Archives de catégorie : La Silicon Valley et l’Europe

La Deeptech et ses défis en France (la suite)

Comme indiqué dans mon précédent article, j’ai préféré découper ma synthèse de l’atelier sur le sujet “Deeptech : are we ready to scale?” organisé par Inria lors du salon Vivatech

Si la première table ronde parlait de bipèdes, il était question dans la seconde d’écosysèmes, de « forêt vierges » plus que de « jardins à la française » !

Antonin Bergeaud, je vous ai écouté lorsque vous avez reçu sur le prix du meilleur jeune économiste de France, en particulier sur l’innovation technologique, sur France Inter et sur France Culture et vous avez dit à un moment que vous faisiez le parallèle entre votre rêve d’enfant d’être astronome et votre situation d’économiste en disant que vous vous vouliez comprendre la complexité du monde mais que dans l’économie, il y a le facteur humain ce qu’il n’y a pas avec les étoiles. Est-ce qu’il est là notre défi ou est-ce que ce sont d’autres éléments qui vous intéressent pour qu’on ait demain des Gafam Européens ?

« on a l’impression que le niveau de complexité est vraiment dans la science dures mais dans les sciences humaines il y a beaucoup d’interactions qui rendent les choses très compliquées et notamment parce qu’on a assez peu de régularité donc on doit composer avec le fait que il y a des biais. Comme ce qui a été évoqué que en Europe on est moins enthousiaste que les Américains, mais on ne sait pas très bien le mesurer. Il y a beaucoup d’éléments qu’on doit prendre en compte et comme l’enjeu c’est d’essayer d’informer et d’éclairer sur pourquoi on a telle difficulté, par exemple avoir un secteur Tech qui soit de la même ampleur que celui qu’on a aux États-Unis ou pourquoi les entreprises ont du mal à se financer en Europe, on est obligé de prendre en compte un peu toutes ces dimensions et c’est vrai que c’est assez compliqué, donc c’est un peu là où le parallèle s’arrête, c’est que c’est compliqué. Je pense que maintenant il y a une espèce de consensus qui commence sur les difficultés structurelles qu’on a en France et en Europe, ce qui veut pas dire qu’on va les corriger mais au moins on commence à un peu mieux comprendre ce qui se passe. » […]
– on n’a pas assez d’entrepreneurs et on n’a pas assez de d’ingénieurs qui sont formés en France et en Europe […] il y a un vrai sujet de formation qu’il faut corriger en grande partie parce que vous avez beaucoup de pertes, beaucoup de d’entrepreneurs et d’ingénieurs qui partent outre-Atlantique
– la deuxième difficulté en Europe, car tous les problèmes français sont assez vrais partout en Europe, est de faire échanger les universités avec les entreprises. Par exemple, tous les brevets qui sont déposés par toutes les entreprises du monde doivent donner les références académiques qu’elles utilisent dans la description du brevet et ce qu’on voit c’est que sur certaines technologies où l’Europe est pratiquement inexistante en termes de production de technologies et de commercialisation en fait on est relativement dominant ou est au même niveau que les États-Unis dans la production d’idées sauf que ces idées ne sont pas citées par des brevets français ou européens, elles sont citées par des brevets chinois ou américains donc en gros on a des scientifiques et des chercheurs qui produisent des idées très pertinentes y compris sur des technologies très très récentes et les idées sont censées circuler librement, elles circulent librement mais elles circulent beaucoup du côté Europe vers les autres pays est un peu moins dans l’autre sens.
– le troisième problème c’est effectivement le financement qui a été beaucoup évoqué tout à l’heure je pense qu’on a en Europe un rapport au risque qui est vraiment spécifique à notre continent peut-être qu’il est pas forcément négatif et puis je pense pas qu’il faille forcément y renoncer mais il faut avoir conscience que ça pose un certain nombre de difficultés pour faire croître rapidement des entreprises notamment dans les technologies de rupture parce qu’on va aller plus vers du financement bancaire, parce que on a moins de fond en capital risque, parce qu’on a marché qui est très fractionné notamment sur le financement de l’innovation et parce qu’on a des institutions et des régulations qui sont largement plus contraignantes en tout cas du point de vue de la croissance que ce qui se fait aux États-Unis.

Paul Midy, je pourrais vous appeler monsieur start-up à l’Assemblée nationale, que souhaitez-bous ajouter ?

« Je mettrai le sujet du financement en numéro 1 de très loin. Les levées de fonds en Europe semblent être trois fois inférieures aux levées de fonds aux États-Unis alors qu’on est globalement à peu près de loin la même taille, on génère à peu près le même PIB. Quand vous collez votre argent dans une entreprise comme Mistral, une entreprise de deeptech, vous le retrouvez pas l’année d’après c’est au moins 20 ans après que vous le retrouvez, c’est du capital long terme. Et ce capital de long terme il existe essentiellement dans du capital retraite et donc je dirais que le facteur numéro 1 c’est le fait qu’on a un système de retraite en France et beaucoup en Europe aussi qui est un système par répartition qui n’est pas un système par capitalisation. On n’a pas de fonds de pension ou on en a très peu. Il faut se rendre compte des écarts énormes que ça génère en France. L’épargne de long terme et ce qui peut ressembler un peu à de la capitalisation c’est 200-300 milliards d’euros si je prends tout l’Union européenne c’est 6000 milliards et essentiellement c’est les démocraties du nord de l’Europe à 70 % si je prends les États-Unis c’est 42000 milliards.On peut alimenter une bourse de New York à 25000 milliards et alimenter un Nasdaq à 25000 milliards et de l’autre côté en France vous avez Paris la Bourse de Paris 3000 milliards Francfort 3000 milliards Londres 3000 milliards donc on a un stock de capital qui est beaucoup moins important et donc pour les levées de fonds le résultat de tout ça c’est que nos start-ups l’année dernière ont levé 50 milliards aux États-Unis c’est 150 milliards. […] Moi j’appelle à ce qu’on fasse une PIC, une politique de d’innovation commune au moins aussi ambitieuse que la PAC, la politique agricole commune. Un tiers du budget du budget de l’Europe c’est la PAC. Un autre tiers c’est les fonds de cohésion sociale. Très important. L’innovation c’est moins de 10% du budget de l’Europe. Il faut au moins que tout de suite ce soit trois fois plus. […] Je suis un homme politique donc on essaie de faire changer le système. Soit on se dit c’est une culture voilà les Européens ils sont comme ça et ils aiment moins le risque, ils sont un peu plus grincheux et tout et donc il y a rien à faire. Je ne peux pas me résoudre à ça donc j’essaie de comprendre pourquoi les Américains sont dans une autre situation, ce n’est pas génétique. Je pense qu’il faut qu’on se redonne l’objectif que l’Europe soit le continent le plus riche, le plus prospère au monde donc le plus innovant qui soit en capacité de se défendre et puis tout va en découler.

Alexis Robert vous travaillez pour le fond Kima Ventures qui est le fonds de Xavier Niel dont j’ai lu le livre récent « une sacrée envie de foutre le bordel » et qui se met en parfois en porte-à-faux avec le système. Est-ce que vous aussi en travaillant pour le fond Kima Ventures vous avez une vision un peu plus atypique de ces choses ou comment vous souhaitez rebondir sur ce qu’on vient de partager ?

« En fait ce qui se passe quand on est early stage, alors que ce que vous avez évoqué est vrai en late-stage pour les financements en Série B et plus, mais en fait aujourd’hui ce que nous on voit c’est qu’en fait sur les cycles d’amorçage, preseed/seed il y a en fait un peu trop de capitaux, et en fait aujourd’hui les VCs, le problème qu’il y a et pourquoi est-ce que on a un manque, on a du mal à trouver des GAFAMs c’est si on remonte en fait l’histoire du venture capital français en fait c’est des spin-off de banques et ensuite au fur et à mesure du temps elles ont recruté en fait les fils de leur LPs [Limited Partners] ou des gens qui étaient dans leur réseau ou des gens qui pensaient comme eux qui ont en fait dans un mindset de finance. Il y a très peu de d’ingénieurs, très peu de scientifiques qui sont en fait dans ces VCs. […] Pour créer des GAFAMs, pour créer par exemple openAI, Sam Altman est issu du monde des Computer Scientists, regardez Elon Musk, il est Computer Scientist, vous regardez Mark Zuckerberg, il est Computer Scientist, et en fait pour créer les GAFAMs de demain ça va venir en fait des gens qui ont une forte culture scientifique ou alors qui ont des cultures qui sont différentes ça peut être des gens qui ne sont peut-être pas sortis d’école d’ingénieur, des gens qui sont très différents mais les VCs sont bloqués dans un mindset et les gens dans l’écosystème en général aussi. […] Par exemple Mistral à l’époque où Arthur Mensch, Guillaume Guillaume Lample et Timothée Lacroix ont fait leur première levée de fonds, uniformément tous les VCs ont tous dit ah oui c’est trop bien ce qu’ils font « ouais mais bon enfin c’est des chercheurs quoi », ils ne savent pas sortir du moule de CEO qui a fait HEC. »

Mehdi, je vais passer au « tu » parce que je ne sais pas faire « vous » quand je connais quelqu’un depuis quelques années. On t’a soutenu au start-up studio mais avant de parler d’entreprise, on y reviendra tout à l’heure, je me souviens peut-être tu n’as pas envie de trop d’en parler mais tu as écrit un magnifique essai sur ce que c’est un écosystème qui fonctionne pour l’entrepreneuriat. Je l’ai relu il y a deux jours, c’était en 2017 je pense, est-ce que 8 ans après tu as la même vision des faiblesses de l’écosystème et de ce qu’un pays doit faire pour favoriser des gens comme toi ?

