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Le Cygne Noir ou le danger des statistiques

« La pensée n’est qu’un éclair au milieu de la nuit. Mais c’est cet éclair qui est tout. »
Henri Poincaré *

Quand j’ai parlé à mes amis et collègues du Cygne Noir ou Black Swan («BS»), ils ont été surpris de mon intérêt pour le film avec Natalie Portman. Je ne peux pas confirmer puisque je ne l’ai pas vu. Je parlais du livre de Nassim Nicholas Taleb et de sa théorie. D’autres amis me l’ont résumé comme du b… s… américain, ces livres superficiels qui donnent des conseils sur tout et n’importe quoi et qui semblent toujours devenir des best-sellers; mes collègues me parleraient sans doute de littérature d’aéroport (et non pas de hall de gare), indigne d’être lue dans les cercles académiques.

Je l’ai lu et j’ai beaucoup aimé, mais je dois admettre que Taleb est parfois pénible. Est-ce parce qu’il a été tellement frustré par je ne sais pas qui ou quoi ou est-ce parce qu’il est si fier de ses certitudes? Je ne suis pas sûr. Mais ses idées sont certainement utiles et méritent la réflexion (alors que vous oubliez le b… s… d’aéroport américain après 30 secondes). Donc, retour au BS.

Vous trouverez d’excellents résumés de son livre ou de sa théorie, par exemple sur
– Nassim Taleb « The Black Swan » par Andrew Gelman, http://andrewgelman.com/2007/04/nassim_talebs_t/
– La page Wikipedia sur la théorie du Black Swan
– ou même the Fourth Quadrant, un autre essai de Taleb. Je ne vais donc pas essayer de faire la même chose.

Cependant la définition du Black Swan pourra être utile! Dans le Fourth Quadrant, Taleb écrit ce qui suit: Il ya deux classes de probabilité – très distinctes qualitativement et quantitativement. La première, à longue traîne, définit le Mediocristan », la seconde, à traîne épaisse, définit l’Extremistan. Sans entrer dans les détails, comprenez la distinction comme suit: au Mediocristan, des exceptions se produisent, mais ne portent à de grandes conséquences. Ajoutez la personne la plus lourde de la planète à un échantillon de 1’000 personnes, le poids total serait à peine changé. En Extremistan, des exceptions peuvent avoir un tout autre impact (elles peuvent tout représenter.) Ajoutez Bill Gates à votre échantillon: la richesse peut augmenter d’un facteur 100’000 . Ainsi, au Mediocristan, de grandes déviations se produisent, mais elles sont sans conséquence, à la différence de l’Extremistan. Au Mediocristan le hasard correspond à des « marches aléatoires » décrites dans les livres classiques (et dans les livres populaires sur le hasard). L’Extremistan correspond à « sauts de taille aléatoire ». Dans le premier type, il s’agit de familles de « Gauss-Poisson »; dans le second de familles « fractales ou mandelbrotiennes » (d’après les œuvres du grand Benoit Mandelbrot, reliées à la géométrie de la nature.) Mais il faut noter ici une question épistémologique: il y a une catégorie « je ne connais pas » que j’ai aussi regroupée en Extremistan et nécessaire à la prise de décision, tout simplement parce que je ne connais pas grand chose de la structure probabiliste ou le rôle de certains grands événements. Les Cygnes Noirs sont les événements inconnus en Extremistan .

Voici donc quelques longues notes prises lors de la lecture.

[Page xxii] Le cygne noir est caractérisé par «la rareté, l’impact extrême et la prévisibilité rétrospective (mais pas prospective) » (avec la note additionnelle: la survenance d’un événement hautement improbable est l’équivalent de la non-occurrence d’un évènement très probable).

[Page 8] L’esprit humain souffre de 3 faiblesses:
-L’illusion de la compréhension, ou comment tout le monde pense qu’il sait ce qui se passe dans un monde qui est plus compliqué (ou aléatoire) qu’ils ne le pensent;
-La distorsion rétrospective, ou comment nous pouvons évaluer des questions seulement après les faits, comme si elles étaient vues dans un rétroviseur, et
-La surévaluation de l’information factuelle et le handicap des personnes faisant autorité et sachant – quand ils platonifient.

[Page 15] Taleb adore mélanger théorie et histoire personnelle, pour mieux illustrer ces arguments. Ainsi sur la violence ou la rapidité de l’histoire: « Alors que dans le passé la distinction s’établissait entre la Méditerranée et non-Méditerranée (c’est à dire entre l’huile d’olive et le beurre), dans les années 1970, la frontière est soudainement passée entre l’Europe et la non-Europe. »

[Page 54] Il insiste sur un biais mental ou une erreur logique classsique: pas de preuve de quelque chose ne signifie pas la preuve de son contraire.

[Page 77] « La réponse est qu’il y a deux variétés d’événements rares: a) les cygnes noirs, qui sont présents dans le discours actuel et que vous êtes susceptibles d’entendre parler à la télévision, et b) ceux dont personne ne parle, car ils échappent aux modèles: ceux qui vous feraient honte d’en discuter en public parce qu’ils ne semblent pas plausibles. Je peux dire qu’il est entièrement compatible avec la nature humaine que les cas de cygnes noirs soient surestimés dans le premier cas, mais gravement sous-estimés dans le second. »

[Page 80] « Un mort est une tragédie, un million est une statistique. […] Nous avons deux systèmes de pensée. Le système 1 est l’expérience, sans effort, automatique, rapide, et opaque. Le système 2 est la pensée, raisonnée, locale, lente, sérielle, progressive. La plupart des erreurs proviennent du système 1 lorsque nous pensons que nous utilisons le système 2. »

[Page 140] Nous surestimons ce que nous savons et sous-estimons l’incertitude. Un autre biais: « pensez au divorce. La quasi-totalité des gens sont familiarisés avec la statistique, entre un tiers et la moitié de tous les mariages échouent. Mais bien sûr, «pas nous» parce que «nous nous entendons si bien» (comme si les autres s’entendaient mal.)  »

[Page 174-179] Poincaré est un personnage central de la théorie de Taleb (par Mandelbrot interposé) grâce notamment à son problème à 3 corps. D’après Taleb, Poincaré dénigre lui aussi l’utilisation de la courbe en cloche, dans ses excès du moins. Mais surtout la sensibilité aux conditions initiales vient de Poincaré comme le montre la figure suivante.

