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Vallée du silicium selon Alain Damasio (la suite)

Si j’ose le jeu de lettres, le connectif a coupé net la double aile du collectif pour lui greffer à la place sa double haine – de soi et des autres. Que l’écrivain déploie une écriture qui fasse bruisser les désirs des liens dans son tissage. Alain Damasio, Vallée du Silicium, page 212.

Je continue donc ma lecture du passionnant Vallée du silicium d’Alain Damasio. Le premier post est ici.

Windows Into the Tenderloin

Je m’étais arrêté page 111 au moment o% Damasio décrit sa fascination pour la fresque de Mona Caron Windows Into the Tenderloin. Le tryptique dont l’un s’appelle One Way et un autre Another Way « envisage un avenir alternatif, une autre façon pour leur communauté d’exister ».

Love me Tender-Loin

Dans ses échanges avec des entrepreneurs et développeurs de la région, Damasio nous rappelle des (non-)évidences : « Nous sommes dirigés par l’innovation technologique, c’est la tech possible qui nous leade. On invente puis on avise. C’est seulement ensuite qu’on cherche à savoir à quoi ça pourra servir et surtout comment faire du fric avec. » [page 135]

« Il nous faudrait des comités d’éthique » pour nos inventions, en amont comme en aval, suggère [Chris]. Se poser la question des répercussions sociales, psychologiques ou politiques de nos découvertes et des techs que nous imposons à la société. Il a tout à fait raison. Mais toute la culture californienne s’oppose frontalement à ça : la quête féroce du profit, l’exigence de vitesse qu’elle implique, le « Winner takes all » qui l’intensifie encore, l’inanité éthique de l’Etat… Les produits seont commercialisés avant même qu’on ait pu réfléchir à leurs impacts. Rien de fatal là-dedans : juste une pure démission collective à tous les niveaux. [page 137]

En creusant, je découvre qu'[Arnaud] est stoïcien, comme beaucoup de dirigeants de la Silicon Valley depuis que Marc Aurèle et ses pensées guident ceux qui veulent discriminer ce qui dépend d’eux et ce qui n’en dépend pas. Très pratique, le stoïcisme en monde individualiste. Mal vulgarisée, cette philosophie recèle des contresens commodes : elle nettoie beaucoup de culpabilités. Gaza s’effondre sous les bombes ? Ca ne dépend pas de moi. Over [Page 139]

Il faut sans doute lire et relire sa théorie du problème à quatre corps. Le second est l’affreux jumeau numérique. Le troisième est le décorps, le rejet de la chair. « On fonce dans le décorps » écrit Damasio page 145. Page 148, il nomme le deuxième le Raccorps. Mais il voit une quatrième façon d’être au monde, l’Accorps, qu’il aurait pu appeler l’inconscient, le corps des actes manqués, qui produit des effets sans prévenir, qui nous rend amoureuses, malades ou folles. Génial Damasio !

Trouvère, le programmeur en artiste

Le sixième chapitre est une chose que j’ai peu lue : la description de l’informaticien, enfin plutôt le codeur, le développeur, le programmeur comme un créatif.

« Les grands mathématiciens sont toujours des créateurs, en ceci qu’ils affrontent des problèmes que ersonne avant eux n’avait eu, non pas l’intelligence, mais ma créativité de pouvoir résoudre. Parce qu’on ne les résout pas avec les techniques déjà existantes, ces problèmes, en appliquant équations, théorèmes ou routines de calcul. Il faut inventer. Il faut trouver autre chose. Et cela nécessite un saut qualitatif insu, une trouée subite dans le mur du déjà-calculé, du sagement déduit. […] « Qu’est-ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? » se demande Antonin Artaud, qui répond en ventriloque avec les mots de Van Gogh […] : « C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Il ne sert à rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience à mon sens. » […] Dessiner un programme a quelque chose à voir avec ce mur invisible que je me figure en monolithe de données liquides dressé verticalement entre le programmeur et ce qu’il peut en faire s’il parvient à le traverser. […] On reconnait volontiers un artiste à la manière dont il évoque sa matière première, puis la malaxe. [Pages 164-166]

Damasio nous parle de Gregory Renard un développeur qui cracke comme les hackers sa matière immatérielle, un trouvère du bricolage actif qui donne sa langue au chat [Page 172] en bon spécialiste du NLP (TAL en français) et qui selon Damasio a cette phrase magnifique : « On n’est jamais le contemporain de son temps. » (et mystérieuse pour moi !) [Page 176] « Greg est plus qu’un artiste : c’est un artisan. Un artisan total, qui fabrique à la fois ses propres machines, sa propre matière et sa façon unique de les solliciter. » [Page 176] J’ai l’impression de lire ce qu’on disait de Steve Wozniak, le concepteur des premiers Apple.

« Sa vision m’a obligé à nouveaux frais cette question simple. Qu’est-ce que serait, qu’est ce que c’est, une technologie positive ? »
> C’est d’abord une technologie qu’on puisse constamment bidouiller, hacker, transformer et personnaliser selon ses besoins. [Je retrouve la conception du bricolage, du « tinkering » qui serait une des racines de la Silicon Valley] […]
> C’est encore une technologie avec laquelle on dialogue, on hybride ses pratiques. […]
> C’est encore une technologie politique, jamais neutre. […]
> C’est enfin un rapport à la technologie qui a compris qu’au cœur de tout échange avec elle se tient d’abord le langage, les langages. […] transmettre ses compétences, ciseler l’information transmise. [Pages 184-86]

« Notre agacement face à la capitale mondiale de la Tech tient sans doute à notre dépendance, mâtinée d’impuissance, vis-à-vis des choix socio-techniques qu’elle opère à notre place et « pour notre bien ». Elle les opère en outre à partir d’une vision du monde qui demeure pour une écrasante majorité, celle de mâles, pour 80%, à crâne d’œufs (j’entends asiatique ou européen, jaunes et blancs), à plus de 90%, tandis que Latinos et Afro-Américains sont cantonnés aux rôles de vigiles, de concierges ou d’agents d’entretien. Heureux les Silicon Valets car le Royaume du Mieux est à eux ! Heureux les Affligés car ils seront consolés. A ces biais sexistes, sociaux et raciaux, se superpose un libertarisme féroce, qui couple individualisme de compétition et capitalisme total, quand il ne les explique pas. Le sociologue Olivier Alexandre le montre bien dans son solide livre La Tech, et il est impossible de ne pas le sentir quand on atterit là-bas : la cellule politique de base de la Silicon Valley n’est rien d’autre que l’entreprise. » [Page 202]

Damasio reste-il optimiste ? Il faut lire le dernier chapitre, Lavée du Silicium, nouvelle de science fiction, pour en juger. Mais dans les pages qui précédent, il en appelle à l’éducation, au combat intellectuel, à l’art : « Vous en appelez au trans-humain ? J’en appelle au très-humain. Ce qu’un Nietzsche bien compris appelait, lui, le sur-humain. » [Page 205]

Superintelligence ou Singularité, « mort de la mort » ou peuplement de Mars, peu importent l’énormité et le ridicule des prédictions, leur vocation n’est pas d’être réalistes. Elle est d’imposer des imaginaires dominants et d’ancrer des hyperstitions. Les Silicon leaders sont des mythocrates. [Page 211]

Nous autres écrivains et scénaristes de SF, que nos supports soient le roman, la bande dessinée, le jeu vidéo, le long-métrage ou la série, nous travaillons aussi le futur, mais en artisans. Et plus finement encore : en mythopètes. […] Que l’écrivain déploie une écriture qui fasse bruisser les désirs des liens dans son tissage […] Si j’ose le jeu de lettres, le connectif a coupé net la double aile du collectif pour lui greffer à la place sa double haine – de soi et des autres. [Page 212]

Lorsqu’on écrit, on se figure couramment que résister revient à argumenter. Ca n’a jmais suffit. Résister n’est pas davantage émouvoir, alerter ou faire peur. Résister consiste à réssusciter le désir. [Page 223]

Vallée du silicium selon Alain Damasio

« L’Amérique n’est ni un rêve, ni une réalité, c’est une hyperréalité. C’est une utopie qui dès le début s’est vécue comme réalisée. Tout ici est réel, pragmatique, et tout vous laisse rêveur. » Jean Baudrillard, Amérique.

La citation de Baudrillard est la première phrase du récent essai d’Alain Damasio, Vallée du silicium. Elle n’est pas sans me rappeler un autre brillant essai, Travels in Hyperreality cette fois d’Umberto Eco. L’Amérique serait un mélange de non lieu, sans Histoire, sans racines et de réalité la plus crue, matérialiste où la culture a un rôle des plus faibles, du moins la culture élitiste, pas la culture populaire.

Le livre d’Alain Damasio n’est pas très gai. Son analyse est nuancée mais le constat sans appel : « Mon hypothèse est la suivante […] ce qui manque c’est le lien. La capacité à lier. L’empathie et la sympathie minimales. La faculté hautement humaine, mais aussi pleinement mammifère, à pouvoir souffrir et sentir avec. La faculté à pouvoir être traversé par cette détresse, à la recevoir plein corps, au point de ne plus pouvoir la tolérer sans agir. » [Page 102-103]

Je vais revenir sur quelques unes de ses citations, mais ce matin j’ai repensé à cette bêtise qui consiste à dire que « Les Etats-Unis innovent, la Chine copie et l’Europe régule. » En réalité l’Europe essaie encore et toujours de protéger les plus faibles, l’Amérique et la Chine n’en ont cure. Mais ce constat moral ne changera sans doute rien aux folles poussées.

Je reviens donc à Damasio. A travers des rencontres, le romancier nous décrit un monde étonnant et son style créatif permet des sorties fulgurantes…

La Cathédrale Apple ou La Forteresse Apple ?

Damasio consacre le premier chapitre à Apple dont il essaiera en vain de visiter The Ring, l’Anneau l’Apple Park qui a tout d’une forteresse. Il y est pourtant accompagné de Fred Turner que j’ai mentionné de nombreuses fois ici. Il souhaitait parler en direct à IAvhé. [Page 12]

« Pourtant tout Apple y est : sa fausse ouverture et sa coolitude factice sous les atours d’une complicité d’étudiant. » […] Fred Turner est formel : il existe des cultures différentes, bien marquées que la visite des campus d’entreprises rend directement lisibles. […] Nous sommes [chez Apple] à l’opposé du logiciel libre, de l’open source et du partage. […] Fred Turner a ces mots : This is an entirely closed universe pretending to be open. » [Pages 20-22]

Dans sa version première, encore active, le campus de Google, à l’inverse, se traverse et se livre sans chichi. Il est de taille ordinaire, on y circule facilement. Pour un peu, il nous rappellerait que l’architecture peut être collégiale. [Page 25]

La ville aux voitures vides ?