« alors oui et encore plus malheureusement encore plus et je vais expliquer pourquoi. Oui l’argent est un enjeu, mais même Sam Altman aujourd’hui qui est à la tête d’OpenAI qui vient de faire, qui vient de dire qu’il fait 10 milliards de chiffre d’affaires annuels il a des problèmes de financement. Mais pour moi le problème pour moi, le gros problème de l’écosystème c’est l’ambition, c’est l’ambition des entrepreneurs européens. En Californie il vous dirait « je vais changer le monde, ils ont une ambition qui n’a pas de limite et attention c’est pas génétique, ils sont entraînés pour ça, ils ont des accélérateurs comme Ycombinator, ils ont des advisors, souvent ils sont coachés par d’autres entrepreneurs qui ont eu des exits ou qui ont fait des très grosses boîtes et ils sont dopés à l’ambition ce qui nous manque je trouve ici.[Ce qui manque aussi] c’est des investisseurs qui marchent aussi au feeling, qui marchent à l’ambition d’entrepreneur, qui vont aller se battre pour un dossier à un milliard ou cent milliards. L’argent c’est pas le problème principal pour moi parce que il y en a de l’argent enfin surtout en seed en France avec la BPI. Après c’est l’ambition qui doit matcher, et l’exécution bien sûr, l’exécution c’est pas simple, mais voilà Arthur Mensch a levé 100 millions sur des slides en 3 mois parce qu’il avait une ambition à ce moment-là. « Malheureusement en Europe on est encore dans un écosystème où on fait de la technologie avec de l’argent là où d’autres font de l’argent avec la technologie ». […] Sam Altman a coaché plus près de 1000 start-up quand il était à la tête de Ycombinator, il a vu un écosystème, il a vu des innovateurs, il s’est entraîné c’est pour ça qu’aujourd’hui il dit on fera une IA générative, une IA qui sera une société qui fait 1 milliard, une personne pourra faire un milliard de valeur grâce à une IA et un seul salarié mais parce qu’ils sont entraînés après attention ce sont ce que Alain Damasio appelle des hyperstitions [https://en.wiktionary.org/wiki/hyperstition] on est au-delà de la superstition parfois on tombe dans le mensonge on tombe dans l’idéologie donc nous en Europe on fait un peu plus attention. [Aux USA on dit] « fonce, vas-y, on te soutient, on va y aller avec toi » mais aujourd’hui je ne connais pas quelqu’un en Europe qui agirait ainsi parce qu’ils sont entraînés aux USA. C’est vraiment un INSEP des entrepreneurs qu’il nous faut. » […] Entreprendre c’est comme jouer au poker vous avez des cartes en main et puis il y a des cartes qui arrivent et au fur et à mesure que vous devez vous adapter. Il nous faut des gens qui nous dégagent, qui nous dégagent pas en tant qu’entrepreneurs !, mais qui nous dégagent de la bande passante pour être capable de comprendre ce qui est en train de se passer pour moi c’est des advisors qui ont fait la Ligue des Champions. »

Alexis Robert : « Je suis très aligné avec Mehdi […] il y a [tant de personnes qui] vous refusent parce qu’en fait vous ne parlez pas dans les langages du moule. En fait c’est ça le problème qu’il y a aujourd’hui, c’est qu’en fait l’entrepreneur se sent seul et certains types d’entrepreneurs qui ont un parcours scientifique et technique ne savent pas où se tourner et aujourd’hui ce qui se passe à San Francisco, ce qui fait que San Francisco c’est génial, c’est parce qu’en fait vous sortez de l’avion directement vous avez l’impression d’être accepté en tant que geek, vous avez l’impression d’être à votre place, vous avez des « role models » qui sont là pour vous, qui vous tirent vers le haut, vous avez l’impression que vous aussi vous pourrez pouvoir faire ça et en plus après il y a un sens de la communauté qui est extraordinaire ; vous arrivez, vous êtes dans la rue, vous parlez avec un VC, bah, il vous écoute ou pas, vous avez Sam Altman qui passe dans la rue et vous pouvez lui dire bonjour, vous vous asseyez dans un café et vous parlez, vous avez des entrepreneurs à qui parler, la parole est facile les introductions faciles et fluides, vous pouvez vous entourer de gens qui vous permettent d’apprendre et de vous améliorer parce que, comme ce qui a été dit au premier panel, si vous avez compris la relativité générale, réussir à pitcher c’est pas très compliqué, vous allez réussir à le faire et en fait voilà c’est ça que je voulais dire. »

Je m’arrête ici et les gens en on dit beaucoup plus. C’est injuste de ne pas tout partager… Mais je pense que cela donne une idée des défis et des opportunités !


La Tour Triangle en construction par Herzog et de Meuron, en sortant du Salon Vivatech, voir aussi sur Instagram

La Deeptech et ses défis en France

Inria a organisé lors du salon Vivatech un atelier sur le sujet “Deeptech : are we ready to scale?”

Les échanges ont été riches, profonds, passionnants. Je suis bien sûr biaisé puisque j’en étais un co-organisateur, mais j’ai rarement eu un tel plaisir lors de discussions sur le sujet. Alors je vais en faire une synthèse subjective en ajoutant mes propres commentaires sur différents sujets qui me sont chers. [Il seront entre crochets et en italique]

Qu’est-ce que la Deeptech ?

Ce fut le point d’entrée de Théau Peronnin, fondateur et CEO d’Alice & Bob. « C’est avant tout une technologie qui va avoir deux attributs fondamentaux : le premier c’est un ancrage très profond dans la science. Si vous pouvez comprendre cette techno directement en sortant d’école de commerce c’est peut-être que c’est pas encore tout à fait une deeptech […] Son deuxième attribut c’est celui d’avoir une capacité à créer des entreprises des acteurs ou des produits qui vont avoir une nature stratégique dans l’économie. »

[Lors d’une autre table ronde, j’avais entendu que le mot était apparu quand l’internet, le B2B/B2C et le SaaS avaient dilué la technologie dans les excès de « passemoilesel.com » mais que fondamentalement la high-tech des années 80 et la deeptech des années 2010 sont les deux faces d’une même pièce. J’ajouterais que si quelque chose est brevatable, c’est sans doute de la Deeptech.]

Théau Peronnin a ensuite donné son point de vue sur les défis de l’écosystème français. « Je peux vous le dire très simplement : en France, on est extrêmement fort sur l’opportunité initiale, on a des talents incroyables. On est quand même premier ex aequo en nombre de médailles Fields avec les Américains alors qu’on est cinq fois moins nombreux. » […] « Et puis on a un écosystème early-stage de venture capital qui a su se mettre en place ces dernières années, peut-être même un petit peu trop ; on pourrait dire enfin peut-être qu’il est légèrement saturé. » […] « Les faiblesses, elles sont vraiment sur les étapes plus aval de la vie d’une deeptech. On a un sujet qui est parfaitement connu mais qui est loin d’être craqué qui est celui du financement des étapes de croissance forte dites de growth, ce moment où des entreprises comme Alice et Bob vont chercher à mobiliser des capitaux de plusieurs dizaines de millions d’euros, de plusieurs centaines de millions d’euros pour continuer à faire cette course de R&D au niveau international ». [C’est un sujet qui va être abordé plus loin et je ne suis pas sûr que ce soit le sujet principal, mais le débat existe sans aucun doute. Voir plus bas !] « Il n’y a pas d’acteurs européens adéquats ce qui créée effet d’anticipation sur toute la chaîne de valeur et qu’il y a une certaine frilosité des fonds a vraiment déployer ces capitaux avec intensité avec audace en deeptech. » […] « la Silicon Valley tire son nom des deeptech des années 70-80, 90 dans le silicium qui ont créé des générations de fortune d’individus avec un très fort appétit pour cette deeptech et qui donc derrière ont fléché leurs capitaux vers ces fonds d’investissement qui continuent à investir dans ce domaine là.En Europe il n’y a pas ces fortunes, elles ont été faites ailleurs, elles sont dans d’autres domaines et donc on n’a pas encore ces bons produits d’où le rôle important de l’État pour amorcer la pompe. »

« Un dernier point pour introduire la table ronde sur l’humain qui est le rapport à la prise de risque. La France a une école en tout cas, un regard sur les études et le monde académique très tourné vers l’excellence qui est peut avoir comme travers, enfin tarte à la crème, de dire qu’on a une certaine peur de l’échec et ça se voit dans à mon avis dans certains dispositifs qui mériteraient d’être repensé notamment celui de la loi pacte pour le détachement à temps partiel des chercheurs et là c’est une opinion très personnelle que je souhaite partager avec vous qui est celle de dire qu’il n’y a pas d’entrepreneuriat sans prise de risque. Il faut se mouiller, il faut mettre sa carrière en jeu quelque part, il faut avoir du « skin in the game » comme disent des anglo-saxons et peut-être que dans ce dispositif là il y a donc dans ce détachement à temps partiel, un confort à se savoir encore bien protégé au sein de son organisme de recherche tout en essayant de profiter du plaisir de l’entreprenariat. A mon sens, il faut y aller à fond et ça veut dire qu’il faut être capable de pouvoir revenir après un échec d’une start-up dans le monde académique et donc peut-être que le levier pour permettre plus d’audace c’est de rendre le monde académique plus attrayant pour des profils avec des carrières hybrides passées par le monde de l’entrepreneuriat voilà pour lancer cette table ronde sur le thème de l’humain ces hommes et ces femmes qui font l’entrepreneuriat de demain. »

La Deeptech c’est avant tout des bipèdes !

Théau Peronnin est revenu sur le sujet de l’humain à travers un vrai problème : « un sujet très difficile qu’on a c’est celui de la parité, la diversité homme-femme, qui est horriblement difficile à craquer parce que nous, on arrive en toute fin de chaîne alimentaire de la formation de ces profils. Avant tout des profils techniques, pas mal d’entre-soi sur le fait de passer par les grandes écoles avec tout le biais socioculturel qu’il y a dans ces grandes écoles et quand même une diversité internationale on doit avoir entre 20 et 30 nationalités 30 % de non francophones dans l’équipe donc moi pour faire une petite démographie de chez nous.