Les prédictions

Opération 1: imaginez un cube de glace; il s’agit d’examiner comment il pourrait fondre.
Opération 2: regardez une flaque d’eau. Essayez de reconstituer la forme de la glace-cube.
La première opération (vers l’avant) est généralement utilisée en physique et en ingénierie, la seconde (en arrière) pour les évènements non reproductibles, les approches historiques ou non expérimentales. Elle est autrement plus complexe que la première…

[Page 198] En théorie, le hasard est une propriété intrinsèque. Dans la pratique, le hasard est une information incomplète. Les non-praticiens ne comprennent pas la subtilité. Un véritable processus aléatoire ne possède pas de propriétés prévisibles. Un système chaotique possède des propriétés tout à fait prévisibles, mais elles sont difficiles à connaître.
a) Il n’y a pas de différences fonctionnelles, dans la pratique, entre les deux, puisque nous ne pourrons jamais arriver à faire la distinction.
b) Le simple fait qu’une personne parle de la différence implique qu’il n’a jamais pris une décision significative sous incertitude – ce qui explique pourquoi ils ne se rendent pas compte qu’ils sont indiscernables dans la pratique.
Le hasard en pratique est juste du non-savoir. Le monde est opaque et les apparences nous trompent.

[Page 204] Le « processus d’essai  et erreur » signifie essayer beaucoup de choses. Dans le Blind Watchmaker, Richard Dawkins illustre brillamment cette notion du monde sans grand dessein, un monde se transformant par petits changements aléatoires supplémentaires. Notez un léger désaccord de ma part qui ne change pas l’histoire de beaucoup: le monde, se déplace plutôt par de grandes modifications incrémentielles aléatoires. En effet, nous avons des difficultés psychologiques et intellectuelles avec les essais et erreurs et l’acceptation de cette série de petits échecs nécessaires dans la vie. « Vous avez besoin d’aimer perdre ». En fait, la raison pour laquelle je me suis immédiatement senti chez moi en Amérique, c’est précisément parce que la culture américaine encourage le processus d’apprentissage par l’échec, à la différence des cultures d’Europe et d’Asie, où l’échec est est stigmatisé et gênant. [C’est bien Taleb qui écrit et non l’auteur de ce blog, mais je suis en parfait accord]

[Page 207] Quand vous avez un risque de perte très limitée, vous devez être très agressif et spéculatif, et parfois aussi déraisonnable que possible. Certains feront l’analogie avec des billets de loterie. C’est simplement faux. Tout d’abord les billets de loterie ne produisent pas de récompense sans limite. Deuxièmement, les billets de loterie ont des règles connues.

L’économie des superstars

[Page 24] « Pour qui ce livre est-il écrit? Vous avez besoin de comprendre qui est votre public cible. Les amateurs écrivent pour eux-mêmes, les professionnels écrivent pour les autres. » [Cette ironie de l’auteur est passionante. Je l’ai vécue, je suis un amateur. Mais les oeuvres clé ne sont-elles pas alors écrites par des amateurs? Les Black Swans (le Seigneur des Anneaux, Harry Potter) ressemblent peut-être plus à des oeuvres d’amateurs. L’exemple de Yevgenia Krasnova fournie par Taleb est passionante elle aussi]

[Page 214] La victoire va souvent à ce qui est marginalement mieux et souvent le gagnant prend tout. Le problème, c’est la notion de «mieux». le monde tel qu’il est prend aux pauvres pour donner aux riches. Un avantage initial suit quelqu’un à travers la vie et celui-ci continue à recevoir des avantages cumulatifs. L’échec est également cumulatif. L’avènement des médias modernes a amplifié ces avantages cumulatifs. Le sociologue Pierre Bourdieu a noté un lien entre l’augmentation de la concentration de la réussite et la mondialisation de la culture et la vie économique.

[Page 221] Taleb affirme toutefois que les nouveaux arrivants atténuent les avantages cumulatifs. « Des cinq cents plus grandes sociétés américaines en 1957, seulement 74 faisaient encore partie de ce groupe, le S&P500, 40 années plus tard. Seulement quelques centaines ont disparu dans des fusions, le reste a soit été dépassé ou a fait faillite.

Les acteurs qui gagnent un Oscar ont tendance à vivre en moyenne cinq ans de plus que leurs pairs non récompensés. Les gens vivent plus longtemps dans les sociétés qui ont des gradients sociaux aplanis.

[Page 277] Ce qui est mal compris, c’est l’absence d’un rôle pour la moyenne de la production intellectuelle. La part disproportionnée de l’élite dans le rayonnement intellectuel est plus troublante que la répartition inégale des richesses, troublante parce que, contrairement à l’écart de revenu, aucune politique sociale ne peut l’éliminer. Le communisme pouvait cacher ou comprimer les écarts de revenus, mais il ne pouvait pas éliminer le système de superstar dans la vie intellectuelle. [Je n’en suis pas sûr]

Le scepticisme et l’humilité

Taleb se définit comme un sceptique et ses maîtres sont Popper et Hayek (et Mandelbrot pour les sciences).

[Page 190] « Quelqu’un avec un faible degré d’arrogance épistémique n’est pas trop visible, comme une personne timide lors d’un cocktail. Nous ne sommes pas prédisposés à respecter les gens humbles, ceux qui essaient de suspendre leur jugement. Maintenant contemplez l’humilité épistémique. Pensez à quelqu’un de très introspectif, torturé par la conscience de sa propre ignorance. Il ne craint pas d’être jugé comme un fou, ou pire, un ignorant. Il hésite, il ne veut pas s’engager, et il agonise sur les conséquences de se tromper. Introspection, introspection, et toujours introspection jusqu’à ce qu’il atteigne l’épuisement physique et nerveux. » Nous sommes plus proches de Dostoievsky que de Taleb…

Les experts

[Page 146] Nous comprenons la différence entre savoir-faire et savoir-quoi. Les Grecs ont fait la distinction entre la techné et l’épistémè, la technique et la connaissance. Nous avons des experts qui ont tendance à être des experts: les astronomes, les pilotes, les médecins, les mathématiciens, les comptables; et les experts qui ont tendance à être … non-experts: les courtiers, les psychologues, les conseillers… tout simplement les choses qui bougent et donc nécessitent des connaissances n’ont généralement pas d’experts et sont souvent sujettes aux BS. L’effet négatif de la prédiction est que ceux qui ont une grande réputation sont pires prédicteurs que ceux qui n’en avaient pas.

[Page 166] Le modèle classique de la découverte est le suivant: vous recherchez ce que vous savez (par exemple, une nouvelle façon d’atteindre l’Inde) et trouvez quelque chose que vous ne connaissez pas (l’Amérique). C’est ce qu’on appelle un heureux hasard, la sérendipité. Un terme inventé par l’écrivain Hugh Walpole, dans un conte de fées, « Les trois princes de Serendip » qui « sont toujours en train de faire des découvertes par accident ou sagacité, de choses qu’ils ne recherchaient pas. » […] Sir Francis Bacon a fait observer que les progrès les plus importants sont les moins prévisibles.