Si le premier chapitre n’était pas gai, le deuxième est assez terrifiant. En voici quelques exemples :

« Il me faut tout son œil expert [celui de Fred Turner] pour me pointer les appartements communautaires où les Mexicains vivent à trois familles, repérer les logements sociaux, révéler ces maisons construites sur des nappes polluées qu’on surélève pour ne plus qu’elles s’y enfoncent et débusquer près d’El Camino la longue rangée discrète de camping-cars, de fourgonnettes et de camions où des travailleurs pourtant regular, c’est à dire dûment payés chaque mois, en sont réduits à habiter, face à l’explosion des prix immobiliers dans la vallée. » [Page 36]


Les camping-cars sur El Camino Real (extraits de Google Street View sur plusieurs années)

« Dans un univers ultra-individualisé tel que la Silicon Valley, la vie publique est inexistante et les rares moments de rencontre ont lieu dans les maisons. Les centre villes ne rassemblent personne, la voiture est bien davantage qu’un outil pour se déplacer : c’est un espace. Un territoire intime. C’est là où tu travailles, téléphones, échanges, manges, séduis, écoutes un podcast, déprimes et dors même quelquefois. » [Page 38] Alain Damasio va très loin pour nous rappeler ce mythe de la voiture avec Sur la route, Easy Rider, Mad Max, Thema et Louise et dans cette tradition qu’il voit Waymo, Uber et Tesla qui contribuent « à une virilité qui s’enfuit » [Pages 40-45]

Le chapitre se termine par une hallucinante « novella » dont le « héros » est Tom Kalanick. Mais il va encore plus loin aussi dans son analyse politique : « Songez à [ce que sont les implications d’utiliser Uber « Uber über alles »]. Vous alimentez un esclavage à la puissance deux.
Le premier esclavage est classique. Il tient à l’économie de la désintermédiation, qu’on a pompeusement rebaptisée la disruption alors qu’elle n’est qu’une corruption profonde du travail. Il consiste à extorquer honteusement une plus-value excessive sur le travail épuisant des chauffeurs. 30% pour faire tourner une plateforme ?
Le second est plus nouveau, plus subtil, plus horrible aussi. Il consiste à éduquer et à former malgré vous, en roulant, les machines qui vont voler votre emploi. […] L’ère de l’information semble fluide et légère. […] Elle impose ses normes. Elle est féroce. Elle algo-rythme. […] Des serf-made man » [Pages 46-48]

Les corps

Entre le metavers (« à distance réseaunable » [Page 85]), les données multiples pour monitorer et maintenir les corps en bonne santé et les fantasmes transhumanistes d’immortalité, le corps est lui aussi un rêve et une réalité. « Big Mother is washing you.«  [Page 70]

Damasio attaque à nouveau ! « La frontière est l’autre nom de la peur » […] Moi, j’aime [les sociétés] qui fabriquent des ponts. […] Alors quelque chose, avec les autres, peut se passer. Générosité, chaleur complice, excitation, amitié d’un jour, idées déroutantes, émotions, événements ? Se passer, oui, des unes aux autres, dans tous les sens du terme. Il y a encore des mots de passe sous les mots d’ordre. » [Page 91]

Tenderloin – tendre loin

« Au mitan des années quatre-vingt, Ronald Reagan a trouvé « awful » (horribles) les hôpitaux psychiatriques si bien qu’il les a fermés. Tout simplement. Pourquoi s’emmerder ? Dehors les barjots ! Depuis, des quartiers comme Tenderloin font office de psychoparc libertarien que personne n’est plus apte à gérer ni à soigner. Quand j’en ai parlé aux cadres français de la vallée du silicium, ils m’ont répondu que la municipalité de San Francisco dépense pourtant 80’000 dollars par homeless et par an, sans résorber le flux d’addiction et de folie, juste pour éviter que ça n’explose. » [Page 95] Le sujet a été abordé également par le New Yorker dans What Happened to San Francisco, Really?

Damasio a une explication à cet échec. je l’ai écrite plus haut et je la répète: « Ce qui manque c’est le lien. La capacité à lier. L’empathie et la sympathie minimales. La faculté hautement humaine, mais aussi pleinement mammifère, à pouvoir souffrir et sentir avec. La faculté à pouvoir être traversé par cette détresse, à la recevoir plein corps, au point de ne plus pouvoir la tolérer sans agir. » [Page 102-103]

« En réalité, sa seule unité collective (hors famille) qui a permis à ces individus de ne pas finir atomisés a été et reste la communauté. Communauté de voisinage, de quartier, parfois réunie autour d’un église ou d’une école, communautés agrégées par ethnie, par langue, par culture, par préférence genrée, par statut…. Communautés que les réseaux sociaux, ironiquement, on finalement copiées et reproduites parce qu’elles étaient le seul modèle de lien acculturé aux Etats-Unis. […] Les GAFAM n’ont pas tué les liens, ne les ont pas tranchés au couteau ou à la hache. C’est bien pire, plus efficace et plus subtil que ça, et surtout, ça n’a pas été explicitement conçu ni voulu comme ça. Ca sonne plutôt comme le dégât collatéral d’une guerre qui n’a même pas eu lieu. Ils ont dévitalisé ces liens. » [page 108-109]

J’ai mis depuis le début de ce post en gras et italique les mots que Damasio invente ou joue avec. A la page 105, il écrit « nous nous sommes laisser cybercer dans la douceur de cette illusion, sinon cyberner. »

Pour finir ce premier post sur la Vallée du silicium, je me sens obligé d’ouvrir une brève parenthèse. L’empathie est en effet un mot rarement employé dans le monde des startup et dans ce blog. Pourtant il m’est arrivé de le toucher du doigt, par exemple quand j’ai mentionné la philosophe Cynthia Fleury et son sujet du soin (le « care »). J’aurais dû mentionner aussi David Graeber, auteur entre autres de Bullshit Jobs et de Au commencement était. Peut-être un autre article de blog. Mais je vais d’abord poursuivre la lecture de Damasio et voir si la suite et aussi stimulante…

La Deeptech et ses défis en France (la suite)

Comme indiqué dans mon précédent article, j’ai préféré découper ma synthèse de l’atelier sur le sujet “Deeptech : are we ready to scale?” organisé par Inria lors du salon Vivatech

Si la première table ronde parlait de bipèdes, il était question dans la seconde d’écosysèmes, de « forêt vierges » plus que de « jardins à la française » !

Antonin Bergeaud, je vous ai écouté lorsque vous avez reçu sur le prix du meilleur jeune économiste de France, en particulier sur l’innovation technologique, sur France Inter et sur France Culture et vous avez dit à un moment que vous faisiez le parallèle entre votre rêve d’enfant d’être astronome et votre situation d’économiste en disant que vous vous vouliez comprendre la complexité du monde mais que dans l’économie, il y a le facteur humain ce qu’il n’y a pas avec les étoiles. Est-ce qu’il est là notre défi ou est-ce que ce sont d’autres éléments qui vous intéressent pour qu’on ait demain des Gafam Européens ?

« on a l’impression que le niveau de complexité est vraiment dans la science dures mais dans les sciences humaines il y a beaucoup d’interactions qui rendent les choses très compliquées et notamment parce qu’on a assez peu de régularité donc on doit composer avec le fait que il y a des biais. Comme ce qui a été évoqué que en Europe on est moins enthousiaste que les Américains, mais on ne sait pas très bien le mesurer. Il y a beaucoup d’éléments qu’on doit prendre en compte et comme l’enjeu c’est d’essayer d’informer et d’éclairer sur pourquoi on a telle difficulté, par exemple avoir un secteur Tech qui soit de la même ampleur que celui qu’on a aux États-Unis ou pourquoi les entreprises ont du mal à se financer en Europe, on est obligé de prendre en compte un peu toutes ces dimensions et c’est vrai que c’est assez compliqué, donc c’est un peu là où le parallèle s’arrête, c’est que c’est compliqué. Je pense que maintenant il y a une espèce de consensus qui commence sur les difficultés structurelles qu’on a en France et en Europe, ce qui veut pas dire qu’on va les corriger mais au moins on commence à un peu mieux comprendre ce qui se passe. » […]
– on n’a pas assez d’entrepreneurs et on n’a pas assez de d’ingénieurs qui sont formés en France et en Europe […] il y a un vrai sujet de formation qu’il faut corriger en grande partie parce que vous avez beaucoup de pertes, beaucoup de d’entrepreneurs et d’ingénieurs qui partent outre-Atlantique
– la deuxième difficulté en Europe, car tous les problèmes français sont assez vrais partout en Europe, est de faire échanger les universités avec les entreprises. Par exemple, tous les brevets qui sont déposés par toutes les entreprises du monde doivent donner les références académiques qu’elles utilisent dans la description du brevet et ce qu’on voit c’est que sur certaines technologies où l’Europe est pratiquement inexistante en termes de production de technologies et de commercialisation en fait on est relativement dominant ou est au même niveau que les États-Unis dans la production d’idées sauf que ces idées ne sont pas citées par des brevets français ou européens, elles sont citées par des brevets chinois ou américains donc en gros on a des scientifiques et des chercheurs qui produisent des idées très pertinentes y compris sur des technologies très très récentes et les idées sont censées circuler librement, elles circulent librement mais elles circulent beaucoup du côté Europe vers les autres pays est un peu moins dans l’autre sens.
– le troisième problème c’est effectivement le financement qui a été beaucoup évoqué tout à l’heure je pense qu’on a en Europe un rapport au risque qui est vraiment spécifique à notre continent peut-être qu’il est pas forcément négatif et puis je pense pas qu’il faille forcément y renoncer mais il faut avoir conscience que ça pose un certain nombre de difficultés pour faire croître rapidement des entreprises notamment dans les technologies de rupture parce qu’on va aller plus vers du financement bancaire, parce que on a moins de fond en capital risque, parce qu’on a marché qui est très fractionné notamment sur le financement de l’innovation et parce qu’on a des institutions et des régulations qui sont largement plus contraignantes en tout cas du point de vue de la croissance que ce qui se fait aux États-Unis.

Paul Midy, je pourrais vous appeler monsieur start-up à l’Assemblée nationale, que souhaitez-bous ajouter ?

