiment à l’innovation dans les semi-conducteurs, les ordinateurs et la biotechnologie dans les années 60 et 70 )

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Permettez-moi maintenant de citer Mariana Mazzacuto en suivant son livre linéairement . Vous pouvez également écouter une conférence qu’elle a donnée à TEDx.

Alors que l’innovation n’est pas le rôle principal de l’État, illustrer le potentiel d’innovation et de dynamisme de l’Etat – sa capacité historique, dans certains pays, à jouer un rôle d’entrepreneur dans la société est peut-être le moyen le plus efficace pour défendre son existence. (Page 1).

L’entrepreneuriat n’est pas (seulement) le sujet des start-ups, du capital-risque et des « bricoleurs de garage ». Il s’agit de la volonté et de la capacité des agents économiques à prendre des risques et affronter une incertitude réellement Knightienne*, ce qui est vraiment inconnu. (Page 2).
Note *: l’incertitude Knightienne concerne le risque « incommensurable », c’est à dire un risque qui ne peut être calculé.

Même pendant un boom économique, la plupart des entreprises et des banques préfèrent (ou préféreraient) financer des innovations incrémentales à faible risque, en attendant que l’État fasse sa marque dans les domaines les plus radicaux. (Page 7) Des exemples sont fournis par l’industrie pharmaceutique – où les nouveaux médicaments les plus révolutionnaires sont fabriqués principalement avec des fonds publics, et non privés. (Page 10.)

Apple doit payer des impôts, non seulement parce que c’est une bonne chose, mais parce qu’elle est l’épicentre d’une entreprise qui a besoin de fonds publics qui soient très grands et prêts à assumer une prise de risque suffisante pour continuer à faire les investissements sur lesquels les entrepreneurs tels que Steve Jobs pourront ensuite capitaliser. (Page 11) C’est précisément parce que les investissements de l’État sont incertains, qu’il y a un risque élevé qu’ils échouent. Mais quand ils réussissent, il est naïf et dangereux de permettre à toutes les récompenses d’être privatisées. (Page 12)

Chapitre 1 – (La crise de l’innovation)

L’accent mis sur l’État en tant qu’agent entrepreneurial n’a évidemment pas pour but de nier l’existence de l’activité et de l’esprit d’entreprise du secteur privé, depuis le rôle des jeunes et nouvelles entreprises qui dynamisent ou créent de nouveaux secteurs (comme par exemple Google) jusqu’à la source importante de financement du privé comme le capital-risque . Le principal problème est que c’est la seule histoire qui est généralement racontée. (Page 20)

Il est naïf d’attendre du capital-risque de mener à un stade précoce le développement risqué de tout nouveau secteur économique aujourd’hui ** (tels que les technologies propres par exemple). Dans les biotechnologies, les nanotechnologies et l’Internet, le capital-risque est arrivé 15 à 20 ans après les investissements les plus importants réalisés par des fonds publics. (Page 23) L’État a été à l’origine des révolutions les technologiques et des périodes de croissance à long terme. C’est pourquoi un état « entrepreneurial » est nécessaire pour s’engager dans la prise de risque et la création d’une nouvelle vision.
Note **: Peut-être pas dans les années 50 à 70 , certainement au cours des 10 dernières années.

Les grands laboratoires privés de R&D ont fermé et le R de la R&D a également diminué. Une étude du MIT récente [1] affirme que l’absence actuelle aux États-Unis des laboratoires d’entreprises comme le Xerox PARC (qui a produit la technologie d’interface utilisateur graphique qui a contribué à la fois aux systèmes d’exploitation de Apple et de Windows) et les Bell Labs – cofinancés par le budget des agences gouvernementales – est une des raisons pour lesquelles la machine d’innovation américain est menacée. (Page 24) Rodrik (2004) affirme que le problème n’est pas dans quels types de mécanismes (R&D, crédits d’impôt, subventions) ou quels types de secteurs choisir (acier vs. logiciel), mais comment la politique peut favoriser les processus de découverte qui favorisent la créativité et l’ innovation – la nécessité de favoriser l’ exploration par essai et erreur (ce qui est le principe de base de la « théorie évolutionniste du changement économique » au chapitre 2)
Références:
[1] MIT 2013. Rapport économique Innovation, web.mit.edu/press/images/ documents/pie-report.pdf
[2] Rodrik, 2004. Politique industrielle pour le 21e siècle. CEPR Discussion Paper 4767

Chapitre 2 – Technologie, innovation et croissance.

Les politiques de redistribution progressive sont fondamentales, mais elles ne causent pas la croissance. En réunissant les leçons de Keynes et de Schumpeter, on peut la rendre possible. (Page 31) Solow a découvert que 90 pour cent de la variation de la production économique n’a pas été expliqué par le capital et le travail, il a appelé le résidu le « changement technique ». (Page 33)

La « théorie de l’évolution économique » explique cela comme un processus constant de différenciation entre les entreprises, en fonction de leur capacité à innover. La sélection ne conduit pas toujours à la « survie du plus apte » à la fois en raison des effets de rendements croissants et aussi des effets des politiques. La dynamique de sélection des marchés des produits et des marchés financiers peuvent être en désaccord.