[Page 169] Les ingénieurs ont tendance à développer des outils pour le plaisir de développer des outils. Outils qui conduisent à des découvertes inattendues. [Donc, je suis en désaccord avec la définition de Taleb: « Un nerd est tout simplement quelqu’un qui pense à l’intérieur de la boîte ». Ce n’est peut-être pas un grand désaccord, mais je préfère celle-ci: «Un nerd est une personne qui utilise le téléphone pour parler à d’autres personnes des téléphones. Et un nerd en informatique est donc quelqu’un qui utilise un ordinateur pour pouvoir utiliser un ordinateur. [Voir le Triomphe des Nerds] Et d’ajouter [Page 170] Pasteur affirme que « La chance ne sourit qu’aux esprits bien préparés. […] « Sur la difficulté de prévoir, il suffit de regarder l’échec du Segway pour lequel il a été prophétisé qu’il allait changer la morphologie des villes. »

[Page 184] Un autre exemple de cible de Taleb: l’optimisation [mon domaine d’expertise passée!] « L’optimisation consiste à trouver le résultat mathématiquement optimal qu’un agent économique pourrait atteindre. L’optimisation est un cas de la modélisation stérile ».

La politique

[Page 16] La catégorisation produit toujours une réduction de la véritable complexité. Essayez d’expliquer pourquoi ceux qui sont favorables au droit à l’élimination d’un fœtus dans le ventre de la mère s’opposent également à la peine capitale. [Et réciproquement]

Ce qui me fait penser à la citation de André Frossard: « Le malheur, c’est que la gauche ne croit pas beaucoup au péché originel et que la droite ne croit pas beaucoup à la rédemption. »

[Page 52] « Je n’ai jamais dit que les conservateurs sont généralement stupides. Je voulais dire que les gens stupides sont généralement conservateurs. » se plaignait John Stuart Mill. Le problème est chronique: si vous dites aux gens que la clé du succès n’est pas toujours liée aux compétences, ils pensent que vous leur dites que ce n’est jamais la compétence qui compte, mais toujours la chance.

[Page 227] Ce qui peut expliquer « nous vivons dans une société d’une personne, une voix, où les impôts progressifs ont été adoptés précisément pour affaiblir les gagnants ». Je ne sais pas si Taleb ne préfère pas le monde aristocratique. Au moins, il semble favoriser ses amis dans ce monde.

[Page 255] Il est vrai que je cherche dans la vie les personnages intellectuellement sophistiqués. Mon père érudit et esprit universel – qui, s’il était encore vivant, n’aurait été que deux semaines plus agé que Benoît Mandelbrot [son mentor sur les fractales et les non-linéarités] – aimait la compagnie des prêtres jésuites extrêmement cultivés. Je me souviens de ces visiteurs jésuites […] Je me souviens que l’un deux avait un diplôme de médecine et un doctorat en physique, et encore qu’il enseignait l’araméen à la population locale dans l’Institut des Langues Orientales de Beyrouth . […] Ce genre d’érudition impressionnait mon père bien plus que le « scientifique travailleur à la chaîne ». J’ai peut-être quelque chose dans mes gènes qui m’éloigent des « bildungsphilisters ».

La mondialisation / l’Évolutivité

[Page 28] Les professions évolutives (« scalable ») sont bonnes seulement si vous avez du succès, elles sont plus concurrentielles, produisent des inégalités monstrueuses et sont beaucoup plus aléatoires. Prenons l’exemple de l’enregistrement de la musique d’abord, de l’alphabet, de l’imprimerie. Aujourd’hui, peu d’acteurs prennent presque tout, et ne laissent que des miettes aux autres. « Winner takes all ».

[Page 32] Au Mediocristan, « lorsque votre échantillon est suffisamment grand, pas un seul cas ne change notablement le total ». En Extremistan, « Bill Gates pour sa richesse et J. K. Rowling dans la vente de livres changent totalement la moyenne d’une foule. Presque tous les problèmes sociaux sont en Extremistan. » [Lors de ma présentation à la conférence BCERC, j’eus une remarque d’un type similaire sur mon travail sur les start-up high-tech: « mais vous n’étudiez que 2% des entrepreneurs! » Et j’ai répondu, oui, mais quel impact (de type Extremistan)…]

[Page 85] « Les activités intellectuelles, scientifiques et artistiques appartiennent à la province de l’Extremistan. Je suis toujours à la recherche d’un contre-exemple simple, une activité non-terne qui appartient au Mediocristan. »

[Page 90] « Vous devez voir que les investisseurs vivent mieux que les entrepreneurs, mais aussi que les éditeurs vivent mieux que les auteurs, les agents vivent que les artistes, et la science se débrouille mieux que les scientifiques. » [Je peux ajouter que les chercheurs d’or font moins d’argent que les gens qui leur ont vendu des pics et des pelles.]

[Page 102] La conséquence de la dynamique de superstar, c’est que ce que nous appelons « l’héritage littéraire » où les « trésors littéraires » sont une infime proportion de ce qui a été produit de façon cumulée. Balzac était juste le bénéficiaire d’une chance disproportionnée par rapport à ses pairs.

[Page 118] Le problème ici avec l’univers et la race humaine est que nous sommes les survivants chanceux (qui ne devraient pas avoir survécu – il n’y a pas là de destinée, mais une survie a posteriori].

Les statistiques

[Page 37] Taleb n’est pas contre les statistiques, mais contre la loi de Gauss, les moyennes, etc. « Les Cygnes noirs ne sont pas modélisables. Ce sont des phénomènes communément appelés par des termes tels que évolutifs, invariants par échelle, les lois de puissance, de Pareto-Zipf, la loi de Yule, les procédures paréto-stables et de lois de Levy -stables et fractales. »

[Page 239] Les écarts-types n’existent pas en dehors de la gaussienne, ou si elles existent, elles ne comptent pas et n’expliquent pas grand-chose. Mais il y a pire. La famille gaussienne (qui comprend divers amis et parents, comme la loi de Poisson) est la seule classe de distributions que l’écart type (et la moyenne) est suffisante à décrire. Vous n’avez besoin de rien d’autre. La courbe en cloche satisfait le réductionnisme de l’illusion. Il y a d’autres notions qui ont peu ou pas de signification en dehors de la gaussienne: la corrélation et pire, la régression. Pourtant, elles sont profondément ancrées dans nos méthodes: il est difficile d’avoir une conversation d’affaires sans avoir entendu le mot corrélation.

[Page 240] Taleb n’a rien contre les mathématiciens, mais il pense comme Hardy: Les «vraies» mathématiques des «vrais» mathématiciens, les mathématiques de Fermat, Euler, Gauss, Abel et Riemann sont presque entièrement « inutiles » (et cela est aussi vrai des mathématiques «appliquées» que des mathématiques «pures»).