« Je mettrai le sujet du financement en numéro 1 de très loin. Les levées de fonds en Europe semblent être trois fois inférieures aux levées de fonds aux États-Unis alors qu’on est globalement à peu près de loin la même taille, on génère à peu près le même PIB. Quand vous collez votre argent dans une entreprise comme Mistral, une entreprise de deeptech, vous le retrouvez pas l’année d’après c’est au moins 20 ans après que vous le retrouvez, c’est du capital long terme. Et ce capital de long terme il existe essentiellement dans du capital retraite et donc je dirais que le facteur numéro 1 c’est le fait qu’on a un système de retraite en France et beaucoup en Europe aussi qui est un système par répartition qui n’est pas un système par capitalisation. On n’a pas de fonds de pension ou on en a très peu. Il faut se rendre compte des écarts énormes que ça génère en France. L’épargne de long terme et ce qui peut ressembler un peu à de la capitalisation c’est 200-300 milliards d’euros si je prends tout l’Union européenne c’est 6000 milliards et essentiellement c’est les démocraties du nord de l’Europe à 70 % si je prends les États-Unis c’est 42000 milliards.On peut alimenter une bourse de New York à 25000 milliards et alimenter un Nasdaq à 25000 milliards et de l’autre côté en France vous avez Paris la Bourse de Paris 3000 milliards Francfort 3000 milliards Londres 3000 milliards donc on a un stock de capital qui est beaucoup moins important et donc pour les levées de fonds le résultat de tout ça c’est que nos start-ups l’année dernière ont levé 50 milliards aux États-Unis c’est 150 milliards. […] Moi j’appelle à ce qu’on fasse une PIC, une politique de d’innovation commune au moins aussi ambitieuse que la PAC, la politique agricole commune. Un tiers du budget du budget de l’Europe c’est la PAC. Un autre tiers c’est les fonds de cohésion sociale. Très important. L’innovation c’est moins de 10% du budget de l’Europe. Il faut au moins que tout de suite ce soit trois fois plus. […] Je suis un homme politique donc on essaie de faire changer le système. Soit on se dit c’est une culture voilà les Européens ils sont comme ça et ils aiment moins le risque, ils sont un peu plus grincheux et tout et donc il y a rien à faire. Je ne peux pas me résoudre à ça donc j’essaie de comprendre pourquoi les Américains sont dans une autre situation, ce n’est pas génétique. Je pense qu’il faut qu’on se redonne l’objectif que l’Europe soit le continent le plus riche, le plus prospère au monde donc le plus innovant qui soit en capacité de se défendre et puis tout va en découler.

Alexis Robert vous travaillez pour le fond Kima Ventures qui est le fonds de Xavier Niel dont j’ai lu le livre récent « une sacrée envie de foutre le bordel » et qui se met en parfois en porte-à-faux avec le système. Est-ce que vous aussi en travaillant pour le fond Kima Ventures vous avez une vision un peu plus atypique de ces choses ou comment vous souhaitez rebondir sur ce qu’on vient de partager ?

« En fait ce qui se passe quand on est early stage, alors que ce que vous avez évoqué est vrai en late-stage pour les financements en Série B et plus, mais en fait aujourd’hui ce que nous on voit c’est qu’en fait sur les cycles d’amorçage, preseed/seed il y a en fait un peu trop de capitaux, et en fait aujourd’hui les VCs, le problème qu’il y a et pourquoi est-ce que on a un manque, on a du mal à trouver des GAFAMs c’est si on remonte en fait l’histoire du venture capital français en fait c’est des spin-off de banques et ensuite au fur et à mesure du temps elles ont recruté en fait les fils de leur LPs [Limited Partners] ou des gens qui étaient dans leur réseau ou des gens qui pensaient comme eux qui ont en fait dans un mindset de finance. Il y a très peu de d’ingénieurs, très peu de scientifiques qui sont en fait dans ces VCs. […] Pour créer des GAFAMs, pour créer par exemple openAI, Sam Altman est issu du monde des Computer Scientists, regardez Elon Musk, il est Computer Scientist, vous regardez Mark Zuckerberg, il est Computer Scientist, et en fait pour créer les GAFAMs de demain ça va venir en fait des gens qui ont une forte culture scientifique ou alors qui ont des cultures qui sont différentes ça peut être des gens qui ne sont peut-être pas sortis d’école d’ingénieur, des gens qui sont très différents mais les VCs sont bloqués dans un mindset et les gens dans l’écosystème en général aussi. […] Par exemple Mistral à l’époque où Arthur Mensch, Guillaume Guillaume Lample et Timothée Lacroix ont fait leur première levée de fonds, uniformément tous les VCs ont tous dit ah oui c’est trop bien ce qu’ils font « ouais mais bon enfin c’est des chercheurs quoi », ils ne savent pas sortir du moule de CEO qui a fait HEC. »

Mehdi, je vais passer au « tu » parce que je ne sais pas faire « vous » quand je connais quelqu’un depuis quelques années. On t’a soutenu au start-up studio mais avant de parler d’entreprise, on y reviendra tout à l’heure, je me souviens peut-être tu n’as pas envie de trop d’en parler mais tu as écrit un magnifique essai sur ce que c’est un écosystème qui fonctionne pour l’entrepreneuriat. Je l’ai relu il y a deux jours, c’était en 2017 je pense, est-ce que 8 ans après tu as la même vision des faiblesses de l’écosystème et de ce qu’un pays doit faire pour favoriser des gens comme toi ?

« alors oui et encore plus malheureusement encore plus et je vais expliquer pourquoi. Oui l’argent est un enjeu, mais même Sam Altman aujourd’hui qui est à la tête d’OpenAI qui vient de faire, qui vient de dire qu’il fait 10 milliards de chiffre d’affaires annuels il a des problèmes de financement. Mais pour moi le problème pour moi, le gros problème de l’écosystème c’est l’ambition, c’est l’ambition des entrepreneurs européens. En Californie il vous dirait « je vais changer le monde, ils ont une ambition qui n’a pas de limite et attention c’est pas génétique, ils sont entraînés pour ça, ils ont des accélérateurs comme Ycombinator, ils ont des advisors, souvent ils sont coachés par d’autres entrepreneurs qui ont eu des exits ou qui ont fait des très grosses boîtes et ils sont dopés à l’ambition ce qui nous manque je trouve ici.[Ce qui manque aussi] c’est des investisseurs qui marchent aussi au feeling, qui marchent à l’ambition d’entrepreneur, qui vont aller se battre pour un dossier à un milliard ou cent milliards. L’argent c’est pas le problème principal pour moi parce que il y en a de l’argent enfin surtout en seed en France avec la BPI. Après c’est l’ambition qui doit matcher, et l’exécution bien sûr, l’exécution c’est pas simple, mais voilà Arthur Mensch a levé 100 millions sur des slides en 3 mois parce qu’il avait une ambition à ce moment-là. « Malheureusement en Europe on est encore dans un écosystème où on fait de la technologie avec de l’argent là où d’autres font de l’argent avec la technologie ». […] Sam Altman a coaché plus près de 1000 start-up quand il était à la tête de Ycombinator, il a vu un écosystème, il a vu des innovateurs, il s’est entraîné c’est pour ça qu’aujourd’hui il dit on fera une IA générative, une IA qui sera une société qui fait 1 milliard, une personne pourra faire un milliard de valeur grâce à une IA et un seul salarié mais parce qu’ils sont entraînés après attention ce sont ce que Alain Damasio appelle des hyperstitions [https://en.wiktionary.org/wiki/hyperstition] on est au-delà de la superstition parfois on tombe dans le mensonge on tombe dans l’idéologie donc nous en Europe on fait un peu plus attention. [Aux USA on dit] « fonce, vas-y, on te soutient, on va y aller avec toi » mais aujourd’hui je ne connais pas quelqu’un en Europe qui agirait ainsi parce qu’ils sont entraînés aux USA. C’est vraiment un INSEP des entrepreneurs qu’il nous faut. » […] Entreprendre c’est comme jouer au poker vous avez des cartes en main et puis il y a des cartes qui arrivent et au fur et à mesure que vous devez vous adapter. Il nous faut des gens qui nous dégagent, qui nous dégagent pas en tant qu’entrepreneurs !, mais qui nous dégagent de la bande passante pour être capable de comprendre ce qui est en train de se passer pour moi c’est des advisors qui ont fait la Ligue des Champions. »

Alexis Robert : « Je suis très aligné avec Mehdi […] il y a [tant de personnes qui] vous refusent parce qu’en fait vous ne parlez pas dans les langages du moule. En fait c’est ça le problème qu’il y a aujourd’hui, c’est qu’en fait l’entrepreneur se sent seul et certains types d’entrepreneurs qui ont un parcours scientifique et technique ne savent pas où se tourner et aujourd’hui ce qui se passe à San Francisco, ce qui fait que San Francisco c’est génial, c’est parce qu’en fait vous sortez de l’avion directement vous avez l’impression d’être accepté en tant que geek, vous avez l’impression d’être à votre place, vous avez des « role models » qui sont là pour vous, qui vous tirent vers le haut, vous avez l’impression que vous aussi vous pourrez pouvoir faire ça et en plus après il y a un sens de la communauté qui est extraordinaire ; vous arrivez, vous êtes dans la rue, vous parlez avec un VC, bah, il vous écoute ou pas, vous avez Sam Altman qui passe dans la rue et vous pouvez lui dire bonjour, vous vous asseyez dans un café et vous parlez, vous avez des entrepreneurs à qui parler, la parole est facile les introductions faciles et fluides, vous pouvez vous entourer de gens qui vous permettent d’apprendre et de vous améliorer parce que, comme ce qui a été dit au premier panel, si vous avez compris la relativité générale, réussir à pitcher c’est pas très compliqué, vous allez réussir à le faire et en fait voilà c’est ça que je voulais dire. »

Je m’arrête ici et les gens en on dit beaucoup plus. C’est injuste de ne pas tout partager… Mais je pense que cela donne une idée des défis et des opportunités !


La Tour Triangle en construction par Herzog et de Meuron, en sortant du Salon Vivatech, voir aussi sur Instagram

La Deeptech et ses défis en France

Inria a organisé lors du salon Vivatech un atelier sur le sujet “Deeptech : are we ready to scale?”

Les échanges ont été riches, profonds, passionnants. Je suis bien sûr biaisé puisque j’en étais un co-organisateur, mais j’ai rarement eu un tel plaisir lors de discussions sur le sujet. Alors je vais en faire une synthèse subjective en ajoutant mes propres commentaires sur différents sujets qui me sont chers. [Il seront entre crochets et en italique]

Qu’est-ce que la Deeptech ?

Ce fut le point d’entrée de Théau Peronnin, fondateur et CEO d’Alice & Bob. « C’est avant tout une technologie qui va avoir deux attributs fondamentaux : le premier c’est un ancrage très profond dans la science. Si vous pouvez comprendre cette techno directement en sortant d’école de commerce c’est peut-être que c’est pas encore tout à fait une deeptech […] Son deuxième attribut c’est celui d’avoir une capacité à créer des entreprises des acteurs ou des produits qui vont avoir une nature stratégique dans l’économie. »

[Lors d’une autre table ronde, j’avais entendu que le mot était apparu quand l’internet, le B2B/B2C et le SaaS avaient dilué la technologie dans les excès de « passemoilesel.com » mais que fondamentalement la high-tech des années 80 et la deeptech des années 2010 sont les deux faces d’une même pièce. J’ajouterais que si quelque chose est brevatable, c’est sans doute de la Deeptech.]