L’innovation est spécifique à l’entreprise et très incertaine. Ce n’est pas la quantité de R&D qui compte, mais la façon dont elle est distribuée dans toute l’économie. La vieille idée que la R&D peut être modélisée comme une loterie où une certaine quantité va créer une certaine probabilité de succès de l’innovation est critiquée car en fait l’innovation serait un exemple d’une véritable incertitude Knightienne, qui ne peut être modélisée avec une distribution normale (ou toute autre distribution de probabilité). (Page 35 – à nouveau le Black Swan !)

Les systèmes d’innovation sont définis comme le « réseau des institutions dans le secteur public et privé dont les activités et les interactions initient, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies ». (La Théorie de l’Equilibre ne peut pas fonctionner, et plutôt que d’utiliser le calcul incrémental de la physique newtonienne, les mathématiques de la biologie sont utilisées, car elles peuvent explicitement prendre en compte l’hétérogénéité et la possibilité de dépendance de route et des équilibres multiples.) (Page 36) La perspective n’est ni micro ni macro, mais méso. Le lien de causalité entre la science fondamentale, en allant vers la R&D à grande échelle, puis les applications jusqu’à la diffusion des innovations n’est pas linéaire, mais plein de boucles de rétroaction. On doit être capable de reconnaître le hasard, la sérendipité, et l’incertitude qui caractérise le processus d’innovation. […] En utilisant l’exemple du Japon, « les contributions de l’Etat au développement au Japon ne peuvent être comprises en faisant abstraction de la croissance des entreprises comme Toyota, Sony ou Hitachi à côté du soutien public de l’Etat japonais pour l’industrie ». (Page 38)

Les systèmes régionaux d’innovation focalisent sur la proximité culturelle, géographique et institutionnelle qui crée et facilite les transactions entre les différents acteurs socio-économiques, y compris les administrations locales, les syndicats et les entreprises familiales … L’Etat agit en ralliant les réseaux d’innovation existants ou en facilitant le développement de nouveaux qui rassemblent un groupe diversifié de parties prenantes. Mais un système riche d’innovation n’est pas suffisant. L’État doit élaborer des stratégies pour le développement technologique.

Mazzacuto termine le chapitre 2 avec 6 mythes sur l’innovation, et je suis totalement d’accord avec elle!

Mythe 1 : L’innovation c’est la R&D. « Il est fondamental d’identifier les conditions spécifiques aux entreprises pour permettre que les dépenses de R&D influent positivement sur la croissance.  »

Mythe 2 : Small is Beautiful. « Il y a confusion entre la taille et la croissance. » Ce qui est important est le « rôle des jeunes entreprises à forte croissance ». Beaucoup de petites entreprises ne sont pas en forte croissance. […] « L’essentiel de l’impact est lié à l’âge. Le ciblage de l’aide aux PMEs sous forme de subventions, de prêts bonifiés ou d’allégements fiscaux impliquera nécessairement un niveau élevé de déchets. Bien que ces déchets soient est un pari nécessaire dans le processus de l’innovation », elle doit être ciblée sur une croissance élevée et non sur les PMEs [en général], à savoir le soutien aux « jeunes entreprises qui ont déjà démontré de l’ambition ».

Mythe 3 : Le capital-risque aime le risque. « Le capital-risque est rare dans la phase d’amorçage. il est de plus concentré dans les domaines à fort potentiel de croissance, à faible complexité technologique et à faible intensité capitalistique. » […] «La polarisation sur le court terme est dommageable pour le processus d’exploration scientifique qui nécessite un plus long horizon et la tolérance à l’échec ». « Les récompenses pour le VC ont été disproportionnées par rapport aux risques pris », mais Mazzacuto reconnaît également que « le capital-risque a plus réussi aux États-Unis, quand il a fourni non seulement les financements, mais aussi l’expertise dans la gestion. » Enfin « la commercialisation progressive de la science semble être improductive ».

Mythe 4 : Les brevets. « La hausse du nombre des brevets ne reflète pas une augmentation de l’innovation ». [Je ne vais pas revenir ici sur le sujet, mais relisez Contre les monopoles intellectuels]

Mythe 5: Le problème de l’Europe est avant tout celui de la commercialisation. « Si les Etats-Unis sont meilleurs dans l’innovation, ce n’est pas parce que les liens université-industrie sont supérieurs (ils ne le sont pas) ou parce que les universités américaines produisent plus de spinouts (elles ne le font pas). Cela reflète tout simplement le fait que plus de recherche se fait dans plus d’institutions, qui génèrent de meilleures compétences techniques pour le monde du travail. Le financement américain est divisé entre la recherche dans le monde universitaire et le développement de la technologie à un stade précoce dans les entreprises. L’Europe a un système plus faible pour la recherche scientifique et les entreprises sont plus faibles et moins innovantes ».