Xavier Duportet amplifie cet aspect humain : « nous on a des gens qui sont un peu fous parce que pour se lancer dans la deeptech [où] moins de 2% des projets arrivent jusqu’à un produit mature sur le marché […] pour se lancer il faut être un peu fou, il faut être naïf aussi, je pense, et il faut penser que ce qui est impossible peu de venir possible. Il y a plein de choses qu’on ne connaît pas et donc l’inconnu fait partie de notre travail de tous les jours. » […] « Le plus important pour nous c’est pas forcément l’expérience c’est surtout la curiosité et que les gens soient entreprenants parce que dans la deeptech on ne peut pas juste appliquer les principes, appliquer les choses qu’on a déjà apprises, il faut toujours être prêt à se confronter à la failure quasiment tous les jours et donc il faut des gens qui acceptent de se remettre en question et qui au fond d’eux sont vraiment des gens entreprenants. »

Jean-Michel Dalle : « il y a des bipèdes motivés qui viennent nous parler de microbiome ou des bipèdes motivés qui viennent nous parler d’ordinateurs quantique. Celui ou celle qui ne verrait pas les choses sous cet angle là, c’est à dire sous l’angle des bipèdes, il rate quelque chose. Bien sûr on va aller vérifier que le projet d’ordinateur quantique c’est pas n’importe quoi, qu’ils ont pas inventé ça un dimanche matin après le marché. Mais donc mais si on ne regarde pas la chose via les fondateurs et les fondatrices à mon avis il faut changer de métier. »

Théau Peronnin : « le vrai sujet c’est que la passion du chercheur, c’est de comprendre mais le problème avec ça c’est qu’on récupère tout le tout le fruit du plaisir de son travail très tôt dans la vie du produit. J’ai compris ce que je devais craquer pour apporter cette machine, mais on a fait malheureusement que 5 ou 10% du travail pour vraiment livrer le système. Derrière il faut robustifier, productifier, distribuer, repositionner. Il y a tout un enjeu : comment est-ce qu’on apprend à prendre du plaisir non pas dans le fait d’avoir compris mais dans le fait de soit de faire comprendre à l’autre mais même plus que ça de faire adopter par l’autre ce qu’on a craqué et ça c’est c’est un muscle à développer qui est assez différent. »

Xavier Duportet : « c’est pas une technologie, c’est pas une science qui va changer le monde ou sauver le monde mais c’est un produit et ça souvent c’est ce qui pêche. On voit beaucoup encore de chercheurs qui ne pensent que sciences, que technologies et qui n’arrivent pas à faire ce switch dans leur tête en disant comment est-ce qu’au final je ne vends pas ma science mais je fais rêver des gens, je fais rêver ces gens sérieux [les investisseurs] que je vais être capable d’être cette personne qui va transformer une science en un produitn qui va générer une plus-value pour la société mais avant tout aussi pour les investisseurs.

Marie Paindavoine : « j’ai eu la chance au début d’être accompagnée dans l’entrepreneuriat par des structures issues du monde académique donc d’abord par INRIA et après par l’université de Berkeley aux États-Unis qui a un programme d’accélération et c’est vrai que ça m’a permis grâce à eux d’apprendre à transformer ce discours scientifique en un discours d’entrepreneur et d’ailleurs le programme d’accélération de l’université de Berkeley pendant six mois on fait que répéter le pitch de l’entreprise et apprendre à convaincre en fait parce que finalement et il nous le disent finalement vous avez fait le plus dur, vous avez une super technologie, tu as réussi à faire une thèse en cryptographie, enfin tu as fait le plus dur, Marie, maintenant apprendre le marketing ça va te prendre deux mois mais il faut que tu t’y mettes pendant deux mois et c’est là où on a besoin de s’entourer, d’avoir cet écosystème qui permet aux personnes de se former parce que après tout si on a réussi à faire un doctorat, on est capable de continuer à se former sur le métier de l’entrepreneuriat mais il faut trouver ces gens qui arrivent à voir non pas la valeur de la technologie scientifique telle qu’on peut la présenter aujourd’hui mais une sorte de valeur projetée de cette technologie.

Xavier Duportet : « sur les gens et le réseau et l’écosystème moi j’ai aussi eu la chance de faire une thèse entre INRIA et le MIT. Au début je voulais être chercheur et quand je suis arrivé au MIT, j’ai vu tous ces gens qui entreprenaient, ces professeurs qui devenaient entrepreneurs, c’est là où j’ai compris j’étais inspiré par cette génération de chercheurs entrepreneurs en me disant mais en fait si on veut vraiment changer le monde c’est pas de la recherche c’est de l’entrepreneuriat et aujourd’hui aux US, il y a donc la Silicon Valley, elle a été créée il y a déjà 20 ans, 30 ans comme le disait Théo il y a toute cette génération maintenant, pas de papys mais de personnes un peu plus âgées qui ont réussi et donc en fait il y a un « network effect » aux US qui est super important, c’est la génération d’entrepreneurs qui ont déjà réussi qui sont là pour aider et transmettre ils l’ont fait ils ont fait des erreurs et ils servent vraiment de mentor et c’est là où on a une opportunité assez intéressante, et on ne peut pas en France vouloir mettre la charrue avant les bœufs, on a ce que ce qu’a fait, la BPI, tous les instituts de recherche, le changement qui a été amorcé depuis 10 ans, on commence à avoir ces entreprises qui deviennent sur le plan international, des leaders. »

Matthias Schmitz : « What we have started to do recently is to invest in an entrepreneurial mindset much earlier in the education of our students so we are trying to roll out programs where we bring entrepreneurship into all the faculties. For example, the university of Saarland is investing €1.5M every year with the goal that every single student that we have, whether it is a business student, whether it is a Romanistic student or an engineering student has at least one time during his studies thought whether entrepreneurship can be a career option for himself and by doing that I think we try to solve the problem a little bit earlier, bring the mindset in the heads of the people and not having to have people jump into the too cold water at the moment where they are already at the PhD level. »

Marie Paindavoine sur le fait d’être femme entrepreneur : « tu veux la version qu’on entend en France ou aux États-Unis ? les deux ! alors on n’entend pas la même chose en France et aux États-Unis. En France, on m’a tout de suite demandé si je comptais m’associer à un directeur général en insistant sur le « un », on m’a déjà demandé après ma présentation enfin bon bref je vais pas toutes les faire en fait parce que ça n’a aucun intérêt mais mais effectivement il y a un halo de suspicion on va dire ça comme ça. Aux États-Unis alors je ne dis pas qu’ils sont meilleurs qu’en France parce que je suis arrivé à l’université de Berkeley, à l’accélérateur de l’université de Berkeley, 2000 candidatures, 30 start-ups retenues, 2 femmes CEO donc il ne sont pas beaucoup meilleurs. En revanche une fois qu’on atteint ce niveau de sélection quand je dis que j’entreprends avec des enfants, on va me féliciter plutôt sur le niveau d’énergie que ça demande au lieu de me demander comment je vais faire garder mes enfants et si mon mari est d’accord pour que j’entreprenne avec mes enfants, ce qu’on m’a déjà demandé en France.

Je vais m’arrêter ici et faire un nouveau post sur la seconde table ronde !

Silicon Valley : l’effondrement ?

Excellent numéro de FUTU&R, le magazine de Usbek & Rica dont le dossier principal s’intitule Silicon Valley, chronique d’un effondrement.Il ne fait pas bon ces derniers temps d’être un fan de la région. Si vous suivez mon blog, vous avez pu voir mes difficultés à comprendre ce qui s’y passe. Le dossier y contribue et vous découvrirez des personnages douteux comme Curtis Yarvin, Balaji Srinivasan, Palmer Lucky en plus des célèbres Peter Thiel, Marc Andreessen, David Sacks et même Larrry Ellison. Le dossier est un peu à charge mais c’était la règle du jeu puisque la magazine « imagine comment l’eldorado de la tech pourrait s’effondrer ».

Le magazine a eu la bonne idée d’ajouter l’avis éclairé d’Olivier Alexandre, souvent mentionné sur ce blog, notamment comme auteur de La Tech. J’en ai scanné en basse définition les contributions et j’espère que le magazine me pardonnera cette entorse au droit d’auteur. Je vous encourage évidemment à acheter un exemplaire !

Je vais me contenter de commenter ce que dit Olivier Alexandre et je terminerai ce post en évoquant un sujet connexe à travers un article scentifique assez récent, The Role of Universities in Shaping the Evolution of Silicon Valley’s Ecosystem of Innovation (pdf)

« Est-ce qu’on assiste à l’effondrement de la Silicon Valley ? Ce qui est sûr c’est qu’elle est à la croisée des chemins. Historiquement la tech s’est pensée comme une industrie de solutions, sauf que ses solutions sont désormais nos problèmes. [..] Force est de constater qu’on n’entend plus de voix dissidentes. Il y a toujours eu des débats dans la Vallée, mais la frange suprémaciste de la tech, à laquelle appartiennent les soutiens de Trump comme Peter Thiel ou David Sacks était minoritaire, noyée dans la masse. […] On a fait de Steve Jobs et des entrepreneurs du software des stars et résumé l’histoire de la Silicon Valley au succès d’une contre-culture hippie alors que c’est avant tout une histoire de transistors, de microprocesseurs et d’ingénieurs aux vies parfaitement normées. »

En effet la région était une république d’ingénieurs avec des allers et retours entre concurrence forcenée dans un monde global et dérégulation et isolationnsime ponctuel permettant des monopoles. Dans les années 80, la menace était le Japon et l’industrie du semiconducteur avait fait appel à l’Etat pour sa survie (après avoir profité des flux d’argent public au plus haut de la guerre froide deans les années 60.) J’ai dit récemment ma difficulté à touver des voix dissidentes.

« En 2022, la conjoncture a changé et les Big tech ont commencé à licencier. Depuis ils dégraissent chaque année 5% de leur masse salariale. »

Sur ce point je suis en désaccord avec le constat. En 2009 et 2013 par exemple, Google avait réduit sa workforce de 5% aussi. J’avais entendu que Cisco se séparait chaque année de 5% de sa workforce « la moins performante ». La région était si dynamique qu’on en parlait très peu. Les conditions de travail ont toujours été « rudes et exigeantes ». Un monde d’ingénieurs sans aucun doute. Il nous a apporté les ordinateurs et les smartphones, l’internet, donc des possibilités d’agir. Il a aussi contribué à créer d’immenses biais parce que sans doute l’utilisation de la science et de la techologie ne sont jamais totalement neutres.

« La question qui est posée au monde, c’est celle du lien entre nouvelles technologies, innovation et progrès qui sont trois notions très différentes. Historiquement les innovations qui ont eu un impact durable sont peu nombreuses : les montres, les lunettes, le jean… Or, aujourd’hui, la Silicon Valley crée majoritairement des innovations très éphémères. »

Tom Kleiner allait plus loin en mentionnant l’imprimerie, la machine à vapeur, l’électricité et enfin le transistor comme innovations changeant la civilisation. C’est sans doute proche de la réalité.