Théau Peronnin a ensuite donné son point de vue sur les défis de l’écosystème français. « Je peux vous le dire très simplement : en France, on est extrêmement fort sur l’opportunité initiale, on a des talents incroyables. On est quand même premier ex aequo en nombre de médailles Fields avec les Américains alors qu’on est cinq fois moins nombreux. » […] « Et puis on a un écosystème early-stage de venture capital qui a su se mettre en place ces dernières années, peut-être même un petit peu trop ; on pourrait dire enfin peut-être qu’il est légèrement saturé. » […] « Les faiblesses, elles sont vraiment sur les étapes plus aval de la vie d’une deeptech. On a un sujet qui est parfaitement connu mais qui est loin d’être craqué qui est celui du financement des étapes de croissance forte dites de growth, ce moment où des entreprises comme Alice et Bob vont chercher à mobiliser des capitaux de plusieurs dizaines de millions d’euros, de plusieurs centaines de millions d’euros pour continuer à faire cette course de R&D au niveau international ». [C’est un sujet qui va être abordé plus loin et je ne suis pas sûr que ce soit le sujet principal, mais le débat existe sans aucun doute. Voir plus bas !] « Il n’y a pas d’acteurs européens adéquats ce qui créée effet d’anticipation sur toute la chaîne de valeur et qu’il y a une certaine frilosité des fonds a vraiment déployer ces capitaux avec intensité avec audace en deeptech. » […] « la Silicon Valley tire son nom des deeptech des années 70-80, 90 dans le silicium qui ont créé des générations de fortune d’individus avec un très fort appétit pour cette deeptech et qui donc derrière ont fléché leurs capitaux vers ces fonds d’investissement qui continuent à investir dans ce domaine là.En Europe il n’y a pas ces fortunes, elles ont été faites ailleurs, elles sont dans d’autres domaines et donc on n’a pas encore ces bons produits d’où le rôle important de l’État pour amorcer la pompe. »

« Un dernier point pour introduire la table ronde sur l’humain qui est le rapport à la prise de risque. La France a une école en tout cas, un regard sur les études et le monde académique très tourné vers l’excellence qui est peut avoir comme travers, enfin tarte à la crème, de dire qu’on a une certaine peur de l’échec et ça se voit dans à mon avis dans certains dispositifs qui mériteraient d’être repensé notamment celui de la loi pacte pour le détachement à temps partiel des chercheurs et là c’est une opinion très personnelle que je souhaite partager avec vous qui est celle de dire qu’il n’y a pas d’entrepreneuriat sans prise de risque. Il faut se mouiller, il faut mettre sa carrière en jeu quelque part, il faut avoir du « skin in the game » comme disent des anglo-saxons et peut-être que dans ce dispositif là il y a donc dans ce détachement à temps partiel, un confort à se savoir encore bien protégé au sein de son organisme de recherche tout en essayant de profiter du plaisir de l’entreprenariat. A mon sens, il faut y aller à fond et ça veut dire qu’il faut être capable de pouvoir revenir après un échec d’une start-up dans le monde académique et donc peut-être que le levier pour permettre plus d’audace c’est de rendre le monde académique plus attrayant pour des profils avec des carrières hybrides passées par le monde de l’entrepreneuriat voilà pour lancer cette table ronde sur le thème de l’humain ces hommes et ces femmes qui font l’entrepreneuriat de demain. »

La Deeptech c’est avant tout des bipèdes !

Théau Peronnin est revenu sur le sujet de l’humain à travers un vrai problème : « un sujet très difficile qu’on a c’est celui de la parité, la diversité homme-femme, qui est horriblement difficile à craquer parce que nous, on arrive en toute fin de chaîne alimentaire de la formation de ces profils. Avant tout des profils techniques, pas mal d’entre-soi sur le fait de passer par les grandes écoles avec tout le biais socioculturel qu’il y a dans ces grandes écoles et quand même une diversité internationale on doit avoir entre 20 et 30 nationalités 30 % de non francophones dans l’équipe donc moi pour faire une petite démographie de chez nous.

Xavier Duportet amplifie cet aspect humain : « nous on a des gens qui sont un peu fous parce que pour se lancer dans la deeptech [où] moins de 2% des projets arrivent jusqu’à un produit mature sur le marché […] pour se lancer il faut être un peu fou, il faut être naïf aussi, je pense, et il faut penser que ce qui est impossible peu de venir possible. Il y a plein de choses qu’on ne connaît pas et donc l’inconnu fait partie de notre travail de tous les jours. » […] « Le plus important pour nous c’est pas forcément l’expérience c’est surtout la curiosité et que les gens soient entreprenants parce que dans la deeptech on ne peut pas juste appliquer les principes, appliquer les choses qu’on a déjà apprises, il faut toujours être prêt à se confronter à la failure quasiment tous les jours et donc il faut des gens qui acceptent de se remettre en question et qui au fond d’eux sont vraiment des gens entreprenants. »

Jean-Michel Dalle : « il y a des bipèdes motivés qui viennent nous parler de microbiome ou des bipèdes motivés qui viennent nous parler d’ordinateurs quantique. Celui ou celle qui ne verrait pas les choses sous cet angle là, c’est à dire sous l’angle des bipèdes, il rate quelque chose. Bien sûr on va aller vérifier que le projet d’ordinateur quantique c’est pas n’importe quoi, qu’ils ont pas inventé ça un dimanche matin après le marché. Mais donc mais si on ne regarde pas la chose via les fondateurs et les fondatrices à mon avis il faut changer de métier. »

Théau Peronnin : « le vrai sujet c’est que la passion du chercheur, c’est de comprendre mais le problème avec ça c’est qu’on récupère tout le tout le fruit du plaisir de son travail très tôt dans la vie du produit. J’ai compris ce que je devais craquer pour apporter cette machine, mais on a fait malheureusement que 5 ou 10% du travail pour vraiment livrer le système. Derrière il faut robustifier, productifier, distribuer, repositionner. Il y a tout un enjeu : comment est-ce qu’on apprend à prendre du plaisir non pas dans le fait d’avoir compris mais dans le fait de soit de faire comprendre à l’autre mais même plus que ça de faire adopter par l’autre ce qu’on a craqué et ça c’est c’est un muscle à développer qui est assez différent. »

Xavier Duportet : « c’est pas une technologie, c’est pas une science qui va changer le monde ou sauver le monde mais c’est un produit et ça souvent c’est ce qui pêche. On voit beaucoup encore de chercheurs qui ne pensent que sciences, que technologies et qui n’arrivent pas à faire ce switch dans leur tête en disant comment est-ce qu’au final je ne vends pas ma science mais je fais rêver des gens, je fais rêver ces gens sérieux [les investisseurs] que je vais être capable d’être cette personne qui va transformer une science en un produitn qui va générer une plus-value pour la société mais avant tout aussi pour les investisseurs.

Marie Paindavoine : « j’ai eu la chance au début d’être accompagnée dans l’entrepreneuriat par des structures issues du monde académique donc d’abord par INRIA et après par l’université de Berkeley aux États-Unis qui a un programme d’accélération et c’est vrai que ça m’a permis grâce à eux d’apprendre à transformer ce discours scientifique en un discours d’entrepreneur et d’ailleurs le programme d’accélération de l’université de Berkeley pendant six mois on fait que répéter le pitch de l’entreprise et apprendre à convaincre en fait parce que finalement et il nous le disent finalement vous avez fait le plus dur, vous avez une super technologie, tu as réussi à faire une thèse en cryptographie, enfin tu as fait le plus dur, Marie, maintenant apprendre le marketing ça va te prendre deux mois mais il faut que tu t’y mettes pendant deux mois et c’est là où on a besoin de s’entourer, d’avoir cet écosystème qui permet aux personnes de se former parce que après tout si on a réussi à faire un doctorat, on est capable de continuer à se former sur le métier de l’entrepreneuriat mais il faut trouver ces gens qui arrivent à voir non pas la valeur de la technologie scientifique telle qu’on peut la présenter aujourd’hui mais une sorte de valeur projetée de cette technologie.

Xavier Duportet : « sur les gens et le réseau et l’écosystème moi j’ai aussi eu la chance de faire une thèse entre INRIA et le MIT. Au début je voulais être chercheur et quand je suis arrivé au MIT, j’ai vu tous ces gens qui entreprenaient, ces professeurs qui devenaient entrepreneurs, c’est là où j’ai compris j’étais inspiré par cette génération de chercheurs entrepreneurs en me disant mais en fait si on veut vraiment changer le monde c’est pas de la recherche c’est de l’entrepreneuriat et aujourd’hui aux US, il y a donc la Silicon Valley, elle a été créée il y a déjà 20 ans, 30 ans comme le disait Théo il y a toute cette génération maintenant, pas de papys mais de personnes un peu plus âgées qui ont réussi et donc en fait il y a un « network effect » aux US qui est super important, c’est la génération d’entrepreneurs qui ont déjà réussi qui sont là pour aider et transmettre ils l’ont fait ils ont fait des erreurs et ils servent vraiment de mentor et c’est là où on a une opportunité assez intéressante, et on ne peut pas en France vouloir mettre la charrue avant les bœufs, on a ce que ce qu’a fait, la BPI, tous les instituts de recherche, le changement qui a été amorcé depuis 10 ans, on commence à avoir ces entreprises qui deviennent sur le plan international, des leaders. »

Matthias Schmitz : « What we have started to do recently is to invest in an entrepreneurial mindset much earlier in the education of our students so we are trying to roll out programs where we bring entrepreneurship into all the faculties. For example, the university of Saarland is investing €1.5M every year with the goal that every single student that we have, whether it is a business student, whether it is a Romanistic student or an engineering student has at least one time during his studies thought whether entrepreneurship can be a career option for himself and by doing that I think we try to solve the problem a little bit earlier, bring the mindset in the heads of the people and not having to have people jump into the too cold water at the moment where they are already at the PhD level. »

Marie Paindavoine sur le fait d’être femme entrepreneur : « tu veux la version qu’on entend en France ou aux États-Unis ? les deux ! alors on n’entend pas la même chose en France et aux États-Unis. En France, on m’a tout de suite demandé si je comptais m’associer à un directeur général en insistant sur le « un », on m’a déjà demandé après ma présentation enfin bon bref je vais pas toutes les faire en fait parce que ça n’a aucun intérêt mais mais effectivement il y a un halo de suspicion on va dire ça comme ça. Aux États-Unis alors je ne dis pas qu’ils sont meilleurs qu’en France parce que je suis arrivé à l’université de Berkeley, à l’accélérateur de l’université de Berkeley, 2000 candidatures, 30 start-ups retenues, 2 femmes CEO donc il ne sont pas beaucoup meilleurs. En revanche une fois qu’on atteint ce niveau de sélection quand je dis que j’entreprends avec des enfants, on va me féliciter plutôt sur le niveau d’énergie que ça demande au lieu de me demander comment je vais faire garder mes enfants et si mon mari est d’accord pour que j’entreprenne avec mes enfants, ce qu’on m’a déjà demandé en France.