[Page 252] Une caractéristique essentielle des statistiques gaussiennes est la vérification de deux hypothèses:
Première hypothèse centrale: les événements sont indépendants les uns des autres. Une pièce de monnaie n’a pas de mémoire. Le fait que vous ayez obtenu pile ou face sur le test précédent ne modifie pas les chances d’obtenir pile ou face au prochain lancer. Vous ne devenez pas un « meilleur » lanceur de pièce au fil du temps. Si vous introduisez la mémoire ou les compétences dans le lancer, l’ensemble du modèle de Gauss devient caduque. (Et notez qu’il y a attachement préférentiel et un avantage cumulatif dans le monde réel et donc non gaussien.) Deuxième hypothèse centrale: pas de saut « sauvage ». La taille du saut aléatoire est toujours connue, à savoir une seule étape. Il n’y a aucune incertitude quant à la taille de l’étape. […] Je n’ai pas de toute ma vie pu trouver quelqu’un autour de moi dans le monde des affaires et des statistiques qui était cohérent intellectuellement, en ce sens qu’il ait accepté à la fois le Cygne noir et a rejeté les outils de Gauss. Beaucoup de gens acceptent mon idée du Black Swan, mais ne peuvent aller jusqu’au bout de sa conclusion logique, qui est que vous ne pouvez pas utiliser une seule mesure de l’aléa appelé écart-type (ni l’appeler « risque »), vous ne pouvez pas trouver une mesure simple qui caractérise l’incertitude.

Mais Taleb va encore plus loin. [Page 272] «Mais le hasard fractal ne donne pas de réponse précise. […] les fractales de Mandelbrot nous permettre de rendre compte de quelques cygnes noirs, mais pas de tous. […] Un cygne gris peut modéliser des événements extrêmes, un cygne noir décrit des « inconnus inconnus ». […] Je le répète: Mandelbrot traite des cygnes gris, je m’occupe du Cygne Noir. Ainsi Mandelbrot domestique beaucoup de mes cygnes noirs, mais pas tous, pas complètement.

La finance

Taleb montre que les accidents d’achat d’actions sont parfois liés à la modélisation et il est particulièrement critique des options de Black-Scholes . Il est très critique des théories de portefeuille et des prix Nobel associés (Markowitz, Samuelson, Hicks ou Debreu), « une démolition des idées de Keynes ». L’histoire du hedge fund LTCM en est une illustration de points Taleb.

Le Business et la Technologie

[Page xxv] Presque aucune découverte, aucune technologie notable ne sont nées de la conception et de la planification – elles étaient tout simplement des cygnes noirs. […] Donc, je suis en désaccord avec les disciples de Marx et avec ceux d’Adam Smith: la raison du succés du libéralisme, des marchés, c’est qu’ils permettent aux gens d’être chanceux grâce à un processus agressif d’essais et d’erreurs, et non parce qu’ils donnent des récompenses ou des «incitations» pour les compétences.

[Page 17] Le monde des affaires est inélégant, terne, pompeux, vorace, inintellectual, égoïste et ennuyeux. […] Ce que j’ai vu, c’est que dans quelques-unes des plus prestigieuses business schools dans le monde, les dirigeants des sociétés les plus puissantes ont été invités à décrire ce qu’ils ont fait pour gagner leur vie et il était bien possible qu’ils ne savaient pas trop ce qui se passait.

[Page 135] Lorsque je demande aux gens de nommer trois technologies récemment mises en œuvre et ayant un impact sur notre monde d’aujourd’hui, ils proposent généralement l’ordinateur, l’Internet et le laser. Aucune des trois n’était planifiée; elles furent imprévues et peu appréciées lors de leur découverte, et sont restées incomprises bien après leur utilisation initiale. Ils étaient consécutifs. Ils étaient cygnes noirs.

Critique de la moyenne

[Page 295] « La moitié du temps, je suis un hypersceptique, l’autre moitié je suis plein de certitudes. […] La moitié du temps je déteste les cygnes noirs, l’autre moitié je les aime. […] La moitié du temps je suis très prudent, l’autre moitié je suis hyperactif. » Je pourrais supprimer les guillemets!

Je n’en ai pas totalement fini avec le Cygne Noir, je suis en train de lire l’essai de 70 pages que Taleb a ajouté à la dernière édition de poche. Il pourrait y avoir plus à dire (et à lire si vous m’avez suivi jusqu’ici…)

* Poincaré est cité dans Le Monde le 7 Juillet 2012, par Cédric Villani, qui mentionne également les cygnes noirs dans Villani, Dans les entrailles des cygnes noirs.

Les serial entrepreneurs sont-ils meilleurs?

Les serial entrepreneurs sont-ils meilleurs? C’est un sujet classique de l’entrepreneuriat et il me semble que la légende urbaine dirait plutôt que oui. Il y a des travaux académiques qui vont dans ce sens, avec l’idée que l’expérience compte. Pourtant, je viens de terminer un travail de recherche que j’ai présenté à la conférence BCERC à Fort Worth (Texas). Il est  basé sur mon travail passé sur les start-up liées à Stanford: Stanford University and High-Tech Entrepreneurship: An Empirical Study (vous pouvez voir ici la présentation et l’article). L’article sur les serial est disponible sur le SSRN network et vous pouvez aussi cliquer sur l’image pour voir la présentation (en pdf) que j’ai faite.


cliquer sur l’image pour voir la présentation pdf

Et la conclusion? Je ne trouve pas de preuve que les novices seraient moins bons. Il s’agit d’un « work in progress » mais parcourez les slides et vous le verrez en particulier sur les slides 7, 9 et même 20. La slide 7 donne des valeurs moyennes selon l’expérience. La slide 9 (graphiques q-q) monre autre chose: les serial font plutôt pire avec le temps. Enfin la slide 20 montre que le taux de succès des serial ayant réussi est de 28-29 % ce qui est similaire aux novices (le chiffre n’est pas sur la slide). Par contre les serial ayant échoué ont un taux de succès moindre. Comme si le talent comptait plus que l’expérience…

Les start-up se cachent pour mourir

Nouvelle chronique de la série « la start-up du mois » que j’écris pour l’EPFL

03.06.12 – La hantise de l’échec explique sans doute l’absence d’un Google européen. Tandis qu’outre-Atlantique les start-ups naissent et meurent au grand jour, leurs homologues du vieux continent s’accrochent à la vie, parfois en dépit du bon sens.

La 4ème start-up du mois n’existe pas ! Du moins pas à l’EPFL, ni même en Suisse ou en Europe. Je parle de la start-up qui échoue. Les start-up européennes sont un véritable paradoxe. Nous nous plaignons souvent de ne pas avoir de grands succès à la Google, Apple ou Facebook, mais nous n’avons pas non plus d’échec ! Dans un travail de doctorat publié en 2011, le chercheur et professionnel du transfert de technologie Sven de Cleyn montre que moins de 10% des start-up universitaires européennes ferment boutique [1] ; dans une étude datant de 2008, l’ETHZ avait des métriques similaires, avec 88% de taux d’activité [2]. L’EPFL ne déroge pas à la règle.