Et Olivier Alexandre ajoute une belle question : « Les produits proposés reposent essentiellement sur la promesse de nous faire gagner du temps. Mais que perdons-nous quand nous gagnons du temps ? »

Et de conclure (provisoirement) : « Dubai est un l’un des rares endroits qui a su rendre le futur sexy, unevision optimiste de l’avenir : la pluie sans nuage, des iles sans terre, la neige sans montagne. Mais surtout le progès echnoque sans démocratie. Le tout dans une zone de vulnérabilité où la question des ressources, de l’alimentation et de l’habitat s’est toujorus posée. D’uen certiane manière, l’Europe incarne l’inverse: la démocratie, au pri parfois du progrès technique. »

Ce n’est pas la première fois que l’avenir de la Silicon Valley a semblé sombre. Vous pouvez retrouver par exemple les prévisions d’AnnaLee Saxenian dans un post intitulé La Silicon est-elle (re)devenue folle ? : « En 1979, j’étais étudiante à Berkeley et j’étais l’un des premiers chercheurs à étudier la Silicon Valley. J’avais terminé mon programme de Master en écrivant une thèse dans laquelle je prédisais avec assurance que la Silicon Valley allait cesser de se développer. Je soutenais que les coûts du travail et du logement étaient excessifs et que les routes étaient trop encombrées, et tandis que le siège social et la recherche des entreprises pourraient y rester, j’étais convaincue que la région avait atteint ses limites physiques et que la croissance de l’innovation et de l’emploi se produirait ailleurs durant les années 1980. Et il se trouve que je m’étais trompée. »

Aucun doute la région est à une nouvelle croisée des chemins ! Mais je n’ai pas fini, voir plus bas.

J’ai promis plus haut de parler d’un article scientifique datant de 2020. J’en traduis une partie de la conclusion :

Silicon Valley : une métaphore en quête de structure ?

La Silicon Valley est une métaphore d’une région dépourvue de structure gouvernementale viable. Elle en est au stade de New York, avant sa consolidation en une ville unifiée en 1989. À l’exception notable de l’écologie de la Baie, un inconvénient est apparu : un déséquilibre public-privé révélant des lacunes en matière de logement et de transports. Répartie sur une multitude de comtés et de villes, la Silicon Valley ne dispose pas des capacités de gouvernance suffisantes pour faire face aux conséquences négatives de son succès fulgurant.
Un déséquilibre supplémentaire dans les capacités universitaires résulte en partie d’un plan directeur vieux de plus d’un demi-siècle, segmentant strictement la sphère universitaire publique, ce qui a limité l’avancement institutionnel individuel. Ce déficit a été en partie comblé par la création de campus annexes par des universités d’autres régions du pays, comme Carnegie Mellon et la Wharton School, qui, ironiquement, traitent la région comme une zone sous-développée, du moins en termes de capacités universitaires. De plus, le financement public des universités publiques a considérablement diminué, passant de 40 % du budget de Berkeley dans les années 1980 à 14 % aujourd’hui. Cet écart est en train d’être comblé par une campagne de financement massive qui devrait permettre de lever 6 milliards de dollars et d’augmenter le nombre de postes de titulaires dans les universités dans les années à venir.
Rééquilibrer la Triple Hélice nécessitera également une interaction accrue entre les différents secteurs, un phénomène en déclin ces dernières décennies, mettant en péril l’innovation et la capacité d’accueil à long terme de la région. Le développement économique innovant et durable de la Silicon Valley ne dépend pas seulement de la présence d’universités performantes, mais aussi de la manière dont elles interagissent et chevauchent leurs rôles avec les autres acteurs du modèle de la Triple Hélice, en recherchant des objectifs stratégiques communs et en identifiant les problématiques transversales qu’aucune d’entre elles ne peut traiter individuellement. Les interactions entre l’université, l’industrie et le gouvernement, dans un environnement hautement dynamique et volatile, représentent une opportunité unique de se remettre de la crise économique, de créer de nouveaux emplois et de promouvoir un développement prolifique, inclusif et économiquement durable des régions à long terme….

Deux belles histoires de startups récentes (pas dans la Silicon Valley, mais toutes deux acquises par Google) – partie 2 : wiz.io

En lisant quelques articles sur Deepmind (la partie 1 de ce post) et sur les fondateurs de Adallom et wiz.io, me sont revenues en mémoire d’autres histoires de startup européennes ou fondées par des Européens. Je pense à Spotify (voir mes posts en 2022 et 2018) ou VMWare (voir un post plus ancien de 2010). On y voit que l’ambition plus ou moins jugulée a conduit à des résultats différents. Wiz ou Spotify ont des valorisations en dizaines de milliards, Deepmind, Adallom et VMWare (1ere acquisition) en centaines de millions alors que la seconde acquisition de VMWare fut également en dizaines de milliards. Je ne sais pas s’il y a un pattern ou si je le crée artificiellement, mais c’est un peu comme si une acquisition en centaines de millions était un semi-échec lié à la crainte d’une concurrence trop forte ou de l’impossibilité de poursuivre une aventure indépendante.

La double aventure des fondateurs de Adallom et Wiz.io va un peu dans ce sens. J’ai lu quelques articles dont vous trouveez la référence en fin d’article. Et je vais donner les leçons tirées par Assaf Rappaport de ces deux histoires. Une première réussite, Adallom rachetée en 2014 par Microsoft pour $320M puis une seconde, wiz.com rque Google a proposé d’acheté il y a quelques jours poru $32B soit 100 fois plus… Contrairement à Deepmind, je n’ai pas eu accès à des documents précis, j’ai donc dû faire quelques hypothèses comme quelques autres (voir [2]) et recouper les informations disponibles en ligne. Voici les deux tables de capitalisation. Mais ici aussi, les conseils donnés (que je reprends plus bas) sont tout aussi importants que ces données.

Tout d’abord ce que je retiens des tableaux :
– Quatre fondateurs dont l’histoire est classique en Israel (voir [1]) créeen Adallom puis wiz.io. En réalité, moi qui ne suis pas un grand fan du concept de serial entrepreneurs, je me demande si wiz.io n’est pas plutôt le passage à l’échelle de Adallom comme VMWare (2ème période) le fut pour VMware (1ère période) ou en poussant très fort le prix Nobel de Demis Hassabis le passage à l’échelle de Deepmind ! On lit dans la presse que les fondateurs avaient gagné environ $25M avec Adallom selon certains et $3B avec wiz.io là aussi un facteur 100x environ.
– Les mêmes fonds de capital-risques et partenaires sont les investisseurs – Gili Raanan pour Sequoia puis Cyberstarts et Shardul Shah pour Index. C’est assez rares pour être mentionnés d’autant plus que ces fonds sont intervenus à l’amorçage.
– Pour Adallom, des multiples de 24x pour les series A, 7x pour le series B et 2x environ pour le series C.
– Pour wiz.io, des multiples de 475x pour le seed, 73x pour le A, 20x pour le B, 5x, 3,éx et 2,7x pour les C, D et E.

Tout cela est discutable, mais pas inintéressant et il y a un côté un peu loterie. Ne me méprenez pas. le succès est rare, jamais garanti. Je me souviens d’une startp à qui une propostion d’achat de $300M avait été faite. Fondateurs et/ou investisseurs ont décliné pensant qu’il valaient plus. Au final, l’acquisition se fit pour un montant de $10M.

A ce sujet il faut sans doute lire le point de vue sur Shardul Shah (Index) sur LinkedIn (Index Ventures just cemented its place as one of the all-time VC greats). J’en extrais et raduis un passage de citations : « Je ne sais pas pourquoi on parle de moyennes ; aucun de nous ne s’intéresse au retour à la moyenne. » […] « ​​Je ne recherche pas des rendements moyens. Je ne recherche pas de bonnes affaires, je recherche des valeurs aberrantes. » […] « ​​Je ne recherche pas le confort. Il faut accepter l’inconfort. Notre métier, c’est la prise de risque. Je ne suis pas un investisseur axé sur la valeur, n’est-ce pas ? Je crois à la loi de puissance. » […] « ​​Le plus difficile, c’est de savoir si l’on est dans l’illusion ou si l’on est convaincu. Parfois, la frontière peut sembler ténue. »

Enfin j’extrais les leçons de Assaf Rappaport :

1. L’équipe est plus importante que l’idée. Une startup ne se construit pas autour d’une idée, qui évoluera de toute façon, mais autour d’une équipe. Les meilleurs fonds de capital-risque investissent dans les talents, et non dans des produits, des idées ou des business plans. Autre point important : ne tardez pas à rencontrer les meilleurs fonds. Ne les laissez pas pour la fin.
2. Celui qui écoute les problèmes trouvera des idées. Lorsque vous rencontrez des clients, vous ne venez pas pour les convaincre, mais pour apprendre d’eux. Si vous avez parlé pendant plus d’un quart de la réunion, la conversation n’était pas intéressante. Les clients ont des problèmes dont vous ignoriez l’existence, et la meilleure façon de les découvrir est d’utiliser des points d’interrogation, pas des points d’exclamation. Autre point important : il faut un peu de chance.
3. « Non » est la bonne réponse pour déterminer le sérieux de l’investisseur. Quel que soit le type d’offre que vous recevez – investissement ou acquisition –, la seule réponse est : « J’apprécie vraiment votre offre, mais non merci. » Ce genre de réponse n’a jamais découragé un investisseur ou une entreprise déterminés – et s’ils ne le sont pas, ils n’investiront de toute façon pas. Autre point important : vous devez préparer un plan média, interne et externe ; en cas de fuite, vous n’aurez que le temps d’appuyer sur le bouton « Envoyer ».
4. La sortie n’est que le début d’un travail difficile. Au lendemain de votre fusion avec un géant, n’attendez pas que les options vestent. Adoptez plutôt une approche commando : nous faisons partie d’une grande armée, mais nous appartenons à une unité d’élite.
5. N’ayez pas peur de l’activisme. Dans toute entreprise, il arrive un moment où il faut donner un coup de pouce aux dirigeants conservateurs, puis passer à l’action. Pour offrir un environnement de travail optimal et recruter les meilleurs collaborateurs, il faut faire preuve de courage et prendre position, en s’engageant dans un militantisme social qui favorise un formidable esprit d’équipe.
6. Respirez profondément et n’expirez pas trop vite. Ne vous laissez pas aveugler par l’argent : utilisez-le plutôt pour acquérir rapidement des clients payants, refuser des offres d’acquisition de plusieurs centaines de millions de dollars et développer rapidement votre entreprise pour en faire une licorne.
7. Aujourd’hui, il est possible de surpasser tout le monde avec un ordinateur et Zoom.

A nouveau la prise de risque et l’ambition sans limite.