Je vais m’arrêter ici et faire un nouveau post sur la seconde table ronde !

Figma encore, cette fois pour une entrée en bourse

J’ai publié un article sur Figma en octobre 2022, lors de l’annonce de son rachat par Adobe pour 20 milliards de dollars. Voici l’article. À l’époque, je n’avais pas trouvé de données officielles sur la startup et j’avais donc créé un tableau de capitalisation basé sur les données publiques disponibles en ligne (voir à la fin de l’article).

Ce matin, j’ai trouvé un document déposé auprès de la SEC en novembre 2022 que je n’avais jamais vu auparavant, et qui en dit beaucoup plus. J’ai donc créé un tableau de capitalisation révisé que vous pouvez également comparer ci-dessous à l’ancien. Les deux ne sont cependant pas si différents. Ce qui m’a poussé à rechercher un tel document est que Figma a déposé confidentiellement une demande d’introduction en bourse. Si cela se produit, des chiffres actualisés apparaîtront, comme les levées de fonds entre 2022 et 2025, le chiffre d’affaires réel, le bénéfice (ou la perte) et le nombre d’employés. Il me fallait néanmoins publier cette version révisée.


La table de capitalisation de Figma révisée en juin 2025


La table de capitalisation de Figma estimée en 2022

Y Combinator contre Google

« Don’t be evil » Ancienne devise de Google

« Make something people want » Devise (actuelle) de Y Combinator

Quel choc de découvrir le mémoire de Y Combinator « contre » Google dans l’affaire de monopole intentée par les États-Unis contre le géant de la recherche. Le lien est ici et le PDF est là :

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J’ai été fan des deux entités depuis 20 ans. Mais le temps passe vite et le monde semble changer. À la fin de cet article, je reviendrai sur les raisons pour lesquelles j’ai été si impressionné par Y Combinator pendant toutes ces années, et en particulier par le duo Jessica Livingston / Paul Graham.

En fait, cet article porte davantage sur Y Combinator. Il se pourrait que ce que j’aimais chez Google soit mort, comme le laissait entendre Goomics. Inutile donc de parler de Google. Je l’ai souvent fait avec le tag #google. Mais je dois d’abord décrire brièvement les arguments de l’accélérateur contre Google.

« BRIEF OF Y COMBINATOR, LLC AS AMICUS CURIAE IN SUPPORT OF PLAINTIFFS »

La phase de recours dans cette affaire a des implications importantes pour la création et le financement des startups technologiques. Nous soumettons respectueusement ce mémoire afin de partager notre point de vue, fondé sur deux décennies d’expérience de terrain, selon lequel une application rigoureuse du droit de la concurrence aux États-Unis peut contribuer à favoriser un écosystème d’innovation américain plus sain, plus résilient et plus dynamique. Les startups avec lesquelles nous travaillons au quotidien devraient pouvoir exercer leur « énergie, leur imagination, leur dévouement et leur ingéniosité » (United States v. Topco Assocs., Inc., 405 U.S. 596, 610 (1972)), sur des marchés exempts de pratiques restrictives et de pouvoir de monopole illégalement maintenu. YC soutient l’ensemble des mesures correctives proposées par les plaignants. Afin d’éclairer l’analyse de la Cour, nous soulignons également ci-dessous certains éléments de la mesure corrective proposée sur lesquels nous estimons que notre expérience directe nous a apporté un éclairage et une perspective uniques.

Les mesures anticoncurrentielles ont été constantes dans l’histoire des États-Unis et le mémoire le rappelle :

L’expérience nous a appris que les points d’inflexion technologiques sont des moments critiques pour la concurrence et l’innovation. L’essor de technologies innovantes et transformatrices peut permettre à des startups agiles de perturber les acteurs en place. […] Les acteurs dominants réagissent souvent par des pratiques d’exclusion pour tenter de ralentir ou de s’approprier l’avenir. […] Par exemple, au milieu des années 1990, Microsoft a reconnu le potentiel disruptif des applications logicielles web et a réagi en empêchant, de manière anticoncurrentielle, les navigateurs internet concurrents d’atteindre les utilisateurs. États-Unis c. Microsoft Corp., 253 F.3d 34, 60 (D.C. Cir. 2001). Plus récemment, Facebook a constaté l’explosion de l’utilisation des applications mobiles et a réagi en acquérant des startups du mobile qu’elle considérait comme des menaces concurrentielles. Voir FTC c. Meta Platforms, Inc., n° CV 20-3590 (JEB), 2024 WL 4772423, aux points *29-30 (D.D.C. 13 novembre 2024) (« [Les] arguments en faveur de l’achat d’Instagram étaient fortement axés sur la neutralisation d’une menace concurrentielle. »).

Les mesures antitrust ont depuis longtemps permis de libérer le dynamisme et l’ingéniosité des États-Unis. Un décret de consentement antitrust de 1956, par exemple, obligeait AT&T à fournir un accès libre à ses brevets et à ses informations techniques de fabrication [sur le transistor]. Cette ordonnance a contribué à l’avènement de l’ère numérique moderne, en grande partie parce qu’elle a permis aux « jeunes et petites » entreprises – ce que nous appelons aujourd’hui les « startup hightech » – d’être compétitives. Voir Martin Watzinger et al., How Antitrust Enforcement Can Spur Innovation: Bell Labs and the 1956 Consent Decree, 12 AM. ECON. J. ECON. POL’Y 328, 330 (2020). Une nouvelle génération a pu pénétrer et se développer sur une multitude de marchés, contribuant à propulser les États-Unis au rang de leader mondial de l’innovation technologique. Ibid. Les économistes ont qualifié le décret antitrust de 1956 de « l’une des contributions les plus méconnues au développement économique » de l’histoire, et le cofondateur d’Intel l’a qualifié de « l’une des avancées les plus importantes pour l’industrie des semi-conducteurs commerciaux ». Cette tradition s’est perpétuée à l’ère moderne. En 2022, par exemple, la Commission fédérale du commerce des États-Unis a bloqué le projet d’acquisition d’Arm Ltd., une entreprise spécialisée dans les semi-conducteurs, par Nvidia Corp. Le PDG d’Arm a expliqué plus tard que cette séparation structurelle « nous a aidés » à nous concentrer sur la fourniture de produits de meilleure qualité à une époque où « de plus en plus d’applications évoluaient vers le cloud » et où « l’IA commençait à émerger ». Entretien avec René Haas, PDG d’Arm. Arm est depuis entré en bourse au Nasdaq, a enregistré un chiffre d’affaires record et vaut désormais plus de 100 milliards de dollars. Parallèlement, les bénéfices de Nvidia ont presque quintuplé, ses puces contribuant à l’essor de l’IA générative.

Mais en empêchant la concurrence, Google a dissuadé des entreprises indépendantes comme YC de financer et d’accélérer des startups innovantes qui auraient pu remettre en cause sa domination. Il en résulte un paysage artificiellement rabougri et stagnant. À notre avis, le dispositif de réparation proposé par les plaignants contribuerait à créer un écosystème de startups technologiques américaines plus dynamique et plus compétitif à l’échelle mondiale.

Y combinator propose les solutions suivantes :
A. La solution devrait ouvrir l’accès à l’ensemble des données et à l’index de recherche de Google.
B. La solution devrait empêcher Google d’étendre ses monopoles aux outils d’IA basés sur les requêtes.
C. La solution devrait empêcher Google de conclure des accords de paiement avec les distributeurs.
D. L’ordonnance de réparation devrait dissuader le contournement et les représailles.

Je ne suis pas sûr de comprendre tout cela, mais les implications seraient certainement majeures. Je n’entrerai pas dans les détails, mais c’est certainement profond et assez fascinant.

À PROPOS DE Y COMBINATOR

Le brief mentionne un article sur Y Combinator, sous-titré The Inside Story of Tech’s Most Influential Startup Accelerator (« L’histoire de l’intérieur de l’accélérateur de startups le plus influent de la tech »). C’est une lecture passionante. Je l’ai beaucoup apprécié et je l’illustre par quelques commentaires.

C’est d’abord leur philosophie qui m’attire le plus. Et encore une fois, cela est lié aux fondateurs, en particulier Paul Graham et Jessica Livingston. Je ne compterai pas le nombre de citations de Graham ici, ses essais sont célèbres (je viens d’en dénombrer 228 sur le site depuis 2005) et, d’une certaine manière, ils sont proches de ceux de Montaigne. Il suffit d’en citer un, par exemple : The Two Kinds of ModerateLes (deux sortes de modérés).

Comme le souligne l’article, le rôle de Jessica Livingston est sous-estimé : « Si Paul Graham était l’architecte philosophique de Y Combinator, Jessica Livingston en était l’architecte sociale, façonnant discrètement et efficacement la culture et la communauté de YC dès ses débuts.» Si vous n’avez jamais entendu parler d’elle, il n’est jamais trop tard pour lire Founders at Work. Paul Graham a d’ailleurs ressenti le besoin d’écrire un essai intitulé Jessica Livingston 🙁

Leur philosophie est à la fois simple et complexe. Relisez l’article mentionné ci-dessus et voici leurs « mantras », issus d’une expérience durement acquise, qui font désormais partie intégrante de la culture startup mondiale :

Faire quelque chose que les gens veulent : en termes simples, le role des startups se résume à résoudre de véritables problèmes. Ce principe incite les fondateurs à moins se focaliser sur les technologies tape-à-l’œil ou le battage médiatique, et davantage sur la compréhension approfondie des problèmes des clients. C’est le premier commandement de YC.
Faire des choses qui ne passent pas à l’échelle : le succès initial se construit grâce à des interactions concrètes, manuelles et profondément personnelles avec les utilisateurs. Airbnb a pris cela à cœur, photographiant personnellement les annonces des hôtes pour accroître rapidement l’attrait.
Parler aux utilisateurs : l’engagement constant avec de vrais clients façonne l’orientation produit. Les entreprises de YC recherchent sans cesse les retours des utilisateurs, garantissant que leurs produits évoluent au plus près de leurs besoins réels.
Rester concentré / Ne pas évoluer prématurément : YC encourage les startups à se concentrer initialement sur un problème clé avant de se développer. Les distractions précoces, les recrutements coûteux ou les fonctionnalités inutiles peuvent freiner la dynamique.
Être infatigablement inventif : les fondateurs doivent faire preuve de créativité pour surmonter les obstacles. YC apprécie les fondateurs qui se démènent et improvisent, considérant les contraintes comme des opportunités d’innovation.
La croissance résout (presque) tous les problèmes : une croissance régulière est le meilleur indicateur de la santé d’une startup. Une croissance rapide et mesurable attire les financements, les talents et le moral.
Ne pas mourir : la survie avant tout. YC conseille aux startups de rester agiles et suffisamment adaptables pour affronter les inévitables tempêtes.
Fondateur = Compétence : Au-delà des idées, des marchés ou des modèles économiques, YC mise sur les personnes. Les bons fondateurs savent s’adapter aux réalités du marché, soulignant l’importance de la dynamique d’équipe et de la personnalité.