Mythe 6 : Les entreprises doivent payer moins d’impôt. « Les systèmes de crédit d’impôt R&D ne demandent pas aux entreprises responsables de chercher de nouvelles innovations qui autrement n’auraient pas eu lieu, ou qu’elles ne se contentent pas simplement de formes de développement de produits routiniers. » « Comme Keynes l’a souligné, l’investissement des entreprises est une fonction de l’instinct des investisseurs quant aux perspectives de croissance future. » Ceci n’est pas affecté par les crédits d’impôt, mais par la qualité de la de la science, de l’éducation, du système de crédit et du capital humain au niveau national. « Il est important pour la politique d’innovation de résister à l’appel des mesures fiscales de toutes sortes ».

Plus suivra quand j’aurai lu les chapitres 3 et suivants. Mais, j’ai besoin de partager certaines de mes préoccupations, d’abord en citant Mazzacuto à nouveau :

« L’entrepreneuriat par l’État peut prendre de nombreuses formes. Quatre exemples : le DARPA, les SBIR, le Orphan Drug Act, les nanotechnologies. (…) Apple est loin d’être l’exemple libéral, que semble être la société. C’est une société qui a non seulement reçu des financements précoces du gouvernement (à travers le programme SBIC), mais elle a aussi « ingénieusement » fait usage de technologies financées par les fonds publics*** pour créer des produits « intelligents » . (Pages 10-11)
Note ***: par exemple l’Internet, le GPS, l’écran tactile et Siri.

« Beaucoup de jeunes entreprises les plus innovantes aux Etats-Unis ont été financées non par du capital-risque privé, mais par le capital-risque public, tel que celui fourni par le programme SBIR (Small Business Innovation Research). » (Page 20)

Mes préoccupations sont que
– La recherche n’est pas l’innovation et le transfert est là où l’esprit d’entreprise se produit et donc l’investissement dans la recherche n’est pas l’innovation ou même être entrepreneurial. C’est du moins mon expérience dans le domaine .
– L’impact réel du SBIR est incertain
– les technologies vertes et nano ont également un impact incertain
Mais je n’ai pas encore fini de lire cet excellent travail…

Y a-t-il un âge idéal pour créer ?

Voici ma dernière contribution en date à Entreprise Romande, que le magazine a intitulé « Laisser les énergies s’exprimer dès le plus jeune âge ».

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Depuis quelques années un débat fait rage: y a-t-il un âge idéal pour créer ? Je ne parle pas de créativité artistique ou scientifique, même si la question mériterait une étude à elle-seule. Quel artiste a en effet produit une œuvre majeure après 40 ans? On attribue le prix Nobel bien souvent pour le couronnement d’une carrière mais les travaux du lauréat avait été produits des décennies plus tôt. Enfin la médaille Fields, prix suprême des mathématiques, n’est accordée qu’à des chercheurs de moins de 40 ans. En est-il de même pour la création d’entreprise ? En quelques mois, Scott Shane [1], puis Vivek Wadhwa [2] ont récemment dénoncé le mythe du jeune entrepreneur de moins de 30 ans que la Silicon Valley aurait abusivement célébré. Shane constate une activité entrepreneuriale deux fois supérieure chez les quinquas, y compris dans la haute technologie, que chez les entrepreneurs deux fois plus jeunes. Wadhwa arrive à une moyenne de 40 ans pour ceux qui réussissent.

Je ne vais pas cacher ma surprise relative à ces nouvelles analyses car mon intuition et mon expérience me faisaient tendre vers un certain jeunisme. Dans une analyse, peut-être un peu rapide, j’étais arrivé à une moyenne de 27 ans pour les célèbres entrepreneurs de la Silicon Valley (ceux qui ont créé Intel, Apple, Oracle et autres stars de l’Internet tels qu’eBay, Google ou Facebook) et même de 33 pour leurs célèbres homologues européens (SAP, Logitech, etc). L’explication me semblait simple : si l’expérience est un critère de succès important pour la gestion d’une entreprise, l’enthousiasme et l’énergie viennent compenser son absence lorsqu’il est question d’innovation de rupture, dans des marchés où l’incertitude est plus grande. De plus, l’expérience se trouve en s’entourant de professionnels confirmés. Enfin on n’a rien à perdre à 20 ans, et les charges de famille sont rarement lourdes à porter. Vive la prise de risque quand on est jeune !