Références :
[1] : 7 lessons from reaching a $1.7 billion valuation in just one year https://www.calcalistech.com/ctech/articles/0,7340,L-3904610,00.html
[2] : WIZ, Esprit, es-tu là? Comment les fondateurs de Wiz refont des miracles après le succès d’Adallom https://trivialfinance.substack.com/p/wiz-esprit-es-tu-la

Deux belles histoires de startups récentes (pas dans la Silicon Valley, mais toutes deux acquises par Google) – partie 1 : DeepMind

Je dois probablement admettre que j’ai un penchant pour les startups dirigées par des fondateurs tech. C’est ce que je défends depuis des décennies. Alors, quand je lis des histoires qui vont dans ce sens, je suis plus que ravi. Récemment, des amis m’ont parlé d’un documentaire intituléThe Thinking Game.

Je ne sais pas pourquoi je n’avais pas analysé DeepMind plus tôt, d’autant plus qu’il est assez facile de trouver des informations sur les entreprises britanniques, et il s’agit d’une startup britannique. Vous m’avez bien lu ! J’ai établi sa table de capitalisation lors de son acquisition par Google en 2014 pour environ £400M.

Ce que j’ai lu dans la table :
– 3 ou 4 cofondateurs principaux, mais Demis Hassibis détenait la plus grosse participation initiale (80 %).
– Les investisseurs ont pris un risque élevé car l’entreprise ne disposait initialement que de peu de choses si ce n’est de talent (et aucun chiffre d’affaires avant son acquisition ?).
– Les investisseurs principaux, ou du moins les plus célèbres, étaient Peter Thiel et Elon Musk.
– L’entreprise n’a pas levé beaucoup de fonds : 2 millions de livres sterling en février 2011, 15 millions en décembre 2011/février 2012, puis 25 millions en 2013, avant son acquisition par Google pour 400 millions en janvier 2014.

Voilà pour les données de base. Plus importantes encore, les leçons de l’article que mes amis m’ont envoyé sont les suivantes :
– Premièrement, DeepMind allie une clarté stratégique irréprochable à une flexibilité tactique infinie. Ce qui transparaît dans le film, c’est l’extraordinaire propension de l’entreprise à expérimenter sans relâche et à échouer sans cesse.
– Deuxièmement, la mission de DeepMind l’a aidée à recruter des scientifiques talentueux, essentiels à sa réussite. Lors d’une discussion après le film, Hassabis a expliqué qu’il avait toujours résisté à la pression des investisseurs pour déménager dans la Silicon Valley et qu’il était déterminé à rester à Londres. « Le Royaume-Uni a toujours été très fort en science et en innovation et possède une riche histoire en informatique », a-t-il déclaré. « Nous essayons de perpétuer cette tradition.» Hassabis estimait qu’il y avait beaucoup de talents universitaires sous-utilisés en Europe, et ailleurs, qui pourraient être attirés par Londres. Et c’est ce qui s’est avéré.
– Troisièmement, la réussite de DeepMind a été essentielle à sa capacité à évoluer rapidement. En 2010, peu de capital-risqueurs étaient prêts à s’approcher d’une startup aux ambitions aussi extravagantes et dépourvue de business plan. Une grande partie de son capital initial provenait d’investisseurs américains, dont Peter Thiel et Elon Musk. L’entreprise s’est également sentie obligée de se céder à Google en 2014 pour se doter des capitaux, des données et de la puissance de calcul nécessaires pour rester à la pointe de l’IA. (Ces ressources supplémentaires étaient également essentielles pour recruter et fidéliser les meilleurs talents.)

Souvent, pour ne pas dire toujours, les mêmes leçons sur la prise de risque et l’ambition…

PS : Je n’ai pas encore regardé le film, je modifierai donc peut-être ce message dans un avenir proche.

50 ans de transfert de technologie à l’Université de Stanford

Je reviens à mon sujet de prédilection, la Silicon Valley, après quelques digressions. Je viens de redécouvrir un papier de 2022 intitulé Systematic analysis of 50 years of Stanford University technology transfer and commercialization. Le papier complet est disponible ici. En guise de commentaire annexe, cela a été motivé par des articles récents sur le Transfert de Technologie en France et plus particulièrement l’étude intitulée « Étude sur la performance des SATT vis-à-vis d’une sélection d’OTT ». Malheureusement, l’étude ne semble pas être publique et je n’ai pu lire que des commentaires à son sujet.

J’ai beaucoup publié sur l’Université de Stanford. Le moteur de recherche donne ici les articles. Je ne vais donc pas rentrer dans les détails mais juste extraire ce que j’ai trouvé intéressant pour ne pas dire surprenant. Et voici :

il s’agit d’argent, mais pas seulement d’argent.

« Le revenu net total des inventions pour toutes les années considérées est de 581 millions de dollars, et le revenu net moyen est de 0,13 million de dollars. Dans l’ensemble, la plupart des inventions ont un revenu net négatif, et seulement 20 % des inventions de cet ensemble de données ont produit un revenu net positif. » Plus loin dans le document, « L’octroi de licences d’invention via des OTL ne représente qu’une facette du transfert de technologie de l’université à l’industrie, bien qu’il s’agisse d’une facette importante. [Et] nous nous concentrons principalement sur le revenu net comme mesure de résultat, car il est simple à quantifier et constitue une mesure clé de la propre évaluation de l’OTL. Cependant, il est important de noter que les revenus de licence ne reflètent pas complètement l’impact, et la recherche de revenus de licence n’est pas l’objectif ultime de l’OTL de Stanford. »


Aperçu des données sur les inventions de Stanford : Nombre d’inventions par année commercialisées par l’Office of Technology Licensing de Stanford. La couleur des barres indique si le revenu net cumulé (jusqu’au 31 juin 2021) est positif.

les inventions les plus rentables sont majoritairement concédées sous licence par les startups des inventeurs eux-mêmes.

« Environ 20 % des inventions ont été concédées sous licence par les startups des inventeurs, ce que nous appelons « l’auto-licence ». Globalement, le taux d’auto-licence augmente au fil du temps. Le pic intéressant du taux d’auto-licence en 1995-1999 pourrait être lié à la bulle Internet. Nous avons également constaté que les inventions à revenu net élevé sont principalement des inventions concédées sous auto-licence. Par exemple, toutes les inventions qui ont généré plus de 10 millions de dollars de revenu net sont concédées sous auto-licence, et le taux d’auto-licence pour les inventions dont le revenu net est compris entre 1 et 10 millions de dollars est de 59 %. En revanche, le taux d’auto-licence pour les inventions dont le revenu net est inférieur à 10 000 dollars est de 16 %. Ce résultat est cohérent avec des recherches antérieures montrant que les startups ayant des liens directs avec l’université ont tendance à avoir plus de succès que les startups par ailleurs similaires ». Il y a un commentaire annexe plus général ici : « Shane et al. « Nous avons constaté que les nouvelles entreprises dont les fondateurs ont des relations directes et indirectes avec les investisseurs en capital-risque sont les plus susceptibles de recevoir un financement en capital-risque. »


Auto-licence (inventions concédées sous licence par les propres startups de l’inventeur)
(A) La fraction des inventions concédées sous licence par les startups de l’inventeur au fil du temps.
(B) La fraction des inventions dans chaque groupe de revenu net pour lesquelles les inventeurs ont obtenu une licence. Les tailles d’échantillon pour chaque catégorie de revenu net sont les suivantes : < 10 000 $ : 3 776 inventions ; 10 000 $ à 100 000 $ : 465 inventions ; 100 000 $ à 1 M$ : 212 inventions ; 1 000 $ à 10 M$ : 56 inventions ; ≥ 10 M$ : 5 inventions.

les inventions ont impliqué des équipes plus importantes au fil du temps. Il y a aussi un commentaire annexe intéressant : « Les petites équipes ont eu tendance à perturber la science et la technologie avec de nouvelles idées et opportunités, tandis que les grandes équipes ont eu tendance à développer celles qui existaient déjà. »

« De plus, nous avons constaté que les inventions des équipes composées uniquement de nouveaux inventeurs génèrent un revenu net plus élevé que les autres inventions. Cela souligne l’importance d’être ouvert aux nouveaux inventeurs. » Cela est en corrélation avec mon analyse des entrepreneurs en série ; j’ai constaté qu’ils ont tendance à s’en sortir moins bien au fil du temps. Voir Entrepreneurs en série : sont-ils meilleurs ?

Je conclurai brièvement que cet une nouvelle contribution très intéressante de l’apport de Stanford à l’innovation, qui confirme des choses bien connues et en ajoute de beaucoup moins connues. A lire pour les experts et « food for thought » pour les autres !

Les géants de la tech : rien ne change sauf leur nom !

J’adore les données et j’aime les analyser au niveau micro (tableaux de capitalisation) et macro (chiffre d’affaires, revenus, employés). Mais je suis surpris de découvrir que je n’avais pas posté à ce sujet depuis 2021 :
Tesla, Google et Facebook ne semblent pas souffrir de la crise, montraiyt la croissance de ces géants en février 2021,
Les plus grandes sociétés de technologie en Europe et aux USA en 2020 comparait environ 30 entreprises américaines et 15 européennes en janvier 2021.

Ce que j’ai mis à jour ci-dessous ne montre pas beaucoup de changement, sauf peut-être que Google est Alphabet et Facebook est Meta. Tesla n’a pas changé de nom mais Twitter est X ! Donc, sans trop de commentaires, voici d’abord les plus grandes entreprises technologiques en Europe et aux États-Unis en 2024 :


La conclusion est la même : les entreprises américaines sont environ 10 fois plus grandes en termes de capitalisation boursière et de ventes, et 5 fois plus grandes en termes de nombre d’employés. Je crains même que l’écart ait grandi… J’aime aussi les trois graphiques suivants qui illustrent les similitudes dans la croissance des entreprises.



Peut-être que tout cela n’est pas si bon que ça et a contribué à la destruction de la planète sans que nous en soyons conscients. Peut-être que l’innovation ne résout pas grand-chose et détruit beaucoup. Ce ne sont que des chiffres qui donnent matière à réflexion.

Au-delà de l’idéologie de la Silicon Valley

J’avais mentionné dans mon post précédent cette anthologie d’articles établie par Loup Cellard et Guillaume Heuguet. Constituée de six articles (dont 5 traduits) et d’une longue introduction des auteurs, il s’agit d’une plongée des plus intéressantes dans ce que représente cette région d’un point de vue historique et politique.