LES PERFORMANCES DE Y COMBINATOR

Ne vous méprenez pas. Tout cela ne signifie pas que Y Combinator a trouvé la recette du succès. Voici quelques chiffres tirés de l’article :

Vous pouvez vous faire votre propre opinion sur ces chiffres. Voici ce que j’ai lu :
– sur 5 000 startups, 17 sont entrées en bourse (moins de 1 %) et environ 500 ont été rachetées (environ 10 %). N’oubliez pas qu’une acquisition peut être très peu valorisée.
– peu d’entreprises échouent, surtout les premières années ; le principe de « fail fast » n’est donc pas si évident.
Y Combinator a-t-il plus de succès que d’autres ? Je ne sais pas, mais j’ai adoré leur approche de l’entrepreneuriat.

À PROPOS DE L’ÉVOLUTION ET DE LA MORT DES ENTITÉS INNOVANTES

J’ai simplement dit « j’ai adoré » et non pas « j’adore ». Je commence à avoir l’impression que les vieilles structures perdent de leur agilité et de leur créativité. C’est ce que Y Combinator pense de Google. J’ai découvert que Graham et Livingston ont pris leur retraite de YC. Je pense aussi qu’il est difficile de maintenir une culture d’entreprise lorsque les fondateurs partent. J’ai ressenti la même chose avec YC lorsque Sam Altman et d’autres ont pris sa direction. Ce commentaire a quelque chose de déprimant, mais peut-être pas.

Mon premier article sur ce blog portait sur le discours de Steve Jobs à Stanford. Relisez-le encore et encore :

la Mort est sans doute la plus belle invention de la Vie. Elle l’agent du changement pour la Vie. Elle nettoie l’ancien pour laisser la place au neuf. Vous êtes le neuf, mais un jour, pas si éloigné, vous deviendrez progressivement l’ancien et vous serez nettoyé. Désolé d’être aussi tragique, mais c’est la vérité.

Votre temps est compté, alors ne le gaspillez pas à vivre la vie d’autrui. Ne restez pas prisonnier des dogmes, c’est-à-dire du résultat des pensées d’autrui. Ne laissez pas le bruit des opinions assourdir votre propre voix intérieure. Et plus important encore, ayez le courage de suivre votre cœur et votre intuition. Ils savent quelque part déjà ce que vous voulez vraiment devenir. Tout le reste est secondaire.

Silicon Valley : l’effondrement ?

Excellent numéro de FUTU&R, le magazine de Usbek & Rica dont le dossier principal s’intitule Silicon Valley, chronique d’un effondrement.Il ne fait pas bon ces derniers temps d’être un fan de la région. Si vous suivez mon blog, vous avez pu voir mes difficultés à comprendre ce qui s’y passe. Le dossier y contribue et vous découvrirez des personnages douteux comme Curtis Yarvin, Balaji Srinivasan, Palmer Lucky en plus des célèbres Peter Thiel, Marc Andreessen, David Sacks et même Larrry Ellison. Le dossier est un peu à charge mais c’était la règle du jeu puisque la magazine « imagine comment l’eldorado de la tech pourrait s’effondrer ».

Le magazine a eu la bonne idée d’ajouter l’avis éclairé d’Olivier Alexandre, souvent mentionné sur ce blog, notamment comme auteur de La Tech. J’en ai scanné en basse définition les contributions et j’espère que le magazine me pardonnera cette entorse au droit d’auteur. Je vous encourage évidemment à acheter un exemplaire !

Je vais me contenter de commenter ce que dit Olivier Alexandre et je terminerai ce post en évoquant un sujet connexe à travers un article scentifique assez récent, The Role of Universities in Shaping the Evolution of Silicon Valley’s Ecosystem of Innovation (pdf)

« Est-ce qu’on assiste à l’effondrement de la Silicon Valley ? Ce qui est sûr c’est qu’elle est à la croisée des chemins. Historiquement la tech s’est pensée comme une industrie de solutions, sauf que ses solutions sont désormais nos problèmes. [..] Force est de constater qu’on n’entend plus de voix dissidentes. Il y a toujours eu des débats dans la Vallée, mais la frange suprémaciste de la tech, à laquelle appartiennent les soutiens de Trump comme Peter Thiel ou David Sacks était minoritaire, noyée dans la masse. […] On a fait de Steve Jobs et des entrepreneurs du software des stars et résumé l’histoire de la Silicon Valley au succès d’une contre-culture hippie alors que c’est avant tout une histoire de transistors, de microprocesseurs et d’ingénieurs aux vies parfaitement normées. »

En effet la région était une république d’ingénieurs avec des allers et retours entre concurrence forcenée dans un monde global et dérégulation et isolationnsime ponctuel permettant des monopoles. Dans les années 80, la menace était le Japon et l’industrie du semiconducteur avait fait appel à l’Etat pour sa survie (après avoir profité des flux d’argent public au plus haut de la guerre froide deans les années 60.) J’ai dit récemment ma difficulté à touver des voix dissidentes.

« En 2022, la conjoncture a changé et les Big tech ont commencé à licencier. Depuis ils dégraissent chaque année 5% de leur masse salariale. »

Sur ce point je suis en désaccord avec le constat. En 2009 et 2013 par exemple, Google avait réduit sa workforce de 5% aussi. J’avais entendu que Cisco se séparait chaque année de 5% de sa workforce « la moins performante ». La région était si dynamique qu’on en parlait très peu. Les conditions de travail ont toujours été « rudes et exigeantes ». Un monde d’ingénieurs sans aucun doute. Il nous a apporté les ordinateurs et les smartphones, l’internet, donc des possibilités d’agir. Il a aussi contribué à créer d’immenses biais parce que sans doute l’utilisation de la science et de la techologie ne sont jamais totalement neutres.

« La question qui est posée au monde, c’est celle du lien entre nouvelles technologies, innovation et progrès qui sont trois notions très différentes. Historiquement les innovations qui ont eu un impact durable sont peu nombreuses : les montres, les lunettes, le jean… Or, aujourd’hui, la Silicon Valley crée majoritairement des innovations très éphémères. »

Tom Kleiner allait plus loin en mentionnant l’imprimerie, la machine à vapeur, l’électricité et enfin le transistor comme innovations changeant la civilisation. C’est sans doute proche de la réalité.

Et Olivier Alexandre ajoute une belle question : « Les produits proposés reposent essentiellement sur la promesse de nous faire gagner du temps. Mais que perdons-nous quand nous gagnons du temps ? »

Et de conclure (provisoirement) : « Dubai est un l’un des rares endroits qui a su rendre le futur sexy, unevision optimiste de l’avenir : la pluie sans nuage, des iles sans terre, la neige sans montagne. Mais surtout le progès echnoque sans démocratie. Le tout dans une zone de vulnérabilité où la question des ressources, de l’alimentation et de l’habitat s’est toujorus posée. D’uen certiane manière, l’Europe incarne l’inverse: la démocratie, au pri parfois du progrès technique. »

Ce n’est pas la première fois que l’avenir de la Silicon Valley a semblé sombre. Vous pouvez retrouver par exemple les prévisions d’AnnaLee Saxenian dans un post intitulé La Silicon est-elle (re)devenue folle ? : « En 1979, j’étais étudiante à Berkeley et j’étais l’un des premiers chercheurs à étudier la Silicon Valley. J’avais terminé mon programme de Master en écrivant une thèse dans laquelle je prédisais avec assurance que la Silicon Valley allait cesser de se développer. Je soutenais que les coûts du travail et du logement étaient excessifs et que les routes étaient trop encombrées, et tandis que le siège social et la recherche des entreprises pourraient y rester, j’étais convaincue que la région avait atteint ses limites physiques et que la croissance de l’innovation et de l’emploi se produirait ailleurs durant les années 1980. Et il se trouve que je m’étais trompée. »

Aucun doute la région est à une nouvelle croisée des chemins ! Mais je n’ai pas fini, voir plus bas.

J’ai promis plus haut de parler d’un article scientifique datant de 2020. J’en traduis une partie de la conclusion :

Silicon Valley : une métaphore en quête de structure ?

La Silicon Valley est une métaphore d’une région dépourvue de structure gouvernementale viable. Elle en est au stade de New York, avant sa consolidation en une ville unifiée en 1989. À l’exception notable de l’écologie de la Baie, un inconvénient est apparu : un déséquilibre public-privé révélant des lacunes en matière de logement et de transports. Répartie sur une multitude de comtés et de villes, la Silicon Valley ne dispose pas des capacités de gouvernance suffisantes pour faire face aux conséquences négatives de son succès fulgurant.
Un déséquilibre supplémentaire dans les capacités universitaires résulte en partie d’un plan directeur vieux de plus d’un demi-siècle, segmentant strictement la sphère universitaire publique, ce qui a limité l’avancement institutionnel individuel. Ce déficit a été en partie comblé par la création de campus annexes par des universités d’autres régions du pays, comme Carnegie Mellon et la Wharton School, qui, ironiquement, traitent la région comme une zone sous-développée, du moins en termes de capacités universitaires. De plus, le financement public des universités publiques a considérablement diminué, passant de 40 % du budget de Berkeley dans les années 1980 à 14 % aujourd’hui. Cet écart est en train d’être comblé par une campagne de financement massive qui devrait permettre de lever 6 milliards de dollars et d’augmenter le nombre de postes de titulaires dans les universités dans les années à venir.
Rééquilibrer la Triple Hélice nécessitera également une interaction accrue entre les différents secteurs, un phénomène en déclin ces dernières décennies, mettant en péril l’innovation et la capacité d’accueil à long terme de la région. Le développement économique innovant et durable de la Silicon Valley ne dépend pas seulement de la présence d’universités performantes, mais aussi de la manière dont elles interagissent et chevauchent leurs rôles avec les autres acteurs du modèle de la Triple Hélice, en recherchant des objectifs stratégiques communs et en identifiant les problématiques transversales qu’aucune d’entre elles ne peut traiter individuellement. Les interactions entre l’université, l’industrie et le gouvernement, dans un environnement hautement dynamique et volatile, représentent une opportunité unique de se remettre de la crise économique, de créer de nouveaux emplois et de promouvoir un développement prolifique, inclusif et économiquement durable des régions à long terme….