En réalité, ce phénomène curieux s’explique aisément. Les start-up européennes se focalisent sur la survie, au point que Sven de Cleyn a dû utiliser ce paramètre pour définir le succès. L’échec est tellement stigmatisé culturellement qu’il doit être évité, presque à tout prix. Voilà une des raisons fondamentales de nos difficultés. Dans l’excellent film Something Ventured, elles sont appelées des « mort-vivants » par les Californiens, adeptes d’une vision manichéenne : le succès ou la mort !

Pourtant, l’échec est loin d’être une mauvaise chose. Il est même nécessaire. Qui n’est pas tombé plusieurs fois en apprenant à pratiquer le ski, le roller ou plus simplement la bicyclette ? Comment ne pourrait-on pas échouer dans la tâche autrement plus complexe qui consiste à amener une technologie ou un produit innovant sur le marché ? Schumpeter, célèbre économiste de l’innovation, avait créé le concept de «destruction créatrice», en expliquant que le nouveau remplace l’ancien, et que cela est en fait une bonne chose. Il utilisait une image saisissante : « Ce n’est pas le propriétaire de diligences qui construit les chemins de fer. »

Dans son célèbre discours à Stanford en 2005, Steve Jobs ne dit pas autre chose : « Ne jamais oublier que je vais mourir bientôt est le moyen le plus important que j’ai jamais utilisé pour m’aider à faire les grands choix de mon existence. Parce que presque tout, les espérances, la fierté, la crainte de la honte ou de l’échec, ces choses s’évanouissent face à la mort, ne laissant vivace que ce qui compte vraiment. Ne pas oublier que l’on va mourir est le meilleur moyen que je connaisse d’éviter le piège de penser que l’on a quelque chose à perdre. »

Alors, vous me direz que cela est plus facile à dire qu’à vivre ! En effet, il est difficile de mentionner les échecs, de donner des exemples, tant les entrepreneurs semblent réticents à s’exposer. Je pourrais en citer un certain nombre, mais sans le consentement des entrepreneurs. J’aurais presque pu intituler cet article « Recherche échec de start-up désespérément ».

Il semble que les start-up se cachent pour mourir. Jamais n’ont lieu de funérailles dignes pour celles qui échouent. Pourtant, la FailCon a brisé ce tabou. Cette conférence s’adresse aux entrepreneurs de technologie, investisseurs, développeurs et concepteurs. Elle est dédiée à l’étude de leurs propres échecs et des autres, pour se préparer au succès. Lors de la première édition à San Francisco en 2011, le célèbre Vinod Khosla admettait avoir plus souvent échoué qu’il n’avait réussi. L’échec n’est pas souhaitable, il fait juste partie du système, et il serait grand temps de l’intégrer. A quand une FailCon en Suisse?


[1] Sven H. De Cleyn, The early development of academic spin-offs: holistic study on the survival of 185 European product-oriented ventures using a resource-based perspective.University of Antwerpen, 2011
[2] Oskarsson I., Schläpfer A.,The performance of Spin-off companies at the Swiss Federal Institute of Technology Zurich.ETH transfer 2008.

Freeman Dyson : Portrait du scientifique en rebelle

Freeman Dyson est un étrange scientifique, mélange de conservatisme sage et modéré et de défricheur de l’iconoclasme. Il prône des analyses à froid mais adore ce qui est étrange. Je viens de lire Portrait du scientifique en rebelle, un livre magnifique ou chacun doit pouvoir trouver sa part de stimulation intellectuelle.

Quel rapport avec l’innovation ou l’entrepreneuriat high-tech? Assez peu directement, et le sujet est plus proche des mes autres articles sur des livres de réflexion sur la science (Smolin, Ségalat par exemple). Il y a en fait de nombreuses connections entre recherche scientifique et innovation technologie, ne serait-ce que du point de vue de la créativité. Autre lien des plus ténus, il est le père de Esther Dyson, capital-risqueuse célèbre dans la Silicon Valley.

L’échec en est un autre exemple. Dans une interview antérieure à ce livre Dyson disait à propos du rôle de l’échec: « Vous ne pouvez pas raisonnablement obtenir une bonne technologie sans un nombre énorme d’échecs. Si vous regardez les bicyclettes, il y avait des milliers de modèles bizarres construits et testés avant qu’ils ne trouvent celui qui marchait vraiment. Vous ne pouvez jamais construire une bicyclette théoriquement. Même maintenant, après les avoir construit depuis une centaine d’années, il est très compliqué de comprendre comment fonctionne une bicyclette – il est même difficile de le formuler comme un problème mathématique. Mais juste par essais et échecs, nous avons trouvé comment le faire, et l’erreur était essentielle! » (tiré de Freeman Dyson’s Brain.)

Le titre « Portrait du scientifique en rebelle » n’est pas non plus sans me rappeler la citation de Pitch Johnson que j’avais mentionnée dans Entrepreneurs et Révolution: “Les entrepreneurs sont les révolutionnaires de notre temps” et il s’expliquait ainsi: “La démocratie fonctionne mieux quand il y a un peu de turbulence dans la société, quand ceux qui ne sont pas encore à l’aise peuvent grimper l’échelle économique en utilisant leur intelligence, leur énergie et leur habileté pour créer de nouveaux marchés ou mieux servir les marchés existants.”

Dans ce livre, il est question d’éthique, de religion, de changement climatique et de scientifiques aussi varés que Gödel, Erdös, Hardy, Oppenheimer, Feynman bien sûr, Teller l’indéfendable, et Thomas Gold dont je n’avais jamais entendu parler.

Le chapitre sur Gold et celui qui a le plus retenu mon attention et s’intitule « un hérétique des temps modernes. » Gold a abordé des sujets aussi divers que
– la physiologie de l’oreille (validée 30 ans plus tard malgré les résistances de tout ordre),
– la théorie du déplacement de 90 degrés de l’axe de la terre,
– l’origine abiotique du gaz naturel et du pétrole, (i.e. pas issu de la dégradation d’êtres vivants,)
– l’existence de la vie à l’intérieur de la croute terrestre,
– l’interprétation des pulsars.
Il n’a pas eu peur de se tromper sur des sujets comme
– l’état stationnaire de l’univers,
– la lune couverte de poussière électrostatiques.
Gold était « un intrus mais tout sauf un ignorant » et ajouta que « la science n’est pas drôle si on n’a jamais tort. » Je viens de trouver un autre article de blogger sur Gold si vous souhaitez en savoir plus: The Radical Ideas Of Thomas Gold.