Voici donc ce que j’ai noté ou retenu :

– les auteurs nuancent l’influence de la contre-culture dans les origines de la Silicon Valley. « Le pouvoir économique et la culture de L’innovation technique de la région précédent de loin le mouvement hippie. » [page 18] puis « les contrats gouvernementaux ou l’existence d’un surplus de capital devraient sans doute se voir accorder autant d’importance que les imaginaire utopiques » [page 19].

– Les auteurs vont plus loin quant aux velléités idéologiques des entrepreneurs de la Silicon Valley. J’ai déjà exprimé un certain scepticisme sur le sujet mais le débat reste intéressant. Les auteurs mentionnent à ce sujet un autre ouvrage que je ne connais pas Une histoire politique de la Silicon Valley de Fabien Benoit. Je ne crois pas que l’affirmation qui suit soit correcte : « L’université de Stanford, spécialisée en sciences dures, a la particularité de ne pas réclamer de droits de propriété intellectuelle sur les brevets pourtant développés dans ses murs. » [Page 19] Le sujet est pourtant connu (voir ici) et je suis surpris d’une telle affirmation. Mariana Mazzucato est aussi appelée à la rescousse de l’argumentaire et si j’ai là aussi exprimé des nuances fortes, on ne peut guère douter de l’influence de Fred Terman, de HP et du MIT bien avant l’émergence de la contre-culture.

– Dans la même introduction, il est rappelé la lettre ouverte de Bill Gates aux Hobbystes du Homebrew Computer Club.

Cette introduction des auteurs est passionnante et on a à nouveau la confirmation de la complexité de la genèse de la région où des hippies à la Wozniak et des ingénieurs à la Noyce ont collaboré souvent dans le plus grand respect. (Cf à nouveau cet article pour les curieux, The tinkerings of Robert Noyce)

– Les articles sur le design sont surprenants tant le sujet a été à la mode (et m’avait jusqu’ici laissé circonspect et silencieux). Le chapitre De si vieilles promesses de Fred Turner est une analyse intéressante des liens entre prototypage et puritanisme protestant ! Celui de Ruha Benjamin intitulé Le design est complice va beaucoup plus loin. J’en retire les affirmations fortes qui suivent : « Design Thinking is Bullh*t » et l’auteur « exhorte les praticien.nes à éviter le jargon et les mots-clés à la mode et à s’engager davantage dans l’autocritique : quels sont les effet théoriques et pratiques de l’utilisation du langage du design pour décrire tous nos espoirs, nos rêves, cos critiques et nos visions du changement ? Qu’est-ce qui est gagné et par qui dans le processus qui revient à associer des choses aussi hétérogènes sous la rubrique du design? » […] Je pense que l’une des raisons pour lesquelles il règne est qu’il a réussi à plier tout et n’importe quoi sous ses ailes agiles.

– Les auteurs sont très critiques de certaines personnalités de la région qu’ils associent au monde ancien. Les réactionnaires investissent de Charlie Tyson est une analyse intéressante de Peter Thiel qui aimerait se présenter comme un intellectuel. Et de conclure « L’homme lui-même reste un mystère […] qui nous offre le spectacle d’un esprit brillant logé dans une personnalité difforme, un homme qui a transformé sa philosophie de salon en une vision imposée du monde ». Le chapitre suivant, Le Capital ne risque rien de Fabien Foureault est une description assez correcte de l’histoire du capital-risque. Le seul reproche que je ferai est que le passage des racines américaines à l’histoire de l’activité en France en oublie un peu les risques pris par les pionniers dans les années 60 et 70. La critique du capital-risque reste bien argumentée comme suit. Sur trois critères majeurs, le VC est critiqué :
+ un caractère dysfonctionnel qui empêche la stabilité par des cycles d’emballement et d’effondrement (boom & burst)
+ une utilité sociale absente en allant vers une rentabilité à court terme qui oublie les enjeux fondamentaux (climat, santé abordable)
+ Une activité peu rentable, au mieux avec un faible rendement de 8% sur le long terme. J’ai découvert un chercheur, Ludovic Phalippou, très critique du Private Equity en général dont l’absence de transparence conduit à des performances sans doutes très surestimée. Je vous encourage à lire How Ludovic Phalippou Became the Bête Noire of Private Equity. Le post-sciptum fera sans doute sourire les amateurs et les connaisseurs du capital-risque français…

– Que dire alors des deux derniers chapitres ? Ils sont tout simplement passionnants. Tout d’abord L’optimisation remplace le progrès de Orit Halpern et Robert Mitchell. J’avais l’intuition que l’optimisation, sujet qui m’est cher puisqu’il fut au cœur de ma thèse de doctorat, touchait aux limites du progrès. On ne cherche plus le meilleur, mais à être smart, intelligent, que ce soit la ville, la mobilité, l’éducation et la guerre. Le meilleur étant inaccessible, on cherche simplement à faire mieux, et souvent tout en minimisant les ressources et les coûts… et à être résilient, que les auteurs décrivent comme étant la capacité non pas à être robuste dans un système stable, mais à survivre et gagner dans un système incertain et en déséquilibre. La disruption n’est pas loin. La conclusion du chapitre peut faire peur : « au lieu de rechercher des réponses utopiques à nos interrogations concernant l’avenir, nous nous concentrons sur des méthodes quantitatives et algorithmiques et sur la logistique : comment déplacer les choses du point A au point B, plutôt que de se demander où elles devraient arriver (ou si elles devraient même se trouver là) » [page 129].

– Le dernier chapitre s’intitule L’apocalypse remplace l’utopie de Dave Karpf. Il y est question du longtermisme. « La valeur morale de la vie humaine d’aujourd’hui n’est pas différente de celle des post-humains potentiels qui pourraient venir à exister dans un lointain avenir. A partir de ce postulat, ils en viennent à des conclusions fantasques et contre-intuitives. Ils affirment que la croissance économique, le progrès technologique et la prévention des risques existentiels, c’est à dire des risques susceptibles d’anéantir l’Humanité (frappes d’astéroïdes, super virus mortels, intelligence artificielle hostile, etc) comptent au plus haut point pour l’Humanité. Améliorer la situation de l’Humanité d’aujourd’hui en s’attaquant aux inégalités systémiques, en guérissant le cancer et en prévenant le paludisme sont des initiatives de moindre importance. Les humains d’aujourd’hui ne sont que les précurseurs d’un avenir post-humain disséminé dans l’espace. » Les promoteurs de telles idées sont connues et l’auteur parle d’Idéologie californienne. J’aimerais penser qu’elles en sont que dans la t^te de quelques esprits déformés. L’auteur conclut ainsi : « Nous devrions dès lors reconnaître le longtermisme comme un mouvement de pensée pernicieux. C’est une philosophie qui dit que nous ne devons pas nous préoccuper du sort, de la dignité ou des injustices subies par des personnes qui vivent aujourd’hui, parce que ces personnes ne comptent pas plus que celles qui vivront dans des millénaires. […] C’est une recette qui excuse trop facilement la cruauté, la souffrance et les préjudices sociaux.

Il s’agit donc d’un petit ouvrage passionnant, qui ne décrit pas la Silicon Valley, mais à travers ses racines et ses ailes, quelques uns de ces excès le plus étonnants. Et comme je le disais dans mon précédent post, cela ne représente pas forcément la majorité, mais du moins une minorité, peut-être infime mais sans aucun doute très et trop visible.

PS: pour ceux qui ne seraient pas intéressés par les longues analyses, voici une vidéo assez drôle

La gauche et la tech dans la Silicon Valley

C’est un article d’Olivier Alexandre pour la Tribune qui a généré ce post. Ce sociologue du CNRS que j’ai déjà mentionné ici tant j’apprécie ses analyses de la Silicon Valley résume sur sa page LinkedIn une interview intitulée La tragédie est que la Silicon Valley en vient à pousser des programmes réactionnaires.

J’ai voulu répondre sur LinkedIn mais ce site limite la longueur des commentaires. Voilà ce que j’aurais souhaité écrire : Il y aurait peut-être un livre à écrire sur la gauche et la tech, en particulier dans la Silicon Valley. Si la Silicon Valley a toujours été une région progressiste, du moins au nord vers San Francisco et Berkeley, je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré beaucoup de « gens de gauche » à Stanford ou dans les entreprises de la tech. Sans oublier qu’être de gauche aux Etats Unis n’a sans doute pas tout à fait le même sens qu’en Europe. La composante individualiste, voire anarchiste (je préfère ne pas parler des libertariens dont je ne suis pas sûr qu’ils représentent un grand nombre de personnes) reste très forte chez les Républicains et les Démocrates qui semblent toujours un peu se méfier du pouvoir central, pouvoir central dont l’attraction reste une particularité très française au contraire. Il y a bien eu le diner offert par Obama à la Maison Blanche avec l’élite de la tech, https://www.startup-book.com/2011/03/28/the-whos-who-of-silicon-valley/ et il est de manière anecdotique assez amusant de voir dans les dons aux partis (voir par exemple ici https://www.opensecrets.org/industries/contrib?cycle=2024&ind=F2500) que les deux grands fonds historiques du capital risque américain penchent différemment, Sequoia vers les Républicains et Kleiner Perkins vers les Démocrates, même en 2024. Il ne faut tout de même pas s’étonner que les entrepreneurs soient plutôt de droite, cela me semble assez universel.

Quand on regarde en arrière, dans les débuts de la Silicon Valley, il me semble que les grands entrepreneurs du semi-conducteur comme Robert Noyce sont plutôt des Républicains bon teint, qui vont surtout essayer d’influencer Washington pour protéger leur industrie contre la concurrence japonaise. Plus récemment Kleiner Perkins avait recruté Colin Powell comme partenaire (https://www.nytimes.com/2005/07/13/business/colin-powell-joins-venture-capital-firm.html), qui n’était pas connu pour être un ministre très à gauche. Enfin, je n’ai jamais vraiment vu les fondateurs d’Apple ou Google prendre position sur quelque sujet politique que ce soit, mais j’ai noté à quel point toutes ces entreprises depuis Intel à Google avait une « peur bleue » de voir les syndicats s’installer chez eux. La politique semble plutôt absente. Peut-être Fred Turner pourrait nous informer sur le sujet et écrire le livre dont je parle s’il n’existe pas déjà ?