Génie(s) invisibilisé(es), Lost Einstein(s), Marie Curie(s) perdues dans le Morbihan

Xavier Jaravel revient dans une chronique intitulée N’oublions pas les Marie Curie perdues pour le journal les Echos sur un de ses sujets favoris : « l’accès à l’innovation dépend fortement de l’origine sociale, du revenu des parents, du sexe et du département de naissance. A capacités égales, les enfants de milieux modestes ont de bine plus faibles chances de devenir des chercheurs, des entrepreneurs ou des inventeurs que ceux issus de familles favorisées. »

Je dis « un de ses sujets favoris » car j’avais adoré le court et magnifique essai qu’il a publié en 2023 : Marie Curie habite dans le Morbihan – Démocratiser l’innovation.

Pour les (très) curieux, il est possible d’approfondir le sujet en lisant deux articles scientifiques :
Social Push and the Direction of Innovation du même auteur et de Elias Einiö et Josh feng, mars 2025.
Invisible Geniuses: Could the Knowledge Frontier Advance Faster? de Ruchir Agarwal et Patrick Gaule, IMF Working Paper 18268, décembre 2018.

J’ai eu la chance d’être invité par le même FMI en janvier 2019 pour analyser les sources de l’innovation. J’y avais découvert le concept similaire de Lost Einstein. Un papier lui-aussi co-écrit par Xavier Jaravel et intitulé Who Becomes an Inventor in America? The Importance of Exposure to Innovation en donne la définition : Il existe de nombreux « Einstein perdus » – des individus qui auraient fait des inventions à très fort impact s’ils avaient été exposés à l’innovation dans leur enfance – en particulier parmi les femmes, les minorités et les enfants issus de familles à faibles revenus. (There are many “lost Einsteins” – individuals who would have had highly impactful inventions had they been exposed to innovation in childhood – especially among women, minorities, and children from low-income families.)

Quand je lis des analyses sur les raisons des échecs de l’innovation en particulier en Europe, j’y vois des explications « rationnelles et éconmiques », comme les régulations trop fortes, des marchés peu homogènes, des taxations inadaptées et des investissements inadéquats. J’entends moins de raisons culturelles ou sociologiques, qui me emblent pourtant autrement plus convaincantes. Xavier Jaravel contribue à mettre en avant des éléments importants et mal connus. Merci à lui !

Qui a encore le courage dans la tech de s’opposer publiquement à Trump dans la Silicon Valley ?

Depuis quelques semaines ou mois, on découvre avec stupeur ou embarras qu’ils sont nombreux dans la Silicon Valley à avoir apparemment retourné leur veste pour soutenir la politique de Trump aux Etats Unis. C’est assez impressionnant même si cela ne l’est pas autant qu’on croit. J’ai déjà abordé le sujet en juillet 2024, à une époque où je croyais que Kamala Harris serait élue présidente. Cela s’intitulait La gauche et la tech dans la Silicon Valley. Et j’ai en effet découvert que d’anciens « sympathisants » des Démocrates se tournaient vers les Républicains tels Mark Zuckerberg, Sam Altman ou Marc Andreessen. Pire il semble que même Sundar Pichai (CEO de Google) ou Tim Cook (CEO d’Apple) allaient dans le même sens. Après tout en Europe, on n’est jamais choqué qu’un patron soit de droite et les moins favorisés de gauche. A nouveau vous pouvez relire mon post sur le sujet. En réalité, la Silicon Valley est tellement démocrate dans ses votes, qu’il était peut-être difficile de s’afficher autrement et aujourd’hui, les personnes s’affichent plus aisément. Les votes évoluent aussi comme illustré ici.

Alors je me suis posé la question de qui s’opposait aujourd’hui à Trump dans la tech et la Silicon Valley ?

J’ai été agréablement surpris de découvrir qu’il y avait des figures comme Bill Gates et Michael Moritz :

Bill Gates est un modéré et peu actif politiquement. Et je le cite/traduis à partir de Bill Gates says he’s surprised about his fellow billionaires’ rightward political shift: ‘I always thought of Silicon Valley as being left of center’ « J’ai toujours pensé que la Silicon Valley était de gauche ». « Le fait qu’il existe désormais un groupe important de droite me surprend. » Alors que « des choses incroyables se sont produites grâce au partage d’informations sur Internet », les réseaux sociaux ont connu des revers majeurs. « Vous voyez des maux que, je dois dire, je n’avais pas prévus. » Bien que Gates ne soit en aucun cas un partisan déclaré de Trump, il a déclaré qu’il ferait de son mieux pour travailler avec le président. « Je collaborerai avec cette administration comme je l’ai fait avec la première administration Trump, du mieux que je peux », a déclaré Gates au NYT. Voir aussi Bill Gates tente de se distinguer des autres milliardaires de la tech

Michael Moritz est moins connu mais si l’on sait qu’il a financé Google, Yahoo!, PayPal, Apple, Cisco, YouTube, ont peut apprécier ce qu’il a à dire dans Trump’s tech backers are ‘making a big mistake,’ En voici la traduction de la fin : Les financiers et les partisans de Trump dans le secteur technologique « commettent la même erreur que tous les puissants qui soutiennent les régimes autoritaires ». Il écrit que les riches financiers croient « pouvoir contrôler Trump », ou commettent « une autre erreur capitale : se leurrer en pensant qu’il ne tiendra pas ses promesses ». « Cela n’a pas été le modus operandi des régimes autoritaires au fil des siècles. »

Paul Graham que je respecte a écrit un article sur le wokeness qui mérite une lecture attentive mais ce n’est pas vraiment une opposition à Trump, il cherche plutôt à expliquer un mouvement. Je vous invite à lire « Les origines du wokeness ». Par exemple, je ne prétends pas que la deuxième victoire de Trump en 2024 était un référendum sur le wokeness ; je pense qu’il a gagné, comme le font toujours les candidats à la présidentielle, parce qu’il était plus charismatique ; mais le dégoût des électeurs pour le wokeness a dû y contribuer. Et « Trump et le wokeness sont cousins ».

Steve Blank est plutôt silencieux en matière de politique mais j’ai découvert qu’en 2020, a démissionné d’un conseil consultatif du ministère de la Défense, protestant contre la décision de l’administration Trump d’évincer la plupart de ses collègues membres du conseil et de remplacer certains d’entre eux par des loyalistes politiques sans expérience en matière de défense ou d’affaires. Voir ici. Toutefois, en décembre 2024, il parle d’opportunités offertes par trump dans Comment inverser la tendance, vaincre la Chine et la Russie et réparer le ministère de la Défense défaillant. Il n’avait pas (encore) lu Michael Moritz.

Qui d’autres ? J’ai un peu cherché en vain. Mes « héros » sont plutôt silencieux mais ils l’ont toutjours été alors qu’en conclure. Espérer que certains se réveilleront et oseront s’opposer quel qu’en soit le coût…

PS: j’ai trouvé un peu plus par exemple Larry Page : J’ai l’intention de dire au président que nous sommes avec lui et que nous l’aiderons de toutes les manières possibles. Si vous pouvez réformer le code fiscal, réduire la réglementation te négocier de meilleurs accords commerciaux, l’industrie technologique américaine sera plus forte et plus compétitive que jamais aurait-il dit selon Andoidsis.

Roger McNamme est un autre investisseur : Eh bien, tout ce qui concerne Trump semble être un retour sur investissement, n’est-ce pas ? Tous ces cadres donnent un million de dollars chacun. Ce sont des écarts d’arrondi. C’est de l’argent qu’ils trouvent entre les coussins du canapé de leur salon. Mais, vous savez, il s’agit essentiellement d’un paiement de précaution. Et dans le cas de Musk, l’investissement qu’il a fait dans Trump, qui était d’un quart de milliard de dollars, ou l’investissement qu’il a fait dans Twitter, qui était d’environ 44 milliards de dollars, ont été rentabilisés, évidemment, de très, très nombreuses fois. Je pense que Trump et Musk finiront par se séparer. Je ne connais pas du tout Trump, mais il n’a pas l’air d’être le genre d’homme à supporter quelqu’un qui fait de la compétition au même niveau que Musk. Mais nous verrons bien ce qu’il en est. Voir ici.

Et bien sûr, j’oubliais, oui !, il y a Reid Hoffman, le fondateur de Linkedin, « un des patrons de la Tech le plus farouchement opposé à Donald Trump et Elon Musk ». Voir ici ou ou encore .

PS2 : 15 avril 2025. Le jour où l’Université Harvard rejette les demandes de Donald Trump, je viens de lire quelques pages merveilleuses de La Montagne magique de Thomas Mann. Les voici :