Dyson a écrit un livre stimulant, passionant, et je ne peux qu’en encourager la découverte!

Une excellente étude sur les spin-off universitaires européennes

Je viens de lire une excellente étude sur les spin-off académiques européennes. Comme il s’agit d’un thèse de doctorat écrite en anglais, j’en ai fait un long résumé sur la partie anglaise de mon blog: A great study on European academic spin-offs.

les résultats sont parfois surprenants, mais la vraie leçon est qu’en Europe succès veut dire survie. C’est l’échec qui est craint et le gros succès n’est du coup peut-être pas l’objectif. Mais vous verrez que les leçons sont multiples.

Andy Bechtolsheim parle à Stanford du processus d’innovation

Je vous invite à passer sur la partie anglophone de mon blog pour trouver un résumé de la magnifique conférence de Andy Bechtolsheim sur le processus d’innovation.
Le fondateur de Sun Microsystems et business angel de Google y décrit son point de vue sur le sujet: ni R&D, ni marketing, l’innovation pour lui est la mise sur le marché d’un produit qui satisfait à une demande (parfois inconsciente.)


cliquer sur l’image pour un accès direct à la conférence

Israel, la « Start-Up Nation »

Grâce à l’occasion que j’ai eue de rencontrer le « Chief Scientist (OCS) » d’Israël, et le fait d’avoir reçu le livre Start-Up Nation à la fin de la réunion, permettez-moi de vous donner mon opinion sur ce livre très intéressant. Mais tout d’abord voici un certain nombre de choses toutes simples au sujet d’Israël et de l’innovation.


La version française publiée par Maxima en septembre 2011

Comme l’indique la carte (adaptée de John Kao, Harvard et présentée à cette réunion de l’OCS), Israël est une superpuissance de l’innovation. Cisco, Intel, Microsoft, Novartis, Nestlé et beaucoup d’autres y sont présents. Check Point est la plus grande réussite des start-up israéliennes, mais Israël a plus de start-up cotées sur le Nasdaq que l’Europe et le capital-risque y est très actif. Enfin, le bureau du Chief Scientist gère et finance le côté public de l’innovation en Israël. Tout cela est parfaitement analysé dans le livre Start-Up Nation que je viens de lire.

Je pensais que je savais beaucoup de choses sur Israël, mais le livre est riche en anecdotes. L’histoire d’Israël est bien décrite et l’innovation a été sans doute une nécessité pour survivre. S’il y a un point que j’ai apprécié un peu mois c’est l’importance que les auteurs donnent à l’armée. Ils peuvent avoir raison, ce n’est pas le problème, mais je trouve que le sujet revient un peu trop au fil des chapitres. Cela reste un grand livre et une lecture incontournable pour quiconque s’intéresse à l’innovation high-tech et à l’entrepreneuriat.

Je voudrais maintenant citer un certain nombre de choses que j’ai aimées. Ceci n’est pas structuré du tout, mais je j’espère que je vais ainsi vous inviter à lire le livre. De plus vous verrez que j’ai un peu trop utilisé Google Translate!

Extrait de l’introduction

Eric Schmidt, CEO et et président de Google, a ainsi déclaré que les États-Unis sont numéro un dans le monde pour les entrepreneurs, mais « après les États-Unis, Israël est le meilleur. » Steve Ballmer a appelé Microsoft « une société israélienne autant qu’américaine en raison de la taille et l’importance de ses équipes israéliennes. »

Les auteurs commencent par expliquer que l’adversité et la multidimensionnalité autant que le talent des individus, sont critiques: « c’est une histoire non seulement de talent, mais de ténacité, de contestation incessante de l’autorité, d’informalité tenace, combinée avec une attitude unique envers l’échec , le travail en équipe, un sens de la mission, du risque, et de la créativité interdisciplinaire. »

Chapitre 1 – Persistence

Les Américains ont toujours besoin de placer une plaisanterie, mais je l’ai trouvée drôle et juste!
Quatre hommes sont à un coin de rue. . .
un Américain, un Russe, un Chinois, et un Israélien. . . .
Un journaliste vient vers le groupe et leur dit:
« Excusez-moi. . . . Quelle est votre opinion sur la pénurie de viande?  »
L’Américain dit: Qu’est-ce qu’une pénurie?
Le Russe dit: Qu’est-ce que la viande?
Le Chinois dit: Qu’est-ce qu’une opinion?
et l’Israélien dit: Qu’est-ce que « Excusez-moi »?

-Mike Leigh dans Deux Mille Ans

– Aucune inhibition à défier la logique de la façon dont les choses ont été faites depuis des années.
– Un attitude rude, une culture agressive mais qui tolère l’échec.
– L’attitude et l’informalité israéliennes proviennent aussi d’une tolérance culturelle pour ce que certains Israéliens appellent des «échecs constructifs» ou «échecs intelligents».
– Il est essentiel de faire la distinction entre « une expérience bien planifiée et la roulette russe ».
(Lors de la réunion avec le chief scientist, il y eut un argument similaire: « si nous avons un taux de succès de 5%, nous ferions mieux de donner la responsabilité de choisir aux ânes et si il est de 70%, nous ne prenons pas assez risques »)
– Amos Oz parle « d’une culture du doute et de l’argument, un jeu ouvert d’interprétations, contre-interprétations, de réinterprétations, puis d’interprétations opposées. Dès le début de l’existence de la civilisation juive, elle a été reconnue pour son plaisir à argumenter.  »

Chapitre 2 – Leçons de l’armée

– Hiérarchie étroite et autonomie donnent beaucoup de responsabilités aux individus; dès la base, l’autorité est discutée.
– Les gens sont matures plus tôt.
– Pas besoin d’attendre pour agir.
– « La clé du leadership, c’est la confiance des soldats en leur commandant. Si vous n’avez pas confiance en lui, si vous ne le croyez pas, vous ne pouvez pas le suivre. »
– « Si vous ne savez même pas que les gens de l’organisation sont en désaccord avec vous, alors vous êtes en difficulté »

– « L’expérience réelle aussi vient généralement avec l’âge ou la maturité. Mais en Israël, vous acquérez de l’expérience, de la perspective, et de la maturité à un âge plus jeune, parce que la société mélange tant d’expériences de transformation alors que vous êtes à peine sortis de l’école secondaire. Au moment où ils sortent du lycée, leurs esprits sont différents de ceux de leurs homologues américains. « … » La notion que l’on doit accumuler de la compétence avant de lancer une entreprise n’existe tout simplement pas. « 

Un réseau dense – l’ensemble du pays n’est qu’à un degré de séparation (Yossi Vardi)