Age of founders

J’ai voulu refaire ma propre analyse en étudiant les quelques 500 fondateurs de 200 sociétés, essentiellement dans le domaine de la haute technologie, aux USA mais aussi en Europe. Je suis arrivé à une moyenne de 38 ans, proche de celle évoquée par Shane et Wadhwa. Mais ne concluez pas trop vite que le débat est clos ! Le diable est dans les détails… En ne tenant compte que de la première expérience entrepreneuriale, en ne comptant que des entrepreneurs qui s’engagent corps et âme dans l’aventure (et pas de ceux qui ne sont que conseillers ou premiers investisseurs), on tombe à 34 ans. Il y a tout de même un point d’accord entre toutes ces analyses : la moyenne augmente régulièrement depuis quelques années.

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Je reste personnellement persuadé que la jeunesse est un atout, simplement parce que l’entrepreneuriat est affaire d’enthousiasme et d’énergie, parfois même d’inconscience. Ce n’est pas d’être jeune qui pousse à être entrepreneur, c’est d’avoir certaines qualités qui, globalement, sont plus souvent présentes chez les jeunes. Y aurait-il alors une explication qui réunisse ces messages quelque peu discordants ? Une piste qui m’est chère consiste à observer que l’expérience est utile à l’innovation incrémentale, là où l’on améliore l’existant. La créativité et l’aventure sont plus le fait de l’innovation de rupture qui a créé de nouvelles industries depuis 50 ans (l’ordinateur, le logiciel et les biotechnologies par exemple.) Autre remarque : il me semble que l’innovation est moins révolutionnaire depuis 10 ans, depuis la maturation des technologies internet. Les grandes entreprises semblent avoir repris la main comme l’ont constaté certains experts [3].

Dernier constat : l’âge moyen de ceux qui ont créé des entreprises d’exception (que je mesure par une capitalisation supérieure à $100 milliards) est de 27 ans. Même le fondateur de Genentech qui a lancé les biotechnologies avait 29 ans. Toutes ces entreprises avaient toujours un de leurs fondateurs comme CEO au moment de leur entrée en bourse. Le ralentissement de ces innovations majeures corrélé à l’augmentation de l’âge des entrepreneurs pourrait malheureusement être le signe que notre monde est moins créatif, voire vieillissant. Il n’y a sans doute pas d’âge idéal pour créer, mais il faut sans aucun doute laisser s’exprimer les énergies dès le plus jeune âge en encourageant une créativité détachée des contraintes de l’expérience et du savoir.

Références:
[1] Entrepreneurship Is a Midlife Game http://www.entrepreneur.com/article/225843
[2] The Truth About Entrepreneurs: Twice As Many Are Over 50 As Are Under 25 http://www.pbs.org/newshour/rundown/2013/04/the-truth-about-entrepreneurs-twice-as-many-are-over-50-than-under-25.html
[3] The Empire Strikes Back. http://www.technologyreview.com/news/426238/the-empire-strikes-back/

Sur un sujet connexe, j’ai été intrigué par un article du magazine suisse Bilan: L’avenir, affaire de jeunes, de Stéphane Benoit-Godet. Le voici:

L’avenir, affaire de jeunes
Google veut prolonger la vie des gens et battre la mort. Un événement qui n’a pas fait tant de vagues. Pourtant, ce n’est pas seulement un effet d’annonce. La potentialité de pouvoir télécharger sa propre mémoire d’ici à trente ans pour qu’une partie de nous puisse survivre représente un formidable défi à l’humanité et à la création.
Foutaises? Il existe beaucoup de «négationnistes du progrès», ceux qui combattent en vain leur époque car ils ne comprennent pas ses enjeux. Il y a pourtant un courant passionnant dans la science qui voit l’ingénierie, les sciences de l’information et la neurologie se retrouver.
Patrick Aebischer en est un précurseur en Europe avec sa vision qu’il a imposée à l’EPFL. D’autres travaillent d’arrache-pied à la convergence de ces différentes techniques pour arriver à la mère de toutes les épopées scientifiques, la compréhension du cerveau.
Quand Google tente cette avancée, il faut s’y intéresser car les moyens mis en œuvre dans le cadre de la division des projets spéciaux de la firme de la Silicon Valley s’avèrent colossaux. Et quand il s’agit de traiter des données à une échelle gigantesque, ses fondateurs sont des experts.
Henry Markram qui a levé 100 millions de l’UE pour son projet Human Brain à l’EPFL s’inscrit aussi parfaitement dans cette révolution. Ce qui a été possible ici grâce à la volonté d’un homme – Patrick Aebischer avait une bonne partie de l’establishment contre lui en arrivant à l’EPFL – doit se propager plus loin.
Si Larry Page et Sergey Brin, de Google, osent s’engager dans cette aventure, c’est qu’ils baignent dans ce bain d’innovation qu’est la Silicon Valley. L’endroit où se créent des start-up qui bouleversent les interactions sociales (Facebook), la technologie (Apple), la manière de s’informer (Twitter), de se déplacer (Tesla et SpaceX) ou celle de consommer (PayPal).
Ironie de l’histoire, le patron de cette dernière entreprise, David Marcus, un serial entrepreneur genevois parti en Californie, invente le futur de l’argent quand les banquiers suisses n’ont jamais été aussi mal en point.
Ce bain manque toujours ici. Le déclic consiste peut-être à encourager des gens de 20 ans et moins à créer leur entreprise. Comme les fous de la Silicon Valley qui se donnent comme mission d’améliorer la vie des gens, leur envie d’entreprendre et leur enthousiasme pourraient donner lieu à des succès immenses.