« Bon sang, quel vieux crétin ! Ingénieur, qu’est-ce que vous lui trouvez ? Peut-il vous apporter quelque soutien ? les bras m’en tombent ! » […]
« Absolument, fi-il, parfait ! C’est, admettons-le… permettez-moi de … bon ! »
Et il essaya aussi de singer les geste doctes de Peeperkorn. « Ou oui, continua-t-il en riant, vous trouvez ça idiot, monsieur Settembrini , ou en tout cas difficile à cerner, ce qui, à vos yeux, est ans doute pire que de l’idiotie. Ah, la bêtise… Il y a toutes sortes de bêtises, et l’intelligence n’est pas la meilleure d’entre elles… Oh, là, je viens de commettre un bon mot, dirait-on. Comment le jugez-vous ? » […]
– Non en faisant ce bon mot, je ne suis pas su tout à l’affût de paradoxes. Je prétends simplement signaler les grandes difficultés que pose la définition de la bêtise et de l’intelligence. Et elle en pose n’est-ce pas ? On a bien du mal à les distinguer, les deux se confondent tellement… Vous détestez le guazzabuglio [fatras] mystique, je le sais bien, vous êtes pour la valeur, le jugement, et le jugement de valeur, ce en quoi je vous donne parfaitement raison. Mais la question de la bêtise, de l’intelligence, c’est parfois un mystère complet, et les mystères, il doit tout de même être permis de s’en occuper, à condition de s’efforcer en toute honnêteté d’aller au fond des choses. Je vais vous poser une question / cet homme nous met tous dans sa poche, allez-vous le nier ? Je le dis sans prendre de gants et, à ce que je vois, vous ne le niez pas. Il nous met dans sa poche et, en vertu de ne je sais quoi, il a le droit de se moquer de nous. D’où ça vient-il ? Comment, et dans quelle mesure, le fait-il ? Ce n’est bien sûr pas grâce à son intelligence : il serait hors de propos d’employer ce terme, je l’admets. C’est plutôt un être sentimental et obscur, et le sentiment, c’est carrément son dada – passez-moi cette expression familière. Je disais donc qu’il nous met dans sa poche, ce n’est ni grâce à son intelligence ni pour des raisons morales, vous ne l’admettriez jamais, et c’est vraiment hors de question. Ce n’est pas non plus pour des raisons physiques ! Ce n’est tout de même pas dû à ses épaules de capitaine, à la violence pure, ni au fait qu’il pourrait nous envoyer tous au tapis d’un coup de poing, bien qu’il ne songe pas un seul instant à le faire ; si ça lui passait par la tête, quelques mots civilisés suffiraient à l’apaiser… Donc ce n’est pas pour des raisons physiques, même si le physique entre sûrement en ligne de compte, pas au sens de la brutalité, mais dans un autre sens, celui du mysticisme : dès que le corps joue un rôle, l’affaire devient mystique, et le physique devient spirituel, ou l’inverse, on n’arrive plus à les distinguer, pas plus que la bêtise et l’intelligence. L’effet est pourtant là, ce dynamisme, et nous voilà à sa botte.
C’est un mystère qui se joue au-delà de la bêtise et de l’intelligence, et l’on ferait bien de s’en soucier, d’abord pour le tirer u clair, dans la mesure du possible, et ensuite pour notre gouverne. Et si vous êtes pour les valeurs, j’aurais tendance à dire au le personnalité est une valeur positive, en fin de compte., une valeur positive au-delà de toute expression, absolument positive, comme la vie, bref, une valeur de la vie, et tout à fait susceptible qu’on s’y intéresse de très près. Voilà ce que je pourrais répondre à ce que vous avez dit de la bêtise. » […]
– En faisant de la personnalité un mystère, vous courez le risque se sombrer dans l’idolâtrie. Vous adorez un masque. Vous voyez de la mystique là où il n’y a que de la mystification, une de ces formes trompeuses et creuses par lesquelles le démon e la physionomie corporelle se plaît parfois à nous berner. Vous n’avez jamais fréquenté le milieu du théâtre ? vous ne connaissez pas ces têtes de mimes aux traits rappelant à l fois Jules César, Goethe et Beethoven ? leurs heureux détenteurs, dès qu’il ouvrent la bouche, se révèlent être les plus lamentables crétins de la terre !
– Bon c’est une bizarrerie de la nature, mais j’y vois plus qu’une duperie : puisqu’ils sont acteurs, ces gens-là doivent avoir du talent, et le talent dépasse la bêtise et l’intelligence, c’est en soi une valeur de la vie. Vous aurez beau dire, Mynheer Peeperkorn a du talent, lui aussi, et voilà comment il nous met dans sa poche. Mettez […] au bout d’une pièce et faite lui prononcer une conférence du plus haut intérêt […]. A l’autre bout de la pièce Peeperkorn se contentera de dire en faisant une drôle de moue et en haussant les rides de son front : « Tout à fait, permettez – c’est réglé ! » Vous verrez, les gens se masseront autour de lui ; […] restera tout seul avec son intelligence, même s’il s’exprime avec une clarté pénétrante.
– Vous devriez avoir honte d’adorer le succès ! lui signifia M. Settembrini. Mundus vult decipi [Le monde veut être trompé]. Méprisez dont le verbe distinct, précis et logique, d’une cohérence toute humaniste ! Méprisez-le au profit de je ne sais quelle mascarade faite d’allusions et de sentimentalisme de charlatan, et vous ne tarderez pas à être le jouet du diable.

Deux belles histoires de startups récentes (pas dans la Silicon Valley, mais toutes deux acquises par Google) – partie 2 : wiz.io

En lisant quelques articles sur Deepmind (la partie 1 de ce post) et sur les fondateurs de Adallom et wiz.io, me sont revenues en mémoire d’autres histoires de startup européennes ou fondées par des Européens. Je pense à Spotify (voir mes posts en 2022 et 2018) ou VMWare (voir un post plus ancien de 2010). On y voit que l’ambition plus ou moins jugulée a conduit à des résultats différents. Wiz ou Spotify ont des valorisations en dizaines de milliards, Deepmind, Adallom et VMWare (1ere acquisition) en centaines de millions alors que la seconde acquisition de VMWare fut également en dizaines de milliards. Je ne sais pas s’il y a un pattern ou si je le crée artificiellement, mais c’est un peu comme si une acquisition en centaines de millions était un semi-échec lié à la crainte d’une concurrence trop forte ou de l’impossibilité de poursuivre une aventure indépendante.

La double aventure des fondateurs de Adallom et Wiz.io va un peu dans ce sens. J’ai lu quelques articles dont vous trouveez la référence en fin d’article. Et je vais donner les leçons tirées par Assaf Rappaport de ces deux histoires. Une première réussite, Adallom rachetée en 2014 par Microsoft pour $320M puis une seconde, wiz.com rque Google a proposé d’acheté il y a quelques jours poru $32B soit 100 fois plus… Contrairement à Deepmind, je n’ai pas eu accès à des documents précis, j’ai donc dû faire quelques hypothèses comme quelques autres (voir [2]) et recouper les informations disponibles en ligne. Voici les deux tables de capitalisation. Mais ici aussi, les conseils donnés (que je reprends plus bas) sont tout aussi importants que ces données.

Tout d’abord ce que je retiens des tableaux :
– Quatre fondateurs dont l’histoire est classique en Israel (voir [1]) créeen Adallom puis wiz.io. En réalité, moi qui ne suis pas un grand fan du concept de serial entrepreneurs, je me demande si wiz.io n’est pas plutôt le passage à l’échelle de Adallom comme VMWare (2ème période) le fut pour VMware (1ère période) ou en poussant très fort le prix Nobel de Demis Hassabis le passage à l’échelle de Deepmind ! On lit dans la presse que les fondateurs avaient gagné environ $25M avec Adallom selon certains et $3B avec wiz.io là aussi un facteur 100x environ.
– Les mêmes fonds de capital-risques et partenaires sont les investisseurs – Gili Raanan pour Sequoia puis Cyberstarts et Shardul Shah pour Index. C’est assez rares pour être mentionnés d’autant plus que ces fonds sont intervenus à l’amorçage.
– Pour Adallom, des multiples de 24x pour les series A, 7x pour le series B et 2x environ pour le series C.
– Pour wiz.io, des multiples de 475x pour le seed, 73x pour le A, 20x pour le B, 5x, 3,éx et 2,7x pour les C, D et E.

Tout cela est discutable, mais pas inintéressant et il y a un côté un peu loterie. Ne me méprenez pas. le succès est rare, jamais garanti. Je me souviens d’une startp à qui une propostion d’achat de $300M avait été faite. Fondateurs et/ou investisseurs ont décliné pensant qu’il valaient plus. Au final, l’acquisition se fit pour un montant de $10M.

A ce sujet il faut sans doute lire le point de vue sur Shardul Shah (Index) sur LinkedIn (Index Ventures just cemented its place as one of the all-time VC greats). J’en extrais et raduis un passage de citations : « Je ne sais pas pourquoi on parle de moyennes ; aucun de nous ne s’intéresse au retour à la moyenne. » […] « ​​Je ne recherche pas des rendements moyens. Je ne recherche pas de bonnes affaires, je recherche des valeurs aberrantes. » […] « ​​Je ne recherche pas le confort. Il faut accepter l’inconfort. Notre métier, c’est la prise de risque. Je ne suis pas un investisseur axé sur la valeur, n’est-ce pas ? Je crois à la loi de puissance. » […] « ​​Le plus difficile, c’est de savoir si l’on est dans l’illusion ou si l’on est convaincu. Parfois, la frontière peut sembler ténue. »

Enfin j’extrais les leçons de Assaf Rappaport :

1. L’équipe est plus importante que l’idée. Une startup ne se construit pas autour d’une idée, qui évoluera de toute façon, mais autour d’une équipe. Les meilleurs fonds de capital-risque investissent dans les talents, et non dans des produits, des idées ou des business plans. Autre point important : ne tardez pas à rencontrer les meilleurs fonds. Ne les laissez pas pour la fin.
2. Celui qui écoute les problèmes trouvera des idées. Lorsque vous rencontrez des clients, vous ne venez pas pour les convaincre, mais pour apprendre d’eux. Si vous avez parlé pendant plus d’un quart de la réunion, la conversation n’était pas intéressante. Les clients ont des problèmes dont vous ignoriez l’existence, et la meilleure façon de les découvrir est d’utiliser des points d’interrogation, pas des points d’exclamation. Autre point important : il faut un peu de chance.
3. « Non » est la bonne réponse pour déterminer le sérieux de l’investisseur. Quel que soit le type d’offre que vous recevez – investissement ou acquisition –, la seule réponse est : « J’apprécie vraiment votre offre, mais non merci. » Ce genre de réponse n’a jamais découragé un investisseur ou une entreprise déterminés – et s’ils ne le sont pas, ils n’investiront de toute façon pas. Autre point important : vous devez préparer un plan média, interne et externe ; en cas de fuite, vous n’aurez que le temps d’appuyer sur le bouton « Envoyer ».
4. La sortie n’est que le début d’un travail difficile. Au lendemain de votre fusion avec un géant, n’attendez pas que les options vestent. Adoptez plutôt une approche commando : nous faisons partie d’une grande armée, mais nous appartenons à une unité d’élite.
5. N’ayez pas peur de l’activisme. Dans toute entreprise, il arrive un moment où il faut donner un coup de pouce aux dirigeants conservateurs, puis passer à l’action. Pour offrir un environnement de travail optimal et recruter les meilleurs collaborateurs, il faut faire preuve de courage et prendre position, en s’engageant dans un militantisme social qui favorise un formidable esprit d’équipe.
6. Respirez profondément et n’expirez pas trop vite. Ne vous laissez pas aveugler par l’argent : utilisez-le plutôt pour acquérir rapidement des clients payants, refuser des offres d’acquisition de plusieurs centaines de millions de dollars et développer rapidement votre entreprise pour en faire une licorne.
7. Aujourd’hui, il est possible de surpasser tout le monde avec un ordinateur et Zoom.

A nouveau la prise de risque et l’ambition sans limite.

Références :
[1] : 7 lessons from reaching a $1.7 billion valuation in just one year https://www.calcalistech.com/ctech/articles/0,7340,L-3904610,00.html
[2] : WIZ, Esprit, es-tu là? Comment les fondateurs de Wiz refont des miracles après le succès d’Adallom https://trivialfinance.substack.com/p/wiz-esprit-es-tu-la