Et un article de blog permet d’aller plus loin, alors je continue. Je parle de temps en temps de politique, comme le tag #politique l’indique mais sans doute pas assez. Je suis à tort ou à raison resté à distance du militantisme et des prises de positions, tout comme d’ailleurs un grand nombre de personnes du monde de la technologie et de la Silicon Valley, je vais y revenir. Mais à nouveau, vous pouvez parcourir les articles liés au tag qui précède. Je viens aussi de commander l’ouvrage intitulé Au delà de l’idéologie de la Silicon Valley après avoir lu celui de la revue Esprit il y a quelques années.

Que dire de plus ? J’ai découvert un autre site qui ne donne pas les montants des dons des personnes aux campagnes politiques, mais un portrait des personnalités de la tech, dont leurs inclinations politiques. C’est assez intéressant. On y trouve les portraits de Larry Page, Sergey Brin, les deux fondateurs de Google, de John Doerr (Kleiner Perkins) et Michael Moritz (Sequoia). les quatre penchent vers le centre gauche ou la gauche du centre, mais de manière plutôt discrète.

Plus récemment une longue analyse de la région montrait qu’elle est plutôt progressiste et démocrate, sauf sur un point celui de la régulation : The vast majority of tech entrepreneurs are Democrats — but a different kind of Democrat (La grande majorité des entrepreneurs de la tech sont des Démocrates, mais un différent type de Démocrate).

J’avais beaucoup aimé Hillbilly Elegy de JD Vance. Je le savais républicain, mais le pensais modéré et anti-Trump. Quelle déception, pour ne pas dire quel triste sire. Alors bravo à Jennifer Aniston pour sa récente critique : Jennifer Aniston criticizes JD Vance for ‘childless cat ladies’ remarks: ‘I pray that your daughter is fortunate enough to bear children’. Il y a aussi les positions (trop?) connues de Peter Thiel ou Elon Musk, mais à nouveau, je ne sais pas s’ils représentent une opinion majoritaire de la tech. Sait-on que Jeff Skoll fondateur de eBay est devenu un producteur de films particulièrement intéressants pour ne pas dire brillants ?

La politique devrait autant appartenir à ceux qui parlent et agissent discrètement qu’à ceux qui parlent si fort qu’on finit par croire qu’ils représentent l’opinion de la majorité…

Comment créer Google selon Paul Graham

J’ai (comme souvent) beaucoup aimé un article publié par Paul Graham sur son blog en mars dernier, intitulé How to Start Google. Alors je me suis décidé à le traduire et le publier ici (en informant Paul Graham de mon intention…) Voici donc.

Comment Créer Google

Mars 2024 – Paul Graham, traduit en juin 2024

(Ceci est une présentation donnée à des jeunes de 14 et 15 ans sur que faire aujourd’hui s’ils envisagent de créer une startup plus tard. De nombreuses écoles pensent qu’elles devraient dire quelque chose sur les startups à leurs étudiants. Et bien voici ce que je pense qu’elles devraient leur raconter.)

La plupart d’entre vous pensent sans doute que quand vous êtes lâchés dans le soi-disant monde réel, vous devrez trouver un travail. Ce n’est pas vrai, et aujourd’hui je vais vous donner la combine à utiliser pour éviter d’avoir jamais à trouver un travail.

La combine est de lancer sa propre entreprise. Ce n’est donc pas une combine pour éviter de travailler, parce que si vous lancez votre propre entreprise, vous travaillerez plus dur que si vous aviez un travail ordinaire. Maus vous éviterez de nombreuses choses ennuyeuses qui viennent avec un travail, y compris un bois qui vous dit quoi faire.

C’est plus excitant de travailler sur son propre projet que sur celui de quelqu’un d’autre. Et vous pouvez aussi devenir beaucoup plus riche. En fait, c’est la façon classique de devenir vraiment riche. Si vous regardez les listes des gens les plus riches qui sont publiées de temps en temps dans la presse, presque tous le sont devenus en lançant leur entreprise.

Lancer son entreprise peut dire beaucoup de choses, depuis lancer un salon de coiffure à créer Google. Je vais parle ici d’un des extrêmes du spectre. Je vais vous raconter comment commencer Google.

Les entreprises comme l’extrême de Google sont appelées des startups quand elles sont jeunes. La raison pour laquelle je les connais et que ma femme Jessica et moi avons lancé quelque chose appelé Y Combinator, qui est basiquement une usine à startup. Depuis 2005, Y Combinator a financé plus de 4000 startups. Et donc nous savons exactement ce qu’il faut pour lancer une startup, parce que nous avons aidé des gens à le faire depuis 19 ans.

Vous avez peut-être pensé que je plaisantais quand j’ai dit que j’allais vous raconter comment créer Google. Vous vous êtes peut-être dit « Comment pourrions-nous créer Google ? » Mais c’est exactement ce que les personnes qui ont créé Google ont pensé avant de le faire. Si vous aviez dit à Larry Page et Sergey Brin, les fondateurs de Google, que l’entreprise qu’ils étaient sur le point de lancer vaudrait un jour mille milliards de dollars, leur tête aurait explosé.

Tout ce que vous savez quand vous commencez à travailler à une startup c’est que cela semble en valoir la peine. Vous ne pouvez pas savoir si elle deviendra une entreprise valant des milliards ou qui fera faillite. Donc quand je dis que je vais vous raconter comment lancer Google, je veux dire que je vais vous raconter comment arriver au point où vous pouvez créer une entreprise qui a autant de chance d‘être Google que Google avait d’être Google. [1]

Comment aller d’où vous êtes aujourd’hui au point de pouvoir lancer une startup qui sera un succès ? Il faut trois choses. Il faut être bon dans un quelconque domaine technologique, il faut une idée de ce que vous allez bâtir, et il faut des cofondateurs avec qui lancer l’entreprise.

Comment devient-on bon dans une technologie ? Et comment choisir la technologie dans laquelle s’investir ? il se trouve que les deux questions ont la même réponse : en travaillant sur des projets personnels. N’essayez pas de deviner si l’édition de gènes, les LLM ou les fusées vont devenir la technologie la plus valable à maîtriser. Personne ne peut deviner une chose pareille. Travaillez simplement sur ce qui vous intéresse le plus. Vous travaillerez bien plus dur à quelque chose qui vous intéresse qu’à quelque chose sous prétexte que vous pensez qu’il faille le faire.

Si vous n’êtes pas sûr de la technologie dans laquelle vous investir, investissez-vous dans la programmation. Cela a tété la source de la startup moyenne dans les trente dernières années, et cela ne va sans doute pas changer dans les 10 qui viennent.

Ceux parmi vous qui prennent des cours d’informatique à l’école doivent se dire, maintenant, OK, voilà une chose réglée. On nous a déjà tout appris sur la programmation. Mais désolé, ce n’est pas assez. Il vous faut travailler à des projets personnels, pas se contenter de suivre des cours à l’école. Vous pouvez être bon en classe sans vraiment apprendre à programmer. Je dirais même que vous pouvez obtenir un diplôme en informatique d’une des meilleures universités et n’être même pas bon en programmation. C’est la raison pour laquelle les entreprises technologiques vous font passer des tests de programmation avant de vous recruter, indépendamment de votre université ou de vos notes. Elles savent que les résultats aux examens ne prouvent rien.

SI vous voulez vraiment apprendre à programmer, il vous faut travailler à des projets personnels. Vous apprenez beaucoup plus vite de cette façon. Imaginez que vous développiez un jeu et qu’il y ait quelque chose que vous vouliez ajouter, et vous ne savez pas comment faire. Vous allez l’apprendre beaucoup plus vite que si vous l’étudiez en classe.

Vous n’avez pourtant pas besoin d’apprendre à programmer. Si vous demandez ce qui compte en matière de technologie, cela inclut pratiquement tout ce que vous pouvez décrire en utilisant les mots « faire » ou « fabriquer ». Alors la soudure en fait partie, ou la couture, ou la vidéo. Tout ce qui vous intéresse le plus. La différence essentielle est de savoir si vous produisez ou si vous vous contentez de consommer. Etes vous en train de développer des jeux vidéo ou vous contentez -vous d’y jouer ? C’est la différence.

Steve Jobs, le fondateur d’Apple, a passé du temps pendant son adolescence à étudier la calligraphie – un genre d’écriture esthétique que le vois dans les manuscrits médiévaux. Personne, même pas lui, ne pensait que ça l’aiderait dans sa carrière. Il le faisait parce que ça l’intéressait. Mais il se trouve que ça l’a beaucoup aidé. L’ordinateur qui a fait d’Apple quelque chose d’énorme, le Mackintosh, est sorti juste au moment où les ordinateurs sont devenus assez puissants pour présenter à l’écran une typographie similaire à celle des livres imprimés plutôt qu’aux lettres du style des ordinateurs que l’on voit dans les jeux à 8 bits, et l’une de raisons est que Steve était l’une des quelques personnes dans le monde de l’informatique qui s’était vraiment investir dans le graphisme.

Ne croyez pas que vos projets doivent être sérieux. Ils peuvent être aussi frivoles que vous le souhaitez tant que vous construisez des choses qui vous passionnent. Il est probable que 90% des codeurs commencent par fabriquer des jeux. Eux et leurs amis aiment jouer aux jeux vidéo. Alors ils fabriquent ce genre de choses qu’eux et leurs amis désirent. Et c’est exactement ce que vous devriez faire à 15 ans si vous souhaitez un jour créer une startup.

Vous n’avez pas à faire juste un projet. En réalité, il est bon d’apprendre plein de choses. Steve Jobs ne s’est pas contenté d’apprendre la calligraphie. Il a aussi appris l’électronique, qui avait encore plus de valeur. Peu importe ce qui vous intéresse. (Vous voyez un pattern ici ?)

Donc c’est la première des trois choses dont vous avez besoin, devenir bon dans un domaine technologique. Vous le ferez de la même manière que pour le violon ou le football : par la pratique. Si vous vous lancez dans une startup à 22 ans, et que vous commencez à écrire vos propres programmes maintenant alors au moment de vous lancer, vous aurez passé au moins les 7 années précédentes à écrire du code, et on peut être bon dans n’importe quel domaine après l’avoir pratiqué pendant 7 ans.

Supposons que vous ayez 22 ans et que vous avez réussi : vous êtes alors bon dans un domaine de la technologie. Comment allez-vous trouver des idées de startup ? (Sur le sujet, voir le lien) Cela peut sembler être la partie difficile. Même si vous êtes devenu un bon programmeur, comment avoir l’idée pour lancer Google ?