Qu’est-ce qu’une start-up? (partie 3)

Mon collègue Jean-Philippe Solvay m’a récemment demandé de réagir à un message Facebook demandant ce qu’est exactement une start-up. Et comme vous pouvez le lire dans ce message facebook, ce n’est pas si facile de répondre. Une des meilleures références données dans le post est l’analyse assez exhaustive de swombat.com.

Dans le passé, j’ai écrit deux messages sur le sujet: dans la Partie 1 en 2011, j’avais donné ma définition: « Une start-up est une entreprise qui est née d’une idée et a le potentiel pour devenir une grande entreprise » ainsi que la très bonne définition de Steve Blank: « les start-up sont des entités temporaires destinées à la recherche d’un modèle d’affaires extensible et reproductible. » (Il y a toutefois quelque chose avec quoi je ne suis pas à l’aise chez Steve Blank de: je voudrais supprimer le mot « modèle », et le remplacer par « business » car une start- peut savoir ce qu’elle veut faire, mais ne l’a pas encore validé. Les start-up copiant des modèles d’affaires existants n’en seraient pas…)

Puis, dans la « partie 2 » en janvier 2013, j’ai ajouté ce qui suit: « Une start-up est une société qui explore, qui est à la recherche d’un modèle d’entreprise, d’un marché, de clients et tente d’innover. Elle cherche généralement un grand marché (« scalable/extensible ») et donc les entreprises de services ne sont pas des start-up (sauf sur le web). Il est donc aussi question de croissance forte et rapide car pour ces marchés émergents, la concurrence est rude et les gagnants peu nombreux. Il faut souvent aller vite. C’est aussi pourquoi c’est un état d’esprit: vous êtes curieux, dans un monde incertain, en essayant d’apporter de nouvelles choses au monde, voire de le changer. Parce que vous êtes à la recherche d’un modèle d’affaires, vous n’avez pas assez de clients payants, et vous aurez probablement besoin de capitaux externes (business angels, capital-risque), sauf si vos futurs clients acceptent de payer en ‘avance. C’est pourquoi il existe une forte corrélation entre le statut de start-up et avoir des investisseurs. »

Je suis d’accord avec la plupart des caractéristiques indiquées dans les contributions Facebook ou swombat: « les start-up sont de nouvelles entreprises focalisées sur l’innovation et la croissance dans des situations de grande incertitude (ou de risque) ». Elles n’ont pas à être dans la technologie et si c’est le cas, ielles sont appelées start-up high-tech. Peut-être que l’innovation n’est pas si importante, comme beaucoup d’entre elles copient les autres, mais la croissance (la scalability) est critique. Les entreprises de services ou de consulting ne sont généralement pas des start-up parce que la croissance est linéaire, et non exponentielle (avec le nombre d’emplois).

Permettez-moi d’ajouter un autre point: si le mot a été créé, il doit y avoir une bonne raison! Quand est-il apparu? Wikipedia affirme qu’il est devenu populaire avec la bulle dot.com des années 90. Cependant, j’ai trouvé le terme dans Regional Advantage de Saxenian (1994) et même dans Silicon Valley Fever (1984). Il ne fait aucun doute que le terme a émergé avec les clusters technologiquse tels que la Route 128 et la Silicon Valley, raison pour laquelle il est associé à la haute technologie ainsi qu’au capital-risque. Mais toutes les start-up ne font pas partie de ces entités géographiques. Microsoft et Amazon sont basées à Seattle, qui n’est pas vraiment un cluster. Quand ils n’appartiennent pas à un cluster géographique, ils appartiennent à une grappe technologique, principalement IT (électronique, logiciel, internet) ou biotech / medtech. Tesla Motors est considéré comme une start-up, car elle appartient à l’écosystème de la Silicon Valley même si elle est dans un secteur où il existe très peu de start-up. Je ne pense pas que EasyJet ait jamais été appelée une start-up, car elle n’appartient à aucun cluster (technologique ou géographique). Donc, j’aurais tendance à définir une start-up comme « une nouvelle entreprise focalisée sur la croissance dans des situations de grande incertitude, et appartenant à un cluster technologique ou géographique ».