Chapitre 5 – Ordre et chaos

– « Les dirigeants de Singapour n’ont pas réussi à innover comme Israël dans un monde qui donne une grande importance à un trio d’attributs historiquement étrangers à la culture de ce pays: l’initiative, la prise de risque, et l’agilité; en plus d’être de véritables experts qui peuvent improviser dans des situations de crise. »
– « L’innovation est fondamentalement une entreprise expérimentale » (improvisation plus que discipline)
– « Apprendre de ses erreurs sans craindre de perdre la face. »
– « Personne n’apprend de quelqu’un qui est sur la défensive. »
– « Selon une nouvelle école d’économistes qui étudient les ingrédients clés pour l’esprit d’entreprise, la fluidité est un atout lorsque les gens peuvent traverser les frontières, s’opposer aux normes sociales, créer de l’agitation dans une économie de libre marché, et catalyser toutes les idées radicales. »

Chapitre 7 – Immigration

Les immigrants ne sont pas opposés à recommencer. Ils sont, par définition, des preneurs de risque. Une nation d’immigrants est une nation d’entrepreneurs. – Gidi Grinstein

Sergey Brin fut invité à parler dans une école israélienne: « Mesdames et messieurs, jeunes filles et jeunes garçons », dit-il en russe, sa langue maternelle (ce qui provoqua des applaudissements spontanés). « J’ai émigré de Russie quand j’avais six ans, » Brin continua. « Je suis allé aux États-Unis. Je suis comme vous, j’ai des parents juifs russes. Mon père est un professeur de mathématiques. Mes parents ont une certaine attitude au sujet des études. Et je peux comprendre que ici aussi, car on m’a dit que votre école a récemment obtenu sept des dix premières places dans un concours de mathématiques dans tout Israël. » … « Mais ce que j’ai à dire, » Brin a continué, à travers les applaudissements, « est ce que mon père disait- Mais pourquoi pas les trois autres prix? »

Les auteurs mentionnent les travaux fondateurs de AnnaLee Saxenian (Regional Advantage, the New Argonauts). Voici quelques exemples de la diaspora high-tech israélienne mentionnée dans le livre:
– Dov Frohman – Intel – 1974 – lien Wikipedia. Apparemment, Israël a été au cœur de l’innovation d’Intel dans les dix dernières années et Intel est le premier employeur privé en Israël.
– Michael Laor – Cisco – 1997 – Voir son profil Linkedin . Cisco a acquis 9 start-up israéliennes depuis que Laor est revenu (plus que les acquisitions de Cisco dans aucun autre pays sauf les États-Unis)
– Yoelle Maarek – Google – http://yoelle.com maintenant à Yahoo!

Mais il ne faut pas oublier Mirabilis / ICQ (voir ci-dessous) ou Check Point. Check Point a été créé en 1993, par le Président & CEO de la société Gil Shwed, http://en.wikipedia.org/wiki/Gil_Shwed à l’âge de 25 ans, avec deux de ses amis, Marius Nacht (actuellement au poste de vice-président) et Shlomo Kramer (qui a quitté Check Point en 2003 pour lancer une nouvelle entreprise).

Chapitre 9 – Yozma

Un autre membre de cette unique diaspora: Orna Berry – doctorat USC – Unisys -IBM puis ORNET et Gemini, enfin chef de l’OCS… L’industrie du VC a été vraiment lancée par l’effort de Yozma de même que pour les incubateurs israéliens. Gemini fut le premier fonds Israël. (voir la page wikipedia en anglais sur le capital risque en Israel)

Une autre citation sur les start-up face aux industries plus matures: « Dans l’aéronautique, vous ne pouvez pas être un entrepreneur »… « Le gouvernement est propriétaire de l’industrie, et les projets sont énormes. Mais j’ai appris beaucoup de choses techniques, qui m’ont énormément aidé plus tard. »

Chapitre 12 – La trans-disciplinarité

« Il ya une mentalité multi-tâche ici. » La mentalité multi-tâche produit un environnement dans lequel les titres et les cloisonnements qui vont de pair ne signifient pas grand chose.
– « La combinaison de mathématiques, biologie, informatique et chimie organique à Compugen »
– « Mettre tout cela ensemble nécessite une combinaison de compétences techniques peu orthodoxes. »

« Le terme aux États-Unis pour ce type de choses est un mashup. Et le terme lui-même a été rapidement transformé pour acquérir de nouvelles significations. … Un mashup encore plus puissant, à notre avis, se produit quand l’innovation est née de la combinaison de technologies et disciplines radicalement différentes. Les entreprises où les mashups sont les plus courants en Israël sont celles des appareils médicaux et le secteur de la biotechnologie, où vous trouverez des ingénieurs en soufflerie et les médecins qui collaborent à un dispositif au format carte de crédit. »

Mais les auteurs n’ont pas oublié de mentionner que Israël est un pays avec une raison d’être, une motivation très forte.

Les role models

« Bien qu’Israël fût déjà bien immergée dans la haute technologie, la vente d’ICQ/Mirabilis a été un phénomène national. Il a inspiré beaucoup d’Israéliens à devenir entrepreneurs. Les fondateurs, après tout, étaient un groupe de jeunes hippies. Nombreux sont ceux qui pensent qu’exposer à toutes les formes de succès pousse à penser « si ce gars-là l’a fait, je peux faire mieux« . En outre, la vente a été une source de fierté nationale, comme gagner une médaille d’or aux Jeux Olympiques. »

«Il y a un moyen légitime de réaliser un profit parce que vous êtes en train d’inventer quelque chose», dit Erel Margalit «Vous parlez d’un mode de vie, pas nécessairement combien vous allez gagner, même si l’argent est aussi une motivation.»

« En effet, ce qui rend le mélange actuel d’Israël si puissant est qu’il est un mashup de patriotisme des fondateurs, de motivation, de conscience constante de la rareté et de l’adversité et doté en plus d’une culture de la curiosité et de l’agitation qui ont des racines profondes dans l’histoire juive et israélienne. » explique Shimon Peres et d’ajouter: « La plus grand contribution du peuple juif dans l’histoire est l’insatisfaction ».