En réalité, il est facile d’avoir des idées de startup une fois que vous êtes bon dans une technologie. Une fois que vous êtes bon dans une technologie, quand vous regardez le monde, vous voyez des lignes pointillées autour de choses qui manquent. Vous commencez à être capable de voir à la fois des choses qui manquent à partir de la technologie elle-même et tous les problèmes qui pourraient être fixés en l’utilisant ; et chacun d’eux est une startup potentielle.

Dans la ville proche de notre maison, il y a un magasin avec un signe avertissant que la porte est difficile à fermer. Le signe est là depuis plusieurs années. Pour les gens dans le magasin, cela doit être comparable à ce phénomène naturel et mystérieux d’une porte difficile à fermer, et tout ce qu’on peut faire est de placer un signe avertissant les clients. Mais tout charpentier qui regarderait cette situation penserait « Pourquoi ne pas juste aplanir la partie qui frotte ? »

Une fois que vous êtes bon en programmation, tous les bouts de code manquants dans le monde commencent à ressembler à une porte difficile pour un charpentier. Je vais vous donner un exemple concret. A la fin du 20e siècle, les universités américaines avaient l’habitude de publier des annuaires papier avec tous les noms des étudiants et leur information personnelle. Quand je vais vous dire comment ces annuaires s’appelaient, vous allez comprendre de quelle startup je parle. Ils s’appelaient des Facebooks (en français des trombinoscopes, car ils avaient en général le visage, la trombine, la « face » de chaque étudiant à côté de son nom.

Alors Mark Zuckerberg arrive à Harvard en 2002 et l’université n’a toujours pas mis le trombinoscope, le facebook en ligne. Chaque résidence avait un trombinoscope en ligne, mais il n’y en avait pas un pour l’université dans son ensemble. L’administration d l’université avait organisé avec sérieux des réunions sur le sujet, et aurait probablement résolu le problème une dizaine d’années plus tard. La plupart des étudiants n’avaient pas consciemment remarqué quoi que ce soit. Mais Mark est un codeur. Il regarde la situation et se dit « Mais c’est idiot. Je pourrais écrire un programme pour régler le problème dans la nuit. Laissons les gens charger leur propre photo et combinons alors les données dans un nouveau site pour toute l’université ». Et il le fait. Et presque littéralement dans la nuit, il a des milliers d’utilisateurs.

Bien sûr, Facebook n’était pas encore une startup. C’était juste …un projet. Et voici à nouveau ce mot. Les projets ne sont pas juste la meilleure façon d’apprendre une technologie. Ils sont aussi la meilleure source d’idées de startup.

Facebook n’a rien d’inhabituel de ce point de vue. Apple et Google ont aussi commencé comme des projets. Apple n’était pas censée devenir une entreprise. Steve Wozniak voulait juste fabriquer son propre ordinateur. Ce n’est devenu une entreprise que lorsque Steve Jobs a dit « Eh, je me demande si on ne pourrait pas vendre les plans de cet ordinateur à d’autres personnes ». C’est ainsi qu’Apple a commencé. Ils ne vendaient même pas d’ordinateurs, juste les plans de de l’ordinateur. Pouvez-vous imaginer à quel point cette entreprise semblait boiteuse ?

Idem pour Google. Larry et Sergey n’essayaient pas de créer une entreprise au début. Ils essayaient juste de faire un bon moteur de recherche. Avant Google, la plupart des moteurs de recherche n’essayaient pas de trier les résultats trouvés par ordre d’importance. Si vous cherchiez « rugby », ils vous donnaient juste toutes les pages web qui contenaient le mot « rugby ». Et le web était si petit en 1997 qu’en réalité ça fonctionnait ! Enfin à peu près. Il n’y avait peut-être que 2à ou 30 pages avec le mot « rugby » mais le web croissait exponentiellement, ce qui signifiait que cette manière de faire des recherches devenait exponentiellement plus foireuse. La plupart des utilisateurs pensaient « Ouah, je vais devoir passer beaucoup de temps à regarder les résultats pour trouver ce que je cherche. » La porte est dure à ouvrir. Mais tout comme Mark, Larry et Sergey étaient des codeurs. Ils ont regardé cette situation et pensé « Mais c’est idiot. Certaines pages sur le rugby comptent plus que d’autres. Essayons de les trouver et de les afficher en premier ».

Il est évident a posteriori que c’était une grande idée de startup. Ce n’était pas évident à l’époque. Ce n’est jamais évident. Si cela avait été une bonne idée de lancer Apple ou Google ou Facebook, quelqu’un d’autre l’aurait déjà eue. C’est pourquoi les meilleures startups viennent de projets qui n’étaient pas destinés à devenir des startups. On n’essaie pas de lancer une entreprise. On suit simplement son intuition de ce qui est intéressant. Et si on est jeune et bon dans une technologie alors l’intuition inconsciente de ce qui est intéressant est meilleure que les idées conscientes de ce qui pourrait être une entreprise de qualité.

Alors il est critique, si vous êtes un jeune fondateur, de faire des choses pour que vous-même et vos amis les utilisiez. La plus grosse erreur des jeunes fondateurs est de fabriquer quelque chose pour quelque groupe mystérieux d’autres gens. Alors que si vous pouvez faire quelque chose que vous et vos amis désiraient vraiment – quelque chose que vos amis n’utilisent pas simplement par loyauté envers vous, mais qu’ils seraient vraiment tristes de perdre si vous l’arrêtiez – alors vous avez certainement le germe d’une bonne idée de startup. Peut-être que cela ne vous semble pas avoir ce potentiel. Il n’est peut-être pas évident de faire de l’argent avec. Mais croyez-moi, il y a un moyen.

Ce dont vous avez besoin pour une idée de startup, et c’est tout ce dont vous avez besoin, c’est quelque chose que vos amis veulent vraiment. Et ces idées ne sont pas difficiles à voir une fois que vous avez atteint un bon niveau dans un domaine technologique. Il y a des portes qui coincent partout. [2]

Enfin, pour le troisième et dernier élément nécessaire, il vous faut : un cofondateur, ou des cofondateurs. La startup idéale a deux ou trois fondateurs, donc il vous faut un ou deux cofondateurs. Comment les trouver ? Savez-vous déjà ce que je vais vous dire maintenant ? C’est toujours la même chose : des projets. Vous trouvez des cofondateurs en travaillant sur des projets avec eux. Ce qu’il vous faut chez un bon cofondateur c’est qu’il soit bon à ce qu’il fait et que vous travailliez ben ensemble, et la seule façon d’en juger, c’est de travailler avec lui sur des choses.

A ce point de mon discours, je vais vous raconter quelque chose que vous n’avez peut-être pas envie d’entendre. Il est vraiment important d’être bon en classe, même pour les cours qui ne sont que de la mémorisation ou des bavardages sur la littérature, parce qu’il est nécessaire d’être bon dans en classe pour entrer dans une bonne université. Et si vous désirez vous lancer dans une startup, vous devrez essayer d’aller dans la meilleure université possible, parce que c’est là que se trouvent les meilleurs cofondateurs. C’est aussi là que se trouvent les meilleurs employés. Quand Larry et Sergey ont lancé Google, ils ont commencé à recruter toutes les personnes les plus brillantes qu’ils avaient connu à Stanford, et ce fut un vrai avantage pour eux.

La preuve empirique de ce point est claire. Si vous regardez où il y a le plus grand nombre de startup réussies, c’est à peu près la liste des universités les plus sélectives.

Je ne crois pas que les noms prestigieux de ces universités soient la cause du plus grand nombre de startup qui en sortent. Ni que ce serait en raison d’une meilleure qualité de l’enseignement. Ce qui explique cela est la difficulté d’y entrer. Il faut être plutôt brillant et déterminé pour entrer au MIT ou à Cambridge, alors si vous réussissez à y entrer, vous rencontrerez d’autres étudiants dont un grand nombre de gens brillants et déterminés. [3]

Il n’est pas obligatoire de lancer une startup avec quelqu’un que vous avez rencontré à l’université. Les fondateurs de Twitch se sont rencontrés quand ils avaient sept ans. Les fondateurs de Stripe, Patrick et John Collison, se sont rencontrés lorsque John est né. Mais les universités sont la source principale de cofondateurs. Et parce qu’elles sont le lieu où se trouvent les cofondateurs, elles sont aussi le lieu où se trouvent les idées, parce que les meilleures idées émergent de projets que vous ferez avec les gens qui vont devenir vos cofondateurs.

Par conséquent, la liste des choses nécessaires pour aller de là où vous êtes jusqu’à la création d’une startup est assez courte. Il faut que vous soyez bon dans un domaine de la technologie, et le moyen d’y arriver est de travailler sur vos projets personnels. Et vous devez travailler aussi bien que possible en classe pour entrer dans une bonne université parce c’est là que se trouvent les cofondateurs et les idées.

C’est tout, juste deux choses, fabriquer quelque chose et être bon en classe.

Notes

[1] La combine rhétorique dans cette phrase est que « Google » se réfère à différentes choses. Je veux dire : une entreprise qui a autant de chances de croître que Google l’a finalement fait, comme Larry et Sergey auraient raisonnablement pu s’attendre à ce que Google le fasse au moment où ils l’ont lancé. Mais je pense que la version originale est plus drôle.

[2] Faire quelque chose pour vos amis n’est pas la seule source d’idées de startup. C’est juste la meilleure source pour des jeunes cofondateurs, qui ont le moins la connaissance de ce d’autres personnes désirent et dont les désirs personnels sont les plus prédictifs de la demande future.

[3] De manière assez étrange, ceci est particulièrement vrai dans des pays comme les Etats Unis où les admissions en bachelor sont mal faites. Les départements d’admission américains demandent aux candidats de passer à travers des filtres arbitraires qui ont peu de rapport avec leurs capacités intellectuelles. Mais plus le test est arbitraire, plus il devient un test de la détermination et de l’ingéniosité. Et ce sont les deux qualités les plus importantes chez les fondateurs de startup. Alors les départements d’admission américains sont meilleurs à sélectionner les fondateurs qu’ils ne le seraient s’ils étaient meilleurs à sélectionner les fondateurs.

Puis Paul Graham ajoute des remerciements à Jared Friedman, Carolynn Levy, Jessica Livingston, Harj Taggar et Garry Tan pour avoir lu des brouillons de son texte.