PS: en regardant le sujet à nouveau, j’ai découvert un débat sur ​​la façon d’épeler le mot … En 2007, j’avais décidé pour « start-up », mais « start up » et « startup » étaient employés également. Il semble « startup » soit maintenant de plus en plus populaire. Je m’en tiens à « start-up » pour le moment, pour être cohérent avec ce que j’ai toujours fait. De même je ne mets pas de « s » au pluriel…

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

Voici ma quatrème contribution à Entreprise Romande. Je me rends compte qu’il y ait souvent question d’échec et d’innovation. Ce nouvel article maintient la tradition. Et comme il s’agissait d’un numéro spécial sur l’échec, je me permets de vous fournir l’éditorial de la rédactrice en chef.

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Voici donc l’Editorial d’Entreprise romande – 5 juillet 2013 Par Véronique Kämpfen, rédactrice en chef:

La tolérance à l’échec favorise la croissance

Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de l’échec. Un constat confirmé par une étude fouillée de Barclays parue fin 2012. Tout d’abord, les Européens ont plus de mal à voir l’échec de manière positive (69%) que les Américains (71%), les Asiatiques (80%) et les Moyens-Orientaux (91%). Ensuite, les entrepreneurs ont une attitude moins négative face à l’échec que le reste de la population. Ils sont nombreux à penser que les échecs ont forgé leur caractère, que cette épreuve leur a appris beaucoup et qu’ils ont su rebondir rapidement. Les entrepreneurs sont en outre largement plus optimistes que le reste de leurs concitoyens. Ce phénomène est décrit dans la littérature médicale: il semblerait qu’un nombre élevé d’entrepreneurs à succès seraient caractérisés par une forme génétique de biais psychiatrique, qui les prédisposerait à être créatifs, enthousiastes et peu craintifs vis-à-vis de la prise de risques. John Gartner, le psychiatre à l’origine de cette étude, souligne les traits de ces caractères particuliers: « Avoir ce genre de confiance en soi peut entraîner un aveuglement face aux risques, parce que ces personnalités ne pensent pas pouvoir échouer. (…) Si elles échouent néanmoins, elles ne resteront pas longtemps abattues et seront rapidement énergisées par une idée complètement nouvelle ».

De manière plus générale, l’étude Barclays montre que la tolérance à l’échec est essentielle à la croissance. Le processus de «destruction créative», qui veut que des idées, des modèles technologiques et d’affaires obsolètes laissent la place à de nouvelles impulsions, est essentiel pour le progrès économique et la création d’emplois. Pour que ce processus soit efficace, il faut des entrepreneurs ayant envie de prendre des risques, ainsi qu’un environnement qui accompagne leurs efforts. Jusqu’à présent, la Suisse semble tirer son épingle du jeu, comme l’attestent sa bonne santé économique et son excellent classement en termes d’innovation et de compétitivité. Les Suisses n’étant pas les champions de la tolérance vis-à-vis de l’échec, il faut qu’ils soient soutenus par des conditions-cadre adaptées et entourés au mieux pour que celles et ceux qui ont la fibre entrepreneuriale puissent se lancer… sans trop prendre de risques! Ces thèmes sont traités de manière très détaillée dans Le Magazine d’Entreprise romande, encarté dans ce journal. Le tabou de l’échec et de la faillite y est analysé sous toutes ses formes et mis en perspective grâce à des conseils pratiques et à des témoignages d’entrepreneurs. Bonne lecture et… bel été!

et voici ma contribution:

La culture suisse tolère-t-elle l’échec?

« La société nous donne tellement de baffes à travers l’éducation qu’on a peur d’être créatif, car on montre ses faiblesses. En exprimant ses rêves, on fait un strip-tease intellectuel, on craint que les autres les considèrent comme mauvais, pas bien, pas bons et pas justes. » C’est ce qu’affirme d’Elmar Mock, inventeur de la Swatch et fondateur de Créaholic. Le système scolaire suisse n’est en effet pas connu pour sa créativité. Le célèbre « faut se gaffer » romand pourrait faire sourire ; quant à nos enseignants, ils semblent accorder plus d’importance à la rigueur qu’à la créativité de nos chères têtes blondes. Le droit à l’erreur est inconsciemment refoulé. Si l’on accepte l’idée qu’innover c’est avant tout créer dans des situations d’incertitude, l’affirmation a de quoi inquiéter. Pourtant la Suisse est championne du monde de l’innovation dans la quasi-totalité des rapports mondiaux. Contradiction ?

L’innovation est une chose subtile. L’innovation ne se réduit pas à l’invention et l’innovation n’est pas seulement technologique ; elle est le résultat qu’un processus, au bout duquel sont créés des produits, des services ou des procédés nouveaux qui font la démonstration qu’ils répondent à des besoins (marchands ou non marchands). Le processus conduisant à l’innovation est long, imprévisible et peu contrôlable ; l’innovation ne se planifie donc pas et il faut accepter l’échec.