Encore une fois: « pas seulement du talent, mais de la ténacité, une insatiable contestation de l’autorité, une informalité déterminée, et une attitude unique face à l’échec, le travail en équipe, la motivation, le risque et la créativité interdisciplinaire. »

En guise de conclusion

« Alors, quelle est la réponse à la question centrale de ce livre: Ce qui rend Israël si novateur et entrepreneurial? L’explication la plus évidente réside dans un modéle de cluster classique du type décrit par le professeur de Harvard, Michael Porter et que la Silicon Valley incarne. Il se compose d’une proximité de grandes universités, de grandes entreprises, de start-ups, et d’un écosystème qui les relie entre eux, y compris des fournisseurs, un bassin de talent, et du capital risque. La partie la plus visible de ce système est le rôle des militaires avec une R&D considérable dans les systèmes de pointe et des unités d’élite technologique. Les retombées de cet investissement important, tant dans les technologies que les ressources humaines, vont directement vers l’économie civile… Mais cette  « couche externe » n’explique pas entièrement le succès d’Israël. Singapour a un fort système éducatif et la conscription, la Corée; a été confrontée à une menace sur sa sécurité durant toute son existence; la Finlande, la Suède, le Danemark et l’Irlande sont les pays relativement petits avec une technologie de pointe et d’excellentes infrastructures, ils ont produit beaucoup de brevets et en ont connu une croissance économique robuste. Certains de ces pays ont connu un croissance plus forte qu’Israël, mais aucun d’entre eux n’a produit un tel nombre de start-up ou n’a attiré de tels niveaux de capital-risque. Ce qui manque dans ces autres pays est un noyau culturel construit sur un goût de l’agressivité et un esprit d’équipe, bâtis sur un isolement et un réseau dense, avec le désir du petit de devenir grand. Quantifier cette face cachée, qui fait partie d’une économie culturelle n’est pas chose facile. C’est une combinaison inhabituelle de caractéristiques culturelles. En fait, Israël a des scores élevés sur l’égalitarisme, le dévouement et l’individualisme. En Israël, ces attributs apparemment contradictoires, à la fois ambitieux et collectiviste prend son sens quand on sait que les Israéliens vont passer tant de temps dans l’armée . Il n’y a pas de leadership sans exemple et sans inspirer votre équipe. Le secret du succès d’Israël est la combinaison d’éléments classiques de grappes technologiques avec certains éléments uniques de la culture israélienne qui renforcent les compétences et l’expérience des individus, les fait travailler ensemble plus efficacement en équipe, et fournit des connexions fortes et facilement accessibles au sein d’une communauté établie et en pleine croissance. »

J’espère que vous seraz arrivé au bout de ce long article malgré la langue googlelienne! Si cela est le cas, je crois que votre prochain achat sera Start-Up Nation!

Le succès est la gestion de l’échec

« Bien sûr les affaires, tout comme la vie, n’est jamais un long fleuve tranquille. L’échec peut survenir à tout moment et de manière inattendue, comme le succès d’ailleurs. Mais le vrai succès consiste à gérer les échecs. A chaque revers de fortune, il faut être capable de retourner la situation. C’est pourquoi il faut toujours être prêt à faire face aux échecs et construire des équipes solides. Pour être un entrepreneur, un investisseur ou un philanthropiste qui réussit, il faut réunir des gens qui savent qu’il y aura des problèmes, qui aiment résoudre ces problèmes et qui peuvent travailler en équipe. » … « Cela me rappelle qu’il faut être humble. Je célèbre donc l’échec, cela tempère le caractère et prépare au succès. » Kamran Elahian.

Kamran Elahian est un célèbre entrepreneur de la Silcion Valley. Il a fondé Cirrus Logic qui fut connue au point d’être sur le famuex poster de la Silicon Valley Genealogy. J’en fournis un extrait plus bas, vous ne pouvez pas lire le nom des fondateurs, mais voici ce qui est écrit: Suhal Patil (Patil Systems), Michael Hackworth (Signetics), Bill Knapp (General Instruments), M. Kei (Intel), H. Ravindra (Patil Systems) et Elahian himself (CAE Systems). Curieusement, Elahian a une liste différente sur son site web — Suhas Patil, H. Ravindra, Bill Knapp, Mark Singer.

Nesheim dans son livre High Tech Start Up mentionne aussi Cirrus et en donne la capitalisation à l’IPO. C’est d’ailleurs de ce livre dont je me suis inspiré pour faire mes propres tables.

Ensuite Elahian a fondé Centillium qui malgré une belle IPO en 200, n’a pas eu le même destin. En 2008, elle a été acquise pour environ $42M. L’échec précére donc le succès et lui succède parfois également. Elahian donne aussi les fondateurs de Centillium sur son site site: Shahin Hedayat, Faraj Aalaie, Babu Mandeva, Tony O’Toole.

Enfin, dans le même secteur que le semiconducteur pour les télécommunications, il y a une autre histoire similaire: Atheros vient d’annoncer son acquisition par Qualcomm pour environ $3.1B. Atheros est une des études de cas de mon livre car elle fut fondée par deux professeurs de Stanford (Theresa Meng et John Hennessy, aujourd’hui président de Stanford) et son CEO est Craig Barratt que j’ai eu comme « teaching assistant » quand j’étudiais en Californie. Qui a dit que les scientifiques/ingénieurs ne peuvent pas faire d’excellents dirigeants?!!

Mais le (possible) intérêt de tout cela est de comparer ces trois tableaux et de voir qu’à plus de 20 ans d’écart, ils ont de nombreuse ressemblances. Autant qu’avec les start-up du web dont j’avais tendance à plus parler récemment.

Pendant la bulle Internet, il y avait 77% d’échec; depuis, on en est à 40%.

Mon collègue et entrepreneur David Portabella vient de me mentionner le point de vue de Conwaysur ses investissements. Conwayest célèbre pour être un business angel qui a investi dans AskJeeves, Google et Paypal.

En résumé:

– Entre 1997 et 2001, 77% de ses investissements ont échoué. Depuis 2002, le taux d’échec est passé 40%.
– Les entrepreneurs ont 66% de chance de réussir dans une start-up s’il s’agit de leur deuxième.
– Il y a une erreur à considérer que “tous les 10 ans, nous avons un Google.” “Ce n’est pas vrai,” car il pense que cela ce fait à un rythme beaucoup plus rapide.

Si je suis d’accord avec les constatations que les échecs sont courants et que les succès ne sont pas rares, je suis moins convaincu que les entrepreneurs en série soient meilleurs que les autres. J’ai de solides données sur des entrepreneurs diplômés de Stanford qui ne m’indiquent pas pareil taux de succès. Je publierai ces résultats dans un avenir encore indéterminé…

Croissance et profits

Je vais faire comme je fais parfois, juste mentionner ici un post en Anglais: High Growth and Profits, que je n’ai pas le courage de traduire entièrement. J’y parle de croissance, de profits comme deux domaines qui seraient contradictoires au début des start-ups, j’y parle de mon retour à la recherche académique à travers la conférence Babson où Ernesto Bertarelli et Nicolas Hayek ont été deux intervenants passionnants.

Bertarelli a parlé de
passion, fire and love,
team,
vision,
taking chances,
risk of failing is OK
donc de valeurs!

Quant à Hayek, il a parlé de l’importance des créateurs plus que des managers.

Enfin, j’y parle de mon débat avec d’autres chercheurs qui privilégient les profits sur la croissance, chose qui est peut-être valable pour les PMEs, mais peut-être pas pour les start-ups high-tech, du moins à leurs débuts…

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