Clayton Christensen, professeur à la Harvard Business School, a bâti une théorie autour de l’innovation de rupture, celle qui permet l’émergence de nouveaux produits révolutionnaires comme l’Internet, le téléphone portable mais aussi les compagnies aériennes à bas coût, celle qui permet aussi à de nouveaux acteurs d’émerger et de remplacer leurs concurrents vieillissants. Selon Christensen, l’innovation de rupture ne peut se produire au sein des institutions établies. Les meilleures entreprises sont à l’écoute de clients qui ne souhaitent que l’amélioration des produits existants et ne souhaitent que rarement de nouveaux produits. Les Etats Unis ont vu plus de 80 nouvelles entreprises majeures émerger depuis 1970 ; la France, seulement 4. Et la Suisse?

La Suisse est championne du monde de l’innovation tout d’abord parce que les conditions cadre sont excellentes. Tout est fait pour que les entreprises réussissent, en minimisant barrières et contraintes. Ensuite, parce qu’il existe une culture du travail bien fait. L’apprentissage contribue dès les premières années de formation à maintenir cette tradition et les entreprises suisses sont connues pour être à l’écoute de leurs clients pour faire évoluer les produits existants dans la bonne direction. Mais de quelle innovation parle-t-on ? Celle qui donne naissance à des ruptures technologiques? Non, plutôt un autre type d’innovation, l’innovation incrémentale, faite de « graduelles, continuelles améliorations de techniques ou de produits existants ; l’innovation incrémentale ne change généralement pas fondamentalement la dynamique d’une industrie, ni ne requiert un changement de comportement » d’après wikipedia. La Suisse est championne de l’innovation incrémentale, à travers un tissu dense de PMEs performantes. L’échec est donc relativement peu absent, quand l’attention à tous les détails est permanente. Mais cela est-il suffisant ?

Non seulement le système scolaire suisse n’est pas connu pour sa créativité, mais de plus les spin-off académiques ne créent que peu d’emplois. Si l’on accepte le corolaire que l’innovation est source de croissance et de nouveaux emplois, nous ne sommes peut-être pas aussi innovants qu’il serait souhaitable. Nous sommes évidemment performants pour l’innovation incrémentale, mais certainement pas aussi bons dès qu’il s’agit de rupture. A part un exemple qui me vient naturellement en tête, la Swatch. Mais Nicholas Hayek n’était pas le produit de la culture suisse ! On pourrait ajouter Nespresso, mais Eric Favre inventeur du produit aura souffert des réticences initiales chez Nestlé au point de dire : « L’économie suisse manque de vrais entrepreneurs ! » La difficulté à intégrer le risque, la nouveauté radicale peut rendre myope face aux changements en cours et engendrer d’autres échecs, comme le témoigne le grounding de Swissair, qui a été vécue comme un traumatisme national. Les Etats-Unis ont perdu TWA et Panam, mais ils ont su inventer le concept de low cost avec Southwest ou JetBlue, qui les a allègrement remplacés. L’Europe, avec easyJet et d’autres compagnies, n’a fait que suivre le modèle américain.

Les start-up suisses ne meurent jamais. Elles ont un taux de survie de 90% après 5 ans. Alors qu’outre-Atlantique et même en Suisse pour les entreprises traditionnelles, le taux est inférieur à 50%… Cela peut vouloir dire, en citant Xavier Comtesse, que « les start-up sont protégées par le système académique ou le financement fédéral. » Parce qu’échouer serait un stigmate inacceptable ? Ou parce que prendre des risques, cause inévitable d’un taux d’échecs plus important, serait trop dangereux ? Sans être aussi pessimiste, j’ajouterai que nos start-up restent souvent d’excellents bureaux d’ingénieurs, au savoir-faire reconnu, mais la composante service finissant par l’emporter sur les produits, la société survit sans importante création d ‘emplois et sans forte croissance. J’ai souvent demandé à des entrepreneurs qui avaient échoué de partager leur expérience. En vain ! Nos experts et mentors ne poussent pas nos jeunes entrepreneurs dans cette direction; je l’ai si souvent entendu, que j’ai presque fini par m’habituer. Nos business angels ont une grande méfiance d’investisseurs à risque plus agressifs dont ils redoutent l’approche plus binaire du « ça passe ou ça casse. »

Daniel Borel, entrepreneur emblématique : «Dans notre secteur, si on n’innove pas constamment, si on n’a pas le courage de prendre des risques, on disparaît. Raison pour laquelle je préférerais me lancer dans sept projets quitte à en rater trois, que de ne rien louper, par chance, en ayant misé sur un seul projet. » […] « On n’apprend que de ses échecs, rarement de ses succès. Le succès peut être votre pire ennemi: il vous fait croire que vous êtes fort, très fort, que vous pourriez même marcher sur les eaux. Et c’est à ce moment-là que vous vous noyez. »

La culture suisse n’est certainement pas très tolérante avec l’échec. Elle favorise un type d’innovation (incrémentale) qui peut expliquer les forces du pays. Son tissu de PMEs performantes est sans doute le résultat de cette culture prudente, exigeante. Il y a raison d’en être fier. Mais j’aime la citation de l’ancienne star du Hockey, Wayne Gretzky : « Je patine à l’endroit où le palet va être, et non là où il a été. » Toute la question est de savoir si la Suisse sera demain à la bonne place pour récupérer le palet…

Michel Rocard et le gâchis des talents

A voix nue est une excellente émission de France Culture. Chaque invité y raconte sa vie pendant les 5 jours de la semaine. Michel Rocard était l’invité du 17 au 21 juin. C’est passionnant, mais j’ai retenu une anecdote amusante, choquante, tout à fait en liaison avec mon précédent blog sur l’élite technique française et ses gâchis.

FQ-Rocard

Laissez moi d’abord vous rappeler ce que je disais des migrations et des élites dans l’article AnnaLee Saxenian, Migrations, Silicon Valley, et Entrepreneuriat: «L’élite technique de pays comme la France ou le Japon allait automatiquement vers des postes à statut élevé au sommet des grandes entreprises ou de la fonction publique. Ils sont peu incités à étudier ou travailler à l’étranger, et souvent cette élite doit faire face à des coûts d’opportunité importants s’ils le font. Par conséquent, relativement peu suivent une formation universitaire aux États-Unis, et ceux-ci reviennent souvent dans leur pays directement après l’obtention du diplôme. Ceux qui restent dans la Silicon Valley pour une plus longue période ne sont pas susceptibles d’avoir accès au capital, aux opportunités professionnelles, ou même au respect quand ils rentrent.»

Quand Michel Rocard parle de l’ambition qu’avait son père pour lui, il est question de l’Ecole Normale Supérieure, voire de l’Ecole Polytechnique. Yves Rocard « a failli être prix Nobel de physique ». Il avait aussi plus de respect pour la science que pour la politique. Dans l’épisode 1 (à la minute 19 environ), Michel Rocard explique que son père rêvait de Polytechnique pour son fils, l’ENS semblant inaccessible. « Mon père rappelait beaucoup un mot terrible de Georges Clémenceau en 1919 : vous voulez empêcher l’Allemagne de se relever, créez-y une Ecole Polytechnique. C’était une allusion terrible que mon père partageait à la moisson de belles cervelles que fut le concours d’entrée à l’Ecole Polytechnique pour en faire des administrateurs et pas beaucoup de chercheurs ».

Je n’ai pas pu trouvé la citation ailleurs, mais même si elle était incorrecte, le message reste tristement valide. Comme AnnaLee Saxenian l’a écrit plus haut les sociétés française et japonaise gâchent une partie de leurs talents en ne les laissant pas exprimer leur créativité, en les décourageant parfois sans en avoir conscience…

L’innovation en Suisse: tout changer ou continuer?

Joli débat hier sur l’innovation en Suisse dans l’émission Forum de la RTS dont voici l’avant propos: La Suisse a-t-elle oui ou non une bonne politique d’innovation et de soutien aux start-ups? A cette question, difficile d’obtenir deux réponses aussi discordantes que celle de Fathi Derder et de Xavier Comtesse. L’un estime que tout va plus ou moins bien, l’autre que tout est à faire ou à refaire. Doit-on y voir un conflit de générations? La Suisse a-t-elle une vue d’ensemble suffisante de sa politique d’innovation? Le débat entre Fathi Derder, conseiller national PLR vaudois et président du Réseau, un organe de promotion de l’innovation, et Xavier Comtesse, directeur romand d’Avenir Suisse, avec la réaction de Pascal Jaussi, fondateur et directeur de Swiss Space Systems.

Innovation-Suisse-EPFL
L’EPFL est au coeur de l’innovation suisse. [Laurent Gillieron – Keystone]

Le débat fut intéressant à plus d’un titre et j’en ai retenu quelques points clés:
– Roche et Novartis [sans oublier Nestlé] cachent la réalité car les startup ne créent pas d’emplois, moins que Macdo en suisse…
– Nous sommes peut-être les numéro 1 mais l’avenir n’est pas garanti, loin de là. Nous naviguons trop à vue.
– Il serait utile avoir un tableau de bord qui donne les métriques… et pas seulement sur la science et l’éducation, mais sur l’innovation.
– Un problème spécifique à la Suisse est qu’il n’y a pas beaucoup d’aide quand le projet est ambitieux! On préfère beaucoup de petits projets.
– Il y a donc un risque de voir partir les meilleurs projets…
– Enfin on ne doit pas « cocooner » les entrepreneurs, même s’ils ont besoin d’aide.

Tout cela n’est pas s’en me rappeler le débat récent que j’ai lu dans le Monde et dont j’ai fait hier un post ici: Le rôle de l’Etat dans l’innovation: Ni austérité, ni keynésianisme! entre Philippe Aghion et Phillip Blond. La Suisse a de vrais problèmes, l’Europe aussi.